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Classiques Garnier

In Memoriam Anne Chevalier

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Valery Larbaud
    2016, n° 52
    . varia
  • Auteur : Lioure (Françoise)
  • Pages : 165 à 167
  • Revue : Cahiers Valery Larbaud
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406057741
  • ISBN : 978-2-406-05774-1
  • ISSN : 2429-3237
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05774-1.p.0165
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 14/04/2016
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
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In Memoriam

Anne Chevalier

Anne nous a quittés à la fin de ce mois daoût 2015. Très ébranlée par la disparition, à la fin de 2008, de Jean-Louis, son mari, après plusieurs mois de maladie, elle avait mobilisé ses forces pour assumer la solitude et les charges matérielles qui lui incombaient à elle seule désormais. La sollicitude de ses enfants présents le plus possible auprès delle malgré leur dispersion dans diverses régions de France, le travail auquel elle ne songeait pas à renoncer nont pas suffi à atténuer sa détresse ni la fatigue des traitements exigés par une maladie depuis longtemps diagnostiquée : lune et lautre ont eu raison de sa belle énergie. La liste de ses travaux témoigne de sa puissance de travail et de son inlassable curiosité.

Entrée comme assistante en 1968 à lUniversité de Caen, elle y a exercé toute sa carrière jusquà sa retraite en 2001. L« Avant-Propos » qui inaugure le recueil de Mélanges qui lui fut offert par ses collègues à son départ évoque son activité denseignante et de chercheur au sein de cette université, soulignant quelle assumait également de nombreuses tâches administratives.

Dans les titres darticles quelle destinait à des revues ou à des annales de colloques, apparaissent les noms des auteurs les plus divers qui témoignent de la multiplicité de ses intérêts : Gracq (souvent cité), Flaubert, Élémir Bourges, Cendrars, Corbière, Tahar Ben Jelloun…Très active au sein de la collaboration de lUniversité de Caen avec celles de Dublin et de Saint Andrew, à loccasion douvrages réalisés en commun par ces trois universités, Anne a publié des études sur Aragon, Beckett, Duras, Gracq encore…

Mais Anne proclamait sa dilection première pour Proust. Elle lui a consacré de nombreux articles, dont deux au moins sont le texte de communications prononcées aux colloques de Cerisy-la-Salle de 1995 et 1997. Sa contribution la plus notoire aux travaux sur lœuvre de Proust est

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sa participation pour Albertine disparue à lédition nouvelle de À la Recherche du temps perdu qui, sous la direction de J. Y. Tadié, a été publiée en 1989 dans la Bibliothèque de la Pléiade. Lannée suivante ce texte, révisé et enrichi dune préface et dun dossier, a paru dans la collection Folio.

Ces intérêts multiples et la concurrence proustienne ne lont pas cependant détournée de Larbaud, qui fut son premier et principal objet détude : cest à lui quelle consacra sa thèse, soutenue en 1980, LÉgotisme dans lœuvre de Valery Larbaud. Dès 1972, date du premier colloque sur « Larbaud, amateur » à Vichy elle éclaira cette notion damateur à la lumière de la théorie larbaldienne des Trois Ordres. Elle participa ensuite régulièrement aux rencontres organisées à Amiens, Cerisy, Paris, Strasbourg pour analyser lœuvre de Larbaud. La maladie lempêcha de venir à Clermont pour le colloque sur « Les langages de Larbaud » en 2004, mais je me souviens particulièrement dun bel exposé sur « Le Saint Jérôme de Larbaud » lors du colloque de Strasbourg en 1992 et relis volontiers pour sa pertinence la communication quAnne donna au colloque de 1983 à Cerisy : « Valery Larbaud : le secret » (in Larbaud-Suarès, colloque de Cerisy-la-Salle, Paris, Aux amateurs de livres, 1987).

Elle collabora régulièrement aux Cahiers Larbaud dès leur création par des articles, assura la direction de certains dentre eux comme le cahier « Le Manuscrit de Barnabooth » (Éditions des Cendres, Paris, 2002) réalisé lors de lacquisition par la mairie de Vichy pour le Fonds Larbaud du manuscrit de Barnabooth longtemps convoité. Sous sa direction sont rassemblées des contributions duniversitaires venus dhorizons divers dans le cahier « Valery Larbaud, écrivain critique » (Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2008) quelle introduit par une subtile analyse du « Vain travail de voir divers pays », où il apparaît que cette méditation sur le genre ancien du « fatras » en donne une illustration.

Surtout, nous lui devons des publications majeures et particulièrement utiles pour la recherche larbaldienne. Elle a dirigé la composition et la publication du Cahier de lHerne consacré à Larbaud paru en 1992 : son article « Mère et fils » à laide de documents indiscutables permet déclairer les rapports, longtemps obscurcis par la légende, de Larbaud avec sa mère et sa ville natale. À la faveur de ce Cahier, Anne a exhumé des textes inédits ou oubliés de Larbaud, a procuré aux chercheurs un précieux répertoire chronologique des œuvres de Larbaud et élargi, par la diversité des contributeurs quelle a sollicités, les points de vue

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sur lœuvre de lécrivain. En 2001, elle publia une édition critique des Lettres de Paris, traduites de langlais par Jean-Louis Chevalier, recueil des chroniques données chaque semaine par Larbaud au New Weekly de Londres en 1914 à propos de livres récemment publiés, dexpositions, dévénements littéraires et artistiques parisiens. Larbaud manifeste dans ces textes son activité militante pour soutenir ce qui lui paraît neuf dans tous les domaines. Cest en 2003 quaprès un patient et difficile rassemblement des chroniques en espagnol que Larbaud envoya régulièrement à La Nación de Buenos-Aires en 1923-1925, Anne en fit paraître la traduction sous le titre, Du Navire dargent. Soigneusement présentés et scrupuleusement annotés, ces articles sur la vie littéraire française, sur des écrivains du passé et des auteurs contemporains représentent une part importante et particulièrement significative de la critique larbaldienne.

Mais le souvenir dAnne ne se résume pas à cette impressionnante liste de travaux. Il est lié pour moi aux premiers pas de lAssociation des Amis de Larbaud, aux premiers colloques, très solennels, sous légide attentive de Monique Kuntz, où la présence dun ministre, décrivains célèbres était bien propre à impressionner le petit groupe de chercheurs débutants, français et étrangers, qui sinitiaient à lœuvre de Larbaud. Les noms et les travaux de Frida Weismann, de Jean-Claude Corger, de Dietrich Lückoff eux aussi disparus, la présence amicale de Tsutomu Iwasaki sont liés à cette époque, aux réjouissances des Prix Larbaud particulièrement festifs (lun deux se termina par un bal à La Rotonde !) et aux cocktails annuels à Paris, qui nous offraient des occasions de rencontre. Pour tous les larbaldiens qui lont connue en des temps plus récents, Anne fut sans doute une autorité écoutée mais aussi une présence amicale ouverte aux autres et à la vie commune : chacun dentre nous gardera delle le souvenir de longues et familières conversations au sujet de son enfance bretonne, des fleurs et des oiseaux de son jardin, des dernières aventures de son chat.

Cette belle alliance de passion pour la littérature et pour les infimes préoccupations de la vie saccordait sans doute assez bien avec létude de Larbaud.

Françoise Lioure