Présentation du numéro
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2020 – 1, n° 7. varia - Auteurs : Méric (Jérôme), Jardat (Rémi)
- Pages : 15 à 18
- Revue : Entreprise & Société
PRéSENTATION DU NUMéRO
Jérôme Méric
CEREGE-IAE de Poitiers
Rémi Jardat
LITEM
Université d’Évry-Paris-Saclay
Avec ce nouveau numéro, la revue Entreprise & Société voit une nouvelle équipe éditoriale à sa tête. Nous voudrions avant tout rendre hommage à Henri Zimnovitch qui, à l’aide du conseil d’orientation et du comité de rédaction, a su donner un second souffle aux cahiers d’Économies et Sociétés plus spécifiquement consacrés aux sciences des organisations et de l’action collective. Le conseil et le comité sont aussi en partie renouvelés. Nous sommes extrêmement redevables à l’égard de nos collègues, qui depuis le 1er janvier 2020, nous apportent leurs conseils, leurs regards éclairés, et participent activement à l’élaboration de chaque numéro.
Plus que jamais, nous privilégions les orientations éditoriales de la revue. La pluridisciplinarité et la diversité permettent de porter un regard ouvert sur la société et sur le rôle que les entreprises y jouent ou peuvent y jouer, dans le sens de potentialités positives comme d’externalités à dénoncer ou contrôler. En ce sens, la revue interroge la responsabilité des organisations et de leurs acteurs, en privilégiant un appui sur une réflexion philosophique inscrite dans le temps long. La réflexivité et le recul historique sont garanties par le pluralisme des contributions retenues. Nous souhaitons que cette revue dépasse son engagement sociétal par les seuls contenus. Nous ferons en sorte qu’elle devienne un lieu de 16dialogue entre les scientifiques expérimentés et les jeunes chercheurs. La section de varia sera tout particulièrement ouverte aux premières contributions de jeunes auteurs, qui pourront ainsi confronter leurs résultats de recherche et la réflexion qui les accompagne aux regards des auteurs des grands angles et des coordinateurs des dossiers thématiques. Nous voulons ainsi faire d’Entreprise & Société un tremplin à la reconnaissance scientifique de doctorants ou de jeunes docteurs, pour peu que leur recherche interroge les relations de l’entreprise et de la société.
Quand nous disons « interroger les relations de l’entreprise et de la société », nous affichons clairement la volonté de promouvoir une recherche qui ne soit pas seulement descriptive d’interactions possibles, ou prescriptive d’outils d’inclusion des entreprises dans la société selon une perspective utilitariste. Nous promouvrons aussi les recherches qui explorent, proposent, évaluent les contributions possibles ou effectives des entreprises à la société.
Une université, par essence, est encastrée (embedded) dans la société. En ce sens, elle joue un rôle majeur dans l’éducation post bac, elle produit de la recherche, elle interagit avec les territoires, elle ouvre des coopérations internationales…mais le contexte de marchandisation de l’éducation et de quantification de la production scientifique constitue aujourd’hui un facteur de risque pour la continuation de sa mission. Isabelle Huault, présidente de l’université Paris Dauphine-PSL, témoigne de la manière dont un établissement singulier apporte ses réponses à ces problématiques. Le grand angle qui lui est consacré pourrait se résumer à cette maxime inspirée de Lampedusa : il faut que tout change pour que rien ne change. Le projet initial de Dauphine est conservé. La singularité d’un établissement d’enseignement et de recherche consacré aux sciences de l’organisation et de la décision est toujours soutenue, comme à sa création, par un modèle alternatif à celui des facultés et par l’innovation pédagogique. Pour autant, de nouveaux enjeux émergent qui pourraient remettre en cause autant la mission que le modus operandi. L’internationalisation de l’enseignement, celle de la recherche et les regroupements d’établissements constituent autant d’opportunités que de facteurs de standardisation des modes de formation et des canons scientifiques. Pour tenir dans le paysage des grands établissements d’enseignement du management, de l’économie 17et des mathématiques appliquées à la gestion, peut-on échapper à ces standards ? En tous les cas, il faut des moyens financiers, auxquels les étudiants sont appelés à contribuer. Pour assumer sa responsabilité sociétale, l’université privilégie la transdisciplinarité, mais cette dernière ne peut s’opérer à n’importe quel prix. Ce grand angle est aussi l’occasion de recueillir le témoignage d’Isabelle Huault en tant qu’à la fois enseignante-chercheuse et responsable de grand établissement. Elle préconise de bien distinguer les fonctions politiques et de recherche. Sa double identité lui fait percevoir, peut-être avec plus d’acuité que si elle avait suivi la voie administrative, à quel point il peut être difficile pour un dirigeant d’échapper à l’envahissement du quotidien.
L’université n’est pas la seule institution encastrée dans son territoire. Les entreprises familiales, dont nous ne rappellerons pas le rôle essentiel qu’elles jouent à l’échelle de la planète, articulent d’une manière qui n’appartient qu’à elles leur territoire spatial et leur territoire conceptuel. Elles s’appuient pour cela sur leur double nature, gestionnaire et inscrite dans l’histoire d’une famille locale. C’est ce que Gérard Hirigoyen et Amélie Villéger nous montrent avec beaucoup de force en conclusion du dossier thématique consacré à ces structures. Cette contribution est précédée de deux articles qui abordent la dualité gestion-famille non pas comme un couple ago-antagoniste, mais comme une tension difficilement surmontable. Jonathan Bauweraerts et Olivier Collot se fondent sur une étude à large échelle pour suggérer qu’il convient de privilégier l’aspect gestionnaire à la tête d’une entreprise familiale, en nommant un dirigeant hors du cercle de la famille. Anne-Sophie Thelisson et Olivier Meier, pour leur part, voient dans les successions et les transmissions les moments où la tension entre liens familiaux et recherche de profit se cristallise. Pour surmonter ces difficultés, ils proposent une grille d’analyse des conflits possibles, en particulier autour des paradoxes organisation-appartenance et performance-appartenance.
En hors dossier, l’article de Hiam Serhan adopte un regard praxéologique sur la normalisation, et tout particulièrement la mise en œuvre de la norme ISO 9001. Elle examine l’utilisation de la norme comme outil de conformation aux nouvelles règles, en même temps qu’elle met en évidence les mécanismes appropriatifs qui émergent de ces dernières, qu’il s’agisse de tensions, de perturbations, d’apprentissages, voire d’innovations. À travers les cas d’entreprises qu’elle étudie, elle observe 18deux configurations possibles. La première est celle où l’outil prend le pas sur l’organisation. Imposé par la direction, il laisse peu de marge aux responsables qualité pour faire autre chose que de l’accompagnement contraignant, et les acteurs se limitent à l’usage de routines correctives. Dans le cas où les moyens sont donnés aux équipes pour s’approprier pleinement l’outil, ils sont capables d’apprentissages beaucoup plus élaborés, au point de proposer sur ce substrat des heuristiques de déclinaison d’objectif, de nouvelles pratiques éco-responsables, de nouveaux produits. Ou comment donner à chacun les ressources pour s’appuyer sur les objectifs contraignants de la norme afin d’en dépasser la portée.
La revue Entreprise & Société, nous l’avons rappelé, privilégie les regards historiques et philosophiques sur les relations entretenues par le monde des affaires et la société. Le forum rend compte d’un débat sur « Capitalisme et Justice », qui s’est tenu au CNAM en février 2020 entre l’économiste Thomas Piketty, qui lui-même dit adopter une démarche d’historien, et le philosophe André Comte-Sponville. Le premier déroule sa généalogie de la réduction puis de la réinstauration des inégalités pour en venir à l’idée de domestiquer la propriété, en freinant sa concentration et promouvant des formes plurielles de propriété (sociale, publique, privée temporaire). Le second construit des ordres à partir de catégories kantiennes, ordres qui ne peuvent se soumettre les uns aux autres. Le capitalisme ne relève dont pas de la morale, et cette assertion renvoie à la responsabilité de chacun comme à la responsabilité politique. Faut-il s’en trouver surpris ? Thomas Piketty pense la démarche de propriété sociale réalisable pays par pays, quand André Comte-Sponville renvoie pragmatiquement aux risques d’un dumping fiscal. Les arguments se croisent, les procès en idéalisme et en conservatisme sont sous-jacents. Tous deux s’accordent néanmoins sur une chose : la mondialisation devrait avant tout être politique.
Pour clore ce numéro, Roland Perez nous offre une recension détaillée du discours de Stockholm prononcé en 2009 par Elinor Ostrom et préfacé par Benjamin Coriat. Un retour à un sujet qui tient à cœur à la revue : la question des communs.
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN : 978-2-406-10787-3
- EAN : 9782406107873
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10787-3.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/10/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français