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Classiques Garnier

Résumés

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RÉSUMÉS

Laure Depretto, Christian Renoux, Christophe Speroni et Gabriele Vickermann-Ribémont, « Introduction générale »

Dans la suite des travaux sur lanecdote, lapproche interdisciplinaire interroge les relations complexes entre privé et public à lépoque moderne à travers le secret, individuel ou collectif, aussi bien dans sa formulation théorique que dans les pratiques institutionnelles et sociales, notamment décriture et de publication. Létude de ses motivations, espaces privilégiés et paradoxes ainsi que des façons de le construire en précise la dynamique allant jusquà la fabrication de faux secrets.

Laure Depretto, « Raisons du secret »

Professionnels et gouvernants ont en commun dêtre astreints dans lexercice de leurs fonctions à un impératif de discrétion, voire de dissimulation. Cela ne signifie pas pour autant que le secret soit une exigence absolue de leur pratique, ni quil faille, comme critiques et historiens, se laisser prendre aux secrets comme on tombe dans un piège.

Stanis Perez, « Un secret médical impossible ? Les obstacles à la confidentialité dans la pratique médicale française (xvie-xixe siècles) » 

Dans la France moderne, si limpératif de confidentialité est clairement énoncé, les logiques du partage du savoir ont occasionné des entorses aux exigences assimilant le médecin à un confesseur du corps malade. Entre les règles juridiques de lexpertise et lavènement progressif dun regard clinique, linaliénabilité du secret semble avoir décliné, les recommandations théoriques peinant à aller contre la mise en place dun espace public du savoir valorisant la diffusion du savoir des médecins.

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Geneviève Deblock, « Publier des livres de secrets : un paradoxe. Livres de secrets et littérature de colportage en France, xve-xixe siècles » 

Les livres de secrets imprimés dans la littérature de colportage du xvie au xixe siècle sont de petites encyclopédies. Outre le plaisir de la transmission maintes fois exprimé, ils diffusent différents savoirs empiriques, issus de la nature ou dune activité humaine. Les secrets sont compris comme des méthodes ou arts de faire qui, associés à un goût pour lingéniosité, lhabileté, le spectacle, contribuent à développer chez le lecteur observation, réflexion et scepticisme.

Aurélie Bonnefoy-Lucheri, « Courts secrets et secrets de Cour dans les Historiettes de Tallemant des Réaux » 

Maniaque de la curiosité, Tallemant des Réaux se plaît à raconter de petites histoires ayant trait à la vie privée de personnages publics. Les « logiques du secret » (L. Marin) sont triplement à lœuvre au sein des Historiettes :dans le dévoilement du secret sorigine la raison dêtre du manuscrit. Ces dévoilements infâmants ou scandaleux constituent la raison majeure de la clandestinité du manuscrit, demeuré pendant plus de deux siècles dans lombre de bibliothèques privées. 

Christian Jouhaud, « Dans lévénement : secrets sus, éventés, publiés, oubliés. Histoire et historiographie, xviie siècle » 

Au xviie siècle, les récits relatant des actions politiques dans laprès coup des Mémoires sefforcent non seulement den donner les raisons jusquici restées secrètes mais encore de justifier le recours à des manœuvres secrètes. Pour autant cette mise en écriture du secret ne signifie pas que les auteurs de Mémoires ou les théoriciens politiques nous livrent des secrets dÉtat, mais plutôt quils construisent, pour la postérité, des leurres historiographiques. 

Nicolas Schapira, « Peut-on confier des secrets à un secrétaire ? Domesticité, bureaucratie et pouvoir dans la France dAncien Régime » 

Une approche sociopolitique de la fonction de secrétaire sous lAncien Régime, attentive à la relation de travail entre maîtres et secrétaires, révèle comment le secret est surtout mobilisé dans le cadre dactions engagées par les secrétaires, quil sagisse de politique ou du règlement de conflits. Cest 361avant tout leur statut de domestique qui forme le cadre de lusage que les secrétaires font du secret.

Christophe Speroni, « Espaces du secret »

Quils soient au tréfonds des campagnes fantasmées ou dans les recoins les plus obscurs des demeures urbaines, les espaces du secret sont généralement le produit de sociabilités complexes où alternent dissimulations et révélations. La frontière entre le public et le privé sen trouve brouillée, mais lorsque le secret ne peut être partagé, cest lâme et le cœur quil finit par brûler.

Jean-Patrice Boudet, « Les lieux secrets de la magie rituelle » 

La continuité qui caractérise les différentes versions de la Clavicule de Salomon, nempêche pas une évolution contradictoire des lieux de la magie rituelle de la fin du Moyen Âge au xviiie siècle. Un courant ésotérique, syncrétique, épuré et proche de la kabbale juive sinsère dans la sociabilité urbaine, il ouvre ainsi le lieu du rituel et rend la préservation réclamée du secret plus difficile à garantir ; on le voit dans les manuscrits du Livre dAbramelin le Mage des xviieet xviiie siècles.

Christian Zonza, « Lécriture du secret dans lHistoire de France de Mézeray » 

LHistoire de France de Mézeray qui concerne le règne des derniers Valois est source de nombreuses fictions historiques au xviie siècle, parce que ce règne fut riche en ruses et en tromperies, capables de créer des péripéties narratives, mais également parce que Mézeray fait de la passion et du secret des cœurs et de lâme, lun des éléments essentiels de la causalité historique. Il ouvre ainsi la voie non seulement au roman psychologique mais aussi précocement à une histoire de la vie privée.

Gabriele Vickermann-Ribémont, « “Lair de mystère qui accompagna lauguste cérémonie dans votre château”. Les lieux des mariages secrets dans les littératures française et anglaise du xviiie siècle »

Lanalyse des lieux où sont contractés les mariages secrets fictionnels français et anglais montre une relative homogénéité selon les pays et leurs 362lois. Les mariages doivent en effet se conformer aux attentes juridiques afin dêtre reconnus, et les fictions font de même, jouant par ailleurs sur les transgressions pour distinguer mariages secrets (mais valides) et clandestins (qui se révèleront invalides), y compris pour caractériser des personnages comme abusifs, dupes ou inconscients. 

Jeffrey Hopes, « The closet of the heart. Les lieux domestiques du secret dans quelques romans et tragédies bourgeoises du xviiie siècle anglais »

Plusieurs romans anglais de la deuxième moitié du xviiie siècle font appel au motif du secret caché auquel leurs auteurs donnent une dimension physique et spatiale. Cest dans le cabinet, le closet, que ces secrets sont dissimulés. Ce motif repose dune part sur un lieu commun des traités dévotionnels, the closet of the heart, et dautre part sur lutilisation qui en est faite dans les tragédies bourgeoises des années 1730 où ces lieux secrets renferment le mal qui enclenche le drame. 

Gabriele Vickermann-Ribémont, « Voiler/dévoiler. Aspects et paradoxes du secret »

Distinguer, dans la suite des travaux de Louis Marin sur les « Logiques du secret », les aspects référentiels et discursifs du secret met en lumière les relations et paradoxes qui se nouent entre les deux, y compris dans une dynamique temporelle. Létude du secret par les pratiques sociales de voiler ou dévoiler, en fonction des normes en vigueur et des intérêts des acteurs, révèle sa plasticité historique ainsi que sa puissance discursive, exploitée par des stratégies de divulgation maîtrisées.

Sophie Rothé, « Duper le “supprimeur”. La correspondance carcérale de Mirabeau et Sade mis au secret » 

Au donjon de Vincennes, la correspondance de Mirabeau et Sade est contrainte et profanée au profit de la sûreté carcérale. Néanmoins, leur écriture épistolaire, soumise au secret absolu, sappuie sur des stratégies de dissimulation (lettres clandestines, stéganographie, cryptographie…). Duper le censeur préserve ainsi une part de liberté et donne du pouvoir à lépistolier captif, qui devient, au sens de Louis Marin, « maître du secret ». 

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Myriam Deniel-Ternant, « Scandale et dévoilement. La sexualité ecclésiastique au grand jour » 

Mises sous le boisseau, les sexualités des membres du clergé sont tolérées voire encouragées, à condition que les fonctions sacerdotales soient assurées. Leur historicisation ne résulte que dexceptionnels flagrants délits et de rares judiciarisations. Or ces dernières naissent de linstrumentalisation dun dévoilement discursif par la communauté sociale : le scandale public permet de sassurer une réponse institutionnelle visant à faire rentrer le contrevenant dans le rang comportemental. 

Karine Abiven, « Le secret vendu. Manipulations énonciatives dans quelques mazarinades (1649-1652) »

Les mazarinades offrent une variété inédite de procédés énonciatifs théâtralisant lactualité politique. Les allusions au secret politique se résument alors souvent à une caricature des acteurs politiques, parfois représentés en véritables marionnettes. Dautres manipulations consistent à divulguer à un large public des énoncés issus de négociations politiques réservées. Ces produits de libraire ont-ils pu contribuer, par ces formes de mise en spectacle, à la publicité de loccultation du pouvoir ? 

Élodie Bénard, « Voiler/dévoiler. Usages du secret dans la Vie de Racine (1747) et les lettres de lauteur » 

La Vie de Racine écrite par son fils et parue en 1747 avec les lettres de lauteur offre un des premiers modèles dune biographie adossée à une correspondance. Louis Racine altère considérablement le contenu de la correspondance. Or ce qui est tenu secret par la suppression et la recomposition est en relation avec le dévoilement quopère la Vie : montrer le vrai Racine. Larticle contribue à létude de la dialectique à lœuvre dans la biographie des xviie-xviiie siècles entre voiler et dévoiler.

Christian Renoux, « Fabriques du secret »

Avant son éventuelle révélation, le secret a eu une histoire qui se dit en partie lors de sa révélation, laquelle met souvent au jour les détenteurs du secret, les mécanismes de sa fabrique ainsi que ses raisons dêtre. Car le secret 364a été voulu, maintenu, parfois gardé à travers des procédures minutieuses. Cette fabrique, qui peut prendre des voies très diverses, suppose une certaine élaboration, la mise en œuvre dun minimum de procédures, quil sagisse dune pratique individuelle ou collective.

Céline Borello, « Minorité religieuse et secret. Le laboratoire huguenot dans la France toute catholique (xvie-xviiie siècles) » 

Lusage du secret est négativement pensé par Calvin. Pourtant, le secret est mobilisé dans les communautés huguenotes tout au long de lAncien Régime. Son utilisation suivant une chronologie nuancée et des modalités diversifiées de partage de linformation entre initiés, ouvre la voie à un secret dont le recours devient salvateur. Dès lors, toute une économie du secret huguenot apparaît, conduisant à une adaptation du quotidien, à la fois pour les hommes, les lieux et les objets.

Pierre-Yves Beaurepaire, « Adam Weishaupt et la fabrique du secret chez les Illuminaten » 

La « fabrique » du secret des Illuminaten par leur fondateur Adam Weishaupt permet de comprendre son projet et ses choix. Au sein de la première classe, le secret doit attirer les futures recrues. Au sein de la deuxième classe, il permet de dissimuler la véritable nature de lordre, avant de faire lobjet dun apprentissage pour être maîtrisé au sein de la troisième classe. Sinspirant des Mystères dEleusis, Weishaupt explore les cultes à mystères pour bâtir une « école (secrète) de sagesse ».

Catherine Lanoë, « Réflexions à propos du “secret” de fabriquer “les perruques au métier” (xviie-xviiie siècles) »

En 1673, les frères Quentin, barbiers et valets de chambre de Louis XIV, désireux de tirer profit de la vogue des perruques à la cour, soumettent au roi une nouvelle manière de les fabriquer « au métier » et obtiennent un privilège. Dans le sillage dun renouvellement de lhistoire de lartisanat, cet article montre que le procédé ne relève ni de linvention, ni du secret, mais quil atteste la transposition et ladaptation de techniques déjà à lœuvre dans dautres secteurs de la production.

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Laure Depretto, « “Secret comme un coup de canon”. Les écrits de disgrâce de Bussy-Rabutin » 

En étudiant la campagne épistolaire menée par Bussy-Rabutin pour rentrer en grâce, cet article montre comment le secret épistolaire est plus une nécessité daffichage quun trait définitoire. Il ny a pas à pointer une discordance entre un dire et un faire, mais à souligner que la défense du disgracié, pour être adéquatement diffusée et rendue publique, doit, en période de relégation, fabriquer du secret pour avoir une chance dêtre entendu, partant, efficace.