Résumés et présentations des auteurs
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: De l’écriture et des fragments. Fragmentation et sciences humaines
- Pages: 567 to 588
- Collection: Encounters, n° 153
- Series: Literary theory, n° 4
Résumés
et présentations des auteurs
Dominique Maingueneau, « Du fragment de texte à l’aphorisation »
Dominique Maingueneau est professeur de linguistique à l’UFR de langue française de l’université Paris-Sorbonne. Il a publié de nombreux ouvrages dans le domaine de l’analyse du discours ; il a en particulier codirigé le Dictionnaire d’analyse du discours (Paris, 2002). Il privilégie les apports de Michel Foucault, de la pragmatique et des théories de l’énonciation linguistique.
L’autonomie de la phrase en tant que citation est souvent discutée ; on parle de remettre en contexte ce qui a été extrait d’un texte. Si l’on adopte une position multiple vis-à-vis d’énoncés détachés, il ressort que l’aphorisation n’est pas un phénomène marginal réservé à un stade archaïque de l’humanité ou de la conscience, mais qu’elle est inscrite dans le fonctionnement du langage. Elle prend néanmoins des visages très variés selon les configurations historiques dont elle participe.
The autonomy of the sentence in its capacity as a citation is often discussed, particularly in terms of re-contextualizing what has been extracted from a text. If we adopt a multiple position in relation to detached utterances, aphorisation emerges not as a marginal phenomenon reserved for an archaic stage of humanity or consciousness, but is instead inscribed in linguistic functioning. It has many varied faces, depending on the historical configurations in which it participates.
André Laidli, « L’écriture fragmentaire des idées de Joseph Joubert à Pascal Quignard »
André Laidli est doctorant en philosophie et enseignant-moniteur à l’université Lyon 3 – Jean-Moulin. Ses recherches portent sur les moralistes français, de Montaigne à La Bruyère, la philosophie de la littérature (M. Nussbaum, J. Bouveresse) et la philosophie de l’ordinaire ou du quotidien (de Stanley Cavell à Bruce Bégout).
À l’origine de la pensée fragmentaire se trouve notamment un choix épistémologique. Il s’agira alors de s’interroger sur la philosophie des idées dans le texte fragmentaire : pensées « déposées » plutôt que « composées » (Thibaudet), « invertébrées » plutôt qu’« organiques » (Benda), « idées-phrases » qui restent en tête (Barthes), les idées fragmentaires se démarquent des idées philosophiques, souvent à leur désavantage.
An epistemological choice exists at the origin of fragmentary thought. This contribution interrogates the philosophy of ideas in the fragmentary text. Thoughts which are “deposed” rather than “composed” (Thibaudet), “invertebrates” rather than “organic” (Benda), or “idea-phrases” which stay in the head (Barthes): fragmentary ideas distinguish themselves from philosophical ideas, often to their disadvantage.
Oleg Lebedev, « L’existence indéterminée du fragment. Deleuze sur les systèmes ouverts »
Oleg Lebedev est assistant-chercheur à l’université catholique de Louvain (Belgique). Après des travaux portant sur le réalisme cinématographique ainsi que sur les liens de l’esthétique et du politique dans l’œuvre de Jacques Rancière, il s’attache actuellement dans le cadre de sa recherche à élaborer une théorie deleuzienne de la subjectivité.
La proposition de Gilles Deleuze suivant laquelle un fragment peut avoir la double fonction paradoxale de renforcer et d’arrêter l’œuvre conçue comme totalité organique close nous permet ici d’analyser les effets indécis d’une telle stratégie d’écriture : comment produire, et penser des fragments qui aient pour rapports entre eux leur propre différence, sans référence à une totalité originelle même perdue, ni à une totalité résultante même à venir ?
The proposition of Gilles Deleuze that holds that a fragment can have the paradoxical double function of reinforcing and preventing the work conceived as a complete organic totality allows us to analyse the uncertain effects of this writing strategy: how to produce and think about fragments which relate in terms of their difference, without referring to an original, even if lost, totality, or a totality to come?
Anca Călin et Alain Milon, « Parole littéraire, parole de fragment. La littérature fragmentaire autour de l’œuvre de Maurice Blanchot »
Anca Călin est enseignante-chercheuse à l’université Dunărea de Jos de Galaţi. Elle s’intéresse à la question de la nomination dans le dispositif lecteur/texte/auteur et au langage littéraire à partir de l’œuvre de Maurice Blanchot. Sa thèse, soutenue
en 2013 à l’université Paris Ouest – Nanterre – La Défense porte sur la question de la nomination dans l’œuvre de Maurice Blanchot.
Alain Milon est professeur de philosophie à l’université de Paris Ouest – Nanterre – La Défense. Il a publié Pour une critique de la raison écologique : le plan de nature (Belval, 2014), Cartes incertaines. Regard critique sur l’espace (Paris, 2013), La Fêlure du cri : violence et écriture (Paris, 2010), Bacon, l’effroyable viande (Paris, 2008), L’Écriture de soi (Paris, 2005), La Réalité virtuelle (Paris, 2005).
Le fragment s’inscrit dans l’épaisseur du mot et non dans l’expression du mot : « “Fragment” [est] un nom, mais ayant la force d’un verbe, cependant absent. » L’écriture blanchotienne chante le même mot d’ordre : « l’informulé dans le connu du mot ». C’est ce que nous voulons éclairer : le fragment ressort d’une impossibilité qui n’est pas liée à une situation historique (l’holocauste), mais qui est l’expression ontologique de l’écriture.
The fragment inscribes itself in the thickness of the word, and not in the expression of the word: “Fragment [is] a word, but with the force of a verb which is, however, absent.” Blanchot’s writing is of the same order: “the unformulated in the known word”. This is what we are seeking to illuminate: the fragment results from an impossibility which is not linked to an historical situation (the holocaust), but is rather the ontological expression of writing.
Marc Courtieu, « L’écriture fragmentaire. Chaos, devenir, rythme »
Marc Courtieu est professeur de mathématiques, docteur ès lettres, membre de l’ILLE (Mulhouse). Il a publié Événement et roman. Une relation critique (Amsterdam, 2012), des articles (aventure, événement, récits concentrationnaires, science et littérature, Gatti, Artaud, Chevillard, Pynchon, Simon, Trassard). Ses axes de recherche actuels sont : littérature et silence, mythologisation d’Artaud.
Cet article s’interroge moins sur la rupture qui semble inhérente aux écrits fragmentaires que sur la cohérence cachée de ces écritures, visible chez des auteurs comme Char, Cioran, Barthes, Quignard. Y-a-t-il une forme de dialectique qui se joue non seulement à l’intérieur du fragment lui-même, mais entre les fragments rassemblés à l’intérieur d’un même livre – et encore, plus largement, pour l’ensemble de l’œuvre de ce type d’écrivains ? On partira du vif débat autour de l’écriture des camps.
This article does not examine the rupture which seems inherent in fragmentary writings so much as the hidden coherence of these writings, visible in the work of authors
like Char, Cioran, Barthes, and Quignard. Is there a form of dialectic which operates not only within the fragment itself, but between fragments gathered together within the same book–or even, more broadly, amongst all writings by this type of writer? We will begin with the heated debates surrounding the writing of the camps.
Thibaut Chaix-Bryan, « Le fragmentaire : une expérience du décentrement. Lectures de Maurice Blanchot et Paul Celan »
Thibaut Chaix-Bryan est agrégé d’allemand et docteur en littérature générale et comparée de l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, professeur en CPGE rattaché au CERC (Paris 3). Ses champs de recherche sont les transferts culturels franco-allemands et l’écriture fragmentaire. Il a publié des articles autour de Theodor Kramer (traductions), Celan et Blanchot.
Écriture de l’exterritorialité, ou de la déterritorialisation pour reprendre les termes deleuziens, l’œuvre de Blanchot déplace, ouvre, décale les espaces, à l’instar de ce que l’auteur montre à partir de la ville de Berlin. C’est en se basant sur cette dimension géographique et géopoétique que l’article ouvre la réflexion. Ce parcours à travers l’œuvre de Blanchot et la poésie de Celan devraient permettre de mieux saisir le fragment comme expérience fondamentale du décentrement.
As writing of extraterritoriality or de-territorialisation, to use Deleuzian terms, Blanchot’s œuvre displaces, opens, and shifts spaces, like what the author shows of Berlin. This article draws on the geographical and geo-poetic dimension to begin its reflections. The journey through Blanchot’s work and Celan’s poetry allows us to grasp the fragment as a fundamental experience of decentring.
Éric Wessler, « Le bien-fondé d’un discours fragmenté. Comparaison entre le droit et la littérature à la recherche de leur légitimité »
Éric Wessler est membre de l’institut de recherche en langues et littératures européennes (Mulhouse), spécialiste de Samuel Beckett et de la notion d’autoréflexivité en littérature. Il a publié ou codirigé plusieurs ouvrages sur ce sujet comme L’Écrivain et ses doubles (Paris, 2014). Également diplômé en droit, il s’intéresse aux liens entre le littéraire et le juridique.
Pour lutter contre la fragmentation délétère des textes du droit européen, on a inventé les codes juridiques à la fin du xviiie siècle. Or, cette invention implique un bouleversement du statut même de la loi, de la nature du droit, et
de sa fonction anthropologique. L’observation de ce processus permet d’éclairer l’histoire de la littérature : le concept d’œuvre idéale s’oppose radicalement à celui d’écriture fragmentaire.
To fight against the harmful fragmentation of European law, juridical codes were invented at the end of the eighteenth century. This invention implied a shake-up of the very status of law, the nature of law, and its anthropological function. The observation of this process illuminates literary history: the concept of the ideal work is radically opposed to that of fragmentary writing.
Cécile Decousu, « La totalité du fragment »
Cécile Decousu a soutenu sa thèse intitulée « Herméneutique de la Fiktion. Le silence de la méthode chez Simone de Beauvoir », sous la direction de Julia Kristeva, à l’université Paris Diderot, en janvier 2014, et contribué à plusieurs ouvrages consacrés à Simone de Beauvoir. Elle a enseigné à University College Cork et Mary Immaculate College – University of Limerick, en Irlande.
L’écriture fragmentée n’est peut-être pas à envisager en contradiction avec l’idée de totalité, mais bien davantage à l’horizon d’un refus de la pensée systémique. Les travaux de Mauss, autant que ceux de Beauvoir, Blanchot ou Leiris, dévoilent une certaine conception de l’écriture du texte, qui ne soit jamais seulement objet esthétique ni épistémologique. L’écriture du fragment est une écriture totale, dans l’exacte mesure où la constellation est forme même de l’expérience vécue.
Fragmented writing should not be considered as contradicting the idea of the totality, but as the horizon of a refusal of systematic thought. The works of Mauss as much as those of Beauvoir, Blanchot, or Leiris unveil a particular conception of the writing of the text which is never solely an aesthetic or an epistemological object. Writing the fragment is a total writing, to the extent that that the constellation is the very form of lived experience.
Mathilde Cortey-Lemaire, « Cioran, De l’inconvénient d’être né (1973). L’écriture fragmentaire ou la tentation d’exister ? »
Mathilde Cortey-Lemaire est professeure en classes préparatoires au Lycée Hoche de Versailles. Elle a notamment édité Courtisanes philosophes : Psaphion, courtisane de Smyrne, et Hipparchia, Histoire galante, 1748 (Paris, 2013).
Quelle expérience de lecture propose le fragment ? Le choix du fragment s’impose pour Cioran et résume mieux que tout cette tentation d’exister d’un homme et surtout d’une forme littéraire qui comporte un danger et son refus, un infini et une brièveté millimétrée, un élan vers le futur et le passé, mais surtout vers l’instant présent.
What kind of reading experience does the fragment offer? The fragment is essential for Cioran, and best resumes the temptation to exist for a man and, above all, a literary form which carries in it a danger and its refusal, infinity and millimetric brevity, and an impulse towards the future and the past, but, above all, towards the present moment.
Florence Fix, « Fragmentation et ébranlement du discours officiel dans Les Huissiers et 11 septembre 2011 de Michel Vinaver »
Florence Fix est professeure en littérature et arts à l’université de Lorraine (Nancy). Elle a participé au Manuel d’études théâtrales (Paris, 2005), dirigé plusieurs ouvrages sur le théâtre et est l’auteur de L’Histoire sur la scène de théâtre : 1870-1914 (Rennes, 2010), Le Mélodrame, la tentation des larmes, (Paris, 2011), Barbe-Bleue, esthétique du secret de Charles Perrault à Amélie Nothomb (Paris, 2014).
Que la fable s’inscrive dans une IVe République française vacillante ou une Amérique qui a vu s’effondrer des tours, Les Huissiers et 11 septembre 2001 invitent à penser l’incomplétude comme lieu du sens. Volontairement disloqué, le discours officiel d’hommes politiques provoque chez le spectateur ce que Vinaver construit comme un ébranlement programmé. Le fragment se propage comme une façon de repenser les dialectiques mensonge d’État/sincérité et secret d’État/visibilité.
Whether the fable is inscribed in a vacillating French Fourth Republic or an America which has witnessed the towers fall, Les Huissiers and 11 septembre 2001 invite us to think about the incomplete as the site of meaning. Deliberately dislocated, the official discourse of politicians provokes in the viewer what Vinaver constructs as a programmed shaking. The fragment is propagated as a way of rethinking the dialectics of State lie/sincerity and State secret/visibility.
Véronique Arnold, « Le fragment ment… »
Véronique Arnold est artiste peintre. Elle développe à travers ses installations ou sa peinture un lien aux souvenirs d’enfance ou à ses lectures (littérature allemande, psychanalyse). Elle vit et travaille à Mulhouse et Eschau.
Cet article met en évidence le fait que l’on vive quelquefois avec l’idée que la continuité pourrait dominer l’existence. La pratique artistique remet en question cette idée et introduit une fragilité de structure. Je crée sans savoir ce qui va être créé, et ce qui apparaît semble sans lien avec ce qui semblait être une évidence. La création interroge la continuité : apparaît le fragment. Avec lui, une remise en question du « sens » de l’existence. Je crée des œuvres de fil, des écritures de fil.
This article shows that we live, sometimes, with the idea that continuity dominates existence. Artistic practice questions this idea and introduces a structural fragility. I create without knowing what will be created, and what appears does not appear to have any sort of link with what used to appear obvious. Creation interrogates continuity: the fragment appears. With it, the “meaning” of existence is questioned. I create threads of work, threads of writing.
Patricia Franca-Huchet, « Le livre de Zénon Piéters. Photographie, montage et fragments d’écritures »
Patricia Franca-Huchet est professeure et chercheuse à l’École des beaux-arts de l’université fédérale du Minas Gerais, au Brésil. Elle a été enseignante à l’université de São Paulo et a fait sa formation à l’université Paris I. Elle est coordinatrice du groupe de recherche Bureau d’études sur l’image et le temps et a publié des livres et des articles au Brésil et dans d’autres pays.
À l’image du poète Fernando Pessoa, cet article examine quatre personnalités imaginaires : Les Quatre Photographes. Les photographies entretiennent des relations avec chaque photographe fictif. Un livre en forme d’interview interroge les frontières entre fiction et non-fiction. Le travail de Zénon Piéters, dont la photographie d’œuvres picturales révèle une impossibilité, est privilégié. Comment lire le fragment comme une progression artistique vers le peu, le moins, l’allusif, l’elliptique ?
Like the poet Fernando Pessoa, this article examines four imaginary personalities: Les Quatre Photographes. The images are related to each fictional photograph. A book in the form of an interview interrogates the frontiers between fiction and non-fiction. The work of Zénon Piéters, whose photography of pictorial works amounts to an impossibility, is privileged. How can we read the fragment as an artistic progression towards the little, the least, the allusive, and the elliptical?
Bénédicte Duvernay, « L’objet isolé dans la peinture. Penser le fragment en histoire de l’art »
Bénédicte Duvernay est doctorante contractuelle au centre d’histoire et de théorie des arts de l’EHESS et s’intéresse aux échanges entre peinture et écriture au début du xxe siècle. Elle est membre du comité de rédaction et secrétaire de rédaction d’Images Re-vues, membre de l’unité mixte de recherche Art contemporain et temps de l’histoire et collaboratrice à Netwerk / Centre d’art contemporain.
L’apparition de toiles consacrées à des objets uniques (chez Manet, Courbet ou Van Gogh) est un phénomène nouveau dans la peinture, qui pose à l’histoire de l’art la question de savoir pourquoi il faut attendre la fin du xixe siècle pour voir émerger la possibilité de jouer de la découpe pour faire, comme le dira Fernand Léger, « advenir l’objet », jusque-là parergon du tableau à sujet ou figurant dans les plus vastes ensembles que constituent les natures mortes.
The appearance of canvases devoted to single objects (in the work of Manet, Courbet or Van Gogh) was a new phenomenon in painting. This asks art historians to explain why we had to wait until the end of the nineteenth century to see the possibility of cutting emerge, making, as Fernand Léger would go on to say, “the object happen”, until then the parergon of the subject painting or figuring amongst the vast ensembles constituting still lifes.
Stéphane Huchet, « L’installation artistique. Allégorie, texte, fragment, plénitude »
Stéphane Huchet est professeur d’histoire et de théorie de l’art à l’université fédérale de Minas Gerais (Brésil). Il est docteur de l’EHESS, membre du comité brésilien d’histoire de l’art et chercheur au CNRS brésilien. Il a dirigé Fragmentos de uma teoria da arte (São Paulo, 2012) et publié Intenções Espaciais (Belo Horizonte, 2012), Le Tableau du monde (Paris, 1999).
L’installation condense dans un dispositif singulier une façon pour l’artiste de construire un monde à partir de fragments de mondes provisoirement ajustés. Des artistes comme Joseph Kosuth ou Cildo Meireles enclenchent un processus de compréhension dans lequel l’installation comme fragment est une coupe dans le sens. À l’opposé, Ilya Kabakov insiste sur la somme esthétique. La vieille tension entre allégorie et symbole n’est pas morte aujourd’hui.
An installation condenses into a single structure a way for an artist to construct a world based on provisionally modified fragments. Artists like Joseph Kosuth and Cildo Meireles engineer a process of understanding in which the installation as a fragment is
a section of meaning. On the other hand, Ilya Kabakov insists on the aesthetic whole. The old tension between allegory and symbol lives on.
Bengi Ateşöz-Dorge, « Opération délicate : fragmenter »
Bengi Ateşöz-Dorge est chorégraphe et danseuse, docteure en littérature comparée, auteure de l’essai Écrire la danse ? Dominique Bagouet (Paris, 2012). Depuis 2002, elle poursuit un parcours qui lie la pratique et la recherche en danse. À travers différents colloques elle développe la forme « conférence dansée ». Actuellement, elle crée ses pièces au sein de la Compagnie Beng Beng.
De la mise en scène d’un corps fragmenté à la construction d’une chorégraphie, la scène contemporaine joue avec les fragments. À la lumière du travail de Bertrand Lavier, le fragment nous donne à voir autre chose que la source. Dans l’écriture chorégraphique, il arrive d’interconnecter les sous-unités pour créer une complexité. Cela est différent de travailler avec le fragment, qui impose une antériorité à l’œuvre. Un tout déjà là. Est-ce une manière de dérober au sens d’un « tout énoncé » ?
From the dramatisation of the fragmented body to the construction of choreography, the contemporary stage plays with fragments. In light of the work of Bertrand Lavier, the fragment reveals something other than the source. In choreographic writing, sub-units are interconnected to create complexity. This is different from working with the fragment which insists on a form of anteriority at work, an entirety already there. Is there a way of evading the sense of an “entire utterance”?
Irène Dunyach, « Le livre interstitiel »
Irène Dunyach est doctorante en arts appliqués au sein du laboratoire LLA CREATIS de l’université Toulouse II. Sa recherche porte sur le design graphique éditorial comme appui à l’entrée dans la fiction. Elle imagine et conçoit des dispositifs éditoriaux hybrides, entre papier et numérique. Elle a contribué à l’ouvrage Le Temps du Livre, sous la direction de Marc Perelman, à paraître fin 2015.
Dépassant son statut d’objet fixateur des savoirs, et inspiré par les processus hypertextuels, le livre, aujourd’hui projeté dans un contexte numérique, s’ouvre à des modulations multiples, à sa fragmentation et à la dispersion de ses contenus transmédiatiques. Quand le livre est une entité morcelée, comment ses différents contenus sont-ils articulés ? La fragmentation est ici envisagée comme un tremplin vers de nouvelles manières de construire le livre.
Surpassing its status as an object which fixes knowledge, and inspired by hypertextual processes, the book, today projected into a digital context, is open to multiple modulations, including its fragmentation and the dispersion of its trans-media contents. When the book is a broken-up entity, how are its different contents articulated? Fragmentation is envisaged as a springboard to new ways of constructing the book.
Corinne François-Denève, « Les Fragments d’Antonin. Esthétique et éthique du “collage mémoriel” »
Corinne François-Denève est maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin. Elle a traduit du suédois La Comédienne d’Anne Charlotte Leffler et La Juliette de Roméo de Victoria Benedictsson pour L’Avant-scène théâtre (no 1382-1383, 2015). Dans sa traduction, le Théâtre complet d’Anne Charlotte Leffler paraîtra en 2016. Elle écrit des pièces et dirige la compagnie Benoît Lepecq.
Les techniques utilisées dans les films de guerre semblent répondre au traumatisme par une esthétique du fragmentaire. Il s’agira de penser, à travers l’analyse des Fragments d’Antonin, la tentation d’histoire totale contre multiplicité des interprétations : le totalitarisme du grand récit, de la mémoire forcément collective, du devoir de mémoire forcément consensuel se déclinant en fragments prudents, parcellaires.
The techniques used in war films respond to trauma with an aesthetic of fragmentation. It is a question of thinking, by way of an analysis of the Fragments d’Antonin, about the temptation for total history versus the multiplicity of interpretations: the totalitarianism of the great narrative, the inevitably collective memory, and the inevitably consensual duty of remembrance carefully fragmenting itself into constituent parts.
Nicolas Correard, « Poussières de mondes, éclats d’enfers. Poétique de la fragmentation chez Anton Francesco Doni »
Nicolas Correard est agrégé de lettres modernes et ancien élève de l’ENS-LSH. Il est maître de conférences en littératures comparées à l’université de Nantes. Ses recherches portent sur la littérature sério-comique de la Renaissance et de la première modernité.
On ne trouve pas la notion de « fragment » chez Anton Francesco Doni (1513-1574), auteur cardinal de la fiction italienne du Cinquecento. Pourtant, il y a chez lui une pratique fragmentaire délibérée, systématique, qui s’autoconceptualise dans les termes d’une œuvre écrite par « morceaux » (pezzi), à la fois inédite, et s’inscrivant dans le prolongement d’une certaine Renaissance.
The notion of the “fragment” is not to be found in the work of Anton Francesco Doni (1513-1574), the principal author of Italian fiction of the Cinquecento. However, [his] work reveals a deliberate, systematic, fragmentary practice, which conceives of itself in terms of a work written in “morsels”, at once unseen and part of the prolonging of a particular mode of Renaissance.
Gilles Polizzi, « La mimétique de l’imprimé. L’écriture du fragment dans les fictions françaises de la Renaissance (1499-1615) »
Gilles Polizzi est professeur de littérature française (xvie et xviie siècles) à l’université de Haute-Alsace, et membre de l’ILLE. Il a axé ses recherches autour du Songe de Poliphile et sa réception française (Rabelais, La Fontaine, Nerval) et la littérature de la Renaissance, de Rabelais à Béroalde de Verville.
À partir de quatre exemples d’exhibition de fragments dans les fictions de la Renaissance (Colonna, Rabelais, Barthélémy Aneau, Béroalde de Verville), cet article se propose de confronter quatre modèles théoriques de fragmentation narrative et scripturale afin de donner une explication d’un phénomène déjà amplement constaté : l’omniprésence du fragment dans la définition de la fiction littéraire française au xvie siècle.
Based on four examples of the display of fragments in Renaissance fictions (Colonna, Rabelais, Barthélémy Aneau, and Béroalde de Verville), this article brings four theoretical models of narrative and scriptural fragmentation into dialogue with each other to give an explanation of an already amply observed phenomenon: the omnipresence of the fragment in the definition of sixteenth-century French literary fiction.
Anne Réach-Ngô, « “Bien ecrire missives, ou parler François”. Trésor des Amadis et Trésor d’Amour, de la compilation didactique au récit épistolaire ? »
Anne Réach-Ngô, maître de conférences à l’université de Haute-Alsace et membre de l’Institut universitaire de France, s’intéresse aux pratiques et discours éditoriaux à la Renaissance. Ses travaux récents portent sur la mode des « Trésors », ces ouvrages imprimés qui voient le jour au xvie siècle, sur la notion de bien culturel à travers les âges et sur la réception de la Renaissance aujourd’hui.
Il est un genre éditorial à la Renaissance qui rend compte d’une pensée du fragment comme accès à la vitrine culturelle de l’époque, celui des « Trésors » imprimés en langue vernaculaire. L’objet de cette communication sera d’examiner comment la pensée du fragment dont rend compte ce corpus
des « Trésors » traduit l’un des mécanismes les plus féconds de la production de la culture à la Renaissance : sélectionner, assembler, agencer des écrits parvenus jusqu’à l’imprimé par des voies très diverses.
The “Trésors”, printed in vernacular language, were an editorial genre in the Renaissance which understood the fragment of thought as a means of providing access to the cultural window of the epoch. This contribution seeks to examine how the thought of the fragment, which the corpus of the “Trésors” made sense of, translates one of the most fertile mechanisms of cultural production in the Renaissance: selecting, assembling, and ordering writings which managed, via various routes, to be printed.
Marilina Gianico, « L’inatteignable absolu. Les fragments de traduction de l’Iliade de Ugo Foscolo et l’idéal de la Grèce ancienne »
Marilina Gianico est membre de l’ILLE, docteure ès lettres de l’université de Bologne (Doctorat d’études supérieures européennes). Elle a soutenu une thèse sur la représentation du pathétique masculin dans le roman sentimental européen des Lumières et s’intéresse à l’intertexte gréco-latin dans les poétiques du pathétique et aux représentations culturelles de la souffrance au xviiie siècle.
Ugo Foscolo travailla toute sa vie à la traduction du poème homérique. Après avoir publié un essai de traduction en 1807, Foscolo poursuivit sa pratique traductive de façon fragmentaire. Comment expliquer ce caractère discontinu et inachevé du livre ? Et comment expliquer la dissémination de ces fragments dans ses autres ouvrages ? Quel rôle a joué cette image à la fois idéalisée et diffractée du monde décrit par le texte grec dans l’agencement de ces fragments ?
Ugo Foscolo spent his whole life working on the translation of the Homeric poem. After having published an attempted translation in 1807, Foscolo pursued his translational practice in a fragmentary way. How can we explain the discontinuous and unfinished character of the book? And how can we explain the dissemination of these fragments in other works? What role has the at once idealised and diffracted image of the world described by the Greek text played in the arrangement of these fragments?
Marjolaine Badufle, « Fragments et non-dits dans Mes Pensées de Monstesquieu »
Marjolaine Badufle est doctorante à l’université de Bretagne-Sud à Lorient. Elle prépare actuellement sa thèse intitulée « Politique(s) de la littérature chez Montesquieu », dans le cadre de l’École doctorale arts, lettres, langues (Rennes).
Mes Pensées, ouvrage de travail que Montesquieu conservait pour son usage personnel, constitue l’exemple même d’une certaine écriture fragmentaire. Loin de former un tout homogène, il s’agit d’un ensemble de singularités rédactionnelles qui dévoilent la mise en œuvre de la pensée, un travail constant sur l’expression, bien en amont de toute construction littéraire prédéfinie. L’objectif de cette communication sera d’étudier la poétique du non-dit dans cet ouvrage complexe et multiforme.
Mes Pensées, a work book that Montesquieu kept for his own personal use, is exemplary of a certain form of fragmentary writing. Far from forming a homogenous whole, it is a question of an ensemble of editorial singularities which unveil the way thought is established and expression constantly worked away at well in advance of any predefined literary construction. The aim of this communication is to study the poetics of the non-said in this complex and multiform work.
Éva Bús, « The nonsense of an ending. Laurence Sterne’s A Sentimental Journey in the intersection of eighteen-century travel litterature and fragment culture »
Éva Bús est professeure agrégée, directrice du département d’études anglaises et américaines à l’université de Pannonie (Veszprém). Parmi ses domaines de recherche, il y a la théorie du genre, la théorie dramatique, l’époque médiévale, la Renaissance et le xviie siècle.
Le voyageur-narrateur du roman de Sterne, Yorick, affirme que ses « voyages et [s]es observations seront d’une nature différente de ceux de tous [s]es prédécesseurs ». Cet essai se donne pour tâche d’examiner la manière dont Sterne, dans ses derniers travaux fictifs, défie et reconfigure la littérature de voyage en utilisant les techniques de la culture contemporaine du fragment.
The traveller-narrator in Sterne’s novel, Yorick, affirms that his “journeys and [his] observations will be of an entirely different nature from those of [his] predecessors”. This essay examines the way in which Sterne, in his last fictional works, defies and reconfigures travel literature by using the techniques of the contemporary culture of the fragment.
Árpád Kovács, « “L’infinité en petitesse” : Pascal et Dostoïevski »
Árpád Kovács est professeur émérite à l’université de Pannonie (Veszprém). Il est membre de l’institut d’études littéraires et culturelles, spécialisé en littérature et théories du discours, littérature hongroise et européenne, études slaves. Il a publié dernièrement Az irodalmi esemény (Budapest, 2013).
La présente étude se propose d’aborder le phénomène que cache la notion de fragment, dans ses corrélations avec la partie et le tout, le fini et l’infini, en portant une attention particulière aux figures de la double illimitation (celle de l’ouverture de la partie visible et de la totalité insaisissable), du contact et de la participation, en comparant l’œuvre de Pascal et de Dostoïevski.
This study approaches the phenomenon hidden by the notion of the fragment in its correlations with the part and the whole and the finite and the infinite, while paying particular attention to the figures of two-fold limitlessness (that of the opening of the visible part and the totality which cannot be grasped), contact, and participation, comparing the work of Pascal and Dostoevsky.
Dorottya Szávai, « L’identité narrative en fragments (Cervantes, Flaubert, Kafka) »
Dorottya Szávai est maître de conférences, HDR, directrice du master de littérature comparée de l’institut d’études littéraires (département de lettres modernes et de littérature générale et comparée) de l’université Pannon de Veszprém (Hongrie). Sa dernière monographie est Les Figures du « Toi ». Dialogisme et subjectivité en poésie (Budapest, 2009).
Cette étude porte sur une tradition littéraire organique issue de « l’héritage décrié de Cervantes » (dixit Milan Kundera), se déployant dans les romans de Gustave Flaubert pour aboutir dans l’art de Franz Kafka. Ce questionnement sur le fragment met en relief la problématique de la totalité dans l’histoire du roman européen.
This study focuses on the organic literary tradition which emerged from the “disparaged heritage of Cervantes” (dixit Milan Kundera), was deployed in Gustave Flaubert’s novels, and ended up in the art of Franz Kafka. Questioning the fragment illuminates the problematic of the totality in the history of the European novel.
Laurent Curelly, « The Man in the Moon (1649-1650). Fragments poétiques dans la presse royaliste anglaise des années révolutionnaires »
Laurent Curelly est maître de conférences en études anglophones à l’université de Haute-Alsace et spécialiste de littérature et d’histoire anglaises du xviie siècle. Il est l’auteur de nombreux articles portant sur la presse des années révolutionnaires anglaises (1638-1660). Il a publié une traduction en français des éditoriaux de l’hebdomadaire radical anglais The Moderate (Saint-Étienne, 2011).
La période révolutionnaire anglaise des années 1640-1650 fut propice à l’épanouissement de la presse hebdomadaire. Cette communication est centrée sur un des rares hebdomadaires royalistes publiés après l’exécution du roi Charles, The Man in the Moon. Il s’agit de définir une typologie des fragments poétiques intégrés au journal et d’apprécier les liens qu’ils entretiennent avec leur environnement textuel immédiat et le tout que forment les différents numéros.
The English Revolutionary period of the years 1640-1650 encouraged the flourishing of the weekly press. This contribution focuses on one of the rare weekly papers to be published after the execution of King Charles: The Man in the Moon. It seeks to define a typology of the poetic fragments integrated into the newspaper and to appreciate their links with the immediate textual environment, and the entirety formed by the different issues.
Pascale Mougeolle, « Fragmentation et cycle dans La Légende des siècles »
Pascale Mougeolle est l’auteure d’une thèse de littérature comparée intitulée « Poétique de l’épopée d’Homère à Hugo. Une esthétique de la violence ». Elle est chercheuse à l’université de Lorraine, où elle est chargée de cours. Ses recherches portent sur la fabrique des textes, tout particulièrement sur la résurgence et la variation de l’épopée de l’Antiquité à la modernité.
La Légende des siècles – Les Petites Épopées de Victor Hugo utilisent la fragmentation comme principe esthétique en interrogeant le rapport qu’il fait naître entre la partie et le tout. L’hypothèse serait de considérer la segmentation de l’œuvre comme participant d’un art poétique renouvelé. La fragmentation serait le nécessaire concept de la poésie totale, parce qu’elle favorise la démultiplication de l’image des états du monde et qu’elle la lie à l’éternel retour des choses.
La Légende des siècles–Les Petites Épopées by Victor Hugo uses fragmentation as an aesthetic principle by examining the rapport it produces between the part and the whole. The hypothesis here is to consider the segmentation of the work as a way of participating in a renewed poetic art. Fragmentation would then be a necessary concept for total poetry because it privileges the multiplication of the image of states of the world and links it to the eternal return of things.
Martina Della Casa, « Ce qui reste du représentable dans l’écriture beckettienne. Le fragment et l’épreuve du pire »
Martina Della Casa est ATER d’italien à l’université de Haute-Alsace et membre de l’ILLE. Elle a soutenu sa thèse Expériences du sacré et (dé)figurations du Christ. Artaud,
Beckett et Pasolini (Bologne, 2014). Ses recherches portent notamment sur la littérature contemporaine européenne, le rapport entre littérature et spiritualité, la traduction et la circulation des textes en Europe.
Beckett, à travers l’application méthodique d’une logique combinatoire de l’excès et de l’épuisement, fait du fragment l’expression minime d’une écriture et d’une pensée qui parviennent à déployer leur inachèvement et leur fragilité, mais aussi leur ténacité et leur résistance face à une fin sublime qui les menace tout en n’arrivant jamais. Le fragment beckettien est interrogé comme entité ambivalente par laquelle l’écriture et la pensée parviennent à se défaire et à se réinventer tout à la fois.
Through the methodical application of a combinatory logic of excess and exhaustion, Beckett makes of the fragment the minimal expression of modes of writing and thought which manage to deploy their unfinished and fragile state but also their tenacity and resistance faced with a sublime end which threatens them while never materialising. Becket’s fragment is examined as an ambivalent entity through which writing and thought manage to undo and reinvent themselves at the same time.
Till R. Kuhnle, « D’une épave de moissonneuse à l’épiphanie. La Bataille de Pharsale de Claude Simon »
Till R. Kuhnle est professeur en littérature comparée à l’université de Limoges, membre de l’EHIC. Auteur et directeur de nombreux ouvrages, il est membre de plusieurs comités et dirige la collection « Irrésignations » (fin 2015). Principaux axes de recherche : théologie politique, moralistes européens, pensée existentielle, littératures francophones, cinéma, Nietzsche et les avant-gardes, roman d’aventures libertaire.
Au milieu du roman La Bataille de Pharsale, on peut trouver une longue description de l’épave d’une moissonneuse. Or, l’écriture simonienne enlève ces fragments vers une autre dimension. Ils évoquent l’érotisme et forment un système de renvois qui est à considérer comme un tout. Ils fragmentent le récit linéaire. Ces fragments temporels forment les archives de l’épiphanie sur laquelle commence le roman : « Obscure colombe auréolée de safran ».
A long description of a wreck of a harvester can be found in the middle of the novel La Bataille de Pharsale. Simonian writing lifts these fragments into another dimension. They evoke eroticism, forming a system of references which can considered as a whole. They fragment the linear narrative. These temporal fragments form the archives of the epiphany with which the novel begins: “Obscure dove crowned with saffron”.
Thomas Zenetti, « “Les décombres sont, comme les monuments, des matériaux de construction qui viennent tout droit des carrières”. L’écriture de fragment chez Heiner Müller »
Thomas Zenetti est agrégé d’allemand, docteur de l’université Paris-Sorbonne, maître de conférences en littérature germanique à l’université de Haute-Alsace (Mulhouse) et membre de l’ILLE. Ses axes de recherche sont le théâtre de langue allemande du xxe siècle, la littérature de la R.D.A. et le cinéma allemand. Il a publié des ouvrages sur Heiner Müller, Bertolt Brecht, Edgar Reitz et Wim Wenders.
En 1975, Heiner Müller reprend des scènes écrites au début des années 1960 en vue d’un agro-drame qui devait traiter de la mécanisation de l’agriculture en Allemagne de l’Est, et les entrecoupe de textes d’origines diverses. Il en résulte une pièce réfractaire à un théâtre conventionnel où le spectateur peut se contenter de consommer l’intrigue et les idées : Traktor, dans laquelle le fragment tient un rôle essentiel.
In 1975, Heiner Müller returned to scenes written at the beginning of the 1960s with the aim of creating an agro-drama about the mechanisation of agriculture in Eastern Germany and the intersection between texts of diverse origins. The result is a play which rebels against a conventional theatre where the spectator is happy to consume the plot and ideas: Traktor, in which the fragment plays an essential role.
János Szávai, « La passion du feuilleteur, ou le fragment selon Thomas Bernhard »
János Szávai est professeur de littérature comparée à l’université ELTE (Budapest). Il a publié, avec Catherine Mayaux, Problématique du roman européen (Paris, 2009), avec P. Ricœur, M. Maróth, M. Vajda, Qui est libre ? (Paris, 2002), avec Alain Lance, Nouvelle poésie hongroise (Paris, 2001).
Thomas Bernhard, à travers son personnage de Reger dans Maîtres anciens, posait à travers l’idée de la lecture par feuilletage, celle de totalité et de fragment. La logique de Reger est implacable : il n’y a ni perfection, ni totalité, ni chef-d’œuvre, la grandeur de l’art est une illusion, la forme n’existe qu’en fragments. Cet article se demande quel débat – actuel – mène ce récit et ses connexions.
Through the character of Reger in Maîtres anciens, and the idea of skim-reading, Thomas Bernhard poses the question of totality and fragment. Reger’s logic is implacable: there is no perfection, nor totality, nor masterpiece; the grandeur of art
is an illusion, form only exists in fragments. This article asks which–current–debate motivates this account and its connections.
Gábor Kovács, « The destruction of the Frame. (A semantic approach of the fragment) »
Gábor Kovács est docteur en littérature et sciences sociales à l’université de Pannonie (Veszprém). Il a publié deux livres, A történetképző versidom. Arany János elbeszélő költészete (Budapest, 2010), et A szó kényszerhelyzetben. Bevezetés Gárdonyi regénypoétikájába (Budapest, 2011) ainsi que de nombreux articles sur la métaphore, le dialogue et les différentes formes de langage.
Cet article tente de définir le fragment littéraire et le processus littéraire de la « fragmentalisation » en tant que résultat particulier de la relation narrative de la partie (acte) et de l’ensemble (intrigue) au niveau de la mise en intrigue, et de l’interaction sémantique du centre et du cadre au niveau du discours métaphorique.
This article seeks to define the literary fragment and the literary process of “fragmenting”. The latter is understood as the particular result of the narrative relation of the part (act) and the whole (plot) at the level of the plotting, and of the semantic interaction between centre and border at the level of metaphorical discourse.
Tania Collani, « Fragments de rêves. Hors-textes de Giovanni Boine et d’André Breton »
Tania Collani est maître de conférences HDR, spécialiste de Robert Desnos, de l’avant-garde européenne, de la traduction et de la critique littéraire italienne. Elle est auteur et coauteur de plusieurs essais et études, dont Le Merveilleux dans la prose surréaliste européenne (Paris, 2010) et Poétiques scientifiques dans les revues européennes de la modernité (1900-1940) (Paris, 2013).
De quelle totalité le rêve serait-il le fragment ? À partir de l’idée des « fragments de rêves » tirée de la lecture des Champs magnétiques (1920) d’André Breton et Philippe Soupault, cette étude s’intéresse aux formes que revêt le « grand » rêve dans la réalité, mais aussi dans la littérature et plus précisément l’écriture de Giovanni Boine.
Which totality is the dream a fragment of? Based on the idea of the “fragments of dreams” drawn from a reading of the Champs magnétiques (1920) by André Breton
and Philippe Soupault, this study focuses on the forms that clothe this “great” dream in reality, but also in literature and, more precisely, the writing of Giovanni Boine.
Audrey Blind, « Les Cent phrases pour éventails de Paul Claudel. Le fragment comme vibration du sens »
Audrey Blind est professeure agrégée de lettres modernes en lycée et CPGE. Elle s’intéresse notamment à la poésie et au théâtre de Paul Claudel. Elle a récemment publié l’article « Paul Claudel, Le Soulier de satin, un mystère entre Ciel et Mer. Le spectacle de la rédemption », dans Renaissances du mystère en Europe, fin xixe siècle-début xxie siècle (Strasbourg, 2015).
Objet unique dans l’œuvre de Paul Claudel, les Cent phrases pour éventails (1927 – première édition japonaise) réalisent le curieux syncrétisme entre les univers japonais et occidental. À travers une centaine de phrases inspirées des haïkus, Claudel dialogue avec la calligraphie et les théories de la poésie orientale. Dans ce contexte, le fragment est renouveau d’inspiration, il défige, renvoie au mouvement inhérent à toute œuvre d’art. En quoi cette fragmentation remotive-t-elle le sens ?
A unique object in the work of Paul Claudel, the Cent phrases pour éventails (1927–the first Japanese edition) effect a curious syncretism between Japanese and Western universes. Through a hundred phrases inspired by haikus, Claudel enters into a dialogue with calligraphy and theories of Oriental poetry. In this context, the fragment is renewed inspiration, it melts and reverts to that movement inherent in all artworks. How does this fragmentation re-motivate meaning?
Augustin Voegele, « Jules Romains ou la fragmentation comme mètis »
Augustin Voegele, après un master de littérature comparée et un diplôme d’université en études helvétiques, termine à l’université de Haute-Alsace une thèse en littérature française consacrée au fantastique chez Jules Romains. Il est l’auteur d’une dizaine d’articles parus ou à paraître, consacrés notamment aux aspects poétiques, politiques et épistémologiques des œuvres de Jules Romains.
La métamorphose du roman-fleuve semble condamner le genre à la linéarité temporelle, et donc à une certaine étroitesse spatiale. Dans Les Hommes de bonne volonté, Romains, au contraire, fragmente le temps en instants discontinus dont chacun est considéré dans la totalité de son étendue spatiale. Mais même s’il se veut tabulaire dans sa conception, le roman est toujours linéaire dans sa
réception. À la logique hypostatique de la synecdoque se substitue donc une logique monadique du puzzle.
The metamorphoses of the river-novel seem to condemn the novel to temporal linearity and thus a certain spatial narrowness. In Les Hommes de bonne volonté, Romains, on the contrary, fragments time into discontinuous instants, each of which is considered in the totality of its spatial reach. But even if it seeks to be tabular in its conception, the novel is always linear in its reception. A monadic logic of the puzzle thus replaces the hypostatic logic of synecdoche.
Samara Geske, « “Écrire, ma joie profonde !”. Le fragment et l’écriture dans les Carnets d’Albert Camus »
Samara Fernanda Geske est docteure en littérature française de l’université de São Paulo, spécialiste de l’œuvre camusienne. Elle a publié « Albert Camus, du royaume du silence au monde de la création » dans Alkémie no 13 (Paris, 2014) et « L’art ou la fidélité au monde des pauvres » dans Camus l’artiste (Rennes, 2015). Elle a traduit vers le portugais les Carnets de Camus, en collaboration avec Araújo (São Paulo, 2013).
Pendant toute sa vie littéraire (1935-1959), Albert Camus a tenu des cahiers d’écolier où il jetait des notes. Elles sont parfois liées à la totalité d’une œuvre en chantier ou à venir, mais le fragment envisage surtout une liberté de l’écriture. Le fragment joue alors un rôle fondamental, puisqu’il ne témoigne pas de l’angoisse de ne pas pouvoir finir, mais de la joie de pouvoir toujours commencer, d’écrire en liberté : « Écrire, ma joie profonde ! », note Camus dans les Carnets.
Throughout his literary career (1935-1959), Albert Camus kept exercise books that he filled with notes. These are sometimes linked to the totality of a work in progress or to come, but above all the fragment speaks of a free form of writing. The fragment thus plays a fundamental role because it does not testify to the anguish of being unable to finish, but rather to the joy of always beginning, of writing freely: “Writing, my profound joy!” notes Camus in the Carnets.
Manuel Martínez-Duró, « Formes et fonctions de la fragmentation dans le roman. Le cas de Juan Benet »
Manuel Martínez-Duró est membre associé du centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA) de l’université Paris Ouest – Nanterre – La Défense, ainsi que de l’association Narrativa Española Contemporánea+ (NEC+). Il a publié Lire
l’illisible : sémantique de la difficulté dans Una meditación de Juan Benet (Villeurbanne, 2015).
Bien qu’il se présente comme roman, le lecteur de Una meditaciòn se heurte à un texte qui brouille constamment l’articulation entre les événements et l’identité des personnages qui y participent. Juan Benet affirmait que son roman devait être lu « ligne par ligne, phrase par phrase ». Nous interrogerons cette apparente contradiction entre l’unité-roman, promise mais escamotée, et la réalité d’une lecture qui a affaire à des fragments décontextualisés.
Although it is presented as a novel, the reader of Una meditaciòn comes up against a text which constantly blurs the articulation between the events and identity of its characters. Juan Benet affirmed that his novel should be read “line by line, sentence by sentence”. We examine the apparent contradiction between the novel-unity, promised but evaded, and the reality of reading which has to do with decontextualised fragments.
Katalin Szitár, « The meaning-making fragment. On a French pre-text in Margit Kaffka’s novel The years of Mary »
Katalin Szitár (1966-2015) était professeure associée à l’institut de littérature de l’université de Pannonie (Veszprém) et directrice du département de littérature hongroise. Ses livres les plus récents, A prózanyelv Kosztolányinál (Budapest, 2000) et A regény költészete. Németh László (Budapest, 2010), s’intéressent à la prose hongroise du début du xxe siècle.
L’objectif principal de cet article est d’interpréter la question du fragment du point de vue de la relation entre le mot et le texte. Cette étude fait référence à un important auteur hongrois du xxe siècle, Dezső Kosztolányi, et à sa pensée. Cette intervention se compose également de l’interprétation d’un autre écrivain hongrois, Margit Kaffka, avec son roman intitulé The years of Mary (1913) à la lumière d’un prétexte français, Salammbô de Flaubert.
The principal objective of this article is to interpret the question of the fragment from the point of view of the relationship between word and text. This study refers to an important Hungarian author of the twentieth century, Dezső Kosztolányi, and his thought. This contribution also includes an interpretation of another Hungarian writer, Margit Kaffka, with her novel entitled The Years of Mary (1913), in light of a French pretext: Flaubert’s Salammbô.
Natacha Lafond, « Poétique du fragment. Philippe Jaccottet, Yves Bennefoy, Salah Stétié et André Du Bouchet »
Natacha Lafond est docteure en littérature française et d’expression française (xxe-xxie siècle) de l’université de Haute-Alsace et membre de l’ILLE. Ses thèmes de recherches sont notamment la littérature contemporaine, la philosophie et les arts à travers les siècles, la poésie moderne de 1880 à nos jours, le baroque et la modernité, le théâtre.
Il s’agit d’une étude du fragment dans la poésie postromantique qui remet en cause sa forme solaire, comme le présentent J.-L. Nancy et P. Lacoue-Labarthe dans leurs travaux. Désormais, le fragment tend au débris pour une part et à l’éclat d’autre part. Un héritage de la Seconde Guerre mondiale et des difficultés à dire du lyrisme poétique depuis les années 1950.
This is a study of the fragment in post-Romantic poetry which questions its solar form, as presented by J.-L. Nancy and P. Lacoue-Labarthe in their work. Since then, the fragment has tended towards the debris, on the one hand, and the shard on the other: the result of the Second World War and the difficulties of speaking about poetic lyricism since the 1950s.
- CLIL theme: 4053 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Théorie Littéraire
- ISBN: 978-2-8124-4807-2
- EAN: 9782812448072
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4807-2.p.0567
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-14-2016
- Language: French