Établissement du texte et éditions
- Publication type: Book chapter
- Book: Théâtre. Tome III
- Pages: 287 to 294
- Collection: French Theatre Library, n° 97
éTABLISSEMENT DU TEXTE
et éditions
Il existe grosso modo trois états du texte de Polyeucte martyr. Le premier correspond au texte publié dans l’édition originale parue en 1643 (Paris, A. Courbé et A. de Sommaville). Ce texte a été reproduit presque sans modifications (9) dans l’édition séparée in-quarto de 1648, auxquelles se sont ajoutées 14 nouvelles retouches dans les éditions collectives publiées de 1648 à 1657. L’auteur a remanié ce deuxième état du texte pour la réédition de la pièce dans le deuxième tome de la grande édition collective de 1660 (Théâtre de Pierre Corneille, Paris, A. Courbé et G. de Luyne). Ce troisième état du texte sera pratiquement repris dans toutes les éditions ultérieures publiées de 1663 à 1682, date de la dernière édition parue du vivant de Corneille (Paris, G. de Luyne). Le texte de 1660, reproduit en 1682, avec les quatorze corrections apportées en 1663, servira de base à la plupart des éditions modernes, en particulier celles de Georges Couton (dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 1980), Patrick Dandrey (Paris, Gallimard, 1996) ainsi que Claude Bourqui et Simone de Reyff (Paris, Le Livre de Poche, 2002).
Conformément aux principes de cette nouvelle édition du théâtre de Corneille, nous donnons le texte dans sa première version, celle de l’édition originale publiée en 1643, précédé de l’épître dédicatoire À la Reine Régente et l’Abrégé du martyre de saint Polyeucte. En annexe, nous avons fourni l’Examen joint par l’auteur à la pièce en 1660.
288la présente édition
Le texte donné a été établi sur celui de l’exemplaire coté Y 5628 conservé à la Réserve de la Bibliothèque nationale de France. Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k701418
POLYEUCTE / MARTYR / Tragedie / A Paris / Chez Antoine de Sommaville, en / la Gallerie des Merciers, à l’Escu / de France. / Au Palais. / & Augustin Courbé, en la mesme / Gallerie, à la Palme. / M. DC. XLIII. / Avec privilege du Roi.
aspect de l’édition princeps (in-4o)
[I] : frontispice de Chauveau1 représentant le bris des idoles dans le temple et portant sur un rebord de fenêtre le titre « Polieucte martyr ».
[II] : page blanche.
[III] : page de titre.
[IV] : page blanche.
[V-X] : À la reine régente
[XI-XV] : Abrégé du martyre de S. Polyeucte
[ xvi ] : ACTEURS
p. 1-121 : texte de Polyeucte
[122-123] : Privilège du Roi daté du 30 janvier 1643 et signé par « Conrard ». Achevé d’imprimer aux dépens de l’auteur à Rouen, chez Laurent Maurry le 20 octobre 1643.
modifications opérées sur le texte
L’orthographe a été modernisée selon les principes généraux indiqués dans l’introduction générale2 en matière d’agglutination, désagglutination, d’accentuation, de marques de la nasalisation, de terminaisons, et concernant l’usage des majuscules à l’initiale.
289Nous avons maintenu la forme « encor » pour des raisons de métrique aux vers 9, 289, 505, 507, 515, 519, 573, 581, 597, 686, 695, 793, 804, 895, 937, 1002, 1089, 1234, 1287, 1338, 1351, 1366, 1376, 1405, 1546, 1679, 1751, de même que la forme « avecque » aux vers 532, 929, les formes prépositionnelles « dessus » aux vers 1122 et 1438, et « dessous » au vers 514. Nous avons également dû maintenir les formes anciennes « perdroit » au vers 1474 et « die » au vers 1715 pour préserver la rime. Par ailleurs, bien que le texte ait été correct à l’époque, nous avons écrit « une autre » et non pas « un autre » au vers 494.
La ponctuation a été respectée dans toute la mesure du possible mais a été modifiée selon les principes énoncés dans l’introduction générale. Comme pour les autres pièces, nous avons fait précéder d’une virgule les didascalies placées immédiatement après le nom d’un locuteur et supprimé le point qui suivait ces didascalies ; dans les listes des acteurs, nous avons fait suivre le nom de ces derniers par une virgule et supprimé le point après l’indication de leur fonction ou qualité.
les autres éditions
deux éditions séparées
Polyeucte martyr, tragédie, Paris, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1648. Un volume in-4. Il ne suit pas les modifications apportées par Corneille dans le recueil de 1648.
Polyeucte martyr, tragédie, Paris, Guillaume de Luyne, 1664. Un volume in-12. Il ne suit pas les modifications opérées en 1660. Cette édition ne sera pas mentionnée dans nos variantes.
dans des éditions collectives
De l ’ édition collective de 1648 à l ’ édition collective de 1660
–1648. Dans Œuvres de Corneille. [Première et] Seconde Partie. [In-12].
290Imprimées à Rouen et vendues à Paris chez Augustin Courbé (avec Antoine de Sommaville et Toussaint Quinet). Privilège du Roi daté du 25 février 1647. Achevé d’imprimer du 31 septembre 1648 (sic).
Les pièces de la première partie sont les mêmes que celles de l’édition de 1644. Le second volume, où l’on trouve Polyeucte, en est la suite et contient sept pièces, du Cid à La Suite du Menteur.
–1652. Dans Œuvres de Corneille. [Première,] Seconde et [Troisième] Partie. [In-12].
Imprimées à Rouen et vendues à Paris chez Antoine de Sommaville. Même privilège du Roi, même achevé d’imprimer.
Les pièces de la seconde partie sont les mêmes que celles des éditions de 1648, données dans le même ordre. Dans cette seconde partie, plus aisément consultable à la BNF que celle de 1648, Polyeucte occupe les pages 267-352.
La troisième partie contient Théodore, Rodogune et Héraclius.
–1654. Dans Œuvres de Corneille. [Première,] Seconde et [Troisième] Partie. [In-12].
Imprimées à Rouen et vendues à Paris chez Augustin Courbé. Même privilège du Roi, même achevé d’imprimer.
Les pièces de la seconde partie sont les mêmes que celles de l’édition de 1648. Quelques infimes différences d’avec l’édition de 1652.
–1655. Dans Œuvres de Corneille. [Première,] Seconde et [Troisième] Partie. [In-12].
Imprimées à Rouen et vendues à Paris chez Louis Chamhoudry3. In-12. Privilège du Roi.
Le contenu de la seconde partie est pratiquement identique à celui de l’édition de 1652.
–1656. Dans Œuvres de Corneille.[Première,] Seconde et [Troisième] Partie. [In-12].
Imprimées à Rouen et vendues à Paris chez Augustin Courbé. Privilège du Roi du 25 février 1655. Achevé d’imprimer du 28 novembre 1656.
291Les pièces de la seconde partie sont les mêmes que celles des éditions de 1644 et 1648.
–1657. Dans Œuvres de Corneille.[Première,] Seconde, [Troisième et Quatrième Partie]. [In-12].
Imprimées à Rouen et vendues à Paris chez Guillaume de Luyne. Privilège du Roi.
Même contenu dans chaque partie qu’en 1656.
De l ’ édition de 1660 à l ’ édition de 1682
–1660. Dans Le Théâtre de P. Corneille, revu et corrigé par l’auteur. Partie [I], II [et III]. [In-8o].
Le format a changé par rapport à l’édition des Œuvres puisque l’on a affaire à une édition in-8o. Les dédicaces ont disparu.
Le tome II a été imprimé à Rouen par Laurens Maurry et vendu à Paris chez Augustin Courbé et Guillaume de Luyne. Privilège du Roi daté de janvier 1653 ; achevé d’imprimer du 31 octobre 1660.
Ce deuxième volume contient le Discours de la tragédie, les Examens de chacune des huit pièces contenues dans le volume, puis le texte des pièces : Le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte (p. 249-337), Pompée, Théodore, Le Menteur, La Suite du Menteur. Corneille n’y a pas respecté l’ordre chronologique de publication des pièces, regroupant les tragédies et réservant les comédies pour la fin du volume.
Chacune des pièces de ce volume bénéficie d’une gravure. Pour Polyeucte, il s’agit d’un frontispice de Chauveau, beaucoup plus sobre que celui de l’édition de 1643 pour ce qui est de l’architecture du temple présenté, du nombre des statues qui le décorent, et des costumes des personnages, d’une antiquité très conventionnelle cette fois ; la statue que le héros a brisée n’est plus celle d’une femme au buste nu.
–1663. LeThéâtre de P. Corneille, revu et corrigé par l’auteur. Partie I [et II], in-folio.
Imprimé à Rouen par Laurens Maurry et vendu à Paris chez Augustin Courbé et Guillaume de Luyne (qui a transféré ses droits à Thomas Jolly et Louis Billaine). Pour cette Partie II : le privilège est de janvier 1653 et l’achevé d’imprimé date du 15 septembre 1663.
Il s’agit d’un grand in-folio, qui marque la consécration d’une œuvre.
292Le premier volume contient le Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, les Examens des douze pièces qui suivent, de Mélite à Polyeucte, puis leurs textes, donnés dans l’ordre de leur représentation.
On trouve Polyeucte aux pages 583-636.
–1664. Le Théâtre de P. Corneille, revu et corrigé par l’auteur. [I] II, [III], in-8, comme en 1660]
Imprimé à Rouen, et vendu à Paris chez Guillaume de Luyne, Thomas Jolly, Louis Billaine. Privilège du Roi de janvier 1653.
Les huit pièces contenues dans chacun des trois volumes sont les mêmes que dans l’édition de 1660. Le quatrième volume contiendra trois nouvelles tragédies et paraîtra en 1666.
–1668. Le Théâtre de P. Corneille. Revu et corrigé par l’auteur. Partie [I] II, [III et IV]. [In-12].
Imprimé à Rouen, et vendu à Paris chez Guillaume de Luyne (avec Thomas Jolly, et Louis Billaine). Privilège du Roi de janvier 1653.
Les huit pièces contenues dans chacun des trois premiers volumes sont les mêmes que dans l’édition de 1664. Dans le quatrième volume, cinq pièces, Agésilas et Attila s’ajoutant aux tragédies publiées dans le volume publié en 1666.
–1682. Le Théâtre de P. Corneille. Revu et corrigé par l’auteur. Partie [I] II, [III et IV]. [In-12].
Imprimé à Rouen, et vendu à Paris chez Guillaume de Luyne (ainsi que, par accord, Étienne Loyson et Pierre Trabouillet). Privilège du Roi du 17 avril 1679.
Huit pièces par volume. Les pièces contenues dans les trois premiers volumes sont les mêmes que dans les trois premiers de l’édition de 1664.
Polyeucte occupe les pages 207-280 du deuxième volume.
l’évolution du texte au fil des éditions
Les différences entre les principaux états du texte (1643 et 1660) ne sont pas considérables. Pour l’édition de 1660, Corneille a tenu compte 293de l’évolution du lexique et du style tragique depuis les années 1640 et récrit un certain nombre de vers, mais sans jamais en changer véritablement le sens.
Deux exceptions méritent toutefois d’être signalées. Dans l’état du texte de 1660, le vers 844 a perdu sa tournure scolastique. En 1643, dans le discours apologétique de Polyeucte rapporté par Stratonice (III, 2), Corneille avait écrit à propos de Dieu : « Seul Maître du Destin, seul être indépendant, / Substance qui jamais ne reçoit d’accident, ». En 1660, il écrira plus simplement : « Seul principe éternel, et souveraine fin. ». Par ailleurs, en 1643, Corneille concluait la scène 6 de l’acte II, au terme de laquelle Polyeucte et Néarque décident d’aller briser ensemble les idoles au temple, par cette réplique du second : « Allons faire éclater sa gloire aux yeux de tous, / Allons mourir pour lui comme il est mort pour nous. » En 1660, le vers 720 devient : « Et répondre avec zèle à ce qu’il veut de nous. » Sans doute Corneille a-t-il estimé que, dans sa première version, ce vers anticipait trop le martyre des deux compagnons et surtout donnait une chute insuffisamment dynamique à une scène dont la fin semble comme embrasée par le zèle spirituel de Polyeucte et Néarque.
Dans le même état du texte, Corneille a aussi cherché, parfois, à tempérer l’expression des passions. Ainsi, dans le premier entretien entre Sévère et Pauline (II, 2), il remplace un mot peut-être jugé trop fort dans la bouche du premier. En 1643, Sévère disait (v. 485-486) : « Et votre fermeté fait succéder sans peine / La faveur au mépris, et l’amour à la haine. » En 1660, il dira seulement : « La faveur au dédain, et l’amour à la haine. » Il est vrai que cette substitution permettait accessoirement à Corneille de supprimer une répétition : le mot mépris était effectivement déjà employé au vers 484…
Il arrive aussi à Corneille de tenir compte de l’évolution de la morale contemporaine et d’atténuer une expression susceptible de choquer les spectateurs et les lecteurs des années 1660. Dans le premier état du texte, Pauline, cherchant à dissuader son père de la contraindre à rencontrer Sévère arrivant à Mélitène (I, 4), n’hésitait pas à déclarer (v. 348-349) : « Je ne réponds pas de toute ma vertu, / Je ne le verrai point. » En 1660, elle dira, de manière moins crue : « Je n’ose m’assurer de toute ma vertu, »
Dans un certain nombre de vers, Corneille a, en outre, substitué, en 1660, les appellations « Seigneur » ou « Madame » au prénom du personnage pour se conformer à une civilité tragique devenue plus cérémonieuse. De 294telles substitutions n’ont guère d’effet, sauf dans quelques cas, comme au début de la scène 2 de l’acte II quand Pauline paraît devant Sévère arrivé à Mélitène pour entamer l’entrevue tant redoutée. La scène précédente vient de s’achever sur cette réplique de Sévère (v. 460) : « Hélas, elle aime un autre, un autre est son époux. » En 1660, Corneille prête à Pauline entrant en scène ces paroles : « Oui, je l’aime, Seigneur, et n’en fais point d’excuse, » Or, en 1643, il avait écrit : « Oui, je l’aime, Sévère, »… L’effet était tout différent et en disait long sur les véritables sentiments de Pauline.
Corneille a également profité de la réécriture du texte pour supprimer deux expressions malheureuses. Dans l’entretien entre Sévère et Fabian qui ouvre l’acte II, le premier confiait au second à propos des motivations de sa venue à Mélitène (v. 367-370) : « Pourrai-je voir Pauline et rendre à ses beaux yeux / L’hommage souverain que l’on va rendre aux Dieux ? / Je ne t’ai point celé que c’est ce qui m’amène, / Du reste mon esprit ne s’en met guère en peine, ». Or, ce reste, c’est le sacrifice public à célébrer pour rendre grâce aux dieux de la victoire sur les Perses, grande cérémonie à la fois civique et religieuse. Le fait que Sévère en fasse aussi peu de cas n’était guère crédible dans la bouche du favori de l’empereur et pour le moins fâcheux. Aussi Corneille fera-t-il dire à Sévère en 1660 (v. 370) : « Le reste est un prétexte à soulager ma peine, ». Une seconde expression était encore, peut-être, plus malencontreuse. En 1643, Corneille avait traité, dans les stances de Polyeucte (IV, 2), l’empereur Décie de « tigre affamé de sang » (v. 1125) ; il a préféré, en 1660, écrire : « tigre altéré de sang ».
On notera aussi deux suppressions, sans conséquences apparentes, dans l’édition de 1660 : celle des deux didascalies de la première scène de l’acte V et celle de la réplique de Pauline, au vers 977 (III, 4) qui formait stichomythie avec celle de Félix.
Enfin, Corneille a remanié plus sensiblement deux passages pour l’édition de 1660. À la scène 4 du premier acte, dans le récit d’Albin relatif au sort de Sévère pendant la guerre contre les Perses (v. 281-313), il a récrit complètement 6 vers (289, 290, 292, 294, 295 et 296). Mais ces modifications n’affectent pas le sens général du récit. Par contre, Corneille a abrégé l’éloge des chrétiens fait par Sévère à la scène 6 de l’acte IV, en supprimant deux séquences de quatre vers : les vers 1435 à 1438 et les vers 1441 à 1444. Sans doute a-t-il jugé que l’éloge était trop appuyé et méritait d’être tempéré pour laisser au spectateur et au lecteur quelque doute sur une future conversion de Sévère au christianisme.
1 Le frontispice de Chauveau fait la part belle à une architecture moderne, dans le style de Bramante, avec lustre, balustrade, baies en ogive, degrés conduisant à l’autel, et le costume de Polyeucte n’est pas loin de ceux des galants de l’époque.
2 Voir p. 35-40.
3 Ainsi qu’Antoine de Sommaville, Edme Pépingué, Jean-Baptiste Loyson.
- CLIL theme: 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN: 978-2-406-14286-7
- EAN: 9782406142867
- ISSN: 2261-575X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14286-7.p.0287
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-05-2023
- Language: French