Présentation du numéro
- Publication type: Journal article
- Journal: Entreprise & Société
2018 – 2, n° 4. varia - Author: Zimnovitch (Henri)
- Pages: 19 to 22
- Journal: Business & Society
PRÉSENTATION DU NUMÉRO
Henri Zimnovitch
Professeur au CNAM
Comment devient-on professeure titulaire à la Harvard Business School (HBS) et à la Harvard Kennedy School (HKS) lorsqu’on est une jeune Française élevée dans un milieu familial qui n’y prédisposait pas ? Dans le grand angle, Julie Battinala nous en donne la réponse en retraçant son cursus scolaire d’excellence depuis la Khâgne à Henri IV, en passant par l’ENS-Cachan et HEC, fin des années 1990, suivi d’un doctorat à l’INSEAD en 2006. Un parcours auquel elle imprima une forte perspective sociologique qui l’a conduite à intégrer le fameux département Organizational Behavior de HBS, celui dans lequel Elton Mayo créa la psychologie sociale des organisations.
On gagnera à réfléchir dans nos universités françaises sur la place qu’occupe la pédagogie, le souci pragmatique de la recherche à la HBS tel que nous le rapporte la professeure Battinala. Les questions de Jean-claude Thoenig, qui fut son directeur de thèse et à qui on doit cette interview, nous permettent de comprendre les différentes facettes des travaux de son ancienne élève, plus particulièrement orientés dans le rapport entreprise et société.
L’article de Battilana qui suit son grand angle, « La poursuite conjointe d’objectifs sociaux et financiers dans les entreprises : l’entreprise sociale comme laboratoire d’études des modes d’organisation hybrides », permet d’illustrer son travail. Il porte ici sur des entreprises qui poursuivent une mission sociale tout en s’appuyant sur des activités commerciales. Elle étudie les tensions qui existent entre objectif social et efficacité, 20les conflits de légitimité qui peuvent naître dans l’esprit des différentes parties prenantes, etc. Puis, elle pose la question « comment les entreprises sociales relèvent-elles leurs défis ? » et quelles perspectives sont ouvertes pour l’avenir…
On peut voir dans le grand angle et dans l’article qui l’illustre comme une introduction au dossier qu’Entreprise & Société consacre dans ce numéro à l’innovation sociale. La présentation qu’en fait Christian Le Bas permet de comprendre la cohérence des articles par rapport à l’appel à papiers qui avait été lancé.
Christel Vivel nous fait découvrir l’apport de l’innovation économique autrichienne à l’innovation sociale, avec notamment l’importance du rôle de l’entrepreneur social ; ce qui fait écho aux observations faites par Battilana dans son article. Dans « Processus d’engagement communautaire en tant qu’innovation sociale : une lecture par les stratégies de légitimation », Leilla Ben Hassine et Jouhaina Gherib, sur la base d’un cadre conceptuel tiré de l’engagement communautaire et de la légitimité, étudient comment, suite au soulèvement de 2011, une entreprise pétrolière tunisienne a mis en place un processus d’innovation sociale en matière de RSE, couplée à un engagement communautaire, qui a conduit à une stratégie de légitimation. Enfin, Marc Ingham, dans l’article « Innovations sociales et responsables : opportunités pour les entreprises », montre la synergie, la nécessité pour les organisations d’innover en articulant les préoccupations sociales et la RSE. Il prolonge la recherche qu’avait conduite Christian Le Bas et Sylvaine Mercuri Chapuis dans leur papier publié par notre revue dans son précédent numéro : « Une vision managériale des rapports de l’entreprise et de la société. La responsabilité sociale stratégique de Porter et Kramer » (Entreprise & Société, 2018, 1, no 3, p. 97-118).
Un souci de la revue étant de rester en prise avec le présent et d’aller chercher tant dans le passé que dans la prospective de quoi gagner en lucidité, notamment sur les questions financières, on lira avec intérêt le texte de Jacques Ninet : « Dix ans après la chute de Lehman… Pour un nouveau logiciel financier à l’ère de l’anthropocène ». Alors que l’actualité économique commémore la crise de 2008, pour noter avec satisfaction qu’elle est surmontée ; en France, un mouvement social met en lumière les colères des populations quant au creusement des 21inégalités. Ninet nous alerte, à partir d’analyses chiffrées, sur les risques qui sont devant nous du fait de la menace que la dette fait peser sur les économies au moment où le défi écologique rend indispensable une mutation du logiciel financier.
La pluridisciplinarité est l’un des autres credo d’Entreprise & Société, « la vérité est chose si grande, que nous ne devons desdaigner aucune entremise qui nous y conduise » (Montaigne, Les Essais, III, XIII), on en trouvera la marque dans les trois textes du forum qui mettent en valeur la réflexion sur l’entreprise d’un anthropologue, d’un historien, et d’un sociologue. Dans « Faut-il suivre un paléoanthropologue dans l’entreprise ? », Christian Le Bas prolonge la réflexion menée par Pascal Picq, spécialiste de la préhistoire, sur l’apport de la théorie de l’évolution pour comprendre les adaptations auxquelles les entreprises sont confrontées face aux changements. Après avoir rappelé la fécondité du modèle darwinien et des travaux qu’il a inspirés pour analyser l’évolution des organisations, Le Bas présente les limites à transposer en économie des analyses qui valent pour la biologie, ou qui sont dérivées de la paléoanthropologie, eu égard à la spécificité de l’innovation conduite par les firmes. Le texte de Denis Malherbe, « Voyage aux sources religieuses et industrielles du management », s’inscrit dans la même veine que celui de Christian Le Bas, il part d’un ouvrage, celui de l’historien Pierre Musso, La religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de l’entreprise, une somme, pour nous rendre lucides quant à l’héritage religieux de nos organisations modernes. Le mérite de Malherbe, sans nier l’apport de la réflexion de Musso pour la pensée managériale contemporaine, comme on le verra dans le prochain paragraphe, est de dresser les limites de la transposition des concepts théologiques chrétiens, à la dynamique de nos organisations modernes.
Le dernier texte de ce forum est tiré d’une des tables-rondes que la Société Française du Management a organisées en 2018 sur la question de savoir si le management est soluble dans le numérique. Outre le regard de Pierre Musso, Denis Guibard, directeur d’une grande école de commerce, s’interroge sur la « transformation du rôle du manager à l’ère du numérique », le sociologue Yves-Frédéric Livian pointe, lui, les impacts des nouvelles technologies de l’information sur les managers : cognitive overflow syndrom et « sur-gestion ».
22Quant aux recensions qu’on lira à la fin de ce numéro, outre la qualité des ouvrages qui les justifient, elles permettent, d’une part, de faire le lien avec celles parues dans le précédent numéro sur le thème des communs et, d’autre part, elles entrent en résonance avec l’appel à articles sur le thème « entreprises et communs » qui fera l’objet d’un dossier dans le numéro six.
Pour conclure, il convient de saluer le travail de relecture, de mise en forme de ce numéro par Anne Deshors de l’École supérieure pour le développement économique et social (ESDES) et remercier cette institution pour son soutien.
- CLIL theme: 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN: 978-2-406-09248-3
- EAN: 9782406092483
- ISSN: 2554-9626
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09248-3.p.0019
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-04-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French