Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Cultures du secret à l’époque moderne. Raisons, espaces, paradoxes, fabriques
- Pages : 359 à 365
- Collection : POLEN - Pouvoirs, lettres, normes, n° 32
RÉSUMÉS
Laure Depretto, Christian Renoux, Christophe Speroni et Gabriele Vickermann-Ribémont, « Introduction générale »
Dans la suite des travaux sur l’anecdote, l’approche interdisciplinaire interroge les relations complexes entre privé et public à l’époque moderne à travers le secret, individuel ou collectif, aussi bien dans sa formulation théorique que dans les pratiques institutionnelles et sociales, notamment d’écriture et de publication. L’étude de ses motivations, espaces privilégiés et paradoxes ainsi que des façons de le construire en précise la dynamique allant jusqu’à la fabrication de faux secrets.
Laure Depretto, « Raisons du secret »
Professionnels et gouvernants ont en commun d’être astreints dans l’exercice de leurs fonctions à un impératif de discrétion, voire de dissimulation. Cela ne signifie pas pour autant que le secret soit une exigence absolue de leur pratique, ni qu’il faille, comme critiques et historiens, se laisser prendre aux secrets comme on tombe dans un piège.
Stanis Perez, « Un secret médical impossible ? Les obstacles à la confidentialité dans la pratique médicale française (xvie-xixe siècles) »
Dans la France moderne, si l’impératif de confidentialité est clairement énoncé, les logiques du partage du savoir ont occasionné des entorses aux exigences assimilant le médecin à un confesseur du corps malade. Entre les règles juridiques de l’expertise et l’avènement progressif d’un regard clinique, l’inaliénabilité du secret semble avoir décliné, les recommandations théoriques peinant à aller contre la mise en place d’un espace public du savoir valorisant la diffusion du savoir des médecins.
360Geneviève Deblock, « Publier des livres de secrets : un paradoxe. Livres de secrets et littérature de colportage en France, xve-xixe siècles »
Les livres de secrets imprimés dans la littérature de colportage du xvie au xixe siècle sont de petites encyclopédies. Outre le plaisir de la transmission maintes fois exprimé, ils diffusent différents savoirs empiriques, issus de la nature ou d’une activité humaine. Les secrets sont compris comme des méthodes ou arts de faire qui, associés à un goût pour l’ingéniosité, l’habileté, le spectacle, contribuent à développer chez le lecteur observation, réflexion et scepticisme.
Aurélie Bonnefoy-Lucheri, « Courts secrets et secrets de Cour dans les Historiettes de Tallemant des Réaux »
Maniaque de la curiosité, Tallemant des Réaux se plaît à raconter de petites histoires ayant trait à la vie privée de personnages publics. Les « logiques du secret » (L. Marin) sont triplement à l’œuvre au sein des Historiettes :dans le dévoilement du secret s’origine la raison d’être du manuscrit. Ces dévoilements infâmants ou scandaleux constituent la raison majeure de la clandestinité du manuscrit, demeuré pendant plus de deux siècles dans l’ombre de bibliothèques privées.
Christian Jouhaud, « Dans l’événement : secrets sus, éventés, publiés, oubliés. Histoire et historiographie, xviie siècle »
Au xviie siècle, les récits relatant des actions politiques dans l’après coup des Mémoires s’efforcent non seulement d’en donner les raisons jusqu’ici restées secrètes mais encore de justifier le recours à des manœuvres secrètes. Pour autant cette mise en écriture du secret ne signifie pas que les auteurs de Mémoires ou les théoriciens politiques nous livrent des secrets d’État, mais plutôt qu’ils construisent, pour la postérité, des leurres historiographiques.
Nicolas Schapira, « Peut-on confier des secrets à un secrétaire ? Domesticité, bureaucratie et pouvoir dans la France d’Ancien Régime »
Une approche sociopolitique de la fonction de secrétaire sous l’Ancien Régime, attentive à la relation de travail entre maîtres et secrétaires, révèle comment le secret est surtout mobilisé dans le cadre d’actions engagées par les secrétaires, qu’il s’agisse de politique ou du règlement de conflits. C’est 361avant tout leur statut de domestique qui forme le cadre de l’usage que les secrétaires font du secret.
Christophe Speroni, « Espaces du secret »
Qu’ils soient au tréfonds des campagnes fantasmées ou dans les recoins les plus obscurs des demeures urbaines, les espaces du secret sont généralement le produit de sociabilités complexes où alternent dissimulations et révélations. La frontière entre le public et le privé s’en trouve brouillée, mais lorsque le secret ne peut être partagé, c’est l’âme et le cœur qu’il finit par brûler.
Jean-Patrice Boudet, « Les lieux secrets de la magie rituelle »
La continuité qui caractérise les différentes versions de la Clavicule de Salomon, n’empêche pas une évolution contradictoire des lieux de la magie rituelle de la fin du Moyen Âge au xviiie siècle. Un courant ésotérique, syncrétique, épuré et proche de la kabbale juive s’insère dans la sociabilité urbaine, il ouvre ainsi le lieu du rituel et rend la préservation réclamée du secret plus difficile à garantir ; on le voit dans les manuscrits du Livre d’Abramelin le Mage des xviieet xviiie siècles.
Christian Zonza, « L’écriture du secret dans l’Histoire de France de Mézeray »
L’Histoire de France de Mézeray qui concerne le règne des derniers Valois est source de nombreuses fictions historiques au xviie siècle, parce que ce règne fut riche en ruses et en tromperies, capables de créer des péripéties narratives, mais également parce que Mézeray fait de la passion et du secret des cœurs et de l’âme, l’un des éléments essentiels de la causalité historique. Il ouvre ainsi la voie non seulement au roman psychologique mais aussi précocement à une histoire de la vie privée.
Gabriele Vickermann-Ribémont, « “L’air de mystère qui accompagna l’auguste cérémonie dans votre château”. Les lieux des mariages secrets dans les littératures française et anglaise du xviiie siècle »
L’analyse des lieux où sont contractés les mariages secrets fictionnels français et anglais montre une relative homogénéité selon les pays et leurs 362lois. Les mariages doivent en effet se conformer aux attentes juridiques afin d’être reconnus, et les fictions font de même, jouant par ailleurs sur les transgressions pour distinguer mariages secrets (mais valides) et clandestins (qui se révèleront invalides), y compris pour caractériser des personnages comme abusifs, dupes ou inconscients.
Jeffrey Hopes, « The closet of the heart. Les lieux domestiques du secret dans quelques romans et tragédies bourgeoises du xviiie siècle anglais »
Plusieurs romans anglais de la deuxième moitié du xviiie siècle font appel au motif du secret caché auquel leurs auteurs donnent une dimension physique et spatiale. C’est dans le cabinet, le closet, que ces secrets sont dissimulés. Ce motif repose d’une part sur un lieu commun des traités dévotionnels, the closet of the heart, et d’autre part sur l’utilisation qui en est faite dans les tragédies bourgeoises des années 1730 où ces lieux secrets renferment le mal qui enclenche le drame.
Gabriele Vickermann-Ribémont, « Voiler/dévoiler. Aspects et paradoxes du secret »
Distinguer, dans la suite des travaux de Louis Marin sur les « Logiques du secret », les aspects référentiels et discursifs du secret met en lumière les relations et paradoxes qui se nouent entre les deux, y compris dans une dynamique temporelle. L’étude du secret par les pratiques sociales de voiler ou dévoiler, en fonction des normes en vigueur et des intérêts des acteurs, révèle sa plasticité historique ainsi que sa puissance discursive, exploitée par des stratégies de divulgation maîtrisées.
Sophie Rothé, « Duper le “supprimeur”. La correspondance carcérale de Mirabeau et Sade mis au secret »
Au donjon de Vincennes, la correspondance de Mirabeau et Sade est contrainte et profanée au profit de la sûreté carcérale. Néanmoins, leur écriture épistolaire, soumise au secret absolu, s’appuie sur des stratégies de dissimulation (lettres clandestines, stéganographie, cryptographie…). Duper le censeur préserve ainsi une part de liberté et donne du pouvoir à l’épistolier captif, qui devient, au sens de Louis Marin, « maître du secret ».
363Myriam Deniel-Ternant, « Scandale et dévoilement. La sexualité ecclésiastique au grand jour »
Mises sous le boisseau, les sexualités des membres du clergé sont tolérées voire encouragées, à condition que les fonctions sacerdotales soient assurées. Leur historicisation ne résulte que d’exceptionnels flagrants délits et de rares judiciarisations. Or ces dernières naissent de l’instrumentalisation d’un dévoilement discursif par la communauté sociale : le scandale public permet de s’assurer une réponse institutionnelle visant à faire rentrer le contrevenant dans le rang comportemental.
Karine Abiven, « Le secret vendu. Manipulations énonciatives dans quelques mazarinades (1649-1652) »
Les mazarinades offrent une variété inédite de procédés énonciatifs théâtralisant l’actualité politique. Les allusions au secret politique se résument alors souvent à une caricature des acteurs politiques, parfois représentés en véritables marionnettes. D’autres manipulations consistent à divulguer à un large public des énoncés issus de négociations politiques réservées. Ces produits de libraire ont-ils pu contribuer, par ces formes de mise en spectacle, à la publicité de l’occultation du pouvoir ?
Élodie Bénard, « Voiler/dévoiler. Usages du secret dans la Vie de Racine (1747) et les lettres de l’auteur »
La Vie de Racine écrite par son fils et parue en 1747 avec les lettres de l’auteur offre un des premiers modèles d’une biographie adossée à une correspondance. Louis Racine altère considérablement le contenu de la correspondance. Or ce qui est tenu secret par la suppression et la recomposition est en relation avec le dévoilement qu’opère la Vie : montrer le vrai Racine. L’article contribue à l’étude de la dialectique à l’œuvre dans la biographie des xviie-xviiie siècles entre voiler et dévoiler.
Christian Renoux, « Fabriques du secret »
Avant son éventuelle révélation, le secret a eu une histoire qui se dit en partie lors de sa révélation, laquelle met souvent au jour les détenteurs du secret, les mécanismes de sa fabrique ainsi que ses raisons d’être. Car le secret 364a été voulu, maintenu, parfois gardé à travers des procédures minutieuses. Cette fabrique, qui peut prendre des voies très diverses, suppose une certaine élaboration, la mise en œuvre d’un minimum de procédures, qu’il s’agisse d’une pratique individuelle ou collective.
Céline Borello, « Minorité religieuse et secret. Le laboratoire huguenot dans la France toute catholique (xvie-xviiie siècles) »
L’usage du secret est négativement pensé par Calvin. Pourtant, le secret est mobilisé dans les communautés huguenotes tout au long de l’Ancien Régime. Son utilisation suivant une chronologie nuancée et des modalités diversifiées de partage de l’information entre initiés, ouvre la voie à un secret dont le recours devient salvateur. Dès lors, toute une économie du secret huguenot apparaît, conduisant à une adaptation du quotidien, à la fois pour les hommes, les lieux et les objets.
Pierre-Yves Beaurepaire, « Adam Weishaupt et la fabrique du secret chez les Illuminaten »
La « fabrique » du secret des Illuminaten par leur fondateur Adam Weishaupt permet de comprendre son projet et ses choix. Au sein de la première classe, le secret doit attirer les futures recrues. Au sein de la deuxième classe, il permet de dissimuler la véritable nature de l’ordre, avant de faire l’objet d’un apprentissage pour être maîtrisé au sein de la troisième classe. S’inspirant des Mystères d’Eleusis, Weishaupt explore les cultes à mystères pour bâtir une « école (secrète) de sagesse ».
Catherine Lanoë, « Réflexions à propos du “secret” de fabriquer “les perruques au métier” (xviie-xviiie siècles) »
En 1673, les frères Quentin, barbiers et valets de chambre de Louis XIV, désireux de tirer profit de la vogue des perruques à la cour, soumettent au roi une nouvelle manière de les fabriquer « au métier » et obtiennent un privilège. Dans le sillage d’un renouvellement de l’histoire de l’artisanat, cet article montre que le procédé ne relève ni de l’invention, ni du secret, mais qu’il atteste la transposition et l’adaptation de techniques déjà à l’œuvre dans d’autres secteurs de la production.
365Laure Depretto, « “Secret comme un coup de canon”. Les écrits de disgrâce de Bussy-Rabutin »
En étudiant la campagne épistolaire menée par Bussy-Rabutin pour rentrer en grâce, cet article montre comment le secret épistolaire est plus une nécessité d’affichage qu’un trait définitoire. Il n’y a pas à pointer une discordance entre un dire et un faire, mais à souligner que la défense du disgracié, pour être adéquatement diffusée et rendue publique, doit, en période de relégation, fabriquer du secret pour avoir une chance d’être entendu, partant, efficace.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14643-8
- EAN : 9782406146438
- ISSN : 2492-0150
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14643-8.p.0359
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/05/2023
- Langue : Français