Reviews
- Publication type: Journal article
- Journal: Dialogues littéraires et philosophiques
2020 – 8 - Authors: Larrat (Jean-Claude), Nagaï (Atsuko), Thompson (Brian), Lantonnet (Évelyne), Poirier (Jacques), Kouchkine (Eugène), Sunnen (Myriam), Bennis (Aziz), Chanussot (Jacques), Aleksíc (Branko)
- Pages: 201 to 258
- Journal: Journal of Modern Literature
- Series: André Malraux, n° 15
Sylvie Howlett, Dostoïevski, démon de Malraux, Classiques Garnier, 2015, 419 p.
Rares sont les ouvrages de critique dont on peut dire sans risque de se tromper qu’ils répondent à une nécessité : le livre de Sylvie Howlett est de ceux-là. Sylvie Howlett n’est certes ni la première ni la seule à signaler l’importance de Dostoïevski dans l’œuvre de Malraux ; André Lorant, par exemple, en 1971, avait longuement comparé Tchen à Kirilov et il faut rappeler aussi les pertinents articles d’Eugène Kouchkine sur la question, ou encore la thèse (soutenue en 2001 à Lille 3 mais malheureusement non publiée) de Rachid Hiati, André Malraux lecteur de Nietzsche et de Dostoïevski. Mais l’étude de Sylvie Howlett peut se prévaloir d’une exhaustivité jamais atteinte jusque-là. Elle exploite, en effet, tous les textes que l’édition des œuvres complètes de la Pléiade met aujourd’hui à notre disposition, auxquels elle ajoute d’autres textes importants qui n’ont pu trouver place dans cette édition, particulièrement les annotations de Malraux au livre de Gaëtan Picon et les entretiens avec Frédéric Grover, mais aussi et surtout les réponses de Malraux à Manès Sperber à l’occasion d’un colloque sur Dostoïevski organisé en 1971, Wir und Dostojewskij – texte fort peu connu, que Sylvie Howlett a traduit et présenté en 1999 dans La Revue des lettres modernes, André Malraux (no 10). Elle traque ainsi avec une scrupuleuse vigilance toutes les occurrences de « Dostoïevski » chez Malraux et elle nous force à reconnaître qu’elles sont innombrables, allant bien au-delà des trois références « obsessionnelles » souvent citées par la critique : l’antériorité des scènes sur les personnages (prouvée par l’interversion du rôle de certains d’entre eux dans les manuscrits), la scène de la veillée funèbre de Nastassia par Mychkine et Rogojine (dans L’Idiot), et la fameuse déclaration d’Ivan Karamazov qui veut « rendre son billet » à Dieu si « l’harmonie du monde » doit se payer du supplice d’un enfant. Parmi beaucoup d’autres exemples qui prouvent combien fine et attentive a été la lecture de Dostoïevski par Malraux, retenons son allusion, dans Les Voix du silence, aux « portes » et « porches » dans le roman Les Pauvres Gens (qui n’est pas un des plus célèbres) – allusion magistralement analysée par Sylvie Howlett (p. 159-163).
202Dans la première partie de son ouvrage (« Les Métamorphoses de Dostoïevski »), Sylvie Howlett passe en revue les quelques écrivains et essayistes français qui, avant Malraux, ont fait découvrir à leurs pairs l’originalité et la puissance de l’œuvre dostoïevskienne : André Gide, André Suarès, Léon Chestov, Élie Faure, Marcel Proust… On les oublie quelque peu ensuite, notamment dans la deuxième partie, où Malraux est présenté à son tour comme un « théoricien de la littérature dostoïevskienne ». Il l’a été plus allusivement que méthodiquement certes, mais les analyses de Sylvie Howlett montrent tout ce que quelques-unes de ses théories ou idées les plus chères, en matière de littérature, doivent au romancier russe. Sylvie Howlett sait bien que Dostoïevski ne fut évidemment pas le seul ni même le principal inspirateur de ces idées, même passées par le prisme des intercesseurs cités plus haut, mais il nous arrive de regretter, en la lisant, que cette influence de Dostoïevski ne soit pas plus souvent mise en parallèle ou en contradiction, en relation en tout cas, avec d’autres influences plus immédiates. Rachid Hiati, par exemple, avait bien montré que « Malraux utilise Dostoïevski dans son combat contre Gide » (Rachid Hiati, op. cit., p. 372). Car la surabondance des traces et échos dostoïevskiens relevés avec une remarquable perspicacité par Sylvie Howlett ne peut pas faire oublier que les idées de Malraux se sont formées et développées dans un contexte historique et culturel, celui des intellectuels parisiens des années 1920 et 1930, très éloigné et très différent, malgré tout l’intérêt qu’ils ont porté au « roman russe » (ainsi d’ailleurs qu’au roman anglais puis américain), de celui dans lequel vivait et écrivait Dostoïevski.
La confrontation entre la source dostoïevskienne et le contexte des années 1920-1930 aurait pu être utile, nous semble-t-il, sur deux points au moins : la question de la composition romanesque et celle du personnage.
Sylvie Howlett note, très rapidement, que « ce qu’il [Malraux] reproche à un mauvais roman » c’est « l’absence de perspective initiale, de composition » (p. 134). Mais en 1932, Malraux ouvrait son éloge de Louis Guilloux par une critique du « sens de la composition », simple « moyen de séduction » (OC VI, 237-238). Il louait Guilloux de ne guère composer, en ajoutant : « lorsqu’il compose, il ferait mieux de se tenir tranquille. » Il s’inscrivait ainsi dans un débat sur les romans « à programme » (spécialement sur les romans à thèse) et sur la composition romanesque, lancé par la NRF avec l’article de Jacques Rivière sur le 203roman d’aventure (1913) et poursuivi au début des années 1920 par Albert Thibaudet, contre Paul Bourget. Ce débat engageait un contexte culturel auquel Dostoïevski était bien sûr totalement étranger : en particulier, une critique du mouvement symboliste en France, mais aussi, plus largement, de la rhétorique qui avait longtemps régné sur les programmes scolaires français (voir, à ce sujet, les travaux d’Antoine Compagnon, par exemple). Dans sa note sur Louis Guilloux, Malraux rapproche d’ailleurs la séduction par la composition de « l’esthétique des Jésuites » (OC VI, 238), principaux et influents acteurs, on le sait, de cet enseignement. Lorsqu’on se référait à Dostoïevski dans ce débat (par de brèves allusions sans analyses littéraires approfondies, en général), c’était précisément parce que ses romans semblaient ne pas avoir été gouvernés par une « perspective initiale » ou par un souci de « composition ».
La question du personnage met plus directement Malraux en rapport avec Dostoïevski, mais la formulation retenue par Sylvie Howlett en titre du deuxième chapitre de la deuxième partie, « Des personnages incarnations d’idées » (p. 73-103), peut sembler contestable. Ce n’est pas à propos de Dostoïevski mais pour répondre à un reproche fait par André Billy à La Condition humaine que Malraux a écrit, en 1933 : « Je ne crois pas que, dans la vie, nous prenions conscience d’un être à travers sa biographie. Je dirais volontiers : au contraire. » (Lettre à André Billy) L’erreur du mauvais romancier, pense Malraux, est de vouloir rendre ses personnages vraisemblables (selon les règles aristotéliciennes de la mimesis) en leur attribuant une biographie ainsi qu’une psychologie cohérente, voire « logique ». Ils font ainsi de leurs personnages des objets de connaissance, entretenant l’illusion que ce type de connaissance d’autrui est une condition nécessaire à notre vie sociale. Or, un personnage romanesque n’acquiert une réelle présence pour le lecteur que s’il restitue le mystère, l’énigme que nous sommes pour nous-même et que les autres sont pour nous, « dans la vie ». Le romancier est alors celui qui nous fait croire à des êtres que nous ne pouvons pas connaître. Il abandonne la fausse connaissance (par la biographie ou la psychologie « logique ») pour susciter la foi (au sens général et laïque du terme) en une réalité dont il réussit à imposer la présence, précisément grâce à son art de la mise en scènes. C’est ainsi, comme le note d’ailleurs avec justesse Sylvie Howlett, qu’il transforme « un destin subi » en un « destin dominé », selon l’une des formules favorites de Malraux. Il paraît donc clair qu’un 204tel personnage n’est en rien l’incarnation d’une « idée » abstraite mais, au contraire, l’expression d’une énigme, d’un mystère auquel seul le romancier ou l’artiste parvient à donner une forme. Dostoïevski n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de cette réussite artistique mais il a l’avantage de fournir à la théorie de Malraux un argument particulièrement clair : dans ses Carnets, « Rogogine et Mychkine sont d’abord un seul personnage et c’est ensuite qu’il les a distingués » (Malraux cité par S. Howlett, p. 87). Dostoïevski a compris qu’un seul et même individu pouvait être à la fois un scélérat et un saint et plusieurs de ses héros (le Stavroguine des Démons, par exemple) sont pétris de ces contradictions et incohérences psychologiques et/ou biographiques que condamnerait Aristote au nom d’une prétendue vraisemblance. Pourtant, ils s’imposent avec la même force que des êtres réels. C’est aussi sur cette théorie que repose la notion confuse de « prédication » (parfois étendue, de manière assez imprudente, à Malraux lui-même, traité de « prédicateur »). La « prédication » d’un artiste consiste justement à susciter cette foi en une réalité humaine qui a contre elle toutes les vraisemblances établies.
Dans la longue troisième et dernière partie (« Une intertextualité démonique »), Sylvie Howlett repère, toujours avec la même finesse et la même vigilance, toutes les traces laissées dans l’œuvre de Malraux par sa lecture de Dostoïevski. Elle fait ainsi surgir une foule d’échos et de réminiscences qui resteraient imperceptibles pour qui n’aurait pas la même connaissance de Dostoïevski que cette lectrice passionnée et hyper-attentive. On retiendra, parmi de nombreux autres exemples, les jugements portés par Versilov (dans L’Adolescent) ou par Ivan Karamazov sur les Européens et leurs cimetières (p. 202-203), transposés dans La Tentation de l’Occident, les évocations d’araignées, qui suscitaient une même incontrôlable répulsion chez les deux écrivains, l’engagement de May de suivre Kyo jusqu’« au bagne », écho de celui de Sonia envers Raskolnikov (dans Crime et Châtiment, p. 248), l’écho du Joueur chez le Clappique de La Condition humaine, ou encore les réminiscences des Souvenirs de la maison des morts et de L’Adolescent dans Le Temps du mépris. On souscrit aussi aisément à la comparaison entre Tchen et Kirilov, que Sylvie Howlett reprend à André Lorant en le citant largement.
La notion d’intertextualité et la méthode que Sylvie Howlett en tire prouvent ainsi toute leur pertinence et leur fécondité critique. Il nous a cependant semblé qu’elles trouvaient aussi parfois leurs limites, par 205exemple avec le rapprochement opéré entre Raskolnikov et Garine. En considérant ces deux personnages on s’aperçoit en effet qu’il est difficile de faire se superposer deux textes en faisant quasiment abstraction des contextes historiques, politiques et culturels dans lesquels ils ont été produits et reçus. Garine, comme l’ont parfaitement vu les premiers lecteurs des Conquérants, ne pourrait exister sans la Troisième Internationale, les affrontements politiques et militaires propres aux débuts de la révolution chinoise, le rôle des puissances coloniales à cette époque, etc. Toutes choses que ne pouvaient concevoir ni Dostoïevski, ni son personnage évoluant dans un contexte social, religieux, historique profondément différent, toutes choses qu’on ne pourrait pourtant se permettre d’ignorer au nom de la seule intertextualité. Dans le même ordre d’idées, on peut avoir, malgré l’intérêt des quelques échos signalés plus haut, de fortes réserves sur la suggestion d’une identification entre le monde slave de Dostoïevski et « l’Orient » de La Tentation de l’Occident, non seulement parce que Malraux écrit ce livre à l’issue de ses deux aventures indochinoises mais aussi parce que les « appels de l’Orient » faisaient l’objet, parmi les intellectuels français du milieu des années 1920, d’innombrables réflexions et débats nourris par des spécialistes de l’Inde, de la Chine et du Japon et non par des historiens du monde slave de la fin du xixe siècle.
Le « daïmôn » dostoïevskien que Sylvie Howlett prête à Malraux ne ressemble guère, comme on voit, à celui de Socrate. La meilleure traduction de ce mot grec semble bien être, en l’occurrence, celle que propose Sylvie Howlett elle-même : « poisson-pilote. » On s’aperçoit cependant, au fil des pages, que cette traduction est encore trop timide et que celle de « modèle », de maître, voire de staretz serait finalement plus fidèle à la démarche critique de l’auteure. À plusieurs reprises, certes, Sylvie Howlett s’efforce de souligner ce qui, sur tel ou tel thème, sur telle ou telle modalité d’écriture, distingue malgré tout Malraux de ce maître dont, parfois, dit-elle significativement, « il s’émancipe » (p. 259). Mais cette distinction est toujours présentée en termes d’écarts, voire d’errements plus ou moins regrettables par rapport à la voie tracée, si bien qu’à l’issue de cette lecture, on pourrait rester sur l’impression que le « poisson-pilote » a presque entièrement phagocyté celui qu’il devait guider. C’est ici, on le voit, toute la question de cette très délicate notion d’« influence » qu’il faudrait poser. Rachid Hiati l’avait tenté dans sa 206thèse, André Malraux, lecteur de Nietzsche et de Dostoïevski. Nous ne pouvons évidemment en reprendre l’analyse et la discussion dans le cadre d’un aussi bref compte rendu. Il faudrait cependant, comme le propose Rachid Hiati (op. cit., p. 214), appliquer à la relation entre Dostoïevski et Malraux cette remarque de Proust, dans le Contre Sainte-Beuve : « Les écrivains que nous admirons ne peuvent pas nous servir de guides, puisque nous possédons en nous comme l’aiguille aimantée ou le pigeon voyageur, le sens de notre orientation. Mais tandis que guidés par cet instinct intérieur nous volons de l’avant et suivons notre voie […] [ces écrivains] nous font plaisir comme d’aimables poteaux indicateurs qui nous montrent que nous ne nous sommes pas trompés […]. Superflus si l’on veut. Pas tout à fait inutiles cependant. » (Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, « Folio - Essais », p. 306) De fait, dans ses écrits de critique littéraire, Malraux a professé son admiration pour divers grands écrivains : Laclos, Balzac, Victor Hugo, D. H. Lawrence, Louis Guilloux, André Gide (oui), Faulkner, Tolstoï, Bernanos… et pour Dostoïevski plus encore peut-être que pour tous ceux-là, même s’il ne lui a jamais consacré une monographie aussi substantielle que « Laclos », ou que sa préface au Sang noir de Louis Guilloux, par exemple. Et il ne s’est pas contenté d’en faire de simples exemples à l’appui de ses théories personnelles, de simples illustrations de ses idées sur la littérature. Ils étaient, à ses yeux, ceux qui avaient dessiné les grandes orientations d’une mutation de la création littéraire au xxe siècle, mutation à laquelle il estimait avoir participé en tant que romancier et qu’il s’est efforcé d’analyser en « théoricien de la littérature », notamment dans Néocritique et dans L’Homme précaire et la littérature.
Au regard des très nombreuses et très riches révélations que son livre nous apporte, on ne reprochera évidemment pas à Sylvie Howlett d’avoir privilégié le cas de Dostoïevski. Fallait-il pour autant lui reconnaître le rôle d’un « guide », voire du principal ou de l’unique guide de Malraux ? Nous en doutons un peu. En bref, il y a de l’excès dans ce livre, un excès visiblement conscient et prémédité d’ailleurs, mais, répétons-le, c’était un excès nécessaire et bénéfique, un excès qui nous fait découvrir l’œuvre de Malraux avec une richesse que nous n’aurions pas pu atteindre autrement.
Jean-Claude Larrat
207*
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Yulia Kovatcheva, Modernité esthétique chez André Malraux, L’Harmattan, 2015, 262 p.
Madame Yulia Kovatcheva développe dans cette étude, d’une manière aussi fine qu’audacieuse, une discussion sur la modernité esthétique, notamment concernant la portée du « primitif » dans la modernité esthétique qu’André Malraux a mise en relief toute sa vie dans ses écrits.
Pourquoi a-t-elle choisi le thème du « primitif » en vue d’expliquer l’attitude adoptée par Malraux à l’égard de l’esthétique moderne ? Parce que cette notion revêt un caractère primordial dans les arts auquel non seulement des artistes et des critiques modernes, surtout de tendance cubiste comme Picasso et Apollinaire, mais également Malraux lui-même, ont accordé une grande importance dans leur recherche d’une esthétique moderne. Libéré de l’imitation et de la figuration de la nature, le « primitif » montre bien, selon Kovatcheva, la volonté de création d’un art par des artistes qui se considèrent comme rivaux de la nature, et en ce sens il incarne bien l’essence permanente de l’homme. Kovatcheva nous présente les réflexions de Malraux qui se rapproche de l’essence de la création en se délivrant de la culture rationnelle de l’Occident. L’art nègre est l’exemple principal du « primitif » et Picasso, proche de ces artistes, a reconnu aux fétiches une dimension exorciste dont il s’est inspiré, en l’appliquant au monde moderne, avec son tableau « Les Demoiselles d’Avignon ». C’est pour cela que Malraux a estimé Picasso, non seulement en tant que rénovateur des formes picturales mais aussi de la notion d’art elle-même. Kovatcheva présente également, en analysant surtout les critiques d’art de la dernière période Malraux, y compris celles qui concernent les arts haïtiens, la relation corrélative entre le sacré et l’humain, relation qui existe également dans la période désacralisée. Selon Malraux, le « primitif » est un moyen d’atteindre l’homme, et la source du Surnaturel se situe dans ces deux sens apparemment opposés, au plus profond de l’âme humaine d’une part, et aux forces cosmiques d’autre part.
208Kovatcheva retrace ainsi chez Malraux un parcours intellectuel et affectif mené de concert avec cette quête de la valeur essentielle que revêt toute création artistique. Elle développe ses réflexions en se fondant sur des textes de Malraux des années 1920 aux années 1970, à l’aide de critiques judicieusement sélectionnées. Elle se réfère non seulement à des critiques en langue française mais aussi à d’autres d’expression anglaise. L’ampleur de la documentation en termes d’appareil critique est une des qualités de cette étude même si certaines citations en anglais nous semblent parfois trop longues. Par ailleurs, tout en défendant Malraux comme critique d’art, elle ajoute dans la lignée de ses études des textes romanesques de Malraux tels que L’Espoir et Les Noyers de l’Altenburg et cette analyse synthétique à la fois des écrits sur l’art et des textes romanesques enrichit les perspectives habituellement données concernant les deux genres de textes produits par Malraux, qu’on tend généralement à différencier les uns des autres. Kovatcheva apporte en ce sens un nouveau mode d’étude consacré à Malraux qui appelle à d’autres développements. À propos des analyses et réflexions de Malraux concernant son appréciation des arts contemporains, entre autres le cubisme et le travail de Picasso, quelques idées sont redondantes, mais cela provient essentiellement du plan de cette étude qu’il n’est pas aisé d’articuler.
Enfin, ce que nous voudrions surtout défendre dans ce travail, c’est le fait que les écrits sur l’art, produits dans la dernière période Malraux, généralement moins étudiés que les écrits des années précédentes, sont ici bien mis en valeur. Il en ressort une attitude ambiguë de Malraux relativement à la permanence de l’homme mise au jour dans la création artistique. Elle s’intéresse surtout aux écrits sur l’art des années 1970 comme La Tête d’obsidienne, Le Surnaturel. Elle donne notamment de l’importance au chapitre xi de L’Intemporel pour démontrer la relation que Malraux perçoit entre la vie humaine et l’éternel. Dans sa conclusion, Kovatcheva remarque que : « Dans la métamorphose s’unissent les voix des arts primitifs et des arts qu’on connaît bien en laissant des traces fugitives dans le temps comme les nuages qui passent. » (p. 208) Et dans la citation qui suit, tirée de La Tête d’obsidienne, on trouve un oxymore avec « notre fugitive immortalité ». Mais ce ne serait pas uniquement au cours de la dernière période de sa vie que « dans la quête de l’homme, Malraux est déchiré entre la permanence et la dissemblance de l’homme » (p. 178) comme le note avec raison Kovatcheva. À l’instar de ce qu’elle 209rapporte tout à la fin de son étude : « Malraux pense que le moment viendra où le surnaturel et l’aléatoire seront reconsidérés » (p. 209), nous devons de même reconsidérer, sur la suggestion de Kovatcheva, la présence simultanée du surnaturel et de l’aléatoire chez cet auteur auquel on tend à prêter faussement une posture qui conférerait une gloire excessive à l’humain.
Atsuko Nagaï
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Sophie Doudet, Malraux, Gallimard, collection Folio biographies, 2016, 304 p.
Il y a assez peu de biographies de Malraux écrites par des femmes. Celle que vient de sortir Sophie Doudet est un livre très personnel et remarquable à plusieurs titres, dont la sensibilité de l’auteure pour sonder les relations de Malraux avec les diverses femmes dans sa vie. Je l’ai lu avec beaucoup de plaisir et de profit, après un léger agacement, il est vrai, quand l’auteure déclare, péremptoire, dans les premières pages, que parmi les nombreux aphorismes et déclarations de Malraux restés célèbres – Sylvie Howlett en a publié récemment toute une collection1 – Malraux n’a jamais dit : « Le xxie siècle sera religieux ou ne sera pas. » (16) Je m’imaginais, à tort, avoir enterré cette notion2, et si j’y tiens, c’est que j’ai entendu cette phrase soi-disant apocryphe de mes oreilles, et dans cette configuration précise, lors d’un entretien approfondi à Verrières-le-Buisson en 1972.
210Mon agacement initial a vite cédé la place à l’admiration au fur et à mesure de cette étude très bien menée et bien équilibrée de la vie et de l’œuvre de cet écrivain. Il est évident que depuis son adolescence Sophie Doudet admire Malraux, d’abord en tant qu’écrivain – « Peu m’importe l’homme, ses livres me suffisent » (12) –, ensuite en tant qu’être humain, sans toutefois se masquer sa part de comédie, de mythomanie et de mensonge.
Elle analyse la jeunesse de Malraux, que celui-ci n’évoquera quasiment jamais, mais dont l’humiliation ressentie « n’a peut-être été que la simple mais profonde solitude d’un enfant surdoué, maladif et ambitieux, condamné à l’impuissance et finalement à une existence affreusement banale » (26). Malraux y échappe d’abord par des lectures voraces, nourrissant ses rêves en vivant des aventures par procuration, avant de partir tel un chevalier de sa banlieue minable à la conquête de Paris et des arts du monde entier qu’il y découvre. Tant pis s’il n’a qu’un certificat d’études en poche, il se passera du bac et de diplômes universitaires pour frayer son chemin, et cela jusqu’au ministère de la Culture !
Nous accompagnons le jeune Malraux, chineur de livres rares, éditeur de livres richement illustrés par ses amis artistes pas encore illustres, convive dans des dîners littéraires, galant protégeant sa belle Clara à coups de revolver, avant de l’épouser pour six mois – ils ne divorceront finalement qu’en 1946. Il perd sa dot à la bourse ; pour renflouer les caisses familiales, les voilà partis en expédition archéologique pour dénicher des bas-reliefs à détacher (voler ?) d’un temple enfoui encore dans la jungle en vue de les vendre à des collectionneurs américains. Condamné à trois ans de prison pour vol d’objets d’art, Malraux est sauvé par Clara et par la pétition qu’elle fait signer à toute l’intelligentsia française en faveur de ce jeune artiste si prometteur. Cette aventure donnera non seulement un roman, La Voie royale, mais aussi un tournant majeur dans la vie de Malraux. Ayant découvert « l’Asie humiliée » (dixit Clara, 74), Malraux se fait journaliste engagé, pourfendeur du colonialisme avec L’Indochine suivie de L’Indochine enchaînée. Ce n’est plus le dandy parisien ; le pli est pris, il met sa plume et son énergie au service d’autre chose que la simple gloire littéraire.
Cette gloire ne tardera pas trop, mais Malraux brode auparavant son aventure indochinoise – et, pourquoi pas ? chinoise –, se présentant 211comme « commissaire du Kuomintang en Indochine et enfin à Canton3 » tout en laissant Clara quelque peu dans l’ombre. Ici comme tout au long de son livre, Sophie Doudet est sensible au rôle quelquefois humiliant des femmes dans la vie de Malraux : « André joue la comédie et oublie de l’emmener dans ses rêves. La réalité ne lui suffit pas et il préfère celle évoquée dans ses livres, d’où les femmes sont singulièrement absentes4. » (112)
Ces livres sont excellemment analysés en quelques pages. Malraux « transpose dans son héros ses propres angoisses : Garine n’a pas vraiment peur de mourir, mais l’idée de vieillir et de déchoir l’obsède » (116). La carrière de Borodine « est la compensation d’une enfance humiliée » (117). Ce sont ces considérations quasi métaphysiques qui priment par rapport à des questions simplement historiques ou politiques : « L’alchimie entre la vie et l’œuvre a commencé. » (121) Dans la vraie vie, Malraux traverse la Perse avec Clara, poursuivant, d’après elle, « une véritable quête métaphysico-religieuse » (126), et se lance dans des éditions chez Gallimard. La gloire s’approche.
Elle éclate avec l’annonce du prix Goncourt en 1933 pour La Condition humaine. De nouveau, on prend le texte pour un reportage d’expériences vécues, en négligeant la part de la création, de l’imagination, tandis que pour l’auteur, comme le souligne sa biographe, l’essentiel est de nouveau non pas le conflit politique mais « l’élément pascalien5 » (139), l’être humain confronté à lui-même, à sa glace, à la mort. Quel est le sens de tout cela ? Y en a-t-il ? « La véritable tragédie est celle de la conscience. » (144)
Fort de sa notoriété et de ses talents d’orateur, Malraux intervient à Berlin et à Moscou, tandis que sa vie personnelle se complique : naissance de Florence, brève liaison avec Louise de Vilmorin, liaison sérieuse avec Josette Clotis. À l’instar de Ferral dans son roman, « il court sans cesse, boulimique et intoxiqué d’action, comme Gisors l’est d’opium ou Clappique d’alcool » (146). Passionné par la victoire 212du Front populaire, il est de tous les meetings, poing levé, jouissant de son rôle de « Saint-Just de l’antifascisme » comme le dit son ami, Manès Sperber (155).
La révolte fasciste en Espagne lui donne l’occasion de mettre ses rêves en action, et il ne s’en prive pas, malgré les mises en garde critiques – trop réalistes peut-être – de Clara. Son escadrille « Espagne » rendra de réels services dans une cause pourtant désespérée, et lui donne un beau rôle à jouer, que Sophie Doudet résume ainsi, dans une formule dont elle a le don : « Il joue à peine, enfin lui-même, heureux peut-être s’il a jamais pu l’être. » (163) De son voyage aux États-Unis et au Canada pour lever des fonds pour la République, en compagnie de Josette Clotis, il va rapporter également le manuscrit de L’Espoir, qu’il soumettra à une totale refonte en compagnie de Clara, critique, perspicace et de bon conseil. C’est compliqué, la vie avec plus d’une femme ! Sophie Doudet nous aide à y voir plus clair avec tact et finesse.
La guerre qui éclate en 39 ne donne pas de beau rôle à Malraux au départ. Fait prisonnier avec tout son régiment de chars vétustes sans coup férir, il s’échappe et se planque dans le Midi en la fort agréable compagnie de Josette Clotis : « […] à force de se répéter qu’il est trop tôt pour se lancer dans une nouvelle bataille, il a fini par se convaincre. Sa vie lui convient. » (182) Il profite de cette période pour écrire Les Noyers de l’Altenburg, magnifique roman-méditation sur le sens de l’entreprise humaine. Il se lance quand même dans la Résistance, tardivement et de façon quelque peu farfelue, avec une part de comédie « conséquente » (194) : « Clappique fait de la Résistance. » (195) Il se distingue tout de même comme commandant de la Brigade Alsace-Lorraine, mais perd sa compagne Josette Clotis, les jambes sectionnées sous un train. Malraux n’a pas fini de côtoyer la mort : ses deux demi-frères pendant la guerre, ensuite ses deux fils dans un accident de voiture, de Gaulle, sa nouvelle compagne Louise de Vilmorin. Il a pu quand même écrire ses nombreux livres sur la création artistique, être le « compagnon génial » du général de Gaulle, qui a dû – nouvelle formule géniale de Sophie Doudet – « lui tailler un ministère à sa (dé)mesure » (233), et sortir ses Antimémoires ainsi que tous les textes finalement réunis dans Le Miroir des limbes, que Sophie Doudet appelle très justement son « dernier dialogue avec la mort » (247). Et de citer Malraux par deux fois pour clore ce beau livre, que je vous recommande vivement : « Peu importe qu’on approuve 213mes réponses, si l’on ne peut ignorer mes questions6 », et finalement, reprenant à son compte de façon émouvante ce que Malraux avait dit aux funérailles de Le Corbusier,
Adieu mon vieux maître et mon vieil ami.
Bonne nuit… (III, Or, 947)
Brian Thompson
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Alain Malraux, André Malraux, L’Homme des ruptures, Écriture, 2016, 224 p.
Après avoir donné à tous ceux qui s’intéressent à Malraux l’émouvant témoignage des Marronniers de Boulogne en 1978, le neveu et beau-fils de l’écrivain fait paraître à l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Malraux un album illustré Malraux en son temps (L’Archipel) en même temps qu’un essai, qu’il considère comme un « libre parcours biographique ».
Difficile d’être original, après la brillante étude de Jean Lacouture, les compléments tout à fait passionnants apportés par Gaëtan Picon dans son Malraux par lui-même, la substantielle, quoique fort partiale, biographie d’Olivier Todd ou encore l’approche plus personnelle et plus moderne de Sophie Doudet. Parmi tous ces regards portés sur celui qui pensait n’être qu’« un misérable petit tas de secrets », un se détache, celui de Jean-François Lyotard qui propose une interprétation aiguë et inspirée de cette personnalité qui s’appréhende elle-même énigme.
214Au milieu de tous ces interprètes et commentateurs, Alain Malraux occupe une place particulière : rattaché à la gens, à la fois fils du frère Roland et de la seconde épouse Madeleine, il a pu partager la vie d’André en compagnie de sa mère et de ses deux demi-frères depuis la fin de la guerre.
Le scripteur définit lui-même son statut : « Le signataire de ces lignes n’est que témoin privilégié et chroniqueur. » (165) Statut particulier, qui aurait pu le conduire soit vers l’apologie, voire l’hagiographie, soit vers le règlement de comptes. Or, le premier mérite d’Alain Malraux est de trouver le ton juste, de renoncer à la dramatisation comme au pamphlet. Exercice délicat, car le personnage dont il s’entretient échappe à la prise, instaurant sans cesse une distance qui préserve son indépendance, mais en même temps enferme les êtres. Plus délicat encore si l’on songe que cet homme prend littéralement la place de son père, impose à la maison la présence de ses deux enfants et vers la fin, bafoue sa mère.
Alain Malraux démythifie ce que d’aucuns auraient pu considérer comme une enfance heureuse au sein d’une famille riche et bien considérée. Deux figures apparaissent à la fois discrètes et attachantes par la qualité de leur présence : Madeleine, pianiste de renommée internationale et « Flo », cette enfant que Malraux a eue avec Clara, qui peine à trouver sa place, mais se distingue par son naturel et son équanimité.
En dehors de ce cercle, qui se modifie au cours des années, bouleversé par la disparition tragique de Gauthier et Vincent en 1961, ce témoin remarquable apporte au lecteur un éclairage historique sur des périodes troublées, lui livre quelques portraits dignes d’attention et revient sur les engagements d’André Malraux, qui ont donné lieu à beaucoup de diatribes.
Pour ceux qui n’ont pas connu les déchirements de l’entre-deux-guerres, ce livre a le mérite de mettre en lumière aussi bien les événements que les idéologies qui les sous-tendent. Du point de vue des idéologies, est retracée une visite de Raymond Aron auprès de Clara et André ; le lecteur pourra apprécier la lucidité du jeune philosophe quant aux chances d’Hitler à accéder au pouvoir, ainsi que la complicité de l’état-major français, qui ne trouve rien à redire (43). S’agissant des faits, Alain Malraux n’y va pas par quatre chemins ; il n’hésite pas à qualifier juin 1940 comme « la plus grande déculottée de notre histoire » (72). Il est intéressant de voir 215combien, durant l’été 42, Toulouse est devenue une véritable plaque tournante, où se croisent non seulement les membres de la famille, mais les proscrits – les Jankélévitch, les Cassou, Edgar Morin –, et combien les nouvelles dispositions concernant la ligne de démarcation perturbent les habitudes prises jusque-là.
Comme André a la plume alerte pour croquer les dyables que Madeleine publiera, Alain pratique l’art du portrait dans la pure tradition française, qui remonte au siècle de Louis XIV. À l’aide des superlatifs, il peut louer et persifler. C’est ainsi qu’Edgar Faure est présenté comme « le plus ingénieux et le plus madré des hommes politiques français » (165). À l’égard de certaines femmes, dont on peut comprendre qu’il ne les porte pas dans son cœur, la description se fait plus vengeresse. Voici l’apparition de Josette Clotis, la seconde femme courtisée : « Malraux lui trouve une ressemblance frappante avec Brigitte Helm, star du cinéma muet dont elle a la blondeur cendrée, la coiffure moins crantée et une silhouette faite pour les carrosseries 1925, deux éléments faits pour séduire André, plus un troisième atout qui va prendre de plus en plus d’importance : elle est l’antithèse absolue de Clara. » (48) Sa rencontre avec Louise de Vilmorin ne manque pas non plus de piquant. Alors qu’il est très conscient du peu qu’il représente – « anodine miette de Malraux » –, Alain sent frémir l’ancienne admiratrice – « en se lançant dans un monologue qui a la verve surabondante et la ferveur d’une offrande oubliée » (199). On se croirait dans le salon des Guermantes… La palme revient à Louis Chevasson, le compagnon de fortune et d’infortune de l’expédition indochinoise. Si Clara l’a surnommé « l’Incolore », Alain ne montre pas plus d’aménité : « Honorable factotum, pour qui semble avoir été inventé la formule des papiers civils : “Signes particuliers : Néant”. Homme à tout faire et “bon à pas grand-chose de rare”. » (34)
Le trait est délié, la verve percutante.
À qui souhaiterait approfondir les prises de positions politiques d’André, ce livre donne une idée des choix qui ont pu être les siens en ces temps troublés. Par rapport aux dictatures montantes, le verdict est net : « S’il est un écrivain français qui s’est totalement impliqué dans la lutte antifasciste, c’est bien Malraux. » (56) Solidarité avec les proscrits de ce régime qu’ils s’appellent Manès Sperber, inquiété pour ses opinions ou Arthur Koestler d’origine juive. Dialogue avec Trotski, 216voyage à Moscou, où Malraux rencontre Gorki et Eisenstein… C’est l’époque de l’EAER, où il milite aux côtés de Gide contre l’essor du fascisme, où il peut croire encore que le communisme pourra endiguer ce flot montant de proscriptions et de haine. Engagement au détour de 1943, alors que ses deux frères ont rejoint la Résistance : André répond avec ferveur au besoin d’action qui le taraude. Après la guerre, Alain évoque le gouvernement provisoire, dont de Gaulle est la figure emblématique ; à propos du Général, il porte ce jugement, que ne dément pas une certaine photo prise par Gisèle Freund : « le seul homme dont il acceptera de n’être que le second. » (150)
Qu’il intéresse l’individu, la famille ou la cité, cet ouvrage examine les postures et les choix de l’auteur de La Condition humaine. Là où se croisent la grande et la petite histoire, Alain Malraux sait repérer les engouements comme les contradictions. Il y montre un homme pétri d’interrogations, mais qui, contre vents et marées, édifie son œuvre.
Avec un tel titre et un tel projet, il me semble que l’analyste ait atteint le cœur des choses : dans cette vie aussi passionnante que chaotique, la rupture est plus qu’une fatalité de l’Histoire, elle est une nécessité. Elle s’exprime à tout âge et en tout point ; elle devient un mode d’être, dont il serait intéressant d’élucider l’origine. Aussi douloureuse soit-elle, la rupture s’affirme comme l’ultime façon d’échapper à la prise, qu’elle soit sentimentale ou idéologique. Rompre pour se préserver, rompre pour se dépasser. Ce processus est ici un des agents les plus toniques de la métamorphose.
Au Festival de Cannes, il est un prix qui s’intitule « Un certain regard », l’auteur de L’Homme des ruptures ne mériterait-il pas une telle reconnaissance ?
Évelyne Lantonnet
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Jean-Claude Larrat, Sans oublier Malraux (préface d’Henri Godard), éd. Classiques Garnier, « Études de littérature des xxe et xxie siècles », no 54, 2016, 419 p.
Voilà un ouvrage qui, d’emblée, séduit par son titre. En effet, la formule choisie par Jean-Claude Larrat rompt avec les usages universitaires ; et comme beaucoup de locutions courantes qui reçoivent leur sens du contexte ou de l’intonation, elle est admirable d’ambiguïté. Dans le rituel mondain des remerciements, « sans oublier… » peut correspondre à une forme de soulignement – le nom de la vedette du jour, que précisément nul ne peut omettre – mais aussi bien à l’aveu indirect d’une défaillance – ce nom que justement on a failli omettre.
À lire l’Avant-propos d’Henri Godard ou la Préface de Jean-Claude Larrat, le doute n’est hélas pas permis : pareil titre témoigne d’une inquiétude. À l’ouverture de son propos, Jean-Claude Larrat rappelle la ferveur qui fut sienne à la découverte d’André Malraux, cette ferveur qu’il pouvait alors partager avec certains lycéens de sa classe. Mais il reconnaît que pareil souvenir renvoie à un monde qui n’est plus. Or, plus que d’autres écrivains, qui ont pu compter sur le soutien de l’intelligentsia, André Malraux a besoin de la reconnaissance des lecteurs. Car l’intelligentsia fut avec lui cruelle, et pour de mauvaises raisons. Dans sa Préface, Henri Godard rappelle les propos blessants de Claude Simon, lors de son discours de réception du prix Nobel, et de Roland Barthes, lors du décès de l’auteur. Certes, une telle hostilité est passée de mode. Mais la menace de l’« oubli » n’en est que plus sournoise. Ce phénomène de détachement semble d’ailleurs consubstantiel de l’histoire littéraire. En 1927, Henri de Montherlant avait eu un mot célèbre : « Barrès s’éloigne. » Peu d’années après la disparition de l’auteur des Déracinés, quelque chose s’était déjà rompu ; et très vite après celle de l’auteur des Jeunes Filles, le même processus reprendra. Et pourtant, les silhouettes de Barrès et de Montherlant nous demeurent familières. C’est qu’un écrivain s’éloigne non quand on en a oublié le nom, mais dès lors que la destinée personnelle de l’auteur se substitue à l’œuvre 218elle-même (le syndrome Drieu La Rochelle) ; ou quand l’œuvre, réduite à quelques idées reçues, cesse de nous affecter (le cas Vigny). Roland Barthes ne semble guère affecté par la mort d’André Malraux quand il le désigne alors comme « le type même du faux grand écrivain ». Mais la mémoire scolaire, toute révérencieuse, l’est-elle davantage quand elle grave dans le marbre le mythe du héros, de l’écrivain combattant et autres stéréotypes ?
Jean-Claude Larrat se propose donc d’ouvrir un procès en révision avec Sans oublier Malraux, anthologie d’articles déjà publiés pour la plupart, dont la composition et la présentation sont particulièrement soignées. Sur le plan formel, l’ouvrage s’ouvre sur une préface d’Henri Godard et un avant-propos de Jean-Claude Larrat ; viennent ensuite quatre sections : « (Auto) biographie et fiction », « Le temps de l’histoire », « Le musée, l’art et l’artifice », et « Qu’est-ce que la littérature ? » Enfin, l’ouvrage se clôt sur des index (noms de personnes et noms de personnages) et une liste des œuvres d’André Malraux.
Dans ce procès en révision, les ennemis sont ces lectures que n’effleure jamais le soupçon. Alors que, dans une imagerie convenue, l’auteur de La Condition humaine a quelque chose de monolithique, Jean-Claude Larrat explore les lignes de faille qui traversent l’œuvre. Lignes de faille qui constituent la meilleure approche du fait que l’époque actuelle est davantage sensible à une forme de fragilité, ou à des hésitations, qu’aux certitudes trop bien acquises. Par leur caractère binaire, certains titres d’articles soulignent d’emblée ce balancement. Ainsi, dans « Les deux tentations d’André Malraux : Récit et métamorphose », Jean-Claude Larrat ouvre son propos sur le conflit entre une aspiration à l’universalisme (l’internationalisme révolutionnaire) et la conscience vive d’une altérité infranchissable entre les communautés. Parallèlement, l’histoire se voit à la fois célébrée et contestée. Les révolutionnaires de La Condition humaine prétendent sans doute aller dans le sens de l’histoire ; reste que Clappique, dont toute l’action dépend, est là pour rappeler ce que l’événement (et l’avènement) doit au hasard (« Clappique ou la perte de l’origine ») ; de même que « l’homme fondamental » (les paysans espagnols escortant les blessés, les Allemands portant les Russes gazés, les « femmes noires de Corrèze » accompagnant les morts de la Résistance) se voit sans cesse opposer le « farfelu » (« L’homme fondamental et la présence du farfelu »). L’histoire d’ailleurs existe-t-elle quand, fasciné par les sociétés 219“sans histoire” (les Moïs), Malraux contemple la marche du temps avec les yeux de l’ethnographe (« Malraux et l’ethnologie ») ; ou quand le « rituel » (cette « façon de […] hauss[er] la vie humaine au niveau de [l’]inhumanité [des dieux] ») vient suspendre le « récit mythologique » qui rend au domaine des dieux une apparente cohérence (« Les deux tentations d’André Malraux ») ?
On ne peut donc s’en remettre ni aux grands récits mythologiques, ni à ce grand récit collectif qu’est l’histoire. Et pas davantage à cette mise en récit du moi qu’est l’autobiographie, à qui sont consacrés plusieurs articles. Pas plus que l’histoire, un récit de vie ne devrait comporter de dimension téléologique, c’est-à-dire « être orienté vers le dévoilement ou la révélation de soi ». Et il ne devrait pas davantage ressembler à quelque fable archéologique où l’on recherche un trésor enfoui (le « secret » gidien) (« La métamorphose comme expérience de la liberté »). S’il s’en remet à la “psychologie des profondeurs”, l’autobiographe, comme l’historien, va situer la vérité du côté de l’origine et donc expliquer le présent par le passé. Mettant en regard les Antimémoires et L’Âge d’homme, Jean-Claude Larrat montre au contraire en quoi Leiris et Malraux recherchent « l’acte exemplaire » par lequel « s’approprier sa vie » (« Seuils de l’autobiographie : Énonciation et totalisation dans L’Âge d’homme de M. Leiris et Antimémoires d’A. Malraux »). Or, on peut coucher par écrit l’histoire de sa vie et de ses apprentissages ; on peut tout aussi raconter l’impossible métamorphose de certains (Perken, Mayrena, Lawrence), quand bien même ils auront fait là l’expérience de la liberté ; comment raconter le moment où le moi s’absorbe dans une image ? C’est bien là que les grands récits défaillent. De ce fait, explique Jean-Claude Larrat, l’écriture de Malraux retentit d’un conflit entre la volonté de tisser un texte et la nécessité de « faire trou ».
Pas plus que l’histoire collective ou que l’histoire du moi ne doivent se réduire à quelque totalisation, le roman ne doit mimer, par une apparence d’ordonnancement, l’ordre illusoire du monde – comme il en va du roman à thèse qui relève de la pure rhétorique (« Le roman selon André Malraux : Une antirhétorique ? ») Rompant avec Aristote (voir « André Malraux contre les poétiques de l’ordre ») au profit d’autres modèles, le roman doit avant tout remettre en question l’exigence de « composition ». Pour sauver le roman, il faut donc le dissocier du « récit », car « la première soumission de la littérature à la rhétorique est la mise 220en récit » (Présentation de la Quatrième partie). Pour cette raison, le roman moderne ne doit être ni un art du récit (la « composition ») ni un art de la représentation. Antirhétorique, il se veut du même coup antimimétique, cette mimesis qui impose à l’œuvre d’art un statut de second rang. Ainsi, contre une esthétique classique du continu, André Malraux multiplie les effets de rupture et les mises en suspens, du fait que « la scène précède le personnage » (« Images et personnages dans La Condition humaine ») et surtout du fait que des moments lyriques viennent dissoudre le récit (« Malraux et la crise du récit »). C’est alors qu’on va au plus loin car « le lyrisme […] est du côté du réel et non du côté de la représentation » (« L’écriture lyrique », dans « Écriture farfelue et roman à thèse »).
Dans la poétique malrucienne telle qu’analysée par Jean-Claude Larrat, le texte vaut donc par ses ruptures et ses failles. Mais il n’en va pas de même pour le commentaire qui, lui, obéit à d’autres lois, puisqu’il privilégie la continuité discursive et s’adosse toujours à un solide arrière-plan conceptuel. L’une des caractéristiques de bon nombre d’articles tient à ce qu’ils proposent d’emblée une problématisation et qu’ils mettent en perspective l’œuvre d’André Malraux (ainsi pour la question de la représentation du « vitalisme », de la rhétorique, etc.). Une telle ampleur de vue permet souvent des aperçus féconds sur d’autres écrivains. Ainsi, « Seuils de l’autobiographie […] » fait bien apparaître, dans L’Âge d’homme et les Antimémoires, les contradictions internes de Michel Leiris, hésitant entre l’écriture cathartique et l’écriture comme manière de « jouer sa vie ». Ou bien encore, à propos du Nouveau Roman et de ses interdits sur le personnage ou le « référent », Jean-Claude Larrat voit là l’expression d’une méfiance janséniste envers les images et leur pouvoir de séduction, au point de considérer ces positions ou postures théoriques comme une sorte de « jansénisme athée ».
En ce qui concerne l’analyse même des romans de Malraux, bon nombre de références appartiennent à l’horizon de pensée de l’auteur de La Condition humaine, comme Nietzsche, Bergson ou Georges Sorel – dont Jean-Claude Larrat montre bien l’importance. Mais parfois, s’instaurent des rapprochements inattendus entre Malraux et des penseurs venus d’un autre versant de la littérature, comme Roland Barthes ou Maurice Blanchot, dont les propos font étrangement pendant à la poétique malrucienne. Enfin, il existe un dialogue à rebours entre 221Malraux et des penseurs contemporains, dont les outils conceptuels éclairent l’œuvre après-coup. Ainsi, Jean-Claude Larrat reprend à Jean Baudrillard l’une de ses « oppositions les plus chères » quand il avance que « l’aventurier est celui qui renonce absolument à se faire “objet séduisant” afin de devenir “objet conquérant” » (« La métamorphose comme expérience de la liberté »). De même, il emprunte à Jean-Joseph Goux ses analyses sur la crise de la représentation dans Les Monnayeurs du langage pour l’antimimétisme de Malraux (« Malraux et la crise de la représentation »). Ou bien encore, il se tourne vers les deux essais de Peter Sloterdijk, Essai d’intoxication volontaire suivi de L’Heure du crime et le temps de l’œuvre d’art, pour la question de la « modernité » et « le passage de l’historicisme à l’actualisme » (l’histoire d’une communauté, au nom de la finalité qu’elle s’assigne, relève certains éléments et les valorise tandis qu’elle en écarte d’autres) (« La notion de civilisation dans l’œuvre d’André Malraux »). Mais c’est surtout à L’Anti-nature, de Clément Rosset, que l’on doit la contribution la plus suggestive. Aux yeux de Clément Rosset, l’histoire apparaît, au xxe siècle, comme « la forme moderne de l’idée de nature », au point que « le sens de l’histoire [a pris] le relais idéologique du sens de la nature » (« Nature et artifice dans l’œuvre d’André Malraux »). Thèse qui conduit à déshistoriciser l’histoire et à faire de l’idéologie le produit de l’imaginaire.
Voilà qui inviterait à de longues discussions, car les enjeux de telles propositions sont d’importance. Mais ce n’est pas ici le lieu. Il suffit en effet que ce compte rendu permette d’entrevoir le caractère stimulant d’un ouvrage destiné avant tout aux spécialistes de Malraux, mais susceptible en même temps d’intéresser bien au-delà.
Jacques Poirier
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Albert Camus, André Malraux Correspondance (1941-1959) (édition établie, présentée et annotée par Sophie Doudet), Gallimard, « Collection blanche », 2016, 160 p.
Dans ses deux substantielles études « Malraux dans le Combat de Camus » (Europe, 1989) et « Camus et Malraux, deux écrivains face à l’Histoire » (RLM, 1995), Jeanyves Guérin reconnaissait qu’il faudrait tout un ouvrage consacré aux relations de ces deux écrivains pour mettre en perspective leur création et leur vie dans le siècle. Paru plus de vingt ans après, avec l’édition de très nombreux nouveaux documents, le présent ouvrage va certainement contribuer à nous rapprocher de cet objectif.
La Correspondance entre Camus et Malraux établie, présentée et annotée par Sophie Doudet, spécialiste des deux auteurs, va de 1941 à 1959 et compte trente-huit lettres dont une moitié se compose de courts billets. Un bilan, reconnaissons-le, plutôt mince par son volume, et qui, s’il est assez dense au sujet de la publication des « trois Absurdes » de Camus sous l’Occupation, se réduit pour l’essentiel, après 1946, aux choses d’ordre pratique : sollicitations ou recommandations pour des tiers, qui émanent principalement de Malraux. Cet échange épistolaire risque de décevoir comparé à ceux, beaucoup plus fournis, que Camus entretenait avec ses aînés Jean Grenier, Louis Guilloux, Roger Martin du Gard ou Francis Ponge. Mais on sait que lorsqu’il s’agit des grands écrivains, une missive même très brève est susceptible de surprendre, de révéler des causes secrètes ou simplement d’amuser. Dans tous les cas, la publication de ces lettres, accompagnée d’une très riche et éclairante présentation, est sans aucun doute un support factuel dont il faudra désormais tenir compte dans l’approche des deux écrivains.
D’emblée, on doit apprécier le souci qu’a eu Sophie Doudet de renseigner le lecteur d’aujourd’hui grâce à une ample et précise annotation jointe aux lettres qui permet de préciser la situation de Camus dans les années de l’Occupation et dans la mosaïque du climat politique français après la guerre. De même, ce qui ajoute à la valeur de cette Correspondance, c’est la publication dans la partie « Annexes » de documents qui représentent 223des « nœuds » dans le dialogue épistolaire Camus-Malraux. Citons ici l’article du jeune Camus sur Malraux (1934) dans lequel, très sensible à la posture contemplative asiatique de son mentor Jean Grenier, auteur des Îles (1933), il se proclame cependant « européen », à l’instar des « conquérants » de Malraux. Mentionnons encore le texte de la mise en scène du Temps du mépris (1935) avec les renvois au roman, qui montrent les premiers pas de Camus dans l’apprentissage des procédés d’une adaptation théâtrale. On découvrira aussi le dossier concernant la parution de L’Étranger et le rôle capital que Malraux y a joué, les articles de Camus dans Combat qui font explicitement référence à Malraux, un véritable « phare » pour l’équipe du journal. On considérera de même l’article de Malraux « Staline et son ombre » (1949) dans lequel on pourra voir une réponse tardive à la lettre no 25 de Camus, et qui entre en résonance avec Les Meurtriers délicats et Les Justes et éclaire leur genèse (on se souviendra ici que c’est dans les romans de Malraux lecteur de Boris Savinkov que Camus a rencontré les figures des terroristes). Cet article est suivi d’une importante interview de Malraux (1958) sur la guerre en Algérie que Camus, on le sait, a vécue comme une tragédie personnelle. Et le dernier volet d’« Annexes » permet non seulement d’élucider le rôle décisif de Malraux ministre dans l’attribution d’un théâtre à Camus (1958-1959), mais encore de faire connaître certains principes de sa politique culturelle et, en particulier, théâtrale.
Très remarquable est la composition de la partie « Appendices » (Chronologie et Index) : sur fond de biographie générale des deux écrivains, Sophie Doudet met en lumière tous les grands moments de leurs « contacts », directs ou à travers des intermédiaires, les circonstances de leurs rencontres et les mobiles de telles ou telles de leurs démarches. Ces faits établis avec rigueur et précision permettent, à travers un vaste champ temporel s’étendant de 1920 à 1984, d’appréhender les différentes facettes de leurs relations, même posthumes.
La pièce maîtresse de l’ouvrage, l’« Avant-propos », est une étude bien construite et de lecture fort agréable qui donne un aperçu éclairant la nature et l’évolution des rapports complexes à plusieurs égards entre les deux hommes, « proches et lointains », selon le mot de Catherine Camus qui, d’après Sophie Doudet, insiste sur « la fidélité de reconnaissance » liant Camus à Malraux (p. 27). Une trajectoire qui va de l’admiration à l’éloignement, suivant des étapes qui sont marquées, 224tout comme leurs lettres, par le même infléchissement : « de l’amitié teintée de respect et d’admiration, écrit Sophie Doudet, à une fidélité inébranlable fondée sur l’estime ». En effet, ces relations ont pu être cordiales mais n’ont jamais été étroites ni affectives. Camus admirait Malraux qui, lui, estimait Camus comme un maître protégeant son élève ; « une relation », constate Sophie Doudet, « qui reste en bien des points asymétrique ».
À son commentaire tout à fait pertinent du rôle de Malraux, accompagnateur amical, attentif et généreux du jeune écrivain algérois, on pourrait sans doute ajouter que, si le premier a « adoubé » l’auteur de L’Étranger, c’est que les manuscrits de celui-ci confirmaient avec force et originalité ses propres idées et leur mise en images (il suffit de rappeler, entre autres, le procès de Meursault, réécriture de celui de Garine). Sophie Doudet montre ensuite comment, dans l’immédiat après-guerre, la politique a distendu les relations des deux écrivains qui se sont éloignés l’un de l’autre, mais ne se sont jamais affrontés. Elle remarque à ce propos qu’ils « ne jouent vraiment pas dans la même cour » et souligne la distance, à jamais infranchissable, qui les séparait dès le départ : l’âge d’abord, une demi-génération d’écart – l’un est encore lycéen à Alger quand l’autre est déjà célèbre – et puis les différences de tempérament, de formation comme de culture, judicieusement relevées, et, surtout, les choix civiques qui ont dû jouer par la suite.
Dans son article, les mêmes strates idéologiques et culturelles des deux œuvres sont nettement cernées. C’est la méditation psychologique, philosophique et lyrique sur la condition humaine, la révélation de l’absurde et la quête des valeurs qui aident à en dépasser la contradiction. À juste titre Sophie Doudet note la méfiance des deux auteurs à l’égard de toutes les avant-gardes ; leur vif intérêt pour le roman américain et tout particulièrement pour Faulkner ; leur amitié pour Roger Martin du Gard et Louis Guilloux ; enfin, l’influence très profonde que Nietzsche et Dostoïevski ont exercée sur les deux auteurs. De même, leurs engagements sont mis en parallèle, ceux de Malraux ayant dû stimuler les choix de Camus : Malraux romancier mais aussi Malraux journaliste à L’Indochine enchaînée, antifasciste et compagnon de route des communistes, combattant en Espagne et dans la Résistance, n’a jamais perdu son auréole aux yeux de son cadet. En 1957, à Stockholm, rendant un vibrant hommage à Malraux, en qui il reconnaissait « le 225maître de [sa] jeunesse », il précisait : « Il ne s’est pas borné à prêcher certaines valeurs, il a payé pour elles. » (OC, IV, 287)
Dans l’après-guerre, leur antisoviétisme s’inscrit dans la continuité d’une commune lutte antifasciste, mais Malraux ne sera plus un intellectuel de gauche. À ce propos, Sophie Doudet donne (p. 24) une explication convaincante des raisons pour lesquelles la correspondance de Camus, à partir d’octobre 1946, « s’endort » et marque de grands espacements. Nous sommes renvoyés à une lettre (no 28) écrite après une discussion orageuse entre Malraux, Koestler, Sperber, Sartre et lui-même, et qu’il relate dans ses Carnets. « Il s’est peut-être joué ce soir-là, remarque la biographe, non la fin d’une proximité (les lettres qui suivent manifesteront toujours une indéfectible estime), mais le début d’un malentendu qui s’insinue entre les deux hommes. » (p. 22) Ne serait-il pas plus judicieux d’y voir une première manifestation dramatique pour Camus des divergences dont les deux prennent conscience ? Car, comme le démontre par la suite Sophie Doudet, partageant souvent les mêmes valeurs, Malraux et Camus en tirent à ce moment des conclusions divergentes.
Malraux considère le général de Gaulle comme un homme providentiel et met alors en avant l’État-nation dont les soldats de l’An II seront désormais l’image emblématique. Camus, lui, refuse de s’inféoder à un parti politique et ne cache pas les réserves que lui inspire la création du RPF. À l’encontre de Malraux, foncièrement soucieux d’efficacité et qui a « une conception agonistique de la politique » (Jeanyves Guérin), Camus prend en libertaire ses distances avec l’État et compte sur le syndicalisme démocratique pour parvenir à une justice sociale. S’y ajoute aussi, dans l’immédiat après-guerre, le rapprochement de Camus avec Sartre et Simone de Beauvoir, alors que Malraux ne tient pas ces derniers en haute estime et situe alors Camus parmi « les âmes sensibles des Deux Magots » (Malraux, OC III, 635). On ne peut qu’adhérer à l’image que Sophie Doudet propose d’un Camus « antimanichéen », soucieux avant tout de « sauver les corps », un moraliste sensible à la souffrance de l’autre et « riche », selon son aveu, « de ses seuls doutes ».
En définitive, Sophie Doudet constate avec justesse les directions différentes que prend désormais leur travail littéraire et artistique : Camus continue à admirer l’œuvre romanesque de Malraux mais ce que celui-ci écrit après la guerre, quand il a abandonné le roman, ne semble pas enthousiasmer son cadet qui, écrivain reconnu, a trouvé 226sa voie. Interviennent aussi des susceptibilités et griefs personnels qui n’ont pas manqué de se manifester. La question algérienne entrera dans le débat, et quoique leurs interventions sur la torture et la répression aillent dans le même sens, Camus pour sa part préconise la conciliation entre les deux communautés ; lui, Pied-noir qui se considère comme un écrivain algérien ne pourra pas, nous semble-t-il, partager l’avis de Malraux qui affirme qu’« on continue la guerre parce que c’est une réponse à la ménagère qui réclame » (Chronologie, p. 115). En même temps, toujours d’après Sophie Doudet, « les deux hommes savent travailler de concert » : Malraux aide Camus dans ses démarches en faveur des militants algériens du FLN, comme il saura finalement débloquer une situation administrative délicate pour attribuer un théâtre parisien à Camus. À la mort de celui-ci, il adresse un message posthume sobre et pathétique à l’écrivain dont l’œuvre était « inséparable de la justice », message que l’auteur d’« Avant-propos » inscrit avec raison dans la continuité de leur correspondance.
L’ouvrage de Sophie Doudet incite encore à poursuivre l’étude de ce dialogue en élargissant l’espace de son exploration. À ce propos, on pourrait esquisser quelques repères ou suggestions :
–Concernant la réplique du dernier Malraux rapportée dans la Chronologie (p. 147), où manifestement l’écrivain force la note dans sa condescendance à l’égard de Camus : « Nous n’avions que Gallimard en commun. » Il y a eu cependant dans leurs vies des intermédiaires (interlocuteurs) qui les rapprochaient et, en premier lieu, Louis Guilloux et Jean Grenier (Voir les Carnets de ces derniers et leurs Correspondances avec Camus). À ce sujet, il serait opportun d’évoquer Jean Grenier et son Essai sur l’esprit de l’orthodoxie qui comprend une « Lettre à André Malraux » (1938, des extraits en avaient paru dans plusieurs numéros de la NRF dès 1936) où Grenier polémiquait avec l’auteur de L’Espoir sur la question de la liberté de l’esprit dans l’action révolutionnaire. Camus dans ce texte approuve et rejoint pour l’essentiel la critique de l’idéologie marxiste de Grenier, comme en témoigne sa lettre du 21 août 1935. En 1947, dans ses Carnets, il projette une « Étude sur Grenier : G. comme esprit opposé à Malraux. Et les deux ont conscience de la tentation que figure l’autre esprit. Le monde aujourd’hui est un 227–dialogue M.G. » (OC II, 1093). Dans L’Homme révolté, sur la question de l’asservissement de l’intelligence, Camus renvoie aussi le lecteur à l’Essai sur l’esprit de l’orthodoxie qu’il présente comme « un livre d’actualité » (OC III, 252). Signalons de même, un exemple de ces échanges concernant Guilloux : quand, à l’été 1947, Camus note dans ses Carnets les paroles que Guilloux lui rapporte de son entretien avec M7 sur l’ironie qu’il transpose ensuite dans sa Préface à « Maison du peuple » et s’approprie la réplique de Malraux en changeant ironie en sarcasme (OC II, 713-714 et 1088).
–Il faudrait peut-être relativiser l’affirmation de la « distance » avec laquelle, dans l’après-guerre, Malraux considère l’Espagne du temps de la Guerre civile. En effet, en 1973, après sa traversée à bord du Mermoz, il a décidé de revenir aux chapitres retranchés de L’Espoir. Il serait donc souhaitable, à ce sujet, de se référer à la publication par François Trécourt de ces inédits sous le titre « Une sorte de suite de L’Espoir » (OC II, 557-615), pages qui confirment l’aveu qu’il a fait quelques années avant sa mort : « La guerre d’Espagne s’éloigne, mais elle reste en mon âme mystérieusement vivante. »
–Enfin, on peut se demander avec Sophie Doudet, si « l’influence aura joué dans les deux sens » (p. 27) et dans quelle mesure elle a été réciproque. Ou encore avoir des doutes sur « l’intérêt soudain de Malraux pour la nature » lorsqu’il rédige La Lutte avec l’ange, un intérêt que Sophie Doudet pense attribuer au « panthéisme » de Noces qui aura pu inspirer Malraux (p. 20). Nous nous rappelons ici les admirables nocturnes dans l’écriture romanesque de Malraux, dans lesquelles sous un ciel millénaire les personnages ressentent le mystère même de l’existence humaine, des grandes scènes sur fond de nature marquées aussi par la volonté des personnages de réduire le « sentiment de la nuit » par la conquête fraternelle de toute la liberté et la « transfiguration du destin ». Plus probant à cet égard est effectivement le parallèle dressé entre La Lutte avec l’ange et Le Mythe de Sisyphe (p. 20) qui invite à réfléchir, entre autres, à la nature du lyrisme chez les deux auteurs.
« Nous ne pouvons sentir que par comparaison… », écrivait Malraux dès son premier essai sur l’art (1921). L’ouvrage publié par Sophie Doudet 228aidera certainement à mieux comprendre tant Malraux que Camus qui, en dépit de tout ce qui les séparait, sont restés proches sur l’essentiel : des valeurs et des engagements dont Malraux disait qu’ils leur « font honneur à tous les deux ». La lecture de ces pages en définitive incite fortement à revenir aux livres des deux auteurs liés par « une même exigence et vocation d’artiste » (p. 27).
Eugène Kouchkine
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Dominique Vaugeois, Malraux à contretemps. L’art à l’épreuve de l’essai, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, 2016, 297 p.
Le point de départ de ce livre est bien connu des spécialistes : les œuvres de Malraux, et en particulier ses écrits sur l’art, font actuellement l’objet d’une « désaffection » (p. 8) que le succès éditorial des deux volumes de la Pléiade parus en 2004 n’a pas effacée. L’objectif que s’est fixé Dominique Vaugeois n’est pas de démontrer la valeur intrinsèque de ces textes mais d’expliquer le « sentiment d’obsolescence » (p. 7) qu’ils inspirent, et d’analyser les présupposés sous-jacents aux réactions qu’ils ont suscitées au fil du temps.
Intitulé « Fantômes et profils : les figures du malentendu », le premier chapitre met en évidence la réception très contrastée des écrits sur l’art, abondamment commentés (et critiqués) au moment de leur parution mais ignorés des grands penseurs et historiens de l’art actuels – dont certains auraient pourtant pu y trouver une préfiguration de leurs propres thèses. Point d’allusion aux Voix du silence chez Pierre Bayard, par exemple, alors que sa remise en question de la conception traditionnelle de l’influence et ses réflexions sur l’anachronisme sont 229proches de certains développements des écrits sur l’art, comme le montre Dominique Vaugeois en faisant passer pour un extrait de Malraux un passage de Le Plagiat par anticipation après avoir substitué à ce terme cher à Pierre Bayard celui de métamorphose. L’auteure note aussi l’absence presque complète de toute référence à Malraux dans Devant le temps (2000) de Georges Didi-Huberman, dont les réflexions sur « le pouvoir décillant de l’anachronisme » (p. 20) rappellent à leur tour les développements sur la métamorphose. Si peu de penseurs se réclament aujourd’hui de Malraux, ses propres critiques et biographes se sont en revanche très rapidement appliqués à déceler les influences qu’il aurait subies et à présenter ses œuvres comme peu originales. Tout en suggérant que Malraux doit beaucoup plus à Carl Einstein qu’à L’Histoire de l’art d’Élie Faure qu’on lui a souvent reproché d’avoir compilée, voire plagiée, Dominique Vaugeois souligne la dimension éthique que peut avoir, chez certains commentateurs la réflexion sur l’usage que Malraux fait de ses sources, et qui ne lui a pas seulement attiré l’hostilité des historiens de l’art. Pierre Bourdieu a ainsi cru voir dans l’omission des références, dans le style péremptoire et dans les associations inattendues des indices de l’« arrogance » et de la « suffisance » de Malraux8, qu’il considérait à tort comme un représentant de l’élite bourgeoise. Parmi les autres facteurs expliquant l’absence de Malraux dans le discours actuel sur l’art, l’auteure évoque la séparation très nette qu’il opère entre les œuvres d’art et les phénomènes naturels susceptibles de déclencher des émotions esthétiques (un choix qui distingue son approche de celle de Jean-Marie Schaeffer, par exemple), ainsi que l’impression de décontextualisation à laquelle mène l’insistance sur le musée et sur l’intemporel.
Après avoir souligné dans quelle mesure le gaullisme de Malraux, sa position institutionnelle et son mode de vie au moment de la publication des écrits sur l’art ont pu influencer certaines de ces lectures, notamment celles qui soulignent sa prétendue indifférence à l’égard des réalités sociales et politiques, Dominique Vaugeois s’interroge dans le deuxième chapitre sur la validité des modèles interprétatifs à l’aune desquels les écrits sur l’art ont été lus et analysés. Dès leur publication, ces textes ont en effet été jugés par des historiens de l’art professionnels en fonction des critères propres à cette discipline. Certaines critiques 230formulées dans ce contexte – celles de Georges Duthuit notamment – sont aujourd’hui faciles à réfuter : des recherches récentes confirment les intuitions de Malraux concernant l’art bouddhique du Gandhara. Les études de Michel Melot et Jean-Pierre Zarader ont par ailleurs souligné la parenté entre les écrits sur l’art et d’autres champs disciplinaires (la médiologie et la philosophie notamment), et le livre de Derek Allan9 a mis en évidence la cohérence de la pensée de Malraux sur le plan philosophique, en montrant qu’elle est fondée sur la conviction que l’art constitue une réponse au monde « réel » ressenti comme dénué de sens. Or, c’est peut-être précisément cette « inquiétude métaphysique » (p. 99) sous-jacente à sa réflexion esthétique qui explique l’indifférence des lecteurs et des spécialistes actuels : ils ne la partagent pas forcément.
C’est leur dimension métaphysique aussi – et elle seule – qui permet de rapprocher les écrits sur l’art des romans de Malraux. Dominique Vaugeois se montre en effet critique à l’égard des approches consistant à faire appel aux grands genres canoniques pour lire Les Voix du silence ou La Métamorphose des dieux, qui ne sont ni des « romans de l’art » (p. 101) ni des poèmes. La récurrence avec laquelle leur lyrisme ou leur valeur littéraire d’une manière générale ont été soulignés (souvent pour déresponsabiliser Malraux en le situant du côté de la littérature et non dans le champ disciplinaire de l’histoire de l’art) montrerait surtout que ces textes sont bien des « œuvres de “diction” » (p. 127). Aussi l’auteure se propose-t-elle, dans le troisième chapitre, de « lire les écrits sur l’art de Malraux comme des essais » (p. 129).
Il est vrai que la longueur de ces textes, leur division en chapitres et même la conviction avec laquelle Malraux y expose ses thèses ne correspondent guère aux attentes du public envers ce genre. Pourtant, comme d’autres grands essayistes (Valéry et Gide notamment), Malraux tend à citer de mémoire, propose de nouvelles notions sans les définir de manière stable et se livre à des recherches stylistiques. Les écrits sur l’art abordent par ailleurs des problèmes soulevés par des essayistes contemporains de Malraux, comme le thème de la « permanence » et du « changement10 » évoqué par Jean Grenier dès 1930, ou la question de la 231« ressemblanc[e] » entre des œuvres dont les auteurs s’ignorent, pointée par Merleau-Ponty11, enfin le thème de la « valeur de l’art » (p. 154), qui permet d’inscrire Malraux dans la continuité d’Emmanuel Berl (Mort de la pensée bourgeoise, 1929) et de Benjamin Crémieux (Inquiétude et reconstruction. Essai sur la littérature d’après-guerre, 1931). Vus sous cet angle, les écrits sur l’art développent des idées que Malraux avait déjà traitées dans des textes de la fin des années vingt (« D’une jeunesse européenne ») et qui participent pleinement du « climat philosophique et éthique » (p. 155) de cette époque, marquée par la conscience de la mort et « l’expérience de l’absurde » (p. 156). On peut évidemment s’interroger sur la validité des réponses qu’il apporte à ces questions. À ceux qui l’ont accusé de promouvoir un humanisme trop axé sur les valeurs occidentales ou sur une conception « patrimoniale et nationale » (p. 157) de la culture, Dominique Vaugeois répond que ses écrits sur l’art ont un caractère « résolument anti-national » (p. 160) dans la mesure où ils contestent de manière véhémente le déterminisme, indissociable du nationalisme du début du xxe siècle (notamment chez Barrès). Elle souligne aussi que les écrits sur l’art tendent moins à démontrer et à construire qu’à remettre en question, comme en témoigne un fragment inédit où Malraux présente le « Musée Imaginaire » comme « problématique et non dogmatique12 ».
Centré sur des questions d’énonciation, le dernier chapitre étudie les dispositifs rhétoriques qui contribuent à « la construction d’une autorité » (p. 196) et dont certains ont pu irriter les commentateurs et notamment les historiens de l’art. Une place de choix revient à la récurrence du pronom personnel « nous », qui ne renvoie pas à un savoir partagé comme dans le discours académique mais qui fait appel à la communauté future de ceux qui aiment et admirent l’art, et dont le lecteur est invité à faire partie. Parmi les autres « source[s] de provocation » (p. 213), Dominique Vaugeois signale une forme de péremption qui se manifeste à travers des comparaisons en série et des affirmations totalisantes, voire des lapalissades dotées d’une « valeur persuasive » (p. 219). Or, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces figures 232ne sont pas toujours exemptes d’auto-ironie. Loin d’être un « style d’idéologue » (p. 221), le mode d’expression choisi par Malraux serait ainsi un « style d’énergumène » (p. 228), à condition de désigner par le mot « énergumène » cette « qualité propre à une certaine génération d’écrivains des années vingt qu’Albert Thibaudet nomme “énergie13” » (p. 231). L’« énergie » que l’on admire dans les écrits sur l’art témoigne moins de l’intensité de l’expérience esthétique que l’écrivain chercherait à évoquer, que d’une interrogation incessante.
On ne peut que remercier Dominique Vaugeois d’avoir mené son enquête en s’interdisant à la fois de « défendre » et d’« accuser » (p. 14) : les textes de Malraux ont en effet souffert autant des critiques destructrices que des éloges dithyrambiques. Il était temps aussi de les confronter à d’autres essais, peu cités dans les études malruciennes, et de montrer dans quelle mesure ils annoncent, par certains aspects, des problématiques très modernes tout en étant ancrés dans leur époque. Écrit d’une plume alerte et reposant sur une excellente connaissance de l’évolution de l’histoire de l’art et du genre de l’essai, ce livre ne retrace pas seulement avec brio la réception des écrits esthétiques de Malraux, comme le suggère la quatrième de couverture, mais il en propose aussi une lecture très novatrice, comme si la recherche des pierres d’achoppement et des effets rhétoriques susceptibles d’irriter les commentateurs avait permis de mettre au jour les facettes les plus originales de ces textes. Le développement sur le pronom personnel « nous » est remarquable à cet égard, tout comme la réflexion sur la comparaison bourdieusienne entre Malraux et le Facteur Cheval.
Myriam Sunnen
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Sylvie Howlett, Les plus belles fulgurances d’André Malraux (illustrations de Loïc Sécheresse), Gallimard, coll. « Folio entre guillemets (no 13) », 2016. 160 p.
À l’occasion des quarante ans de la disparition de l’écrivain, les Éditions Gallimard ont eu l’excellente idée de publier Les plus belles fulgurances d’André Malraux, un recueil dense et foisonnant de citations pertinemment réunies par l’agrégée de lettres modernes et docteur ès lettres Sylvie Howlett, qui a publié de nombreux articles et une étude magistrale, Dostoïevski, démon de Malraux. L’ouvrage est illustré avec vivacité et humour par l’auteur de bandes dessinées Loïc Sécheresse.
Les plus belles fulgurances traversent les œuvres, la correspondance et les discours de l’écrivain engagé. Cette anthologie rassemble autour de trente et une entrées thématiques une sélection de citations les plus brillantes de l’écrivain, éditeur, aventurier, journaliste ou archéologue, engagé précoce aux côtés des républicains espagnols, rejoignant tardivement la Résistance, esthète et philosophe, agnostique ayant le sens du sacré, de la transcendance, homme politique d’une intelligence corrosive et d’une grande culture artistique.
Tour à tour plaisantes, incisives, philosophiques et politiques, les citations retenues, tirées tant de son œuvre romanesque, de ses écrits sur l’art que de ses textes mémoriels offrent un portrait original, exalté, de celui qui était le reflet de toute une génération et qui a incarné aussi une certaine idée de la culture, de la littérature et de l’Art. Elles mettent en lumière les fulgurances d’une pensée et d’un style, tout en dégageant les thèmes malruciens prédominants, tels le farfelu, la foi de l’agnostique ou encore l’art et la vie…
Les citations de Malraux sont éblouissantes, comme ses idées sur le « surmonde de l’art » et sur ses métamorphoses. Il se montre brillant, capable d’intuitions foudroyantes qui incitent à la réflexion et stimulent l’imagination du lecteur, lui permettant de pénétrer dans l’univers d’un écrivain qui « écrit pour posséder [ses] songes ». Et ces citations aux tonalités variées alternent notamment aphorismes percutants, formules 234resserrées au sens évident ou parfois mystérieux, voire carrément drôles et poétiques, et développements argumentatifs, épanchements lyriques, élans incantatoires ou apostrophes solennelles, l’écrivain maniant avec autant d’art le raccourci et l’emphase.
En fin de compte, avec ce florilège destiné à un vaste public on apprendra beaucoup de choses sur l’écrivain qui avait un sens curieux de la littérature, entre le journalisme et la rhétorique d’un Bossuet ou d’un Chateaubriand !
Bel hommage d’une vitalité s’exprimant dans d’incessantes métamorphoses, cette anthologie de citations, célèbres ou plus rarement rencontrées, va permettre à ceux qui ne connaissent pas Malraux de le fréquenter d’une manière originale, légère, savoureuse et intelligente.
Aziz Bennis
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François de Saint-Cheron, Malraux et les poètes, Hermann Éditeurs, 2016, 294 p.
Alors même qu’il cite assez fréquemment des vers et qu’il a côtoyé de nombreux poètes au cours de sa vie, la relation de Malraux à la poésie n’a guère suscité de travaux d’envergure jusqu’à ce que deux études paraissent en 2016 : Malraux et les poètes de François de Saint-Cheron et Malraux et la poésie de Mamadou Abdoulaye Ly14. Certes, la « parenté spirituelle » (p. 31) liant Malraux à Baudelaire a très tôt suscité l’intérêt des critiques15 ; le numéro de La Revue des lettres modernes consacré à la « question des genres littéraires » (2009) contient un dossier intitulé 235« Poésie16 » et on trouve par ailleurs d’assez nombreuses notices relatives à des poètes dans les deux Dictionnaires Malraux. Mais il était temps que ces analyses ponctuelles soient complétées par des études plus systématiques, rendant compte à la fois des réflexions de Malraux sur la poésie en tant que genre, de l’intertexte poétique dans son œuvre et des contacts qu’il a entretenus avec les poètes de son temps. Complémentaires, les deux études parues en 2016 comblent cette lacune.
En s’appuyant sur l’œuvre malrucienne et sur différents documents d’archives peu exploités, François de Saint-Cheron étudie le rapport de Malraux à toute une série de poètes français et étrangers. S’inscrivant dans la continuité du travail éditorial que l’auteur a effectué au cours des dernières années17, le livre a l’immense mérite d’attirer l’attention sur des contacts insoupçonnés et de révéler de nombreux documents inédits. Si les poètes français ou francophones sont majoritaires parmi les auteurs sur lesquels Malraux s’est prononcé ou avec lesquels il a été en contact, François de Saint-Cheron met aussi en évidence son admiration pour la poétesse juive d’expression allemande Nelly Sachs et pour Shakespeare. La présence de celui-ci montre bien que le mot « poésie » est compris au sens large et non au sens strictement générique, tant dans les textes de Malraux que dans l’étude de François de Saint-Cheron. De fait, quand Malraux affirme que « l’interrogation de Shakespeare est la source de sa plus haute poésie18 », il ne songe pas aux sonnets du grand auteur anglais mais à ses pièces. Macbeth et Le Marchand de Venise sont en effet souvent cités dans les essais de Malraux, à l’égal des pièces de Corneille et de Claudel ; il était donc opportun d’en faire état dans cette étude.
L’ordre dans lequel les différents poètes sont présentés dans les trois premiers chapitres du livre n’est pas dicté par l’histoire littéraire mais par les liens littéraires et personnels que Malraux a entretenus avec eux. 236Le premier chapitre est consacré aux poètes dont il se sentait proche en raison de leur « goût pour l’héroïsme et la grandeur » (p. 10) (notamment Hugo), ainsi qu’à ceux dont il admirait le lyrisme. Évoqués dans ce contexte, Claudel et Saint-John Perse sont, avec Blaise Cendrars, les « poètes du xxe siècle dont Malraux a le plus aimé les œuvres » (p. 249). Dans le deuxième chapitre sont abordés les représentants de la modernité, chez qui Malraux a admiré le « goût de la fulguration, de la dissonance et aussi de la fantaisie » (p. 10) : Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud, Apollinaire, Max Jacob, Blaise Cendrars, André Salmon, André Breton et Léopold Sédar Senghor. Enfin, le troisième chapitre regroupe les poètes dont la destinée personnelle fut marquée par le tragique mais dont les textes laissent deviner « un passage, une percée, fût-elle éphémère, du tragique vers la lumière » (p. 64). Paul Verlaine, François Villon, Charles Péguy, Nelly Sachs, Nathan Altermann (poète israélien découvert grâce à Israël de Nicolas Lazar et Izis), Friedrich Nietzsche et François d’Assise sont cités dans ce contexte.
L’impact que les textes de certains poètes ont eu sur l’œuvre de Malraux est souligné à travers des rapprochements très convaincants, comme le parallèle entre les « nuages bas et lourds » qui semblent écraser Tchen et ses camarades dans une scène de La Condition humaine et le fameux « Spleen » de Baudelaire (p. 36). Attentif aux échos et aux affinités, François de Saint-Cheron ne l’est pas moins aux silences, tout en se montrant prudent à l’égard des interprétations qui en ont parfois été faites. Malraux ne se sentait en effet attiré ni par l’« aspect clanique » (p. 57) du surréalisme ni par l’écriture automatique mais il n’en a pas moins estimé l’œuvre individuelle de certains poètes, comme Breton. L’auteur souligne par ailleurs à juste titre que « Malraux ne cite jamais les grands textes critiques sur la poésie qui ont accompagné son époque : ceux, par exemple, d’Albert Thibaudet, de Marcel Raymond ou de Jean-Pierre Richard » (note 171, page 172).
L’étude à proprement parler est suivie d’un choix de lettres occupant quasiment les deux tiers du volume. Y sont reproduits des échanges avec Max Jacob, Robert Desnos, Paul Claudel, Eugène Guillevic, Jean Grosjean, André Frénaud, André Breton, Saint-John Perse, Pierre Mac Orlan, Francis Ponge, Jean Cocteau, André Salmon, Michel Leiris, Pierre Emmanuel, Pierre Jean Jouve et Léopold Sédar Senghor. Presque toutes inédites, ces lettres révèlent, dans certains cas, l’intérêt de Malraux pour 237des œuvres et des poètes sur lesquels il ne s’est jamais prononcé dans aucun article ou essai : l’échange avec André Frénaud en est l’exemple le plus évident. Cette correspondance croisée constitue aussi le « seul échange apparemment complet » (p. 81) qui ait pu être publié dans ce livre. Si même les échanges réduits à quelques lettres, voire à la correspondance reçue, sont à la fois passionnants et agréables à lire, c’est en partie grâce au remarquable travail éditorial de François de Saint-Cheron. Sans les précisions données au seuil de chaque sous-chapitre, beaucoup de lettres seraient en effet incompréhensibles, comme par exemple les missives d’André Breton relatives aux suites judiciaires de sa mésaventure dans la grotte préhistorique de Cabrerets, où, en juillet 1952, il avait « passé le doigt sur une figure de la “chapelle des mammouths” » (p. 207). Qu’elles concernent un mot hébreu commenté par Jean Grosejan, les opinions politiques de Michel Leiris, qu’il faut connaître pour apprécier à sa juste valeur la « fidélité » dont il remercie Malraux dans une lettre (p. 234), ou des allusions à des personnalités difficiles à identifier pour le lecteur (comme les amis prêtres évoqués par Jean Grosjean), les notes de François de Saint-Cheron sont particulièrement éclairantes, comme le sont par ailleurs les textes reproduits en appendice (un poème de Jean Grosjean dédié à Malraux, un texte d’André Frénaud, l’« Hommage à André Malraux » de Francis Ponge publié en 1977 et l’allocution prononcée par Malraux le 15 mai 1959 au Festival de Cannes). Ces textes sont suivis d’une chronologie qui permet même aux lecteurs peu familiarisés avec la vie et l’œuvre de Malraux de découvrir sa correspondance et, à travers elle, les coulisses des éditions Gallimard, les difficultés liées à la traduction de l’Ancien Testament, les projets de certains de ses amis poètes…
Si le livre de François de Saint-Cheron propose une analyse nuancée et remarquablement documentée des rapports de Malraux aux poètes, les lettres les plus fascinantes qui y sont reproduites ne sont pas forcément celles qui concernent la poésie à proprement parler. Ce n’est pas sans émotion que l’on découvre les premières missives de Jean Grosjean, qui portent encore l’adresse du camp de prisonniers (« Kriegsgefangenenlager ») où il les a écrites. Beaucoup de passages ont le mérite de souligner les qualités humaines de Malraux, comme sa générosité et sa bienveillance à l’égard des poètes demandant son aide. L’humour qui transparaît dans d’autres missives nuance par ailleurs le portrait que certains de ses proches ou biographes ont dressé de lui. On saura gré aussi à François de 238Saint-Cheron d’avoir publié la « fervente » (p. 220) missive que Francis Ponge (rarement associé à l’auteur de La Condition humaine) a adressée à Malraux en octobre 1972. Enfin, les développements de Pierre Emmanuel sur Antimémoires dans une lettre d’octobre 1967 sont passionnants et méritaient pleinement d’être portés à la connaissance des spécialistes. Le choix de consacrer cette étude non pas à la poésie mais aux poètes s’avère par conséquent parfaitement justifié.
Myriam Sunnen
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Jean-René Bourrel, Le Paris de Malraux, Éditions Alexandrines, 2017, 120 p.
A. « Vous l’avez lu ? »
B. « Assurément, avec grand plaisir. »
Vous pourrez l’emporter partout, il se glisse dans une poche, au fond d’un sac. Vous le lirez en voyage, dans un jardin… Il ne vous encombrera pas, il vous accompagnera.
A. « Et ce plaisir, d’où le tenez-vous ? »
B. « Ce petit livre m’a immergée dans le Paris des années trente, dans ses festivités, ses restaurants à la mode, ses célébrités. Il a fait revivre un monde qui n’est plus, certes pas exempt de tensions, luttant déjà contre les oppressions à venir, mais coloré, bigarré, avide de divertissements. Un Paris qui accueille beaucoup d’étrangers, un Paris des audaces, des avant-gardes, un Paris carrefour, qui ose la modernité, le scandale, la ferveur. »
A. « Et Malraux dans tout ça ? »
B. « Étonnant. »
Voyez-vous, il y a une question, que je me suis posée depuis longtemps : comment ce jeune homme parti au Cambodge, arrêté, comme vous le 239savez, par les autorités locales, comment se trouve-t-il par l’intermédiaire de sa compagne Clara revenue en France, défendu par toute l’intelligentsia, allant de Breton à Mauriac, alors qu’il n’a pas encore publié son premier roman ? Ce mystère se trouve résolu dans ces pages. Ce n’est pas un des moindres apports de Jean-René Bourrel que de dévoiler une personnalité, certes fantasque et peut-être mythomane, mais parfaitement capable de se placer là où vont s’entrecroiser des figures prépondérantes de la poésie, du théâtre, de la peinture. C’est avec une minutieuse précision qu’est retracé l’itinéraire du jeune dandy. À l’origine, il vient d’un milieu modeste ; à chaque rencontre, une possibilité se fait jour. Rencontre-t-il René Louis Doyon ? S’ouvre à lui l’univers des livres et de l’édition. Il fréquente Max Jacob ; le poète l’introduit auprès du galeriste Daniel Henry Kahnweiler. C’est au tour de Pascal Pia de croiser son chemin ; les voici tous deux à se spécialiser dans les ouvrages libertins. De ces opportunités vont advenir des amitiés et des activités. Mais ce sont bientôt des pages qui vont naître. De sa rencontre avec Marcel Arland découle une collaboration avec Gallimard, et voici le jeune impétrant rédigeant dès avril 1922 une sagace analyse de « ce contemporain capital » qu’est André Gide. La découverte des œuvres du peintre et graveur Galanis l’engage à rédiger une préface pour le catalogue de son exposition en 1926. Grâce à l’intervention de Mauriac, Malraux signe un nouveau contrat pour trois livres avec Grasset. Rarement il a été mis à jour combien le jeune Malraux sait mettre à profit les relations humaines, capter les opportunités dont peut-être un autre n’aurait rien tiré, et immédiatement entrer dans le jeu du partenaire et lui proposer des vues nouvelles. Réactivité, inventivité… des atouts pour la vie.
A. Que pensez-vous de l’approche du critique ?
B. À l’image d’une biographie, l’ensemble suit la chronologie, comprenant sept chapitres. Les titres des deux derniers chapitres – “Paris comme volonté”, “Paris comme représentation” – réfèrent directement à Schopenhauer. Le style est fluide, non dénué d’humour quelquefois, les informations précises, étayées sur quatre pages de notes, qui ont dû être condensées pour répondre aux exigences de la collection. La documentation est en effet solide et variée, puisant tour à tour dans des entretiens (avec Jean Vilar, Jean-Marie Drot, Pascal Payen-Appenzeller), des journaux (Magazine littéraire, Le Monde, Le Figaro, Le Nouvel Observateur), des discours (Discours à l’Assemblée nationale du 23 juillet 1962), 240des lettres (à Claude Gallimard), faisant aussi référence à des ouvrages (René-Louis Doyon). Jean-René Bourrel a eu raison de mettre en valeur les documents liés à l’oralité, qui sont souvent moins connus.
A. N’aurez-vous aucune réserve ?
B. Si, comme dans toutes choses.
Certes, le critique sait prendre ses distances par rapport à la mythification qui est toujours perceptible chez Malraux : ainsi, lorsqu’il se présente « révolutionnaire chinois », « chef du Jeune-Annam » (p. 26), ces termes sont rapportés avec une certaine ironie, ce qui crée une complicité avec le lecteur. Toutefois, dans d’autres circonstances, Jean-René Bourrel intervient en soutenant Malraux, pour cautionner par exemple son entrée tardive dans la Résistance ou pour minimiser quelques décisions regrettables du ministre à l’égard d’Henri Langlois ou de Jean-Louis Barrault (p. 91). La visée n’est pas hagiographique, mais elle tempère le point de vue critique face à des choix ou des postures de Malraux discutables.
A. Un conseil aux lecteurs ?
B. Se procurer cet ouvrage pour découvrir, avoir parfois un sourire aux lèvres face à ce Paris qui brusquement renaît, s’interroger. Pour Malraux, il n’est pas d’activité plus saine.
Évelyne Lantonnet
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Évelyne Lantonnet, André Malraux ou les Métamorphoses de Saturne (préface de Brian Thompson), L’Harmattan, coll. « Espaces littéraires », 2017, 285 p.
En 1950, Malraux fait paraître Saturne. Le Destin, l’Art et Goya. Cette divinité romaine, évoquée également dans L’Irréel quand l’auteur analyse Melencolia I de Dürer, fournit à Évelyne Lantonnet le titre de son 241essai. Non que Saturne occupe une place centrale dans la mythologie malrucienne puisqu’à la différence de ces écrivains qui s’identifient à une figure de prédilection, l’auteur de La Condition humaine se reconnaît en de nombreux personnages mythologiques (Prométhée, Antigone, Çiva…). Mais si elle ne constitue pas une métaphore obsédante, la figure de Saturne vaut par sa polysémie. Comme le rappelle Évelyne Lantonnet, le Cronos des Grecs, ce dieu monstrueux, incarne d’abord le chaos (il émascule son père, dévore ses enfants…), avant que les Romains ne l’associent à l’âge d’or et les temps modernes à la mélancolie. Que Malraux fasse appel à des mythes n’est pas pour surprendre car « il est au contact permanent avec l’imaginaire ». La vraie question concerne donc le choix de ce mythe particulier qu’est Saturne, dont le nom convoque avant tout une menace : le chaos, l’informe, le fatum. Menace qui impose à l’homme de faire face et invite l’artiste à répondre par le recours à des formes.
Si Saturne possède une telle prégnance, c’est qu’en lui « le Temps s’incarne » (p. 93), explique Évelyne Lantonnet. Et pourtant, chez Malraux, le temps ne constitue pas une catégorie a priori, du fait que l’espace et les éléments sont premiers. Évelyne Lantonnet nous propose ainsi une lecture bachelardienne de l’eau et de la terre chez Malraux, sensible aux mythes chtoniens. Et elle montre que c’est en géographe, et non en historien, qu’il dessine la carte du monde quand il oppose l’Orient et l’Occident, l’Asie et l’Europe. Or c’est justement ce clivage qui introduit le temps puisque l’Europe, et plus largement l’Occident, ont fait allégeance à Saturne. « Saturnien », l’arrière-plan historique des romans malruciens rend palpable le passage du temps, notamment dans La Condition humaine, avec les dates et les heures qui ponctuent le récit. À un autre niveau, le caractère saturnien de ces récits touche à la question du père et du fils, si prégnante dans les romans (Kyo/Gisors dans La Condition humaine, Alvear/Jaime dans L’Espoir, les trois générations de Berger dans Les Noyers…). En un écho diffracté de l’histoire familiale de l’auteur (un père absent ; lui-même peinant à incarner la fonction paternelle), la paternité biologique – si problématique dans le mythe de Cronos – cède volontiers la place à des filiations et des paternités électives, un peu comme Malraux lui-même finit par rencontrer son “vrai” père en la personne du général de Gaulle.
242Mais alors que les « saturniens » acceptent la destinée qui est leur, Malraux procède à un véritable « reniement de Saturne » au sens où l’on parle du « reniement de Pierre », suggère Évelyne Lantonnet. C’est en cela que, très profondément, Malraux est l’homme du « non » – ce « non » dont l’œuvre entière décline tous les possibles (« le “non” métaphysique d’Antigone », « le “non” politique du général de Gaulle », « le “non” esthétique de Goya », p. 93-94). Et c’est également au temps héraclitéen que l’œuvre dit « non ». Alors que La Condition humaine est marquée du sceau de l’histoire, Les Noyers de l’Altenburg s’affranchit de la chronologie ; de même que les Antimémoires rompent avec toute forme de téléologie (des situations successives qui destineraient à devenir « André Malraux »). Sont ainsi mises en congé deux instances trop souvent corrélées : le moi et le temps. Et tout comme André Malraux tente d’échapper à Saturne dans les Antimémoires, dans les romans des personnages font le choix du reniement, à travers le farfelu comme par le biais de l’aventure – quand bien même l’échec est au bout du chemin.
Une même contestation du temps traverse les écrits esthétiques (notamment Les Voix du silence et La Métamorphose des dieux), qui rompent avec l’historicisme cher aux spécialistes de l’art, prisonniers d’un modèle emprunté à la biologie (enfance/maturité/déclin). Pour Malraux, on ne peut donc dire que l’Égypte constitue une « enfance » de l’art et de l’humanité, mais seulement un de ses possibles. Or, dès lors qu’on s’affranchit de la loi d’airain de la chronologie, on s’ouvre à une temporalité « orientée vers un devenir », cette temporalité féconde de la métamorphose. L’œuvre d’art apparaît en effet comme l’ultime recours, ainsi qu’on le voit dans la IIIe Partie : « La création : remédiation à l’Irrémédiable ? » Il faut croire que, de ce combat, l’issue est incertaine car chaque grand créateur doit recommencer à lutter, comme il en va de Picasso et de Goya. Picasso, évoqué dans L’Intemporel, est au cœur de La Tête d’obsidienne, ce texte singulier publié un an après la disparition du peintre, et dont le titre à lui seul résume l’essentiel : ce crâne, venu de Mexico, qui représente la mort, avec à l’arrière-plan les sacrifices humains des Aztèques, mais qui témoigne avant tout de la puissance de l’art, du côté de la vie. On retrouve cette tension quand, à l’image saturnienne du Minotaure, Picasso oppose le petit bonhomme des Cyclades, « sculpteur sans nom » qui n’aura cessé de « se battre contre la peinture depuis Altamira » et dont le pouvoir tient à la capacité de métamorphose. Il en va un peu de même chez Goya, que Malraux fréquenta de longue date 243et dont il met en avant la dernière période. Dans son essai de 1950, Saturne. Le Destin, l’Art et Goya, le titre place d’emblée le peintre sous la dépendance des dieux. Or, pour Malraux, le propre de Goya, qui a représenté Saturne dans toute sa violence archaïque sous les traits d’un vieillard gigantesque dévorant un homme, tient à ce que, à mesure que ses forces le lâchent, il oppose au Destin une fécondité sans pareille. Réinventant la peinture jusqu’à remettre en cause la notion de représentation, il n’aura cessé de renaître à lui-même. C’est donc bien dans leur vieillesse que les Maîtres procèdent à un « reniement de Saturne » par une ultime métamorphose, à l’instar de Michel-Ange et du Titien quand, exécutant une dernière Pietà, ils se libèrent des Dieux et donc quittent le Surnaturel pour l’Irréel.
On le voit à ce rapide aperçu, la figure de Saturne permet à Évelyne Lantonnet de (re)mettre en perspective l’ensemble de l’œuvre d’André Malraux et, par-delà le multiple (les romans, les essais…), d’en faire apparaître l’unité profonde. Surtout, loin de se limiter à une simple description, ce travail, bien écrit et bien présenté (une bibliographie, des index), procède à un renversement au terme duquel le négatif (la menace du temps) révèle la fécondité qui est sienne puisque de là procède l’œuvre d’art. Le monde des formes venant ainsi répondre à l’attente impossible qui est celle de l’agnostique épris d’absolu.
Jacques Poirier
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« Dossier André Malraux », in Frankofoni, Ankara, Tuğrul Inal [éd.], no 30, Février-Mars 2017, p. 85-170.
Éclairer les différentes facettes de la personnalité de Malraux n’est jamais insignifiant lorsque, pour célébrer le quarantième anniversaire de 244sa disparition, c’est la bien nommée revue turque d’études et de recherche Frankofoni qui en prend l’initiative, puisque sa diffusion en est assurée aussi bien en Europe de l’Est et de l’Ouest que dans les Balkans bien sûr. Et s’il fallait déceler une unité dans les sept articles réunis dans ce « Dossier André Malraux », c’est dans l’équilibre qui a été trouvé entre ce qui devait être rappelé à des lecteurs pas nécessairement informés des thématiques premières de l’œuvre ou de la biographie de cet écrivain qui aura su brouiller les frontières, et le dépassement qu’apportent de nouveaux éclairages comme un appel au ressourcement de notre regard sur sa pensée : une sollicitation pressante à envisager la métamorphose de son œuvre.
Dans la contribution qui inaugure ce dossier : « Portrait de l’artiste en rival fraternel : Georges Didi-Huberman et André Malraux », Jean-Pierre Zarader reconnaît l’honnêteté intellectuelle du critique des écrits sur l’art de Malraux, mais il soupçonne l’approche transdisciplinaire que l’historien de l’art / philosophe applique dans son Album de l’art à l’époque du Musée Imaginaire de le conduire à des ambiguïtés tant il feint de ne pas comprendre certaines notions, telle celle de la dimension conceptuelle du Musée Imaginaire qui permet de maintenir son ouverture à tous les champs grâce à la métamorphose ; à quelques reproches qui s’en trouvent stériles dès qu’est clarifié le fait que Malraux ne désire ni créer une nouvelle esthétique, ni croiser l’art et l’histoire ; à quelques confusions au sujet du “nous” de majesté et de l’esprit des artistes ou encore à propos du rejet de la notion d’influence, jusqu’à cette interrogation sur le statut des écrits sur l’art qui ne porteraient pas la trace d’une écriture, lorsque se poserait l’enjeu de sa survie. La vénération rebelle de Georges Didi-Huberman l’aurait-elle convié à rêver (et peut-être à son insu !) s’interroge l’auteur, d’être le Malraux du xxie siècle ? Un Malraux qui aurait réussi à concilier – à réconcilier –, l’esthétisme et l’historicisme pour une nouvelle forme d’écriture sur l’art. Or, nous rappelle-t-il, le génie de Malraux n’a pas fait l’impasse sur la transfiguration que motivait le passage du roman à ses écrits sur l’art (ce dont l’inachèvement de La Lutte avec l’Ange porte la trace), dès lors que l’interrogation a excédé le genre romanesque en exigeant une nouvelle forme d’écriture à la frontière de la philosophie et de la littérature.
Sur un autre plan, dont les termes pourraient expliquer l’origine de quelques griefs exposés plus haut à l’encontre de Malraux, l’article suivant de Jean-Claude Larrat : « Malraux l’inattendu (ou) Malraux, l’homme des métamorphoses » offre une étude de la relation de la personnalité multiple 245et du tempérament labile de Malraux avec le « mythe » qu’il aura contribué à créer de sa personne. C’est cette logique déroutante, énigmatique dont est mu l’écrivain que l’auteur tente de démêler au travers de trois des obsessions qui transparaissent dans ses écrits : l’œuvre (Malraux romancier et mémorialiste), l’unanimité (Malraux essayiste, théoricien des arts plastiques) et le mythe mobilisateur (Malraux et son parcours politique). Un choix qui s’avère être pertinent lorsque sont montrés et réévalués de front les actes, les engagements, les humiliations en un seul mythe et celui de la fraternité, avec les écrits où apparaît comme une clé la cohérence de son parcours politique. C’est ainsi qu’au fil de cette démonstration et de ses développements se dresse un homme qui vécut pleinement son siècle en ses métamorphoses pour autant d’expériences passées aussitôt au filtre de la création, tandis qu’apparaît bientôt la figure de l’artiste qui a remplacé sa vie par une œuvre et qui est seul à réussir l’expérience de l’altérité, alors que notre civilisation individualiste n’est plus capable de l’unanimité nécessaire à la formation d’un grand art, puisque « l’art est la seule forme d’expérience métaphysique accessible à l’homme ».
C’est cette expérience métaphysique, conduite jusqu’à son point ultime, qu’approfondit ensuite Évelyne Lantonnet dans un véritable essai, en instruisant un projet d’exposition d’André Malraux sur « La Vieillesse des maîtres » d’après les Écrits sur l’art. Une exposition dans laquelle auraient été présentées les œuvres inachevées de Michel-Ange, le style d’esquisse de Rembrandt, les « derniers » Hals, le poudroiement de Titien, l’accusation de Goya, l’exaltation souriante de Renoir, jusqu’aux Tarots de Picasso… en pressentiment de nouveaux imaginaires. Car ce sont les traits saillants d’une esthétique naissante que ferre Malraux dans ces interactions entre les artistes, nous persuade l’auteur, et au travers de ce conflit des imaginaires en en dénouant les articulations, de moments privilégiés de l’histoire de la peinture et plus particulièrement de celui où l’artiste, déjà séparé de ses pairs, parvient, en cet ultime assaut contre la mort, à se séparer de lui-même, en imposant une présence proprement poétique « rendue soudain sensible de la consonance avec l’univers ». Cette exposition n’a pas pu être réalisée. Aurait-elle pu représenter la projection d’un Musée imaginaire ? s’interroge Évelyne Lantonnet en faisant ressortir aussitôt que ce dépouillement des apparences culmine dans un face-à-face décisif avec la seule peinture, et pour nous dans ce dialogue invincible qu’elle aura fait naître en nous laissant entrevoir la monnaie de l’absolu !
246Mais c’est une autre confrontation que retrace Anissa Benzakour Chami en évoquant « Malraux ou l’homme de tous les engagements ». Ceux-ci d’ailleurs ne seraient-ils pas une forme d’élucidation de sa vie, en préjugeant cette fois de la victoire de l’homme sur « le misérable petit tas de secrets » ? Et entre toute autre forme d’approche biographique, les seuls à pouvoir supporter une fructueuse confrontation avec l’œuvre, quand ils s’accompagnent d’une lancinante obsession de la mort ? C’est ce à quoi l’auteur nous invite en relisant son parcours, de la lutte contre le colonialisme en Indochine, en passant par la mobilisation contre le fascisme en France, en Allemagne ou en Russie, le combat avec les Républicains d’Espagne, la Résistance, l’engagement auprès du général de Gaulle enfin, qui légitiment leur cohérence dans sa quête éperdue de transcendance. Une quête, précise-t-elle, qui a été le combat d’un intellectuel résolument engagé à conduire ses actes au nom de la culture, de la liberté et de la fraternité et qui pourra écrire dans Les Noyers de l’Altenburg : « Je sais maintenant qu’un intellectuel n’est pas seulement celui à qui les livres sont nécessaires, mais tout homme dont une idée, si élémentaire soit-elle, engage et ordonne la vie. »
Et quelle idée pour Malraux, sinon celle qui aura répondu davantage que tout autre et par l’art à son appel d’une transcendance en ordonnant sa vie. Une idée que Derek Allan ne craint pas de qualifier, en l’un de ses aspects et dans son article : « L’Art, le temps et la métamorphose », de « révolutionnaire » dans sa rupture avec les esthétiques issues de la Renaissance, au moment où l’Occident a cru que l’art transcendait le temps parce qu’il était « éternel », « immortel », exempt de temps. Or l’idée géniale de Malraux, suggère notamment l’auteur aux philosophes modernes de l’art qui négligent sa pensée, n’aura-t-elle pas été de concevoir que l’art évoluait dans une dynamique qui lui donnait la capacité, le pouvoir, de transcender le Temps grâce à la métamorphose ! Une intemporalité qui correspond à la relation que les œuvres d’art entretiennent au gré de leurs résurrections successives avec le passage du temps dans l’inépuisable dialogue du Musée Imaginaire. Un processus de transformation de signifiance qui leur a redonné une voix, non pas celle qui appartiendrait à chacune d’entre elles à leurs origines, mais une voix qui nous répond hors de tous les temps dans un langage différent et que nous pouvons entendre…
Tandis qu’une révision des bases de cet apprentissage pourrait s’imposer en renouvelant notre lecture de ses romans, ainsi que Xu Feng nous y 247convoque en analysant les « Réflexions de Malraux sur la condition de l’homme » afin de ne pas oublier que l’une de leur part essentielle en est « l’élément pascalien », c’est-à-dire sa réflexion métaphysique. Car ceux-ci, nous dit-il, avant de refléter des événements révolutionnaires ou politiques, ont bien pour principal objet, hors de ce cadre, et grâce à la figure de héros conscients, de montrer la révolte de l’homme contre le destin et d’expliquer sa conception de la vie. Une conception basée sur la recherche de la dignité lorsque la prise de conscience de l’absurdité de la condition humaine s’affirme de manière humiliante et douloureuse et que Malraux aura donc tenté de résoudre en créant un nouvel humanisme.
Un dernier article d’Engin Bezci clôt ce dossier : [« Frères ennemis, ou comment Sartre a lu Malraux »]. Il est rédigé en turc et propose, d’après le résumé en français qui l’introduit, dans un premier temps un état des lieux des lectures de Sartre des romans de Malraux, son silence, à travers ses Carnets de la drôle de guerre (1939-1940) et ses lettres à Simone de Beauvoir écrites pendant la même période et, dans un second temps, une analyse sur la parenté intellectuelle qui existe entre les deux écrivains, à partir de la philosophie existentialiste de Sartre dans ses grands traits.
Jacques Chanussot
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André Gide, Maria Van Rysselberghe, Correspondance (1899-1950), édition de Peter Schnyder et Juliette Solvès, Gallimard, collection « Les Cahiers de la NRF », 2016, 1168 p.
De nouveaux faits sur André Malraux, mais aussi sur son frère Roland, employé comme secrétaire de Gide en 1933, et sur son épouse Clara 248Goldschmidt, puis sur la famille de Dorothy Bussy et leur maison à Roquebrune sur la Côte d’Azur où Gide séjourna très souvent dans les années 1920, et où Malraux trouvera refuge en 1942, surgissent de cette correspondance publiée en intégralité avec le concours de la Fondation Catherine Gide.
Il n’est pas sûr que l’existence et encore moins l’ampleur de cette correspondance ont été soupçonnées par Malraux ; au moins rien n’en fait douter dans sa préface au premier tome des Cahiers de la Petite Dame de Maria Van Rysselberghe19. « Les coulisses ? », se demandait Malraux. « Soit. Enfin, quelques coulisses… », parmi lesquelles « la naissance de Catherine », souffle-t-il discrètement dans sa préface (VI, 617). Catherine ne portera le nom de Gide que très tardivement ; née hors mariage de Gide avec Madeleine Gide (née Rondeaux), jusqu’à la mort de l’épouse de Gide en 1938, elle recevra les visites estivales secrètes de son « oncle ». En se déguisant ainsi, Gide emploie la même astuce que le père légitime de Louis (Aragon)… Or, Maria Van Rysselberghe est la mère d’Élisabeth Van Rysselberghe (future épouse de Pierre Herbart, le secrétaire privé de Gide), et c’est dans ses lettres qu’on peut suivre la naissance de sa petite fille. L’œil du peintre Théo Van Rysselberghe, mari de Maria, ne se trompait pas dans la ressemblance de bébé avec André Gide… Apparemment, Malraux n’ignorait ni les secrets de sa famille ni ceux du cercle Gide. On ignore pourtant quelles distances il avait prises ; des lettres échangées entre Gide et Maria, « la Petite Dame » et la grande amoureuse de femmes, on voit l’intimité des liens troubles que Malraux a tissés.
La Correspondance 1899-1950 est présentée par Juliette Solvès et Peter Schnyder, ce dernier étant l’époux de Catherine Gide. Dans une première mention de Malraux, en automne 1928, à l’époque de la publication de son roman Les Conquérants paru chez Grasset, l’éditeur ajoute une note en bas de la page (p. 660), quelque peu sibylline, quant aux « très coquets Morceaux choisis » que le jeune Malraux a découverts en 1921 ; « il a rédigé sans tarder plusieurs essais sur Gide qui, entré en relations, lui propose de collaborer à la NRF ». L’allusion « coquette » reste énigmatique car dans ses premiers articles sur Gide dans les revues Action en 1922, et le Disque Vert en 1923, où il commente notamment L’Immoraliste 249et Les Nourritures terrestres20, Malraux ne mentionne pas explicitement les Morceaux choisis… Mais il est vrai qu’on connaît uniquement les extraits de la correspondance Gide-Malraux21.
–Le samedi 17 novembre 1928, lors du séjour à Cuverville-en-Caux chez la famille Rondeaux, Gide se plaint à Maria d’avoir « oublié de fourrer dans [s]a valise Les Conquérants » qu’il avait « promis à Malraux de lire » (lettre no 497). Gide craint que Maria ne sache pas trouver l’ouvrage de Malraux « dans le fouillis » de la bibliothèque de son appartement parisien (la Petite Dame habite sur le même palier, 1 bis rue Vaneau), et il la prie de lui faire parvenir son exemplaire – ce qui montre que Malraux avait en eux deux lecteurs voisins !
–En été 1931, le 2 juillet (lettre no 538), Maria fait le rapport à Gide de l’annonce par Charles du Bos (« Charlie ») du lancement de la revue mixte Esprit, « catholique et non catholique… », à laquelle pourrait contribuer même Malraux. Du Bos oppose l’humanisme à la spiritualité, et déclare à Maria : « C’est pourquoi quand j’entends Mounié [Emmanuel Mounier], dire qu’il s’adresserait par exemple à Fernandez [Ramon]… même à Malraux, je le trouve bien peu débrouillé et je ne comprends pas ! » Ces propos de Du Bos sont cités par Maria à Gide. Heureusement, rien ne sera de la collaboration prévue de Malraux dans l’Esprit de Mounier. Mais beaucoup plus tard, évoquant ses souvenirs sur le Tableau de la littérature française qu’il édita chez Gallimard en 1939, Malraux n’a pas oublié Ramon Fernandez, et il dira à propos de la collaboration de Gide, qui a couvert un volume De Corneille à Chénier, que Gide n’a pas été contraint de lire, entre autres, « Molière, comme Fernandez » (VI, HPL, 768).
–En tant qu’éditeur chez Gallimard, Malraux a surveillé la publication des Œuvres complètes de Gide en 15 volumes dans les années 250–1932-1940. La notice d’édition (p. 724), précise que Martin-Chauffier dirige cette publication. Charles du Bos, entre autres, aime ses notes, comme le rapporte Maria (lettre no 568).
De ses vacances, le 22 mars 1932, Gide demande à Maria de lui réexpédier « des coupures de presse – et surtout les épreuves des tomes I et II des Œuvres complètes que me faisait espérer Malraux » (lettre no 55222).
–Dans la lettre du 31 mars 1932 (no 554), Gide lui écrit : « Si vous revoyez Malraux, ayez la gentillesse de lui donner mon adresse… » Il est à Glion-sur-Montreux.
Maria fait le travail du coursier et elle voit souvent Malraux, ou elle lui écrit (voir lettre no 613 ci-dessous). Mais ce dernier a placé aussi son demi-frère Roland (1912-1945).
–Dans la lettre (no 566) des vacances à Roquebrune, le 11 avril 1933, Gide mentionne pour la première fois Roland Malraux, le demi-frère de l’écrivain et futur résistant :
Et peut-être que Malraux Roland retrouverait-il aisément, sur une table, le double des épreuves de ces Feuillets pour le numéro de mai de la NRF que j’aurais voulu lire aux Bussy.
Les éditeurs de la Correspondance ajoutent que Roland, demi-frère d’André, « est employé comme secrétaire par Gide et Marc Allégret depuis février » (1933).
–Pour distinguer les deux demi-frères, Maria dit dans sa lettre du 17 avril 1933 d’abord à propos de Roland (puis elle mentionnera André) :
Très cher – lundi de Pâques aujourd’hui, rien ne va. Je crois bien que Malraux, le grand, a toutes les dates sur des fiches de sorte que même sans les chercher… Mais du reste rien ne sera sinon plus aisé à retrouver, etc. Dès demain tout ça sera réglé et les notes de Martin-Chauffier (excellentes) remises à la NRF. Pour le reste André Malraux sera consulté demain – évidemment il doit savoir la marche de ce genre-là et on vous tiendra au courant. (lettre no 568)
–En automne 1933, Gide organise une soirée spéciale (les répétitions de Perséphone ?) à laquelle il propose, dans la lettre à Maria, le 27 octobre, d’inviter : Jean Wahl, Jean Cassou, Henri Roher 251–(instituteur communiste et sinologue), « les Yves Allégret », « les Groet » [Bernard Groethuysen et son épouse], et peut-être (?) les Malraux, « mais tout en les laissant libres de ne pas venir. Qu’ils ne se croient pas tenus par la politesse ; vous arrangerez cela pour le mieux – ou je le ferai moi-même lundi soir. » (lettre 580)
On aimerait savoir comment Maria s’y est prise pour arranger « tout ça… » !
–De toute manière, la lettre (no 592) du 21 avril 1934, précise une liste des invitations pour les représentations de Perséphone, avec une loge pour NRF, deux fauteuils ou balcon pour la vicomtesse Yvonne de Lestrange, puis « 2 Malraux » comme « 2 Martin-Chauffier », etc.
–Entre-temps, André Malraux, prix Goncourt pour le roman La Condition humaine, a fait son excursion au Yémen, pays légendaire de la reine Saba… « Et voilà Malraux revenu ? », s’exclame Maria dans sa lettre du 25 mars 1934 (lettre no 589). « La précision avec laquelle il semble avoir foncé sur la reine de Saba est impressionnante et pleine de mystère ! Et tout cela vite, vite, pour revenir prendre sa place dans son petit bureau de la NRF. J’aurais voulu voir son retour. »
Les éditeurs de la Correspondance notent23 que, après la publication de sept articles dans L’Intransigeant, « Malraux sera vigoureusement attaqué (ses preuves archéologiques sont minces), malgré la notoriété que vient de lui valoir l’obtention du prix Goncourt le 1er décembre 1933. »
–L’Association L’Union pour la vérité a organisé le 26 janvier 1935 le débat « André Gide et son temps » animé par Ramon Fernandez. Gide rapporte à Maria, de Paris, le lendemain, 27 janvier :
Nous redisions [Gide et Jean Schlumberger] : « Oh ! Ce que ça aurait intéressé la petite dame » – Oui ; la séance a été plus réussie qu’on n’eût pu l’espérer. Malgré l’absence de Malraux, appelé dans le Nord pour les grèves. (lettre no 606)
–À la fin du printemps 1935, Malraux et Gide préparent le Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, qu’ils vont présider en juin, aux côtés de Maxime Gorki, de Heinrich Mann, de Virginia Woolf, etc.
252Le 25 mai 1935, Gide écrit à Maria de Hossegor (côte d’Argent landaise) : trouver dans son appartement la revue Littérature internationale – le no 2 « serait à parvenir, sans trop attendre, à Malraux, en remplacement de son numéro à lui, qu’il m’a prêté. (Et d’abord, vous pourriez y lire p. 62 la déclaration de Gorki.) » (lettre no 610) Au Congrès d’écrivains à Kharkov, en Union soviétique, Malraux a évoqué « ce caractère de découverte psychologique » dans les œuvres de Maxime Gorki24 .
–Toujours en lien avec les 15 tomes des œuvres complètes, Gide écrit à Maria d’Isère, le 24 juillet 1935 (lettre no 611) :
Ce mot vous trouvera-t-il à Paris ? Je le souhaite pour que vous puissiez donner immédiatement à Malraux la réponse qu’il demande – vous êtes beaucoup mieux à même que moi de le renseigner (44 rue du Bac). Bien solidement votre André Gide.
(Demandant à Maria de vérifier, à la NRF par téléphone, si Edmond Jaloux n’a pas changé d’adresse, Gide dira, le 29 mai 1937, qu’avant de partir de Paris à Cuverville, il avait laissé une grande enveloppe pour Jaloux, « au 40 de la rue du Bac, c’est-à-dire deux maisons après Malraux ») (lettre no 632).
–Nous voyons qu’il s’agit des frontispices Œuvres complètes de Gide de la lettre suivante de Gide (no 612), de Berne, le 27 juillet 1935 :
« Chère Tit, Vous êtes exquise et la plus dévouée des amies. C’est pour ne point tout compliquer que je vous demanderai de vous entremettre encore et de dire de ma part à Malraux : pas cette photo que nous trouvons tous deux mauvaise. Plutôt un agrandissement de celle de Brousse [du t. III], ainsi que vous le proposez. Et, dans le volume suivant, celle de Jacques-Émile Blanche, que je renvoyais. » Ce sera, dans le t. IV, une photo de Gide à Weimar, de 1903 (p. 794n).
–« Très unique Bypeed – Dès le reçu de votre lettre j’ai écrit à Malraux pour ne pas laisser refroidir les explications que je venais de lui donner. J’y ai joint vos décisions… », répond Maria le 30 juillet 1935 (lettre no 613).
–De Lenk, le 1er août 1935 Gide la remercie : « […] pour les renseignements à Malraux. » (lettre no 614)
253–Et Gide, de Cuverville, continue la correspondance autour de ses Œuvres complètes le 8 septembre 1935 :
En fait d’événements, rien de neuf à vous dire. Mais ceci, à quoi vous ne serez pas insensible : je viens de donner à Malraux le manuscrit des Nouvelles Nourritures. C’est sur les épreuves (que l’on m’a promis pour mercredi) que pourront porter vos remarques.
–Seulement sept ans plus tard, mais toujours en qualité d’ami, Gide se renseigne sur Malraux pendant la guerre. En 1941, Malraux s’est réfugié avec sa seconde femme Josette Clotis et leur fils, à Roquebrune dans la villa des Bussy.
Gide, réfugié, lui, en Tunisie, dans sa lettre (no 710) demande à Maria le 13 juillet 1942 :
J’apprends ici que A.M. aurait quitté La Souco (villa des Bussy) pour […] je ne sais quel orient […] Mais est-ce vrai ? Tâchez de me renseigner.
Ce que Gide et Marie ne savent pas, les éditeurs de cette Correspondance le savent : Malraux, Josette Clotis et leur petit garçon quitteront Roquebrune en novembre pour le château de Saint-Chamant, en Corrèze (p. 921n).
–Gide répète sa question dans une nouvelle lettre de Tunisie (lettre no 718), le 18 septembre 1942 :
Avez-vous su ce qu’était devenu André de La Suoco ?
–Maria répond enfin à la question de Cabris, le 30 septembre 1942 (lettre no 719) :
Je ne sais rien d’André de La Suoco. Cher, à vous mieux et plus que jamais.
En préparant son retour en France, Gide sera aidé par Gaston Palewski, le chef de cabinet du général de Gaulle, « qui s’est montré extrêmement obligeant à mon égard », comme il l’écrit à la Petite Dame d’Alger, le 6-IX-1944 (lettre no 729). Or, Palewski sera un proche de Malraux (qui lui dédiera son ouvrage la Tête d’obsidienne).
–En attendant l’arrivée de Gide à Paris, Maria lui écrit le 23 décembre 1944 (lettre no 734) :
Nous allons tous bien, en somme, et le Vaneau continue à être un extraordinaire lieu de rencontres ; que vous seriez donc bien dans cette eau courante ! […] 254C’est Malraux qui est ici depuis trois jours – il descend au Vaneau comme dans son gîte naturel, et si gentiment.
–D’Alger, toujours un peu hésitant à retourner en France, Gide écrit à Maria le 26 décembre 1944 (lettre no 735) :
La circulation, au Vaneau, peinte par vous, me donne le vertige – et que de regrets de ne pouvoir avec vous recevoir Enid [McLeod], et Malraux, et Schnouky [André Mayrisch], et Albert !…
–Maria se ronge d’impatience de retrouver Gide, de Paris à Alger, le 5 août 1945 (lettre no 744) : elle prépare son voyage, selon le désir de Gide.
Malraux promet d’aller voir le ministère qui, etc. mais je ne suis pas encore partie et j’écarte l’idée cauchemardine du voyage.
Gide a souhaité ce voyage, comme d’ailleurs le voyage de Herbart, que Gide aussi invitait à Alger (mais ce voyage sera annulé), pour qu’ils se rassurent avant son retour. Maria voyage avec Gide dans le Sud algérien, puis ils rentrent à Paris ensemble, le 6 mai 1945.
Gide voyage en Égypte et d’Assouan, le 17 janvier 1946 (lettre no 748), il informe Maria que l’article « Don de la parole » qu’elle a d’abord fait paraître dans Terre des Hommes le 1er décembre 1945, « vient d’être reproduit au Caire dans un hebdomadaire français ». Les éditeurs de cette Correspondance remarquent que l’article de Maria « évoque de façon originale Malraux – sa façon de s’exprimer, les liens entre sa pensée et sa parole » (p. 993n).
–Enfin, Gide rentre de son dernier long voyage, et ce sont les retrouvailles avec les amis, dont Malraux : « longue conversation, hier soir, avec un Malraux plus dévoué et charmant que jamais », écrit Gide de Paris le 3 juillet 1946 à Maria (partie en cure) (lettre no 753).
–La lettre (no 784) du 7 janvier 1948, est la dernière où Maria mentionne Malraux : « Que je vous dise encore que Malraux vous a envoyé un beau grand livre, Le Musée imaginaire. Je sais que sa fidélité vous fera plaisir… » Et dans une ultime note, les éditeurs évoquent ce premier volume de la trilogie de la Psychologie de l’art, que Malraux publia l’année précédente chez Skira à Genève.
Gide date sa dernière lettre, du château de la vicomtesse de Lestrange, le 22 juillet 1950. Il sera emporté le 19 février 1951.
255Après 835 lettres échangées entre Gide et Maria Van Rysselberghe, le livre comporte encore vingt-deux lettres diverses en annexe (lettres sans date et lettres d’amis). En conclusion, la présence effective d’André Malraux – et de ses proches – dans cette correspondance, à travers plus de vingt lettres que nous avons recensées, irradie par ces deux qualificatifs sous la plume de Maria et de Gide : fidélité et dévouement.
Branko Aleksić
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Kees Snoek, À la recherche d’un destin : L’écrivain néerlandais Eddy Du Perron et la littérature française. In Présence d’André Malraux, no 15, 2018 (introduction de Jean-Claude Larrat), p. 193.
Le numéro 15 de la revue Présence d’André Malraux, éditée par l’Association Internationale André Malraux (A.I.A.M.), prend la forme inhabituelle d’une monographie portant sur un tout autre écrivain, néerlandais de surcroît, Eddy Du Perron. Il est tout à fait heureux que ce livre sorte sous les auspices de l’A.I.A.M. puisqu’il porte essentiellement sur une amitié exceptionnelle entre André Malraux et ce même Du Perron. Constitué essentiellement de huit essais écrits entre 2001 et 2012, il est agrémenté d’une introduction du grand malrucien qu’est Jean-Claude Larrat, d’une préface du traducteur du roman de Du Perron, Le Pays d’origine, et de photos très peu connues sinon inédites.
L’auteur de cette étude, Kees Snoek, est particulièrement bien placé pour la mener à bien. Néerlandais comme son sujet, il a enseigné la langue, la littérature et la culture néerlandaises dans divers pays – dont les États-Unis, l’Allemagne et l’Indonésie, pays d’origine de Du Perron. Depuis 2006, il est Professeur des universités à la Sorbonne, Paris IV. Sa 256bibliographie comprend des études en néerlandais, anglais et français portant, entre autres, sur Eddy Du Perron, notamment dans le no 2 déjà de Présence d’André Malraux en 2001-200225, et surtout sa monumentale biographie de l’écrivain, E. Du Perron (Nijgh & Van Ditmar, Amsterdam, 2006).
Le nom d’Eddy Du Perron (Charles-Edgar pour l’état civil) intrigue plus d’un malrucien depuis que Malraux lui dédia La Condition humaine, son prix Goncourt, en 1933. À l’époque, Du Perron aurait été « ahuri par ce geste amical à son adresse » (71). « Mais qui c’est, celui-là ? », avait-on le droit de se demander. Ce n’était pour l’écrivain français que son « meilleur ami » qui, en guise de remerciement, lui fit cadeau d’une île, Balé Kambang, dans le Pacifique26. Deux ans plus tard Malraux écrit une épigraphe pour le roman autobiographique de son ami, Le Pays d’origine27 : « Il faut chercher en soi-même autre chose que soi-même pour pouvoir se regarder longtemps. » Quand ce roman sortira en français chez Gallimard, dans la traduction de Philippe Noble – qui a fait l’amitié de contribuer par une excellente préface au présent volume –, il est préfacé par l’ami Malraux.
Ce sont des indications de cette amitié profonde et durable entre ces deux écrivains qui ne se ressemblaient pas et s’opposaient même sur bien des plans – amitié que Philippe Noble qualifie de « l’un des phénomènes les plus étonnants parmi les échanges intellectuels de la première moitié du xxe siècle » (13). Qu’est-ce qui liait ce fils de riches colons en Indonésie et ce jeune Français de milieu bien modeste sorti d’une banlieue peu reluisante de Paris ? Cet individualiste qui se voulait apolitique et cet écrivain déjà « engagé » dans les luttes de son temps bien avant que ce ne soit à la mode ?
Au départ, tout de même, quelques points en commun : tous deux fils uniques, ayant une enfance assez solitaire qui sollicita leur imagination (71) ; tous deux autodidactes, dotés d’une « forte et précoce personnalité », désirant se différencier de pères dominants – qui, curieusement, se suicidèrent l’un et l’autre à un âge avancé suite, en partie, à des déboires boursiers ; tous deux des lecteurs voraces dotés d’une mémoire prodigieuse (72).
257Il semble que Du Perron ait rencontré Malraux tout d’abord par le biais d’une coupure de journal relatant la condamnation d’un certain “Georges Malleraux” pour vol d’objets d’art. Il écrit à une amie : « Je me suis aperçu que j’éprouvais une violente amitié pour Malraux, une franche indignation contre ces imbéciles qui le traitent de “voleur” » (77). Plus tard, c’est par leur ami commun, Pascal Pia, qu’ils font connaissance en chair et en os. Les deux couples Malraux et Du Perron se lient assez vite d’amitié et passent des heures et des heures à discuter de tout, discussions qui trouvent des échos apparemment fidèles (et fort intéressants) dans les fictions de Du Perron.
L’introduction de Jean-Claude Larrat, spécialiste chevronné, attire d’emblée notre attention sur cette amitié en s’intitulant « André Malraux, Eddy Du Perron et l’amitié ». Il nous rappelle le remarquable petit livre d’Henri Godard, L’Amitié André Malraux (Gallimard, 2001), qui nous avait un peu fait connaître ce mystérieux ami étranger et quelque peu étrange. Godard incluait quelques extraits bien choisis du Pays d’origine, sorte de roman à clés où Du Perron s’appelle Ducroo, Malraux apparaît sous les traits de Luc Héverlé, leur ami Pascal Pia sous ceux de Viala, et Clara Malraux comme Bella. Kees Snoek nous apprend que Malraux et Clara apparaissent également sous les traits d’autres personnages dans un plus court récit, Les Aventuriers, où Du Perron note : « Son épouse, à son côté, avait toujours sa vie à elle ; personne n’aurait pu dire dans quelle mesure ces deux jeunes gens s’aimaient, tout amour-passion semblait se fondre entre leurs deux intelligences. » (81) De telles descriptions et analyses perspicaces et pertinentes de Malraux et de son épouse foisonnent sous la plume de Du Perron28.
Un autre attrait du présent ouvrage : des photos très peu connues voire inédites, tirées pour la plupart de la collection personnelle de Du Perron. On voit Malraux et son compagnon d’expédition Louis Chevasson à Pnom Penh en 1924 (78), Malraux en casque colonial dans un village annamite la même année (78), Malraux et Chevasson de nouveau en 1930 (117), Malraux et Clara en 1930 et 1933 (91), et Malraux en 1936 en compagnie de Bernard Bourrotte, ami depuis 1924 à Saïgon, qui nous est connu sous le nom de “Jacques Méry” dans Antimémoires (101).
258Nous savons que Malraux était fidèle à ses amis, qui le lui rendaient bien. La mort de Du Perron d’une crise cardiaque à 40 ans, quatre jours après l’invasion allemande des Pays-Bas en mai 1940, a coupé court à cette amitié tout à fait exceptionnelle que Kees Snoek nous fait connaître. C’est un pan de la vie de Malraux qui vaut le détour.
Brian Thompson
1 Sylvie Howlett, Les plus belles fulgurances d’André Malraux, Gallimard, « Folio », 2016.
2 « Nul n’est prophète : Malraux et son fameux xxie siècle », in André Malraux Review no 35 (2008), p. 68-81, disponible en PDF sur le wiki de Malraux ainsi que les sites andremalraux.com et malraux.org
3 Lettre de Malraux à Edmund Wilson en 1933, in Lettres choisies, 1920-1976, 104, citée à la page 110.
4 Voir, par exemple, Susan Suleiman, « Malraux’s Women », in Witnessing André Malraux : Visions and Re-visions, ed. Brian Thompson et Carl Viggiani, Middletown CT, Wesleyan University Press, 1984 ; Wesleyan Paperback, 1988.
5 Note marginale de Malraux in Gaëtan Picon, Malraux par lui-même, « Écrivains de toujours », Seuil, 1958.
6 La Tête d’obsidienne, Gallimard, coll. « Blanche », 1974, p. 212.
7 Nous supposons qu’il s’agit, comme dans la citation précédente, d’André Malraux.
8 Allusion à un passage de Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 379, cité dans Malraux à contretemps, p. 43.
9 Derek Allan, Art and the Human Adventure. André Malraux’s Theory of Art, Amsterdam, Rodopi, 2009.
10 Dominique Vaugeois cite un passage de Jean Grenier, « Sur l’Inde », La Nouvelle Revue Française, no 204, septembre 1930, p. 336-356, ici p. 339 (Malraux à contretemps, p. 153).
11 Voir Maurice Merleau-Ponty, La Prose du monde, Gallimard, 1969, p. 117, cité par Dominique Vaugeois, p. 154.
12 Variante d’un passage du tome II du Musée imaginaire de la sculpture mondiale (OC V, 1523), variante a de la page 1033, passage cité par Dominique Vaugeois, p. 186.
13 Dominique Vaugeois renvoie à Albert Thibaudet, « Le roman de l’énergie », La Nouvelle Revue française, 1er mars 1924, p. 866-876.
14 Mamadou Abdoulaye Ly, Malraux et la poésie, L’Harmattan, 2016.
15 Voir notamment Claude Pichois « Malraux et Baudelaire », Europe, nos 727-728, novembre-décembre 1989, p. 169-177, ainsi que Marie-Sophie Doudet, « Mourir au bord de l’éternité : Baudelaire, phare de Malraux », p. 342-358, in Jean-Claude Larrat et Jacques Lecarme (dir.), D’un siècle l’autre, André Malraux, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2002.
16 Revue des lettres modernes, Série André Malraux 13, “Malraux et la question des genres littéraires”, 2009, première partie, « La poésie » (Nathalie Lemière-Delage, « Poésie du Moyen-Orient dans Le Démon de l’absolu », p. 21-43 ; Claude Travi, « André Malraux et Saint-John Perse », p. 45-63 ; Jean-Louis Jeannelle, « La poésie au “Miroir des limbes” », p. 65-85 et Jean-Claude Larrat, « La poésie dans L’Homme précaire et la littérature », p. 87-99).
17 Voir notamment Lettres choisies, édition établie et annotée par François de Saint-Cheron, préface de Jean-Yves Tadié, Gallimard, 2012, ainsi que sa collaboration aux volumes IV, V et VI des Œuvres complètes de Malraux dans la Bibliothèque de la Pléiade.
18 Passage des Voix du silence (IV, VS, 856) cité par François de Saint-Cheron, p. 27.
19 Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, Gallimard, 1974. Voir André Malraux Préface aux Cahiers de la Petite Dame, de Maria Van Rysselberghe, 1973, VI, 609-619.
20 André Malraux, Aspects d’André Gide, 1922, VI, 18-22.
21 La notice de la Correspondance de Gide-Rysselberghe complète le sens de la chronologie de Malraux en tête du t. VI de ses Œuvres complètes, p. xxxii, qui stipule que c’est en 1922 que « Malraux prend contact avec la NRF où Jacques Rivière le charge de comptes rendus ». En effet, comme le précise une longue notice sur Malraux et Gide dans ce tome VI dans la Pléiade (p. 1081-1084), Gide n’assurait plus la direction de la revue, mais « son prestige restait considérable » (p. 1082). Le lien avec Rivière le prouve.
22 Idem dans la lettre no 553, de Pâques, le 27 mars 1932.
23 André Gide-Maria Van Rysselberghe, p. 768-769.
24 André Malraux, L’art est une conquête (OC VI, 300). Plus tard, il l’associera à l’expérience de Dostoïevski (OC VI, 416, 440, 641 et 847).
25 « Le portrait littéraire d’André Malraux dans l’œuvre d’Eddy Du Perron », avec Francis Bulhof, p. 53-73.
26 Le Miroir des limbes, Bibliothèque de la Pléiade (OC III, 358-359). Magnifique photo de chutes d’eau dans l’île à la page 112 du présent ouvrage.
27 Gallimard, 1980. Voir l’édition critique de l’original, Het Land van herkomst (1935), établie par Francis Bulhof et G.J. Dorleijn, Amsterdam : G.A van Ooschot, 1996.
28 Voir aussi Francis Bulhof, « Le portrait littéraire d’André Malraux dans l’œuvre d’Edgar Du Perron », in La Revue des Lettres Modernes, Série André Malraux, nº 2, 1973, p. 53-73.
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- ISBN: 978-2-406-11014-9
- EAN: 9782406110149
- ISSN: 0035-2136
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-11014-9.p.0201
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-19-2020
- Periodicity: Monthly
- Language: French