Rondels pour toujours
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
2021, n° 4. Repolitiqué - Auteur : Melaye (Charles)
- Pages : 395 à 396
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
Rondels pour toujours
Pierre Loubier nous communique trois savoureux pastiches des « Rondels pour après » par Charles Melaye (1890-1954). Ces textes sont tirés d’un livre posthume de Melaye, intitulé Les Muses meslées : poèmes & pastiches (Paris, Les Amis de Charles Melaye, 1958)1. Ces pastiches avaient été signalés et salués par Yves-Gérard Le Dantec – qui avait préfacé Les Muses meslées – dans son édition des Amours jaunes, puis par l’édition de la bibliothèque de la Pléiade, mais jamais reproduits. BH
RONDEL POUR TOUJOURS
Mon vers n’est pas grand, mon vers de Bohême…
Tu verras au fond – le sanglot s’est tu !-
Toujours de la glace et très peu de crème,
Beaucoup de misère et peu de vertu.
Au lieu de pleurer, tu riras, quand même,
Tu siffloteras : tu turlututu…
Mon vers n’est pas grand, mon vers de Bohême !
De la flamme ? Hélas ! et bien plus de flemme !
De l’hypocrisie ? – Oh, pas un fétu !
Cela t’émoustille et t’excite tu
Passeras la langue à ta lèvre blême
Mon vers n’est pas grand, mon vers de Bohême. (1)
(1) variante :
Mon vers n’est pas grand : verre de Bohême [note de Charles Melaye]
396RONDEL POUR JAMAIS
Squelettes vidés au fond des tombeaux
Les vers finiront leur lente cuisine…
O corbeaux ; Corneille est aux escarbots
Et les pissenlits, cher Monsieur Racine,
Nous les mangerons tous par la racine !
Ils disparaîtront vos coeurs en lambeaux,
Squelettes vidés au fond des tombeaux…
Ceux qu’on soigne bien, ceux qu’on assassine,
Auront même sort, sous tous les drapeaux.
Les Mouches non plus la mouche assassine
Fleuriront vos traits et vos yeux si beaux
Squelettes, vidés au fond des tombeaux…
AUTRE RONDEL POUR JAMAIS
T’aurais préféré sans doute la houle
Pour ensevelir ton mince cercueil,
Dormir dans les flots bien loin de la foule
Échouer enfin sur l’ultime écueil !
T’aurais préféré l’onde qui s’écroule,
– Les requins t’auraient gardé leur accueil-
T’aurais préféré sans doute la houle !
O cadavre vert, le crabe et la moule
Quels doux compagnons pour ton fier orgueil…
– Mieux qu’un terreau sec, tertre qui s’éboule ;
Et mieux qu’un curé pour mener ton deuil
T’aurais préféré sans doute la houle !…
Charles Melaye
1 La bibliographie de Michel Dansel indique, du même auteur, une Suite aux « Amours jaunes » (Roanne, Belles éditions, 1936). La publication de cet ouvrage fut si confidentielle qu’on n’en trouve aujourd’hui aucune trace en bibliothèque ou en librairie. Peut-être ne s’agissait-il que d’une plaquette présentant les trois pastiches que nous publions, plus tard recueillis dans l’ouvrage-hommage qu’a consulté Pierre Loubier ?