Préface
- Publication type: Book chapter
- Book: Théâtre complet. Tome III
- Pages: 415 to 417
- Collection: French Theatre Library, n° 83
PRÉFACE
Un soir du mois de décembre 1858,a nous dînions, Vivier1 et moi, chez M. de Girardin. Vivier, quib a été le premier corniste du monde en même temps qu’un des hommes les plus spirituels de Paris, se plaisait à certaines charges fort en vogue sous la Restauration, qui avaient illustré Romieu, James Rousseau, Nestor Roqueplan2, et dont il a été le plus ingénieux et le dernier exécutant.c Heureux temps que celui où les bourgeois n’avaient à redouter que les charges de quelques mystificateurs.
Vivier, qui vit toujours, sain de corps et d’esprit, en véritable philosophe, dans la retraite, au pays du soleil, à Nice, ad publié dernièrement, outre des Souvenirs sur Napoléon III, dans l’intimité de qui il a vécu, des 416dialogues, des réflexions,e des phrases à la façon de M. Prudhomme3, qui dénotent l’observationf la plus fine et la plus originale4.
Le soir où nous étions réunis chez M. de Girardin, il nous raconta une des dernières farces qu’il avait faites, et comme il était question d’une soirée prochaine où madame de Girardin désirait qu’on jouât la comédie, il fut convenu qu’après le dîner, nous essaierions, Vivier et moi, de tirer une pièce en un acte, aussi gaie que possible,g du récit qu’il venait de nous faire. À minuit, la pièce était écrite. Elle ne fut pas représentée chez madame de Girardin, qui ne la trouva pas assez distinguée. Il va sans dire que cette madame de Girardin5 n’était pas la première, l’auteur du Chapeau d’un Horloger6. Quelques jours après, Montigny vint me voir et je lui lus cette pochade. Il la prit pour une représentation auh bénéfice d’un artiste. Vivier signa seul.
Un mariage dans un chapeau ne fut pas très bien accueilli le premier jour ; il eut ensuite une centaine de représentations. À la fin de la pièce, Ducoudrot qui doit épouser Aglaé refuse de prendre un chapeau quii ne lui appartient pas. Son futur beau-père s’écrie : « Il est honnête, ma fille ne sera pas heureuse ». La censure crut devoir arrêter la pièce pendant plusieurs jours à cause du cynisme de cette réflexion7. Montigny 417eut beaucoup de peine à faire comprendre aux censeurs que ce n’était pas une théorie philosophique. Mon ambition secrètej avait toujours été d’écrire une véritable bouffonnerie dans le genre de l’Ours et le Pacha, dukMaître d’école ou du Chapeau de paille8. Il n’y a pas de meilleure action que de faire rire les hommes, les honnêtes gens et même lesl autres, et de leur enlever des épaules, pendant quelques heures avant le sommeil, le fardeau de l’existence.m
J’envoyai la brochure à Labiche9, en lui révélant la part que j’avais prise à cet ouvrage et en lui demandant si je devais donner suiten à cette première tentative. Il me conseilla d’en revenir à ce que j’avais fait jusqu’alors.o
Mars 1894.
1 Eugène Léon Vivier (1817-1900), natif d’Ajaccio, s’était retiré à Nice après une carrière de corniste au Théâtre-Italien qui lui avait valu d’être reçu au château d’Eu par Louis-Philippe, avant d’être admiré par Napoléon III ; il composait la musique et parfois les paroles de chansonnettes ; une biographie, assez romancée, de Charles Limouzin précise La Vie et les aventures d’un corniste : 1817-1852, Paris, Marpon et Flammarion, 1900.
2 Alexandre Dumas père rapporte dans ses Mémoires l’humour et les facéties de François Auguste Romieu (1800-1855), haut fonctionnaire (préfet jusqu’en 1848, directeur des Beaux-Arts sous Napoléon III), auteur de théâtre (notamment Le Bureau de la loterie, comédie-vaudeville en 1 acte [Gymnase, 16 septembre 1823], Paris, Barba, 1823, avec Édouard Joseph Ennemond Mazères), mais aussi de Proverbes romantiques, Paris, Ladvocat, 1827, et de manuels de civilité (Code des gens honnêtes ou l’Art de ne pas être dupe des fripons, Paris, Barba, 1825 ; Code de la conversation, manuel complet du langage élégant et poli, contenant les lois, règles, applications et exemples de l’art de se présenter et de se conduire dans le monde, Paris, Roret, 1827 ; Code gourmand, manuel complet de gastronomie, Paris, Dupont, 1827, ces deux derniers en collaboration avec Horace Napoléon Raisson) ; James Rousseau (1797-1849), auteur de physiologies (notamment La Physiologie du viveur, 1841), avait collaboré à La Chasse et l’amour, vaudeville en 1 acte [Ambigu-Comique, 22 septembre 1825], Paris, Duvernois et Sétier, 1825, en collaboration avec Alexandre Dumas père et Adolphe Leuven ; Victor Louis Nestor Roqueplan (1805-1870), journaliste, homme de théâtre et directeur du Panthéon, des Nouveautés, des Variétés, de l’Opéra, de l’Opéra-Comique et du Châtelet, où il laissa toujours beaucoup de dettes mais fit entrer de nombreux talents, était connu pour ses tenues de dandy et ses mots d’esprit au café Riche ou au café de Paris.
3 Le fameux bourgeois caricatural créé par Henry Monnier, monsieur Prudhomme, apparu dans ses Scènes populaires dessinées à la plume, Paris Levavasseur, 1830, puis dans la comédie en 5 actes de Gustave Vaëz et Henry Monnier, Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme[Odéon, 23 novembre 1852], Paris Michel lévy, 1852, et encore plus récemment dans deux volumes de dessins, Mémoires de Monsieur Joseph Prudhomme, Paris, Librairie nouvelle, 1857.
4 Vivier était en effet l’auteur de plusieurs brochures de maximes sur la vie quotidienne : Très peu de ce qu’on entend tous les jours, Paris, Impr. de Motteroz, 1879 ; Petites Comédies de la vie, Paris, Librairie illustrée, 1888 ; Suite à Petites Comédies de la vie, 1889 ; Bataille de phrases : sous les rubriques du Figaro, entendues et recueillies par M. E. Vivier, Nice, Impr. de J. Ventre, 1889 ; Petite Débauche de réflexions, ibid., 1890 ; Petits Monologues en chambre, ibid.,1892 ; Un peu de ce qui se dit tous les jours, ibid., 1892 ; Un Dernier Stock de phrases en circulation, ibid., 1893.
5 Il s’agit en effet de Wilhelmina Josephina Rudolphina dite « Mina » Brunold (1834-1891), fille du prince Frédéric de Nassau, titrée en 1844 comtesse de Tiefenbach, épousée en secondes noces (Delphine Gay était morte le 29 juin 1855) par Émile de Girardin le 31 octobre 1856, dont il se sépara en 1872, après le décès de leur fille (1859-1865).
6 Delphine de Girardin (1804-1855), Le Chapeau d’un horloger, comédie en 1 acte [Gymnase, 16 décembre 1854], Paris, Michel Lévy, 1855, que Dumas fils ne cite pas au hasard car son intrigue, tout aussi mince mais mieux traitée, présente aussi, sur fond de domesticité maladroite, un chapeau dont on cherche qui l’a laissé traîner ; mais là s’arrête la parenté car l’objet risque plutôt de séparer le couple uni des époux Gonzalès.
7 Voir le rapport de censure aux Archives nationales, 29 janvier 1859, F21/989 (car classé dans le théâtre des Folies-Dramatiques quoique joué au Gymnase).
8 L ’ Ours et le pacha, folie-vaudeville en 1 acte, d’Eugène Scribe et Xavier [Saintine][Variétés, 10 février 1820], Paris, Mme Huet, 1820 ; Le Maître d’école, vaudeville en 1 acte, de Joseph Lockroy et Anicet-Bourgeois [Palais-Royal, 20 mars 1841], Paris, Henriot, 1841 ; Le Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche et Marc-Michel [Montansier (ex-Palais-Royal), 14 août 1851], Paris, Michel Lévy, s. d. [1851].
9 Dans les années 1860, Eugène Labiche (1815-1888) était au faîte de sa carrière après Le Chapeau de paille d’Italie (1851) et sa présentation à l’empereur en 1858 ; Le Voyage de M. Perrichon (1860), La Poudre aux yeux (1861), La Station Champbaudet (1862) et La Cagnotte (1864) confirment dans l’esprit du préfacier en 1894 la mention de son recours à cette autorité du théâtre comique.
- CLIL theme: 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN: 978-2-406-11780-3
- EAN: 9782406117803
- ISSN: 2261-575X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11780-3.p.0415
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-24-2021
- Language: French