In Memoriam Anne Chevalier
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Valery Larbaud
2016, n° 52. varia - Author: Lioure (Françoise)
- Pages: 165 to 167
- Journal: Valery Larbaud Studies
In Memoriam
Anne Chevalier
Anne nous a quittés à la fin de ce mois d’août 2015. Très ébranlée par la disparition, à la fin de 2008, de Jean-Louis, son mari, après plusieurs mois de maladie, elle avait mobilisé ses forces pour assumer la solitude et les charges matérielles qui lui incombaient à elle seule désormais. La sollicitude de ses enfants présents le plus possible auprès d’elle malgré leur dispersion dans diverses régions de France, le travail auquel elle ne songeait pas à renoncer n’ont pas suffi à atténuer sa détresse ni la fatigue des traitements exigés par une maladie depuis longtemps diagnostiquée : l’une et l’autre ont eu raison de sa belle énergie. La liste de ses travaux témoigne de sa puissance de travail et de son inlassable curiosité.
Entrée comme assistante en 1968 à l’Université de Caen, elle y a exercé toute sa carrière jusqu’à sa retraite en 2001. L’« Avant-Propos » qui inaugure le recueil de Mélanges qui lui fut offert par ses collègues à son départ évoque son activité d’enseignante et de chercheur au sein de cette université, soulignant qu’elle assumait également de nombreuses tâches administratives.
Dans les titres d’articles qu’elle destinait à des revues ou à des annales de colloques, apparaissent les noms des auteurs les plus divers qui témoignent de la multiplicité de ses intérêts : Gracq (souvent cité), Flaubert, Élémir Bourges, Cendrars, Corbière, Tahar Ben Jelloun…Très active au sein de la collaboration de l’Université de Caen avec celles de Dublin et de Saint Andrew, à l’occasion d’ouvrages réalisés en commun par ces trois universités, Anne a publié des études sur Aragon, Beckett, Duras, Gracq encore…
Mais Anne proclamait sa dilection première pour Proust. Elle lui a consacré de nombreux articles, dont deux au moins sont le texte de communications prononcées aux colloques de Cerisy-la-Salle de 1995 et 1997. Sa contribution la plus notoire aux travaux sur l’œuvre de Proust est
sa participation pour Albertine disparue à l’édition nouvelle de À la Recherche du temps perdu qui, sous la direction de J. Y. Tadié, a été publiée en 1989 dans la Bibliothèque de la Pléiade. L’année suivante ce texte, révisé et enrichi d’une préface et d’un dossier, a paru dans la collection Folio.
Ces intérêts multiples et la concurrence proustienne ne l’ont pas cependant détournée de Larbaud, qui fut son premier et principal objet d’étude : c’est à lui qu’elle consacra sa thèse, soutenue en 1980, L’Égotisme dans l’œuvre de Valery Larbaud. Dès 1972, date du premier colloque sur « Larbaud, amateur » à Vichy elle éclaira cette notion d’amateur à la lumière de la théorie larbaldienne des Trois Ordres. Elle participa ensuite régulièrement aux rencontres organisées à Amiens, Cerisy, Paris, Strasbourg pour analyser l’œuvre de Larbaud. La maladie l’empêcha de venir à Clermont pour le colloque sur « Les langages de Larbaud » en 2004, mais je me souviens particulièrement d’un bel exposé sur « Le Saint Jérôme de Larbaud » lors du colloque de Strasbourg en 1992 et relis volontiers pour sa pertinence la communication qu’Anne donna au colloque de 1983 à Cerisy : « Valery Larbaud : le secret » (in Larbaud-Suarès, colloque de Cerisy-la-Salle, Paris, Aux amateurs de livres, 1987).
Elle collabora régulièrement aux Cahiers Larbaud dès leur création par des articles, assura la direction de certains d’entre eux comme le cahier « Le Manuscrit de Barnabooth » (Éditions des Cendres, Paris, 2002) réalisé lors de l’acquisition par la mairie de Vichy pour le Fonds Larbaud du manuscrit de Barnabooth longtemps convoité. Sous sa direction sont rassemblées des contributions d’universitaires venus d’horizons divers dans le cahier « Valery Larbaud, écrivain critique » (Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2008) qu’elle introduit par une subtile analyse du « Vain travail de voir divers pays », où il apparaît que cette méditation sur le genre ancien du « fatras » en donne une illustration.
Surtout, nous lui devons des publications majeures et particulièrement utiles pour la recherche larbaldienne. Elle a dirigé la composition et la publication du Cahier de l’Herne consacré à Larbaud paru en 1992 : son article « Mère et fils » à l’aide de documents indiscutables permet d’éclairer les rapports, longtemps obscurcis par la légende, de Larbaud avec sa mère et sa ville natale. À la faveur de ce Cahier, Anne a exhumé des textes inédits ou oubliés de Larbaud, a procuré aux chercheurs un précieux répertoire chronologique des œuvres de Larbaud et élargi, par la diversité des contributeurs qu’elle a sollicités, les points de vue
sur l’œuvre de l’écrivain. En 2001, elle publia une édition critique des Lettres de Paris, traduites de l’anglais par Jean-Louis Chevalier, recueil des chroniques données chaque semaine par Larbaud au New Weekly de Londres en 1914 à propos de livres récemment publiés, d’expositions, d’événements littéraires et artistiques parisiens. Larbaud manifeste dans ces textes son activité militante pour soutenir ce qui lui paraît neuf dans tous les domaines. C’est en 2003 qu’après un patient et difficile rassemblement des chroniques en espagnol que Larbaud envoya régulièrement à La Nación de Buenos-Aires en 1923-1925, Anne en fit paraître la traduction sous le titre, Du Navire d’argent. Soigneusement présentés et scrupuleusement annotés, ces articles sur la vie littéraire française, sur des écrivains du passé et des auteurs contemporains représentent une part importante et particulièrement significative de la critique larbaldienne.
Mais le souvenir d’Anne ne se résume pas à cette impressionnante liste de travaux. Il est lié pour moi aux premiers pas de l’Association des Amis de Larbaud, aux premiers colloques, très solennels, sous l’égide attentive de Monique Kuntz, où la présence d’un ministre, d’écrivains célèbres était bien propre à impressionner le petit groupe de chercheurs débutants, français et étrangers, qui s’initiaient à l’œuvre de Larbaud. Les noms et les travaux de Frida Weismann, de Jean-Claude Corger, de Dietrich Lückoff eux aussi disparus, la présence amicale de Tsutomu Iwasaki sont liés à cette époque, aux réjouissances des Prix Larbaud particulièrement festifs (l’un d’eux se termina par un bal à La Rotonde !) et aux cocktails annuels à Paris, qui nous offraient des occasions de rencontre. Pour tous les larbaldiens qui l’ont connue en des temps plus récents, Anne fut sans doute une autorité écoutée mais aussi une présence amicale ouverte aux autres et à la vie commune : chacun d’entre nous gardera d’elle le souvenir de longues et familières conversations au sujet de son enfance bretonne, des fleurs et des oiseaux de son jardin, des dernières aventures de son chat.
Cette belle alliance de passion pour la littérature et pour les infimes préoccupations de la vie s’accordait sans doute assez bien avec l’étude de Larbaud.
Françoise Lioure
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-05774-1
- EAN: 9782406057741
- ISSN: 2429-3237
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-05774-1.p.0165
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-14-2016
- Periodicity: Annual
- Language: French