Les Amours jaunes ont tout d’une Anabase…
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
2021, n° 4. Repolitiqué - Auteur : Naud (Philippe-Samuel)
- Pages : 397 à 398
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
Les Amours jaunes
ont tout d’une Anabase…
Les Amours Jaunes ont tout d’une Anabase, il y a un début, il y a une fin, c’est une trajectoire qui se termine dans quelque chose d’ouvert.
Un profond sentiment d’unité ressort de la structure de cet ouvrage qui se suffit à lui-même.
Notons que l’auteur a veillé de A à Z à sa composition.
Fut-il conscient de l’anabase ou a-t-il suivi « à l’aveugle » le vent porteur d’une intuition qui présida à l’ordre chronologique retenu au final avec pour point d’orgue les rondels pour après (dont on sait qu’ils furent probablement les derniers poèmes écrits pour le recueil) ?
L’air de famille avec l’Anabase de Xénophon, ce philosophe et chef militaire du 5ième siècle avant Jésus-Christ, est en tous les cas frappant. C’est l’histoire de 10 000 mercenaires grecs originaires de Sparte qui s’étaient engagés pour renverser un souverain de Perse.
Les mercenaires grecs mettent facilement en déroute l’armée perse, mais leur chef meurt au cours du combat et ils se trouvent isolés dans l’immense empire perse, commence une longue retraite conduite par Xénophon à travers le désert de Syrie, la Babylonie, l’Arménie enneigée puis ils atteignirent les hauteurs d’une montagne au-dessus de la Mer Noire et poussèrent le fameux cri : « Thalatta ! Thalatta ! » (la Mer, la Mer).
Ce cri n’est pas, d’après moi, sans rappeler la musique extra-ordinaire des « Rondels pour après ». Tout comme elle peut évoquer le fameux « Terre », « Terre » des marins perdus quand ils aperçoivent une colombe avec un brin d’herbe dans le bec.
398Les Amours Jaunes seraient une Anabase d’une âme en peine ! Après l’errance à Paris Bohème, après le tour du monde en Italie, un retour vers le littoral en passant par les terres bretonnes, vient le temps de l’embarquement final vers Cythère chantée sur la cithare des « Rondels Pour Après » !
Pour finir ce commentaire libre, évoquons enfin l’Anabase de Saint-John Perse publié en janvier 1924, son premier long poème. Il commence par une chanson : « Il naissait un poulain… ». Ce poème aurait été réalisé après que l’auteur eut réalisé physiquement sa propre anabase dans le désert de Gobi (1920-1921), anabase signifiant alors à la fois ascension, expédition à l’intérieur des terres et, par extension, montée de l’esprit, montée à l’intérieur de soi-même, introspection. Notons que ce poème est fréquemment rapproché et comparé à La Terre Vaine (The Waste Land, publié en 1922) de T.S. Eliot, poète et dramaturge britannique, de naissance américaine, T.S. Eliot qui fut un des premiers défenseurs (et un des plus fervents) des Amours Jaunes.
Philippe-Samuel Naud