Hommage à Monsieur Hidehiro Tachibana (1949-2021)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Lautréamont
2023, n° 5. varia - Auteur : Teramoto (Naruhiko)
- Pages : 15 à 19
- Revue : Cahiers Lautréamont
Hommage à Monsieur
Hidehiro Tachibana (1949-2021)1
Pour un être qui vit entre deux espaces, rien n’est tout à fait à lui, en même temps que tout est plus ou moins à lui.
Hidehiro Tachibana2
C’est au milieu du mois d’août 2021 que nous avons reçu la nouvelle du décès de Monsieur Hidehiro Tachibana. Celle-ci nous a surpris et attristé profondément. La disparition de Monsieur Tachibana nous a semblé tellement subite et inattendue. On nous a dit qu’après avoir lutté pendant des années contre le cancer, tout en continuant ses activités académiques, il avait finalement rendu son dernier souffle le 16 août. Nul ne pouvait se douter de son combat contre la maladie, en voyant cet éminent et infatigable savant nous faire l’honneur de sa présence et sa participation lors de nombreux congrès et colloques jusqu’en juillet 2021…
16Fig. 1 – Hidehiro Tachibana en 2011.
En tant qu’un des principaux membres japonais de l’AAPPFID, Monsieur Tachibana a participé plusieurs fois aux colloques internationaux consacrés à Lautréamont-Ducasse. Il a ensuite publié des articles sur notre poète dans les actes du colloque édités par feu Jean-Jacques Lefrère, l’ancien président de l’AAPPFID3. Tout en étant un des chercheurs 17japonais spécialistes de Lautréamont-Ducasse, il continuait toujours les recherches sur Les Chants de Maldoror et Poésies. Mais il n’est pas très étonnant que sa connaissance tellement vaste et profonde lui ait même permis de se spécialiser dans la littérature de l’Amérique latine (Julio Cortázar), les littératures francophones québécoise et créole (Gaston Miron, Émile Ollivier, Dany Laferrière, Aimé Césaire, Édouard Glissant, Patric Chamoiseau4), les pensées françaises modernes (Jean-Paul Sartre, Bernard-Henri Lévy, Pierre Bourdieu), ainsi que la didactique du français pour les apprenants japonais.
Après ses études à l’université de Tokyo, puis à l’université Waseda et à l’université Paris 3, Monsieur Tachibana a obtenu le poste d’enseignant à Waseda en 1988. Il y avait travaillé comme professeur à la faculté de droit jusqu’à sa retraite en 2019. À partir des années 2000, il s’est consacré sans relâche à l’administration de la Société Japonaise de Didactique du Français (président de 2003 à 2008) et de l’Association Japonaise des Études Québécoises (vice-président de 2008 à 2016, président de 2016 à 2021). C’est pourquoi il était très connu, pour de nombeux chercheurs et étudiants japonais, comme une personne énergique lors des congrès et des colloques organisés tantôt par la SJDF, tantôt par l’AJEQ.
Ainsi les recherches et les activités menées par Tachibana étaient-elles tellement multiples qu’on pourrait même les qualifier de centrifuges tant il n’est pas facile d’en distinguer les contours justes, comme ceux de ces « bandes d’étourneaux [qui] ont une manière de voler qui leur est 18propre » (Les Chants de Maldoror, V, 1). Et si ces recherches et activités forment ainsi « une espèce de tourbillon fort agité, dont la masse entière, sans suivre de direction bien certaine, paraît avoir un mouvement général d’évolution sur elle-même, résultant des mouvements particuliers de circulation propres à chacune de ses parties » (ibid.), leur centre mouvant nous semble être le sentiment de l’« altérité » qu’éprouvait Tachibana. Lui qui lisait, en tant que Japonais qui a dû et pu vivre la modernité de son pays, non seulement les littératures « classiques » occidentales, mais surtout les littératures francophones québécoise et créole destinées à bourgeonner et fleurir à leurs périphéries. Ce que nous devons retenir, c’est que, pour Monsieur Tachibana, « le centre aimanté » de ces littératures « périphériques » est l’âme même de l’œuvre de Lautréamont-Ducasse, et que, pour le même chercheur, est invisible voire inexistante, la frontière entre notre poète et les autres écrivains « créoles » pour qui « la question de l’assimilation » est toujours primordiale. Celle-ci étant, selon Tachibana, « une source des souffrances qu’éprouvent les êtres périphériques5 ».
Nous avons ainsi encore dit adieu à un autre ami japonais ducassien après Monsieur Hiroshi Fujii et Monsieur Yoshio Maekawa. Dans notre croyance traditionnelle japonaise, à la différence de la vôtre, les morts ne disparaissent jamais, mais se déplacent seulement ailleurs, très loin de chez nous, pour nous rendre visite une fois par an, à la mi-août. Suivant cette croyance censée être primitive, mais plus ou moins universelle dans les civilisations, nous nous permettons d’imaginer que dans l’au-delà, Monsieur Tachibana pourra rejoindre ses amis ducassiens, y compris bien sûr Monsieur Jean-Jacques Lefrère, pour s’amuser ensemble et discuter de nouveau de notre poète, et cela sans se soucier des « gestes barrières ».
Naruhiko Teramoto
19Ouvrages cités
Tachibana Hidehiro, 1997, « Lautréamont est né à Paris avec et contre Maldoror », Cahiers Lautréamont, 2e semestre 1996, livraisons XXXIX et XXXX, Isidore Ducasse à Paris, Actes du troisième colloque international sur Lautréamont, Paris, 2-4 octobre 1996, Tusson Du Lérot, p. 37-45.
Tachibana Hidehiro, 1999, « Lautréamont, écrivain créole ? », Cahiers Lautréamont, livraisons XLVII et XLVIII, Les Lecteurs de Lautréamont, Actes du quatrième colloque international sur Lautréamont, Montréal, 5-7 octobre 1998, Tusson Du Lérot, p. 441-448.
Tachibana Hidehiro, 2001, « Lautréamont et l’avant-garde japonaise dans l’entre-deux-guerres », Cahiers Lautréamont, livraisons LV et LVI, Les Poésies d’Isidore Ducasse, Actes du cinquième colloque international sur Lautréamont, Marseille, 13-15 octobre 2000, Tusson Du Lérot, p. 215-226.
Tachibana Hidehiro, 2003, « “Une vieille araignée” et la narration moderne », Actes du sixième colloque international sur Lautréamont, Tokyo, 4-5 octobre 2002, Tusson, Du Lérot, p. 329-344.
Tachibana Hidehiro, 2009, « Migration, créolisation et postcolonial – le cas d’Émile Ollivier », Études québécoises, Association Coréenne d’Études Québécoises, no 3, p. 131-151.
Tachibana Hidehiro, 2012, « Dany Laferrière et l’espace urbain », Études québécoises, Association Coréenne d’Études Québécoises, no 6, p. 149-169.
Tachibana Hidehiro, 2014, « Le Québec et sa créativité : entre le national et le transnational », Revue japonaise des Études québécoises, no 6, p. 68-72.
Tachibana Hidehiro, 2016, « Dany Laferrière, masque d’un romancier », Interculturel Francophonies, no 30, Dany Laferrière : mythologie de l’écrivain, énergie du roman, Alliance Française de Lecce, p. 105-123.
Tachibana Hidehiro, 2018, « Aimé Césaire ou résistance archipélique », Buata B. Malela, Andrzej Rabsztyn et Linda Rasoamanana (dir.), Les représentations sociales des îles dans les discours littéraires francophones, Paris Éditions du Cerf, p. 303-317.
1 Nous remercions Madame Hasumi Nishikawa pour sa collaboration dans la rédaction de cet hommage. Membre de l’AAPPFID et de l’Association Japonaise des Études Québécoises, elle nous a aimablement informé sur les activités et recherches menées par notre défunt ami dans le domaine de la littérature francophone québécoise.
2 Hidehiro Tachibana, « Lautréamont, écrivain créole ? », Cahiers Lautréamont, livraisons XLVII et XLVIII, Les Lecteurs de Lautréamont, Actes du quatrième colloque international sur Lautréamont, Montréal, 5-7 octobre 1998, Tusson, Du Lérot, 1999, p. 445.
3 Hidehiro Tachibana, « Lautréamont est né à Paris avec et contre Maldoror », Cahiers Lautréamont, 2e semestre 1996, livraisons XXXIX et XXXX, Isidore Ducasse à Paris, Actes du troisième colloque international sur Lautréamont, Paris, 2-4 octobre 1996, Tusson, Du Lérot, 1997, p. 37-45 ; « Lautréamont, écrivain créole ? », op. cit., p. 441-448 ; « Lautréamont et l’avant-garde japonaise dans l’entre-deux-guerres », Cahiers Lautréamont, livraisons LV et LVI, Les Poésies d’Isidore Ducasse, Actes du cinquième colloque international sur Lautréamont, Marseille, 13-15 octobre 2000, Tusson, Du Lérot, Paris, 2001, p. 215-226 ; « “Une vieille araignée” et la narration moderne », Actes du sixième colloque international sur Lautréamont, Tokyo, 4-5 octobre 2002, Tusson, Du Lérot, 2003, p. 329-344.
4 Hidehiro Tachibana, « Migration, créolisation et postcolonial – le cas d’Émile Ollivier », Études québécoises, Association Coréenne d’Études Québécoises, no 3, 2009, p. 131-151 ; « Le Québec et sa créativité : entre le national et le transnational », Revue japonaise des Études québécoises, no 6, 2014, p. 68-72 ; « Dany Laferrière et l’espace urbain », Études québécoises, Association Coréenne d’Études Québécoises, no 6, 2012, p. 149-169 ; « Dany Laferrière, masque d’un romancier », Interculturel Francophonies, no 30 ; Dany Laferrière : mythologie de l’écrivain, énergie du roman, Alliance Française de Lecce, 2016, p. 105-123 ; « Aimé Césaire ou résistance archipélique », Buata B. Malela, Andrzej Rabsztyn et Linda Rasoamanana (dir.), Les représentations sociales des îles dans les discours littéraires francophones, Paris, Éditions du Cerf, 2018, p. 303-317. Les articles publiés dans la Revue japonaise des Études québécoises sont disponibles sur le site Internet. URL : http://www.ajeqsite.org/gakkaishi.html (consulté le 7 juin 2023).
5 Hidehiro Tachibana, « Lautréamont, écrivain créole ? », op. cit., p. 445.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15995-7
- EAN : 9782406159957
- ISSN : 2607-754X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15995-7.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/11/2023
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Tachibana, Hidehiro, Lautréamont, Ducasse, Maldoror, Japon, hommage