La participation des sociétaires dans les coopératives et les mutuelles
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2017 – 2, n° 2. varia - Auteurs : Caire (Gilles), Chevallier (Marius)
- Pages : 73 à 101
- Revue : Entreprise & Société
La participation des sociétaires
dans les coopératives
et les mutuelles1
Gilles Caire2
CRIEF (EA 2249) –
Université de Poitiers
Marius Chevallier
GEOLAB (UMR6042) –
IUT – Université de Limoges3
I. Question de recherche et problématique
Juridiquement, économiquement et politiquement, le sociétaire est la figure centrale du modèle coopératif et mutualiste. Il incarne en sa seule personne les différentes parties prenantes traditionnelles de l’entreprise. Il est à la fois : le propriétaire, en tant que détenteur de parts sociales (sauf dans les mutuelles) ; le consommateur, en tant qu’usager du service ; le décideur, en tant que participant au « 1 personne = 1 voix ». Il est aussi, plus implicitement, militant, dépassant ses seuls intérêts personnels en adhérant aux valeurs de responsabilité et de solidarité, et aux principes de réserves impartageables et d’impossibilité de plus-value. Il est également l’habitant du territoire du fait de l’organisation décentralisée de la plupart des coopératives et mutuelles. Il peut encore, mais plus rarement, être producteur, en proposant ses services bénévoles à la structure.
Personne centrale de l’organisation coopérative et mutualiste, le sociétaire reste pourtant paradoxalement mal connu. Dès lors, notre contribution cherche à répondre à deux questions : qui sont les sociétaires « participatifs » et qu’attendent-ils de leur coopérative ou de leur mutuelle ? Comment les organisations les impliquent-elles dans les activités et les décisions d’entreprise ou, autrement dit, que font-ils ?
Nous définissons le sociétaire participatif comme étant celui qui participe aux actes de la gouvernance coopérative ou mutualiste et/ou réalise des tâches bénévoles pour sa structure. La première étape active habituelle est de se déplacer en Assemblée générale. Ce sociétaire fait l’effort de venir et il prend le temps d’écouter ce que les dirigeants, élus et salariés ont à lui dire, il peut poser des questions, il peut ne pas être en accord et éventuellement s’opposer aux résolutions proposées. La seconde grande étape du sociétariat participatif est d’agir comme bénévole, délégué ou administrateur élu. Les actions du sociétaire, que nous qualifierons d’« engagé », sont alors consommatrices de temps et de déplacements : présence sur des salons, dans des commissions, tenue de permanences, organisation de réceptions, entraide, représentation et promotion de la structure, gestion, formations…
Nous avons choisi d’étudier ces sociétaires participatifs uniquement sur le champ des banques coopératives, des coopératives de consommation 75et des mutuelles de santé et d’assurance, du Limousin et du Poitou-Charentes. Les SCOP ont été écartées de l’analyse car l’objectif de la recherche était de s’intéresser aux coopératives d’usagers et non de travailleurs. Et les coopératives de commerçants et d’artisans, les coopératives agricoles et les CUMA ont été également exclues du fait de la culture professionnelle commune et du statut d’entrepreneur de leurs membres. Dans les coopératives et mutuelles étudiées, les sociétaires participatifs sont ainsi de secteurs d’activités étrangers à ceux de l’assurance, de la banque ou de la distribution. La recherche vient donc éclairer un étonnement : quelles activités peut-on confier à des sociétaires participatifs sachant qu’ils ont une connaissance du secteur en tant que simples usagers sans disposer a priori des compétences et des codes des professions concernées ?
Après le rappel des principaux éléments de cadrage théorique (II), nous nous intéresserons aux profils des participants aux Assemblées générales d’une caisse locale de banque coopérative, d’une section locale de coopérative de consommation et de deux sections départementales d’une mutuelle (III) et à leurs motivations pour le coopérativisme et le mutualisme (IV). Parmi les sociétaires participatifs, certains sont présents au-delà de l’assemblée générale, nous appellerons ces sociétaires les sociétaires engagés et nous ferons un focus sur cette sous-catégorie (V).
II. Éléments de cadrage théorique
La double qualité est centrale dans les organisations coopératives et mutualistes. Les sociétaires sont à la fois individuellement usagers des produits proposés (de consommation, de services d’assurance ou bancaires) et collectivement copropriétaires de l’entreprise (par la détention de parts sociales dans les coopératives, par constitution de fonds propres provenant des cotisations dans les mutuelles ; avec dans les deux cas le respect du principe des réserves impartageables). Cette double qualité implique deux formes de participation du sociétaire, aux processus de décision et de production. Dès lors, cette recherche s’inscrit dans deux 76débats théoriques, autour de la gouvernance et du bénévolat productif (implication bénévole dans le processus de production). Côté gouvernance, l’horizon utopique de ces structures est la démocratie participative entendue à travers la formule « une personne = une voix » comme la possibilité pour tous les membres de prendre part aux décisions. Côté bénévolat productif, c’est l’autogestion entendue comme la possibilité de réaliser une activité économique sans avoir recours à des professionnels salariés. Mais la réalité est bien loin de l’utopie. Ci-dessous, nous rappelons brièvement que l’écart est abyssal entre utopie et réalité : l’essentiel du pouvoir est concentré entre les mains des dirigeants salariés côté gouvernance et le bénévolat des sociétaires ne concerne que exceptionnellement le cœur de métier. Ce constat amène souvent à considérer que les rôles politiques et productifs des sociétaires n’ont plus aucun intérêt. Notre position est d’analyser les activités réelles des sociétaires afin de construire un horizon réaliste de leur place dans les mutuelles et les coopératives d’aujourd’hui.
II.1 Gouvernance sociétariale
En premier lieu, cette recherche s’intègre dans la littérature sur l’efficience comparée de la gouvernance actionnariale et de la gouvernance en ESS. Pour ces promoteurs, la gouvernance en ESS permettrait de concilier efficacité du marché et satisfaction des besoins sociaux, de mieux maîtriser les risques et de favoriser l’ancrage local. Pour ses détracteurs, la gouvernance ESS aurait deux inconvénients majeurs : le manque d’incitations des sociétaires (pas de plus-value, impartageabilité des réserves), des administrateurs (carences du bénévolat et faibles indemnisations) et des managers (plus faible rémunération salariale et aucun revenu patrimonial) ; les surcoûts de coordination liés à un accroissement des coûts de transaction (complexification des structures de décision et augmentation des coûts de négociation) et des coûts d’agence (en particulier des coûts supplémentaires de contrôle des managers et des coûts d’opportunité découlant d’intérêts divergents entre propriétaires et managers)4.
77Notre travail s’intéresse également aux hypothèses de dégénérescence démocratique dans un cadre de sociologie des organisations. Pour Michels (1911), la démocratie nécessite de l’organisation, mais il existe une tendance des organisations à créer une oligarchie, thèse connue sous le nom de « la loi d’airain de l’oligarchie ». Meister (1974) applique la théorie de Michels aux organisations démocratiques ayant des activités économiques. Il identifie plusieurs étapes dans un processus général de transformation interne (ou dégénérescence) des organisations démocratiques (associations et coopératives) en entreprises, au cours duquel le pouvoir des dirigeants s’accroît et devient hégémonique tandis que les objectifs économiques et financiers prennent le pas sur les objectifs sociaux et de démocratie. Les sociétaires n’ont ni les informations ni le pouvoir d’expertise nécessaires pour influencer les prises de décisions. Cela crée alors les conditions d’une trop grande liberté d’action pour les dirigeants.
Pour Chaves (2004), il existe également le risque d’une connivence entre les administrateurs et les managers salariés, issus des mêmes élites économiques, politiques et culturelles. Ils partagent le système de valeurs du secteur capitaliste, de compétition interpersonnelle, d’idéalisation du marché, et minorent les valeurs telles que la démocratie, la satisfaction des besoins sociaux et les problèmes de pauvreté. Cela peut même aller jusqu’à considérer les sociétaires comme des charges (burdens). Dirigeants élus et salariés adoptent alors une stratégie d’enracinement financier (rétention des informations stratégiques), institutionnel (adaptation des statuts) et politique (sélection des sociétaires sur la base de leurs revenus et non au regard d’un partage du projet, cooptation des nouveaux membres du Conseil d’Administration).
Jacques Ellul, dans son ouvrage L’illusion politique (1965), propose quant à lui le concept de « système technicien » dans lequel « la démocratie n’est plus un moyen de contrôler le pouvoir mais d’encadrer les masses ». Sur l’exemple des banques coopératives, Richez-Battesti et Gianfaldoni (2008) illustrent ce passage d’une « démocratie-contrôle », dans laquelle les administrateurs sont réellement contrôlés par les sociétaires, à une « démocratie-encadrement » :
Non seulement la démocratie représentative (à travers les assemblées générales pour l’essentiel) est encadrée par des mécanismes formels maîtrisés et contrôlés par un « haut encadrement », constitué par des administrateurs 78élus et épaulés par une technostructure efficace, mais de plus la démocratie participative n’a que peu de consistance sur les questions stratégiques dans les conseils locaux ou régionaux (…) Originellement construite sur les deux composantes de propriétaire et d’usager, la figure du sociétaire tend à se morceler et de la sorte à se réduire à une caution morale (administrateurs locaux) et un instrument de fidélisation (consommateurs avantagés).
II.2 Co-production sociétariale
Aux origines du mutualisme et du coopérativisme, la production des services d’assurance, de commerce, d’épargne et de crédit était intégralement réalisée par les sociétaires eux-mêmes. Ce n’est que progressivement, par l’embauche de salariés spécialisés, que les sociétaires se sont retirés de la production « cœur du métier », en lien avec l’augmentation de la taille de la structure, l’accroissement de la concurrence, la diversification et la montée en gamme des produits. Ainsi, pour ce qui concerne les entreprises étudiées dans cet article, les sociétaires ne tiennent pas de caisses de supermarché ni ne font de mise en rayon, ou ne font pas d’opérations bancaires ou ne vendent pas de contrats d’assurance.
Ce double mouvement de salarisation et de professionnalisation caractérisant l’évolution de l’économie sociale, et plus particulièrement de sa composante mutualiste et coopérative, peut à la suite d’Enjolras (1996), être considéré à travers le concept d’isomorphisme institutionnel. Rappelons qu’il s’agit d’« un processus contraignant qui forcent les unités d’une population à ressembler aux autres unités qui font face au même ensemble de conditions environnementales » (Di Maggio, Powell, 1983). Ce phénomène est décomposable en trois éléments : 1) l’isomorphisme coercitif qui désigne la pression exercée par la réglementation (par exemple, les réglementations bancaires ont exigé que les chargés de crédit soient diplômés dans le domaine et l’augmentation des règles sanitaires rend quasiment impossible la gestion de l’approvisionnement par des non-professionnels) ; 2) l’isomorphisme mimétique qui décrit la standardisation des réponses aux difficultés par copie des formules « qui marchent » ou qui à un moment sont supposés marcher (par exemple, la concurrence pousse à une sophistication croissante des produits et certaines coopératives de consommateurs ont disparu faute d’avoir adopté des techniques professionnelles de publicité) ; 3) l’isomorphisme normatif qui résulte de l’influence de 79l’expertise et de la professionnalisation (les non professionnels ne sont pas en mesure d’argumenter face à des personnes qui ont des arguments techniques issus de leur travail à temps plein et de leurs compétences spécialisées).
II.3 Délitement de « l’affectio cooperatis »
Les dirigeants des grandes structures coopératives ou mutualistes sont conscients de cette fragilité du modèle coopératif et mutualiste, du délitement de « l’affectio cooperatis », par un double éloignement progressif de la base sociétariale de l’organisation de la production et de la gouvernance. Avant même la crise financière de l’automne 2008, Étienne Pflimlin, alors Président du Crédit Mutuel et d’EACB (European Association of Cooperative Banks), rappelait : « Le sociétaire est au cœur de nos organisations et on peut dire, comme les hommes politiques par rapport à leurs électeurs, que si nous perdons le sociétaire, tout le reste de la pyramide s’écroule. » Depuis les années 1980, les acteurs du monde coopératif s’inquiètent de leur banalisation, à l’instar de Jacques Moreau qui en avait fait un sujet incontournable dans le monde émergent de l’économie sociale française (Alix, Chomel, 2005). Oppenheimer (1914) a marqué le coopératisme en faisant l’hypothèse dans les années 1920 que les coopératives ne peuvent que mourir économiquement (fonctionnement non viable et disparition de l’entreprise) ou politiquement (abandon progressif de toutes les caractéristiques démocratiques). La disparition d’un grand nombre de coopératives de consommateurs dans les années 1980 (Brazda, Schediwy, 1989) a constitué un traumatisme dans le monde de l’économie sociale en donnant du crédit à l’hypothèse de la mort économique et a accéléré la tendance à la banalisation politique par peur de l’échec économique. Néanmoins, d’une part une tendance à la banalisation ne signifie pas une banalisation radicale (Chevallier, Legros, 2016) et d’autre part la vie d’une entreprise est faite de cycles et on peut constater un retournement récent des tendances : dans un contexte de crise financière, les coopératives et mutuelles tendent à rechercher dans leurs propres modèles des solutions plutôt que s’aligner sur les pratiques de leur environnement (isomorphismes mimétique et normatif). Inquiètes, la plupart de ces organisations sont aujourd’hui engagées dans des 80plans de réflexion stratégique sur leur modèle sociétarial. Elles sont nombreuses à ressentir la nécessité d’une redynamisation et d’un renouvellement des modalités d’engagement des sociétaires. De plus, de nouvelles coopératives concurrentes des coopératives existantes bien que de petites tailles se créent et viennent rappeler qu’il est possible que des bénévoles occupent des fonctions habituellement dévolues à des salariés comme la tenue de caisse ou la mise en rayon pour ce qui est des coopératives de consommation5. Mais pour redynamiser le sociétariat, il est important de disposer de références réalistes et non mythifiées. Les trois prochaines sections visent à donner des repères sur le premier niveau de sociétariat participatif que constitue la présence en assemblée générale (III), les motivations de ces sociétaires (IV) et les rôles effectifs des sociétaires les plus engagés (V).
III. Qui sont les sociétaires participatifs ?
Profils des présents aux assemblées générales
Les caractéristiques et les motivations du premier degré de participation du sociétaire, c’est-à-dire la participation à l’AG locale annuelle, sont ici étudiées sur une Caisse locale de Caisse d’épargne Aquitaine-Poitou-Charentes, une assemblée générale de section de Coop Atlantique et deux assemblées départementales de section de la MGEN. Des questionnaires étaient distribués à l’entrée de la salle avant l’AG (les personnes arrivées en cours d’AG ne l’ont donc pas eu) et récupérés à la sortie. Ils comportaient une quinzaine de questions concernant le profil socio-démographique du sociétaire, son entrée dans le sociétariat, son ressenti dans sa relation à la structure, ses centres d’intérêts, ses motivations, ses attentes… Le taux de réponse avoisine les ⅔ des présents.
81
SLE CEAPC |
Section Coop Atlantique |
MGEN (2 AG) |
Total |
|
Sociétaires/adhérents |
19 567 |
nd |
8 363 |
- |
Présents au début de l’AG |
95 |
46 |
32 + 65 |
254 |
Questionnaires renseignés |
50 |
33 |
27 + 57 |
167 |
dont hors salariés = base de l’analyse |
44 |
27 |
26 + 55 |
152 |
Tableau 1 – Description de l’échantillon.
Nous tenons à souligner que cet échantillon des quatre AG étudiées ne doit pas être interprété :
–ni comme un échantillon représentatif des sociétaires des organisations concernées, car les personnes présentes en AG ne sont pas représentatives du sociétaire de base (nous y reviendrons largement ci-dessous) ;
–ni comme un échantillon représentatif de l’ensemble des AG des mutuelles et coopératives. Même si les trois structures sous revue sont parmi les plus importantes de leurs secteurs respectifs6, les AG étudiées ont sans doute des caractéristiques territoriales propres.
Simplement, nous cherchons non pas à appréhender scientifiquement le sociétariat coopératif, mais à illustrer quantitativement certains éléments débattus dans les coopératives et les mutuelles.
Pour l’analyse, nous avons exclu les questionnaires remplis par des salariés de la structure concernée présents lors de l’AG (tableau 1), même s’ils sont tous eux-mêmes sociétaires7 : conformément à notre problématique il s’agit d’étudier l’implication de sociétaires n’ayant pas les codes professionnels du secteur de leur coopérative ou mutuelle. Nous avons estimé qu’ils étaient pour l’essentiel présents au titre de leur fonction 82(directeurs de magasin, d’agence, cadres du siège, salarié en charge de l’animation du sociétariat) et que notre cible d’étude était, dans un premier temps (cf. 3.6) le coopérateur-consommateur.
III.1. Représentés, présents, prises de parole : la « règle des 1/10e »
Le taux de présence en AG est particulièrement faible : 0,5 % pour la SLE CEAPC enquêtée (95 présents pour 19 567 sociétaires) (d’après les PV des 14 SLE CEAPC, le taux de présence se situe entre 0,4 % et 1,6 %) ; 0,4 % pour les deux sections MGEN enquêtées (97 présents pour 23 863 adhérents-cotisants) ; 0,7 % ou 0,98 %8 au niveau de l’ensemble des 37 sections de Coop Atlantique9.
C’est assez conforme aux statistiques générales des structures concernées, et à ce qu’un dirigeant de banque coopérative nous a présenté « en off » comme la « règle des 1/10e » : un sociétaire sur 10 participe en étant présent ou représenté (via une procuration, un mandat, ou un vote à distance quand il existe), un sur 100 est physiquement présent en AG, un sur 1000 s’exprime oralement lors de l’AG. Sur ce point, notre observation des quatre AG concernées tend un peu à majorer ce dernier pronostic : 14 % des présents ont pris la parole lors des séances de questions. Nous avons également constaté une moyenne de 10 % de temps de débat et questions/réponses sur les AG, les temps allant de 4 à 40 minutes sur des AG durant en moyenne 3 heures.
Il est à noter que dans leur communication institutionnelle respective, la Caisse d’épargne met l’accent sur le nombre de personnes représentées et affiche ainsi un taux de participation de 7,4 % (8,3 % pour la SLE enquêtée)10 ; et la MGEN met en avant le taux de participation aux 83élections du comité de section (26 % au niveau national), qui se fait par correspondance et voie électronique préalablement à l’AG.
III.2. Un effet de générations plus que d’âge ?
L’âge des sociétaires présents dans les assemblées générales de l’échantillon est élevé. Près de 8 présents sur 10 ont plus de soixante ans : 36 % ont entre 60 et 70 ans et 43 % plus de 70 ans. Inversement les moins de 40 ans sont quasiment absents : moins de 1 % ont moins de 30 ans, à peine 3 % ont entre 30 et 40 ans. L’âge moyen est sur notre échantillon de 67 ans. Ce résultat est toutefois à nuancer si on considère deux des rares informations dont nous disposons sur le sociétariat :
–l’âge moyen des personnes couvertes par la MGEN était de 56,5 ans en 2013 (moyenne qui augmente de 6 mois par an depuis 2007)11 et le ratio actifs/retraités est de 1,2 (alors qu’il était encore de 1,7 en 2007)12.
–une enquête réalisée fin 2011 par le Crédit agricole13 relevait que les clients sociétaires sont plus âgés que les clients non sociétaires : la moitié a 55 ans et plus contre 33 % pour les non sociétaires.
Dès lors, l’âge élevé de l’assistance dans les AG tient donc de deux phénomènes qui se cumulent : les sociétaires sont en moyenne plus âgés que les non-sociétaires et ceux venant en AG font plutôt partie des plus âgés. Ce double phénomène révèle à la fois un problème de recrutement de jeunes sociétaires et une faiblesse de présence de sociétaires en activité en AG.
Seconde forte caractéristique des sociétaires présents, près des ¾ sont sociétaires depuis plus de 20 ans : 50 % depuis même plus de 40 ans et près de ¼ entre ont entre 20 ans et 40 ans de sociétariat. Inversement les sociétaires récents (moins de 3 ans) sont seulement un vingtième des présents. L’ancienneté moyenne est d’environ 32 ans. Ce constat confirme celui de l’enquête Crédit agricole de 2011 précitée qui précisait 84que les sociétaires ont en moyenne plus d’ancienneté client au sein de la banque que les non sociétaires : 72 % sont clients depuis 20 ans et plus contre 60 %.
Troisième enseignement de l’enquête, les sociétaires présents sont des fidèles : près de 6 sur 10 viennent systématiquement à l’AG annuelle et un tiers sont déjà venus plusieurs fois, 14 % régulièrement, 12 % de manière épisodique. Par contre les nouveaux venus sont peu nombreux, autour de 15 %.
Le croisement de ces trois séries de données est potentiellement inquiétant quant au futur renouvellement du public des AG : la présence en AG ne semble pas relever d’un effet d’âge mais plutôt d’un effet de générations, nées dans les années 1930 à 1950 et entrées dans le sociétariat autour des années 1970 et 1980, générations dont les indices de relève sont absents.
III.3. Mixité de genre, mais une faible mixité sociale
En termes de genre, le public présent en AG est assez équilibré en termes de femmes et d’hommes. La légère prédominance de femmes (55 %) est sans doute à relier à l’âge, les hommes décédant en moyenne plus tôt. Cette mixité est à mettre en relief avec la place des femmes dans la gouvernance coopérative et mutualiste. Nous avions ainsi noté (Caire, Glémain, 2014) concernant les banques coopératives que plus on monte dans la hiérarchie élective du sociétariat (Caisses locales, Caisses régionales, Fédération nationale), moins il y a de femmes administratrices (et encore moins de Présidentes). Leur forte présence en AG témoigne pourtant de leur intérêt à la base pour le modèle coopératif et mutualiste.
Concernant les professions (actuelles ou anciennes pour les retraités) des sociétaires présents en AG14, il y a une surreprésentation des indépendants, des cadres (part dans les présents deux fois supérieure à leur poids dans la population métropolitaine adulte) et des enseignants (part trois fois plus forte) et une sous-représentation des ouvriers (part dans les présents deux fois et demie plus faible) et des sans profession (poids divisé par quatre). Comme nous ne disposons pas de données 85sur la structure du sociétariat par profession, il est impossible de savoir si cette « déformation » socio-professionnelle des présents en AG au regard de la composition de la population métropolitaine est due au fait que :
–les clients indépendants, cadres ou enseignants deviennent en moyenne plus souvent sociétaires (hypothèses de ressources plus élevées15 pour acheter des parts sociales ou intérêt plus grand pour le modèle coopératif et mutualiste) ;
–ou si une fois sociétaires, ce sont ceux qui viennent le plus en AG (hypothèse de plus grande participation, comme en matière d’élections politiques)16.
IV. Quelles sont les motivations
des sociétaires participatifs ?
Nous avons également interrogé les sociétaires présents en AG sur leurs motivations. Il s’agissait de savoir comment et pourquoi ils étaient devenus sociétaires, et quelles étaient leurs visions actuelles des spécificités coopératives ou mutualistes.
IV.1. Des motifs d’entrée dans le sociétariat
différents selon les structures
Le facteur d’entrée dans le sociétariat (tableau 2) venant très largement en tête est la tradition, citée par 53 % des personnes interrogées, qu’elle soit d’origine familiale (48 % de citations pour Coop Atlantique) ou professionnelle/enseignante (62 % de citations pour la MGEN). À l’opposé ce facteur est plus marginal à la Caisse d’épargne (14 %). Le second facteur d’entrée est l’intérêt pour le modèle coopératif/mutualiste (cité par 26 % des répondants, pourcentage assez similaire dans les trois 86structures). La troisième modalité d’entrée est d’avoir été sollicité par un salarié ou un élu de la structure (cité par 18 % des répondants), même si cette modalité est très faible à la MGEN (à peine 7 %). Il nous paraît enfin assez remarquable que les avantages économiques du sociétariat (ristourne, rémunération de la part, qualité du service) apparaissent à ce niveau très secondaires, avec seulement 11 % de citations.
Total |
MGEN |
Coop Atlant. |
CEAPC |
||
Parce que c’est une tradition |
– familiale |
53 % |
13 % |
48 % |
14 % |
– enseignante |
62 % |
- |
- |
||
Parce que le modèle coopératif/mutualiste m’intéressait |
26 % |
27 % |
22 % |
27 % |
|
Parce qu’un salarié, administrateur, délégué, |
18 % |
7 % |
26 % |
34 % |
|
Parce que cela permet de bénéficier d’une ristourne, d’un intérêt en fin d’année / Parce que la MGEN propose une complémentaire santé intéressante |
11 % |
11 % |
9 % |
15 % |
|
Parce qu’un ami/parent m’en a parlé |
11 % |
10 % |
11 % |
11 % |
|
Autre |
7 % |
4 % |
7 % |
11 % |
|
NB : les totaux (en colonne) sont supérieurs à 100 % car la réponse multiple était possible. |
Tableau 2 – L’entrée dans le sociétariat (% de citations).
IV.2. Une forte croyance dans le modèle coopératif/mutualiste
Les dimensions intergénérationnelle, professionnelle et politique l’emportent donc largement dans le choix pour le modèle coopératif/mutualiste. Et il y a en effet un quasi unanimisme des présents en AG pour penser que la structure est fondamentalement différente des structures capitalistes concurrentes. Il y a une réelle croyance partagée dans la différence de modèle. Quand on détaille par structure on s’aperçoit que le jugement est cependant plus favorable à la MGEN (80 % de jugements de différence extrêmement importante (52 %) ou importante (28 %)) qu’à Coop Atlantique (20 % d’extrêmement importante et 60 % d’importante) et surtout qu’à la Caisse d’épargne où la majorité des répondants est plus modérée dans ses jugements (46 % de sensible et 10 % de faible).
87Graphique 1 – Différence par rapport aux structures concurrentes capitalistes.
Puis nous avons cherché à savoir comment les sociétaires présents en AG s’intéressaient à certains principes coopératifs (tableau 3). Sur l’ensemble des principes « testés », la somme des réponses « très intéressé » et « plutôt intéressé » se situe autour de 90 % et plus. Il est dès lors nécessaire d’affiner l’analyse en regardant la hiérarchie des « très intéressés » par structure. Concernant la MGEN, la solidarité vient en tête (74 % de très intéressés), devant la proximité (64 %) et l’égalité démocratique (63 %). Pour Coop Atlantique, la proximité (69 % de très intéressés) prime largement sur le fait d’être un client privilégié (46 %). Enfin à la Caisse d’épargne, les très intéressés sont systématiquement moins nombreux que dans les deux autres structures, confirmant la modération soulignée dans le graphique 1, sauf pour l’égalité démocratique qui est le premier facteur d’intérêt (46 % de très intéressés).
Total |
MGEN |
Coop Atlant. |
CEAPC |
|
Transparence : être informé régulièrement sur la marche de la structure |
||||
Très intéressé |
44 % |
52 % |
38 % |
28 % |
Plutôt intéressé |
52 % |
48 % |
52 % |
63 % |
Peu intéressé |
3 % |
0 % |
10 % |
6 % |
Pas du tout intéressé |
1 % |
0 % |
0 % |
3 % |
88
Démocratie : décider selon le principe « 1 personne=1 voix » |
||||
Très intéressé |
55 % |
63 % |
40 % |
46 % |
Plutôt intéressé |
37 % |
28 % |
53 % |
50 % |
Peu intéressé |
7 % |
9 % |
7 % |
4 % |
Pas du tout intéressé |
0 % |
0 % |
0 % |
0 % |
La proximité |
||||
Très intéressé |
55 % |
64 % |
69 % |
22 % |
Plutôt intéressé |
41 % |
33 % |
19 % |
74 % |
Peu intéressé |
3 % |
3 % |
13 % |
0 % |
Pas du tout intéressé |
1 % |
1 % |
0 % |
4 % |
Service aux membres : être un client privilégié (Coop Atlantique et CEAPC) |
||||
Très intéressé |
46 % |
21 % |
||
Plutôt intéressé |
46 % |
76 % |
||
Peu intéressé |
4 % |
3 % |
||
Pas du tout intéressé |
4 % |
0 % |
||
Solidarité : assurer une même protection pour tous (MGEN) |
||||
Très intéressé |
74 % |
|||
Plutôt intéressé |
26 % |
|||
Peu intéressé |
0 % |
|||
Pas du tout intéressé |
0 % |
Tableau 3 – Ce qui intéresse dans le modèle coopératif/mutualiste.
En complément de cette approche de la vision sociétariale du modèle coopératif/mutualiste, nous avons également interrogé l’intérêt pour le contenu de l’AG (tableau 4). Le désir d’information (sur les évolutions et sur les comptes) l’emporte sur la possibilité de débattre et d’élire ses représentants. Le sentiment d’implication grâce à l’AG est plus mitigé. Enfin la convivialité, pourtant très présente en fin d’AG, est de loin l’aspect le moins valorisé. Cela semble confirmer le caractère « sérieux » des sociétaires présents en AG.
89
Être informé |
Être informé |
Pouvoir participer |
Pouvoir élire |
Me sentir impliqué |
Participer à |
|
Très intéressé |
59 % |
48 % |
45 % |
43 % |
38 % |
23 % |
Plutôt intéressé |
41 % |
47 % |
51 % |
49 % |
57 % |
49 % |
Peu intéressé |
0 % |
5 % |
4 % |
6 % |
5 % |
23 % |
Pas du tout intéressé |
0 % |
0 % |
0 % |
1 % |
0 % |
5 % |
Tableau 4 – Les attentes par rapport à l’AG.
IV.3 Comparaison des points de vue entre consommateurs sociétaires et salaries sociétaires. L’exemple de Coop Atlantique
Coop Atlantique organise chaque année une assemblée générale de second niveau, où sont présents des représentants des consommateurs sociétaires des 37 cercles locaux ainsi que des salariés sociétaires des différents magasins et du siège17. Lors de cette assemblée générale, nous avons distribué le même questionnaire précité aux 109 consommateurs sociétaires représentants des cercles locaux et aux 138 salariés sociétaires présents.
Du point de vue des caractéristiques, le public des salariés sociétaires est plus masculin que les consommateurs sociétaires (58 % d’hommes versus 50 %), plus jeune (moyenne d’âge de 42 ans versus 69 ans), moins ancien dans le sociétariat (11 ans de sociétariat versus 31 ans).
Concernant la différence entre Coop Atlantique et les autres systèmes de distribution, le degré d’appréciation positive est un peu plus élevé chez les salariés sociétaires que chez les consommateurs sociétaires : 8 salariés sur dix contre 7 consommateurs sur dix jugent la différence 90importante ou extrêmement importante (graphique 2). À noter également, l’absence totale de salariés sociétaires pensant que Coop atlantique est sans différence ou pire que ces concurrents18.
Graphique 2 – Les différences du modèle coopératif.
Lorsqu’il s’agit ensuite de spécifier les différences (graphique 3), les salariés sociétaires pensent très majoritairement que Coop Atlantique fait mieux que ses concurrents sur tous les éléments proposés. Mais si sur le maintien en zone rurale et les conditions de travail, leurs opinions positives sont similaires à celles des consommateurs, par contre sur l’approvisionnement local et surtout sur le service au client, la qualité des produits et la création d’emplois les pourcentages d’opinions favorables sont plus faibles19.
91Graphique 3 – La structure fait mieux que ses concurrents (% de oui).
Enfin il est aussi intéressant de comparer les points de vue sur les grands principes du modèle coopératif (graphique 4). Comparativement aux consommateurs, l’information sur l’activité, le système démocratique, le soutien à l’emploi local, l’équilibre territorial sont les domaines plus particulièrement valorisés par les salariés sociétaires. Seule la mission de défense du consommateur est moins importante à leurs yeux.
92Graphique 4 – Le plus important dans le modèle coopératif de Coop Atlantique20.
V. Que font les sociétaires engagés ?
Typologie des activités dans l’entreprise
Nous nous sommes également intéressés aux activités effectués par les sociétaires engagés à travers une série d’entretiens semi-directifs21. L’analyse a consisté à établir une liste à la Prévert de toutes les activités 93identifiées, des plus banales (ranger les chaises après l’assemblée générale) aux plus complexes (s’impliquer dans les services aux clients, participer aux prises de décisions). À chaque nouvel entretien, la liste des activités était mise à jour jusqu’à ce que, par principe de saturation, nous ayons constaté que les derniers entretiens réalisés n’apportaient pas de nouveaux types d’activités. Le résultat est donc une liste exhaustive des activités réalisées par les sociétaires participatifs, sans que nous puissions évaluer le poids statistique de chacune de ces activités, l’objectif principal de cette recherche étant tourné vers l’action : donner des idées aux coopératives et mutuelles pour enrichir et renouveler les pratiques de sociétariat.
Pour maximiser les chances d’atteindre cette exhaustivité recherchée, 21 entretiens ont été réalisés avec des sociétaires participatif, et 3 avec des salarié·e·s, dont 18 en Limousin et 6 en Poitou-Charentes. Nous avons veillé à diversifier les profils interrogés (voir encadré 1) pour diversifier les activités.
Encadré 1 – Caractéristiques des 24 personnes interrogées.
5 femmes et 19 hommes de 37 à 73 ans.
11 sociétaires participatifs de banques, 8 de mutuelles, 1 de coopérative de consommateurs, 1 de coopérative forestière et 3 salarié·e·s22 (1 mutuelle, 2 banques).
Les sociétaires sont actifs aux niveaux régional (5), départemental (8) et cantonal (7), dont 6 en milieu rural et 15 en milieu urbain.
Ils occupent les fonctions de président·e·s (8), vice-président·e·s (4), délégué·e·s (3) ou simples administrateurs·trices (4).
Sur les 11 personnes qui ont abordé le sujet des autres engagements dans l’entretien (la question ne faisait pas nécessairement partie de la grille d’entretien), 5 déclarent avoir au moins un autre engagement et 6 de 2 à 6 engagements supplémentaires avec, par ordre décroissant d’importance : au sein d’associations, d’organismes publics ou paritaires (CARSAT, CPAM, 94ARS, Chambres consulaires, CRESS, CODERPA), de syndicats ou comme élu de collectivités.
On retrouve 11 termes différents des personnes interrogées pour se qualifier avec par ordre décroissant d’importance : bénévole, militant, administrateur, mutualiste et élu.
Nous distinguons quatre grands domaines d’activités des sociétaires, des plus éloignées aux plus proches du service fondamental produit par l’entreprise (distribution, assurance, banque),
V.1. Activités sans lien
avec le service produit par l’entreprise
Les sociétaires participatifs organisent des activités de loisirs :
–voyages en groupe : choix de la destination, gestion des inscriptions, etc. ;
–sorties : visite d’entreprises locales, sorties culturelles ;
–cinéma en maison de retraite, dans les écoles ;
–animations : petit déjeuner pour les enfants, galettes des rois avec les clients ;
–conférences ;
–participation aux événements culturels : lorsqu’il il y a lieu, les sociétaires participent et promeuvent les manifestations en lien avec la culture (festivals, expositions et concerts).
Ils s’impliquent également dans des activités de mécénat : rôle d’interlocuteur·trice ou correspondant·e pour les associations, soutien aux associations, analyse des sollicitations financières et choix des axes à privilégier, remise de prix à des entreprises et associations locales, présence lors des manifestations financées…
Ces activités de loisir et de mécénat, si elles n’ont pas de lien avec l’activité économique de l’entreprise, participent d’une valorisation de l’activité par sa promotion implicite, véhiculent une certaine notoriété et culture d’entreprise, en fonction des axes de communication définis par la technostructure et contribuent au développement du lien social et territorial, conformément au principe coopératif d’engagement dans la communauté.
95V.2. Activités en lien indirect
avec le service produit par l’entreprise
Ces sociétaires sont également impliqués dans la modification de l’environnement dans lequel les entreprises produisent :
–ils représentent l’entreprise dans des instances territoriales ou sectorielles qui contribuent à la régulation de leur environnement économique : fédérations des coopératives et mutuelles23, Sécurité sociale, Commission départementale des taxis, Commission départementale d’aménagement commercial, réunions municipales, AG et événements d’acteurs locaux ou de partenaires économiques, Chambres régionales d’économie sociale et solidaire ;
–ils réalisent des activités de prévention, éducation et information susceptibles de modifier les comportements des consommateurs : santé (dépistages maladies, conseils d’hygiène et de nutrition) pour les mutuelles de santé ; accidents domestiques, sécurité routière pour les mutuelles d’assurance ; lectures d’étiquettes, gaspillage alimentaire, sensibilisation aux emballages pour les coopératives de consommateurs ;
–ils rendent des services aux consommateurs : en coopérative de consommateurs, les sociétaires ont développé une activité d’appui juridique et de conseils aux consommateurs qui rencontrent des difficultés tous secteurs confondus. En renforçant la capacité des consommateurs à s’appuyer sur le droit de la consommation, cette activité contribue à structurer l’environnement socio-économique.
Autant d’activités qui s’inscrivent dans une démarche globale de reconnaissance et d’institutionnalisation des structures sociétariales. L’objectif non affiché mais sous-jacent étant de valoriser les capacités de représentation individuelles et collectives des membres, afin de servir l’image de la structure. Ainsi, le fait de capter l’influence, l’aura ou les compétences de certains sociétaires au profit de l’image globale de l’entreprise contribue à son ancrage territorial et son institutionnalisation.
96V.3. Activités informationnelles et décisionnelles
On peut distinguer trois groupes d’activités selon la nature des interlocuteurs·trices des sociétaires participatifs : la direction salariée ; les clients sociétaires et non-sociétaires ; les salariés.
Les relations avec la direction sont par degré croissant d’implication :
–assister à des réunions pour écouter, être informé, être tenu au courant ;
–demander des explications, poser des questions ;
–contrôler, critiquer (respect des règles sectorielles, surveillance des ratios, décisions de fermetures ou d’achats, communication, ciblage clientèle, etc.) ;
–formuler des propositions nouvelles ou alternatives : nouveaux produits, présentation en magasin, stratégies commerciales.
Les relations avec les clients sociétaires et non-sociétaires sont de trois types :
–information montante : représenter les clients, faire remonter leurs avis et besoins (réalisation d’enquêtes, discussions informelles, donner son propre avis de consommateur) ;
–information descendante : lettres d’information, intranet, restitution orale ou écrite des réunions des échelons supérieurs et commissions, sensibilisation et aide à la mise en œuvre de décisions prises à l’échelon supérieur pour participer à l’homogénéisation des pratiques des échelons locaux (relations avec les partenaires, accueil des nouveaux clients-sociétaires, etc.) ;
–recrutement de nouveaux sociétaires participatifs et faire vivre le sociétariat en dehors des AG : contacts téléphoniques, rencontres collectives ou individuelles de sociétaires (réunions informationnelles et/ou conviviales), stands pour présenter le sociétariat, mobiliser ses réseaux professionnels et personnels, préparation de documents de communication pour faire connaître le sociétariat (brochure sur les activités locales, recherches historiques).
Les relations avec les salariés (lors des prestations de service ou lors de moments de convivialité) peuvent permettre aux sociétaires participatifs de recevoir des informations et suggestions (manque de moyens, 97matériel dégradé, tensions internes, suggestions commerciales ou organisationnelles, etc.) que les salarié·e·s peuvent leur confier.
En outre ces sociétaires participent activement à l’organisation des assemblées générales.
En amont, ils peuvent participer au choix et à la réservation de la salle ; à l’organisation des temps de l’AG (partie statutaire : préparation de l’explication des résolutions ; partie informationnelle : choix des thèmes et des intervenant·e·s ; partie conviviale : choix du traiteur et du menu, rédaction du menu ; assister à d’autres AG pour s’inspirer de leurs organisations) ; à la communication en agence ou magasin sur l’AG à venir (animation, permanence, invitations envoyées aux personnalités locales et autres partenaires non sociétaires).
Le jour de l’AG, ils peuvent contribuer à la logistique (préparer et ranger la salle et le buffet) ; à l’accueil et signatures des sociétaires et des invité·e·s ; aux interventions pendant l’AG (présentation du déroulé de la soirée, rapport d’activités du sociétariat, rapport moral rappelant spécifiquement la dimension coopérative et les valeurs, tirage au sort de la tombola, questions-réponses-débats-témoignages, gestion des temps de parole…) ; au renseignement des documents administratifs pour enregistrer les votes.
En aval, ils peuvent collaborer à l’analyse de questionnaires de satisfaction sur l’AG.
Les thèmes abordés sont donc en lien avec la clientèle (nouveaux clients, crédits accordés, dossiers difficiles), avec l’évolution des produits, les stratégies commerciales, le respect des règles, avec l’évolution des moyens humains (évolution des effectifs et de la productivité, mutations, promotions, etc.), financiers et matériels (nouveaux matériels, rénovations) et avec l’AG, moment central de la vie démocratique.
V.4. Contribution directe à la production du service
Enfin, les sociétaires interviennent également plus directement dans le champ de la production du service (de commerce, d’assurance ou de banque) sans aller jusqu’à tenir la caisse ou faire signer des contrats bancaires ou d’assurance, en lien avec les clients et les salariés.
Ils peuvent proposer des adaptations des produits et services aux besoins des clients présentant des difficultés personnelles (livraisons de 98courses, accompagnement des emprunteur-se-s en difficulté), ou jouer les médiateurs avec les client·e·s insatisfaits ou en conflit ou souhaitant partir chez un concurrent.
Ils peuvent également venir en appui aux salariés, en contribuant à la communication sur la dimension coopérative/mutualiste et sur les produits et à la recherche de nouveaux clients (permanences en agence ou auprès des clients potentiels – notamment dans la fonction publique, stands, événements, présence lors de rendez-vous clientèle à l’agence aux côtés des chargés de clientèle, communication écrite, participation au site internet) ; en partageant leurs connaissances sur le territoire (concurrence, clientèle, projets locaux, mise en relation avec les personnalités locales, lobbying) ; en réalisant des enquêtes auprès des clients (produits, services, horaires, prix, accueil, etc.).
Conclusion
Les motivations des sociétaires participatifs et leurs activités dépendent des environnements institutionnels, dont on constate qu’ils sont en partie hétérogènes malgré un certain nombre de points communs. Les systèmes de gouvernance et de production sont divers selon les structures, tant au plan de l’articulation des échelons territoriaux existants (cantonal, arrondissement, départemental, régional, suprarégional, national), qu’au plan des modalités d’élection des administrateurs et/ou de désignation des délégués et de leurs champs d’actions respectifs. Il n’existe pas de « modèle unique » coopératif ou mutualiste. De plus, les sites internet des structures étudiées montrent aussi que la visibilité de la communication vis-à-vis des sociétaires et adhérents est extrêmement variable, en termes d’affichage sur la page d’accueil, de vocabulaire utilisé, de contenu d’informations données sur la vie coopérative…
Les données présentées dans cette communication peuvent paraître inquiétantes, en termes de participation aux AG et de retrait des sociétaires de la production du service fondateur. On peut y voir la disparition de la dimension essentielle de « double qualité » du coopérateur et du mutualiste. Cependant, d’une part on constate une grande diversité 99d’activités des sociétaires démontrant que leur présence au sein des organisations est profondément ancrée et d’autre part la remontée, via les entretiens, de bonnes pratiques en matière de redynamisation du sociétariat est aussi particulièrement riche : actions pour attirer les sociétaires en AG, boite à idées, commission des jeunes, promotion de l’inter-coopération, conseil d’administration ouvert, carte administrateur, ateliers sociétaires, CA et DG Junior, produits réservés aux sociétaires, extranet administrateurs, AG à date fixe, plafond d’âge, management participatif, AG ouverte…Ces premiers résultats partiels semblent donc plutôt témoigner de phénomènes de régénérescence du sociétariat dans les grandes structures coopératives et mutualistes. Le fait que les salariés – sociétaires – de Coop Atlantique valorisent positivement le modèle coopératif est aussi un élément encourageant à souligner. Il serait intéressant de poursuivre la recherche sur cette traduction concrète des valeurs. En particulier, la double qualité peut être considérée comme la traduction concrète des valeurs fondamentales de l’ESS, des conjonctions de la liberté et de l’égalité, de la responsabilité et de la solidarité, de la démocratie et de la transparence, de la proximité et de l’engagement envers la communauté, et de la méta-valeur de l’émancipation.
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1 Cet article s’inscrit dans une recherche sur le sociétariat, financée par le PRES Limousin Poitou-Charentes, et réalisée de novembre 2013 à mars 2015 par des chercheurs de trois laboratoires de l’Université de Limoges, Denis Malabou pour le LAPE (EA 1088) et Marius Chevallier pour Geolab (UMR 6042), et de l’Université de Poitiers avec Gilles Caire pour le Crief (EA 2249), en partenariat avec les Observatoires des Chambres Régionales d’Économie Sociale et Solidaire Poitou-Charentes et Limousin. Nous remercions plus particulièrement pour leur participation à cette étude : Claire Dubois, Aurélie Duport (Stagiaires du M2 Droit et administration des organisations partenariales et/ou associatives, Université de Limoges), Arnaud Fraysse (Stagiaire du M2 Droit et développement de l’économie sociale et solidaire, Université de Poitiers).
2 gilles.caire@univ-poitiers.fr
3 marius.chevallier@unilim.fr
4 Pour une synthèse voir Chevallier (2011, chapitre 4). Ces caractéristiques des coopératives ne sont cependant pas nécessairement un désavantage : elles peuvent renforcer une dimension de l’entreprise comme institution non soluble dans le marché (Chevallier, 2013).
5 Onze coopératives de consommateurs se sont récemment créés en France (Food Coop, 2016). Comptant jusqu’à 2500 membres, ces supermarchés coopératifs mettent fortement en avant la participation des sociétaires. Plusieurs adhèrent à la Fédération Nationale des Coopératives de Consommateurs actuellement présidée par le président du directoire de Coop Atlantique.
6 Le groupe BPCE est la seconde banque coopérative française et la dixième banque européenne tous statuts confondus avec 36 millions de clients dont près de 9 millions de sociétaires ; Coop Atlantique est la première coopérative de consommateurs en France avec plus de 300 magasins et la MGEN est la seconde mutuelle de santé française avec 3,7 millions de personnes protégées dont 1,8 millions de membres-cotisants.
7 Dans les coopératives et les mutuelles, il est de tradition qu’un salarié soit aussi sociétaire/adhérent, les statuts n’interdisant que leur élection en tant qu’administrateur ou délégué.
8 La différence entre les deux nombres tient à l’évaluation du nombre de sociétaires dont Coop Atlantique a perdu la trace : changements d’adresse, décès… Et pour lesquels la rémunération de parts sociales ne peut être assurée.
9 Nous n’avons pu disposer du nombre de sociétaires de la section de Coop atlantique enquêtée.
10 À la Caisse d’épargne, le Président de SLE peut cumuler un nombre infini de pouvoirs (et obligatoirement favorables car pour chaque procuration, le Président « émet un vote favorable à l’adoption des résolutions présentées ou agréées par le Conseil d’administration de la Caisse locale et émet un vote défavorable à l’adoption de tous les autres projets de résolution »), alors qu’un sociétaire présent ne peut au maximum que détenir 3 mandats (Caire, Nivoix, 2012). Ainsi concernant les AG de CEAPC en 2014, le nombre de voix dont disposait le Président de SLE se situait entre 4 et 16 fois la totalité des voix réparties dans la salle.
11 L’âge moyen des enseignants participatifs est de 43,3 ans (DEEP-RERS – 2014).
12 Informations présentées lors des deux AG de section.
13 Enquête commandée à l’institut LH2 en décembre 2011 dans le cadre du chantier sur la valorisation du sociétariat. 500 clients sociétaires et 500 clients non sociétaires ont été interrogés. Nous n’avons à notre disposition que les éléments de synthèse de cette enquête et non les résultats complets.
14 Nous avons exclu ici les données des AG de la MGEN, qui en tant que mutuelle professionnelle enseignante auraient déformé la structure des résultats.
15 L’enquête du Crédit agricole précitée montre que les clients sociétaires disposent de plus hauts revenus que les non sociétaires (23 % de 3000 € et plus contre 15 %).
16 Ainsi à l’étape suivante de l’engagement, les administrateurs des caisses locales des banques coopératives proviennent de milieux socioprofessionnels très typés : indépendants et cadres prédominent nettement (Glémain, Caire, 2014).
17 Cette assemblée générale sur une demi-journée permet de faire le bilan des 37 assemblées générales de section en regroupant les votes des résolutions, d’écouter le rapport des deux commissaires aux comptes, de tenir l’AG de l’Association atlantique des consommateurs coopérateurs, d’écouter un bilan de l’année commerciale et une conférence sur l’évolution de la distribution, de débattre avec le président et le directeur général et enfin de se réunir autour d’un repas collectif.
18 Pour apprécier réellement ces résultats, il faudrait pouvoir les comparer aux opinions des salariés non sociétaires de Coop Atlantique.
19 À noter que parmi les salariés sociétaires interrogés, les employés valorisent plus le service au client que les cadres (69 % contre 58 %) et la qualité des produits (74 % contre 57 %), et les cadres plus la création d’emplois (63 % contre 54 %) et les conditions de travail (90 % contre 82 %). Il n’y a pas de différences d’opinions sur l’approvisionnement local et le maintien en zone rurale.
20 Pour construire cette figure, nous avons affecté les coefficients suivants : Pas d’accord du tout −2, Plutôt pas d’accord −1, Plutôt d’accord +1, Tout à fait d’accord +2. Les notes finales moyennes étaient donc théoriquement susceptibles de se fixer entre −2 et +2.
21 Une trentaine d’entretiens exploratoires avaient d’abord été réalisés auprès d’élus de caisses locales de banques coopératives, de délégations départementales de mutuelles de santé et de mutuelles d’assurances, de coopératives agricoles et de CUMA, de coopératives de consommateurs, d’une coopérative scolaire et d’une coopérative d’artisans. Ces entretiens se fondaient sur une grille comportant 5 thématiques : le champ lexical, les motivations et freins à un sociétariat participatif, les profils (autres engagements, compétences mobilisées, parcours), le vécu (raconter une année de sociétariat participatif), le fonctionnement démocratique. Ces entretiens ont été réalisés parallèlement par des étudiant·e·s de Master de Poitiers et Limoges.
22 Des entretiens complémentaires ont également été menés auprès de salarié·e·s de ces structures : l’objectif n’était cependant pas d’analyser spécifiquement le point de vue des salariés mais d’avoir un contrepoint aux entretiens avec les sociétaires participatifs.
23 On retrouve ici l’intercoopération qui fait partie des principes de l’Alliance Coopérative Internationale (www.ica.coop).
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN : 978-2-406-07390-1
- EAN : 9782406073901
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07390-1.p.0073
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/12/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Économie sociale, coopératives, mutuelles, sociétariat, gouvernance démocratique