Résumés
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Contre le luxe (xviie-xviiie siècle)
- Pages: 521 to 528
- Collection: Encounters, n° 478
- Series: The classical century, n° 15
Résumés
Élise Pavy-Guilbert et Françoise Poulet, « Introduction »
L’ouvrage collectif présenté ici est centré sur la critique du luxe aux xviie et xviiie siècles, période charnière au cours de laquelle le mot luxe entre en langue et s’insère dans des champs sémantique et notionnel qui en font une notion dynamique. D’un siècle à l’autre, les arguments de la « querelle » s’inscrivent au sein de nouveaux paradigmes qui font du luxe un objet d’études – moral, social, économique, politique, mais aussi esthétique – sans cesse renouvelé.
Patrick Dandrey, « La géométrie variable du luxe. Un “curseur” dans la pensée du xviie siècle français »
Le luxe est une notion fondamentalement mobile. En se fondant sur une vaste étude lexicale, cet article montre que mot luxe, bien que toujours pris péjorativement, s’inscrit dans une dynamique faite de degrés et de valeurs relatives, selon qu’il est pensé comme concret ou psychologique, comme objet possédé ou comme péché moral dont se rend coupable le possesseur. Un « cadastre du luxe » se dessine alors, où celui-ci, assimilé à l’excès, se trouve opposé à la convenance et à la bienséance.
Michèle Rosellini, « La critique du luxe comme nostalgie de la magnificence au tournant des xviie et xviiie siècles »
L’ostentation de la dépense quand elle est le fait du prince et sert le peuple porte au xviie siècle le beau nom de magnificence. Mais vers la fin du siècle la vertu de magnificence est en crise. En témoignent les ouvrages de fiction et de réflexions morales. La magnificence s’est dégradée en luxe. Le discours littéraire éclaire ce basculement linguistique et politique, déterminé par les modifications des formes du gouvernement monarchique et de la représentation de la grandeur royale.
522Pierre Ronzeaud « Le luxe dans Les Caractères de La Bruyère. Un malheur pour le moraliste, un bonheur pour le styliste »
Les Caractères utilisent le luxe de manière politique, dans le discours du moraliste chrétien qui engage une condamnation éthique, et polémique, dans la peinture du satiriste mondain qui invite au plaisir esthétique. La Bruyère dénonce l’effrayant contraste du luxe et de la misère par une écriture oxymorique et ironique. Tout ce qui, dans le faste, le choque, fonde en même temps l’efficacité comique, satirique ou polémique du style qui en dénonce les maléfices et assure paradoxalement la fortune de son texte.
Éric Tourrette, « Où est Philémon ? »
Une célèbre remarque des Caractères de La Bruyère (II, 27) présente le personnage de Philémon comme un « fat » lumineux et envahissant, mais superficiel. Cet article combine les méthodes de la stylistique et de la génétique pour tenter de saisir l’évolution du personnage d’une édition à l’autre. À trop vouloir s’offrir en spectacle, Philémon finit par disparaître en lui-même : on ne voit plus que ses luxueux vêtements et son cortège de laquais.
Camille Venner, « Condamnation du luxe et pompe du langage dans l’œuvre poétique et pastorale d’Antoine Godeau »
Dans les écrits d’Antoine Godeau, la condamnation du luxe dépasse la simple inscription dans un discours religieux codifié. Le poète concilie la condamnation de l’excès fastueux et le recours à une poétique et à une rhétorique qui détournent le fidèle du luxe pour le mettre en présence de la grandeur divine. Le motif du luxe est exploité pour satisfaire un public mondain attiré par le faste : le travail d’édification religieuse repose ainsi paradoxalement sur une sacralisation du luxe.
Fabrice Chassot, « Luxe, sociabilité et misanthropie »
La querelle du luxe aurait contribué à séparer l’économie de la morale. Mais l’économie ne put s’autonomiser sans qu’une morale soit opposée à ceux qui condamnaient le luxe. En témoigne l’accusation de misanthropie adressée aux adversaires du luxe. Réciproquement, à la fin du xviiie siècle, les ennemis du luxe tentèrent de démontrer la valeur économique de leur 523morale, en réhabilitant le misanthrope, capable d’associer probité, sens de l’épargne et générosité.
Philippine Dauga-Casarotto, « La pompe funèbre impériale dans la Monarchie habsbourgeoise entre baroque et Lumières (1705-1790). Ruptures et continuité des pratiques rituelles »
Entre 1740 et 1790, les pays de la Maison d’Autriche connaissent de profonds bouleversements politiques et culturels. L’évolution de la « civilisation baroque » vers celle des « Lumières » s’accompagne d’une poussée d’anti-ritualisme. Celle-ci affecte les représentations symboliques du prince et de l’État. Elle se manifeste notamment par une simplification des funérailles impériales. Cette contribution tente de mettre en évidence la complexité et les ambiguïtés de ce processus.
Myriam Tsimbidy, « L’esprit de luxe. Le “lutin des dissensions” dans les Mazarinades »
Le luxe dans les Mazarinades est une arme de propagande durant la première Fronde (1648-1649). Son prix et ses multiples formes révèlent la vilainie des financiers, des parvenus et de Mazarin. La dénonciation s’appuie sur des topoï organicistes qui frappent l’imagination et poussent le public à réagir. Or la description de « ces trésors de misère » traduit parfois une fascination inattendue. Facteur d’émerveillement et de répulsion, l’ambivalence fondamentale du luxe est au cœur de cette étude.
Charles-Olivier Stiker-Métral, « Le spectacle du luxe »
En revenant sur les fondements anthropologiques de la condamnation morale et chrétienne du luxe, cet article étudie le regard que portent La Bruyère, Pascal et Nicole sur le spectacle qu’il engendre. Ces trois auteurs s’attachent à percer les manifestations de la vanité et de l’amour-propre qui sont à l’origine du luxe, chez la créature post-lapsaire qui se détourne de Dieu, à partir de « dispositifs optiques » singuliers qui visent à éclairer les signes du visible.
524Stéphanie Bernier-Tomas, « Luxe contre luxure. Blâme du luxe et apologie de la mediocritas dans quelques contes en vers licencieux du xviiie siècle »
Tenu pour l’apologiste du luxe, Voltaire le stigmatise néanmoins ouvertement dans certains contes versifiés. Sans renier les vertus économiques et politiques de l’abondance, il opère, à l’instar d’autres minores, son blâme, moins par souci d’édification morale qu’en vertu d’une posture épicurienne. Chantres de la voluptas, les conteurs en vers recherchent en effet l’ataraxie et se défient de l’hybris. Prônant un état intermédiaire, ils imposent paradoxalement l’idée d’un bonheur bourgeois.
Laurence Sieuzac, « Papillonneries humaines. Contre le luxe des coquettes et des petits-maîtres »
Coquettes et petits-maîtres, personnages spéculaires incontournables dans le paysage littéraire du xviiie siècle, cultivent jusqu’au ridicule le luxe de la parure et sont l’objet d’une critique tant morale que sociale. Or la pléthore des satires contre ces êtres de parade, désignés ad satiatam comme des papillons, masque les raisons profondes de la diatribe générale, en un effet de papillotage. Ces marottes cristalliseraient des peurs séculaires, voire anthropologiques.
Élise Sultan-Villet, « Du luxe au calme. La volupté dans les romans libertins »
Alors que le libertinage est souvent associé à un goût illimité pour tous les plaisirs, le corpus des romans libertins du xviiie siècle fait état d’un libertinage honnête, aux antipodes d’un mode de vie débridé. Réminiscence épicurienne ou pure exigence romanesque, certains libertins repentis prônent la mesure contre la pernicieuse démesure qu’ils ont connue dans leur jeunesse. Cette étude examine la nature et la valeur de cet éloge du bonheur dans la modération contre le luxe et la luxure.
Yves Vargas, « Le luxe dans la pensée des richesses au xviiie siècle »
Si les penseurs discréditent le mot luxe durant le xviiie siècle, c’est pour mieux souligner le caractère changeant de la chose : le luxe est relation, différentiel, effet instable des rapports. Mandeville, Melon, Pinto, Hume ou Butel-Dumont soulignent sa fragilité sémantique. Une transformation majeure a lieu : les variations de définitions s’opèrent au moment où la nation devient 525corps politique. Les différences de valeurs accordées au mot dans les analyses linguistiques génèrent les malentendus.
Myrtille Méricam-Bourdet, « Voltaire et la politique du luxe »
Le problème du luxe est constamment examiné par Voltaire dans ses œuvres historiques qui insistent sur la relativité de la notion de luxe, qui ne peut être considéré comme tel qu’à un moment de l’histoire humaine toujours appelé à être dépassé par les progrès nécessaires – et salutaires – de l’esprit humain. Loin de toute considération morale, Voltaire envisage les retombées du luxe sur l’économie entière, et fait de la défense du luxe un impératif économique et politique au sens large.
Ourida Mostefai, « Morale et politique du luxe chez Rousseau »
Le luxe est inséparable de l’inégalité et instaure un contrat léonin : telle est la thèse centrale que toute l’œuvre de Rousseau proclame et propage. Rousseau ne cesse d’affirmer que le débat économique est inséparable d’une critique morale et politique. C’est étonnamment dans Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) que la réflexion sur le luxe est la plus aboutie. À Clarens, il n’est point besoin de luxe pour être heureux, il suffit de l’inventer et de l’imaginer.
Manuela Albertone, « De la critique du luxe à la légitimation de la consommation. Benjamin Franklin et la physiocratie »
Pour Benjamin Franklin, parmi les idéologues de la démocratie agraire américaine, la rencontre à Paris avec les auteurs physiocratiques et leurs critiques au luxe improductif, combinées à l’attention aux effets positifs de la diffusion de la consommation dans les campagnes, représenta un moment crucial. Son idéal d’une classe moyenne frugale, mais à la recherche du bien-être, s’alimenta de cette expérience intellectuelle. Le succès du Bonhomme Richard fit de son auteur la personnification de ce mythe.
Gérard Vittori, « Les Réformateurs italiens, ou comment comprendre le luxe »
Cet article porte sur la pensée des Réformateurs italiens sur le luxe, et notamment sur l’œuvre des Milanais Pietro Verri et Cesare Beccaria. Alors 526que la question du luxe se laïcise, ces auteurs s’attachent à en faire un objet socio-économique et politique neutre, dont ils interrogent les limites et l’utilité. Dans ses interactions avec les autres éléments de la société, le luxe doit certes être contrôlé, mais il apparaît comme un ingrédient indispensable au progrès des civilisations.
Carole Dornier, « Luxe, économie politique et utilitarisme chez l’abbé de Saint-Pierre »
La critique du luxe, vieux thème moraliste, est réutilisée par l’abbé de Saint-Pierre pour mettre en question les cadres de l’Ancien Régime qui font obstacle aux objectifs de l’économie politique. Adoptant un discours en faveur du travail, de la productivité et du commerce, l’auteur imagine des mesures politiques pour infléchir les mœurs de ses contemporains dans le sens d’une éthique adaptée à un développement économique qui doit favoriser la justice et la bienfaisance.
Jean-Alexandre Perras, « “Frivolité du luxe” et “luxe de frivolités”. Les usages du superflu »
Deux notions permettent aux penseurs de reformuler les termes de la querelle du luxe : le superflu et la frivolité. Alors que la production de biens et les échanges commerciaux sont en plein essor, il devient nécessaire de rationaliser le superflu. Les débats se déplacent alors vers la question du bon et du mauvais usage de cet excédent auquel il faut conférer une valeur. Le « luxe de frivolités » envisage un « mauvais luxe » associé à des besoins vains, que la « science nouvelle » s’attache à rejeter.
Florence Magnot-Ogilvy, « L’allaitement mercenaire et les vices du luxe au féminin. Autour de l’Émile de Rousseau »
L’allaitement mercenaire est une économie adossée à une hiérarchie sociale et à des inégalités de fortune. La nourrice est une figure du contact entre des problématiques sociales, économiques, affectives et fantasmatiques. Rousseau unit plaidoyer moral et hygiéniste et dénonciation économique de la complexification des liens. Il fonde une anthropologie des échanges qui fait de l’allaitement maternel une image utopique de l’autosuffisance de l’individu et de la simplification de ses besoins.
527Stéphane Pujol, « La Satire contre le luxe de Diderot, ou le risque du contresens »
Dans l’immense production des écrits contre le luxe au xviiie siècle, la Satire contre le luxe à la manière de Perse de Diderot est à la fois unique et exemplaire : ce petit texte, qui prolonge le débat de Diderot avec Helvétius et Rousseau, semble poser quelques problèmes d’interprétation. On s’efforcera d’analyser la forme dialoguée, dans laquelle deux voix se distinguent et se recoupent à la fois, pour élucider les raisons des équivoques que le texte génère – volontairement ou involontairement.
Muriel Brot, « Le luxe dans l’Histoire des deux Indes »
Histoire de la colonisation, l’Histoire des deux Indes examine la distinction entre bon et mauvais luxe, rejette l’ascétisme des moralistes et le faste des puissants pour défendre un luxe source d’aisance. Élargissant la discussion à deux autres débats contemporains, l’un sur la nécessité du commerce colonial, l’autre sur l’idéologie nobiliaire, elle démontre que le luxe est un élément essentiel du dispositif politique à réformer pour engendrer la révolution des mœurs qu’elle ne cesse de prôner.
Laurence Mall, « Les goûts de luxe du peuple chez Louis Sébastien Mercier. Progrès ou problème ? »
Dans ses observations pré- et post-révolutionnaires sur le luxe à Paris, Mercier enregistre les transformations du regard sur des conditions sociales elles-mêmes en mutation. Les progrès spectaculaires de la consommation, incluant le « populuxe » dans les années 1770-1780, sont radicalement distingués des goûts de luxe acquis selon Mercier par certains ouvriers et artisans pendant la Révolution. Ces nouveaux goûts sont interprétés comme une menace : comme un goût de pouvoir.
Olivier Leplatre, « Le luxe ou la part maudite de Fénelon »
Dans toute son œuvre, Fénelon n’a eu de cesse de revenir au scandale du luxe, avec la volonté de le situer au centre de sa réflexion en matière politique et de ses orientations pour la réforme. À ses yeux, le luxe symbolise les dangers de la modernité politique. Ajoutées aux discours théoriques qui dénoncent le luxe comme un faux bien, les fictions, notamment Les 528Aventures de Télémaque, explorent ses origines et ses manifestations en termes d’expériences sensibles.
Magali Fourgnaud, « D’un luxe à l’autre, ambiguïtés du motif du jardin. Fénelon, Saint-Hyacinthe, Voltaire, Saint-Lambert »
Dans les contes à visée morale et philosophique, le motif du jardin condense la critique du luxe et l’éloge de la modération. La comparaison des contes de Fénelon, Saint-Hyacinthe, Saint-Lambert et Voltaire permet de mettre en évidence les contradictions propres à la notion de luxe et aux représentations qui y sont associées. Plus précisément, cette étude vise à montrer comment ces contes interrogent et expérimentent les théories économiques et politiques émergentes.
Colas Duflo, « La critique du luxe utopique au risque du romanesque »
La critique du luxe pénètre la fiction utopique pour devenir un topos du genre. La République des philosophes ou Histoire des Ajaoiens (1768) présentée comme une œuvre posthume de Fontenelle et les Voyages et aventures de Jacques Massé (1710) de Simon Tyssot de Patot se situent dans la postérité immédiate de L’Histoire des Sévarambes (1677) de Vairasse : elles développent un rationalisme antichrétien et s’apparentent à des œuvres de philosophie politique descriptive et narrative.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-10505-3
- EAN: 9782406105053
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10505-3.p.0521
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-11-2021
- Language: French