Compte rendu
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Constellation Cendrars
2022, n° 6. varia - Auteur : Boucharenc (Myriam)
- Pages : 189 à 191
- Revue : Constellation Cendrars
« Correspondance André et Natacha Beucler-Pierre et Odette Bost, 1925-1975. Un demi siècle d’amitié », Plaisirs de Mémoire et d’Avenir, Les Cahiers de l’Association André Beucler, Hors série, Octobre 2021 (284 p.)
Les Cahiers de l’Association André Beucler poursuivent leur contribution à l’édition des échanges épistolaires de l’écrivain. Après la correspondance avec Léon-Paul Fargue éditée par Pierre Loubier aux Presses de Paris Nanterre en 2014, suivie, dans ces mêmes cahiers, de celle avec Roger Martin du Gard due au regretté Bruno Curatolo, voici, présentées et annotées par François Ouellet, les lettres à Pierre Bost. Ce nouvel ensemble vient confirmer la place centrale de l’amitié dans la vie et l’œuvre de Beucler, qu’avait rappelée le numéro 7 de Plaisirs de Mémoire de d’Avenir consacré aux « Portraits et amitiés littéraires » rassemblés par Émilien Sermier.
Le volume s’ouvre sur une missive enjouée à l’atmosphère estivale, écrite depuis la maison familiale de Bondeval le 15 août 1925 : Beucler remercie Bost de lui avoir adressé un exemplaire de son « roman léger, aisé, mélancolique et plein d’humour », Homicide par imprudence. Il se termine par une carte postale de l’Île-aux-Moines datée d’un autre 15 août, celui de 1975, dans laquelle « Le Pierre » n’évoque que pluie, vide et ennui. Il décèdera le 6 décembre de la même année. En tout, 164 lettres et cartes comme autant d’instants dispersés sur un demi-siècle, vestiges d’une correspondance lacunaire (seules quelques lettres de Bost ayant été retrouvées), mais qui suffisent néanmoins à retracer – comme en accéléré – la ligne d’une, ou plutôt de quatre vies. Car si le « vous » est au début de la relation entre les deux écrivains celui du vouvoiement respectueux, il devient bientôt le pronom emblématique de cette relation épistolaire à deux couples et à quatre mains, Odette et Natacha prenant parfois la plume. En quelques heures de lecture, c’est l’Histoire du xxe siècle qui se déroule depuis les Années folles jusqu’aux années 68. Ce sont aussi quatre personnalités qui se laissent deviner dans leurs différences comme dans la profondeur de leur affection 190mutuelle : « Je pense à vous deux comme à deux existences infiniment précieuses, nécessaires à ma vie », écrit Beucler depuis Nice à ses chers « Odettepierre », le 20 janvier 1937.
Les lecteurs familiers de l’auteur de Gueule d’amour trouveront dans ce volume des vues directes sur divers épisodes de sa vie publique et privée : le voyage avec Alfred Fabre-Luce en Russie, la période berlinoise des studios de la UFA et des reportages sur l’Allemagne nazie, les éprouvantes années de guerre et, peu avant la mort tragique de son frère Serge en 1945, « la naissance du petit Rolland (il faudra se décider un jour pour un l ou deux) », qui coïncide avec le début des années radio. Les lettres éclairent sous une lumière changeante la passion et la difficulté d’être écrivain. Il y a les jours où il faut « empiler des articles » et se « livrer à des rapiéçages pour gagner de l’argent », ceux où « le roman se remplit lentement, comme une baignoire » et les phases d’atermoiements : « Je n’ai fait que des petits travaux ; les grands attendent et je me demande ce que j’attends », écrit-il un jour de « temps gris-humide-orageux-lourd-agaçant » de juillet 1969. Ces lettres sans hiérarchie de sujet, où le talent de l’écrivain s’exerce au naturel, sont émaillées de formules pleines d’esprit et de saveur, de confidences rapides et saisissantes : « je ne vois pas les jours passer, et c’est heureux, car, quand je m’ennuie, je m’ennuie à toute vitesse », consigne-t-il sur papier à en-tête de l’Eden Hôtel de Berlin en 1932. Et quand les assauts de l’âge lui « flanquent le cafard », Beucler sait recourir à l’humour et au souvenir de Léon-Paul Fargue pour tenir la mélancolie à distance.
Ceux qui ne connaissent Pierre Bost que de nom découvriront sa bibliographie au fur et à mesure des exemplaires envoyés à son ami : Prétextat (1925), Crise de croissance (1926), Faillite (1928), Le Scandale (Prix Interallié 1931). Tout un programme de lecture que ces subtils romans psychologiques, figurant avec ceux de Beucler au catalogue Gallimard. Ils verront se dessiner en creux le portrait d’un écrivain intègre et modeste, qui se tourne après-guerre vers la carrière de scénariste au détriment d’une œuvre littéraire dont la flamme semble l’avoir abandonné : « L’idée même d’écrire me paraît tellement difficile, et même absurde, qu’elle ne paraît plus du tout », confie-t-il à son « Cher André » au soir de sa vie. Poignant aveu.
Les lecteurs auront aussi plaisir à mieux cerner la mystérieuse Natacha-Nathalie, son tempérament expansif, ses talents de peintre ; à faire 191connaissance avec Odette la musicienne, de santé fragile et personnalité, semble-t-il, plus réservée. Ils seront frappés par l’omniprésence du thème de la maladie. Dès la fin des années trente, déclarations d’affection et d’affections vont de pair. Goutte, coliques néphrétiques, « grippe niçoise », clavicule cassée, amibes et acouphènes, ne sont que quelques-uns des innombrables petits ou plus grands maux dont les quatre amis s’entretiennent en abondance. Ce qu’ils ne disent pas mais que leur correspondance exprime est un mal qu’ils partagent en secret, la nostalgie d’une époque, l’entre-deux-guerres, qui demeure leur patrie dans le temps et dont ils se sentent, en même temps que de leur jeunesse, de plus en plus exilés au fil des années.
L’iconographie, toujours très suggestive dans les Cahiers Beucler, est ici d’une incomparable richesse. En complément du précieux appareil de notes procuré par François Ouellet, elle contribue à planter le décor, à restituer le contexte des échanges. À travers les photos d’archive défilent lieux, scènes et visages. Ici un portrait de la bien oubliée Marguerite Audoux, là la maison de Pierre Bonnard au Cannet peinte par Nathalie dans le style impressionniste, ailleurs une carte postale noir et blanc d’Hitler en 1933 ou encore une autre, tout en couleurs, de la Croisette au temps de sa splendeur… Au fil des images, le lecteur lit entre les lignes, il se représente ce dont les mots ne peuvent que lui restituer des bribes, éprouvant à cette occasion le charme particulier de toute correspondance qui est de ne laisser subsister que l’écume des jours mêlée au grain de l’Histoire.
Myriam Boucharenc
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14080-1
- EAN : 9782406140801
- ISSN : 2557-7360
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14080-1.p.0189
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/09/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : André Beucler, Natacha Beucler, Pierre Bost, Odette Bost, amitié, Cahiers Beucler.