Maldoror and I
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Lautréamont
2022, n° 4. varia - Author: Saliou (Kevin)
- Pages: 323 to 326
- Journal: Lautréamont Studies
Maldoror et moi
Benoît Broyart et Laurent Richard, Maldoror et moi, Paris, Glénat, 2022.
L’idée de départ était prometteuse, le résultat à l’arrivée un peu décevant hélas. Maldoror et moi est une bande-dessinée basée sur un scénario de Benoît Broyart et Laurent Richard qui nous proposait de suivre Martin, un adolescent de dix-sept ans engoncé dans une vie trop bourgeoise et trop étriquée, et qui découvre une échappatoire dans la fréquentation des Chants de Maldoror. Une lecture de cœur qui fut peut-être celle des auteurs, et sans doute aussi celle de beaucoup de lecteurs d’Isidore Ducasse.
L’imaginaire macabre et surréaliste du poème en prose le bouleverse, l’attire et finit par l’obséder. Les Chants qui composent l’ouvrage imprègnent ses pensées et s’immiscent dans sa réalité. Les mots de Lautréamont contaminent la psyché de Martin. Peu à peu, le monde réel et l’imaginaire deviennent indiscernables1.
Une belle promesse, scrupuleusement tenue, mais qui n’aboutit hélas qu’à une lecture littérale et au premier degré de l’œuvre maldororienne (des Poésies, rien ne sera dit d’ailleurs, la couverture de l’édition des Œuvres complètes reproduite à l’identique entre les mains de Martin ayant d’ailleurs changé son titre en Les Chants de Maldoror).
Le dessin est superbe. Si l’on peut regretter un trait simpliste dans l’expression un peu désincarnée des visages, le talent de Laurent Richard prend toute son ampleur quand les visions poétiques des Chants de Maldoror font exploser les cases de la BD. Alors, la planche devient une illustration pleine page, envahissante et incontrôlée, le noir et blanc qui caractérise le morne quotidien de Martin se trouve rehaussé par un usage très esthétique 324de la couleur rouge, et l’effet graphique provoqué donne l’impression d’une explosion de taches d’encre comme autant de fulgurances poétiques.
C’est sur le plan du scénario que les réserves se font plus grandes. On peine à s’intéresser à Martin, cet adolescent en pleine crise qui parle mal à son père – personnage de bourgeois médiocre et insipide –, à ses professeurs et à tous les gens qui l’entourent. On retrouve dans le noyau familial de Martin une transposition de celui – tel qu’il est fantasmé – de Ducasse : la mère est morte et le fils tient le père pour responsable de son absence. Martin fait du rock de garage, écrit de la poésie torturée, adule Baudelaire avant même de rencontrer Ducasse sur son chemin mais surtout, il va mal. Le récit, découpé en six chants, suit sa descente progressive dans une sorte de violence qui se voudrait maldororienne et superbe, mais qui n’est que l’expression d’un mal-être adolescent et d’un narcissisme aussi blessé qu’exacerbé. Les épisodes – somme toute insignifiants – de sa vie ne font que ressortir son égotisme horripilant, et l’on peine à trouver pour ce personnage le moindre intérêt. Fort heureusement, la plus grande partie de l’histoire est une mise en illustration d’épisodes des Chants à mesure qu’il les lit : c’est là que la BD devient excellente, et l’on se prend à regretter l’avertissement initial des auteurs qui expliquent qu’il était, selon eux, impossible d’illustrer Maldoror : ils avaient pourtant tout pour en faire quelque chose de bien. Le personnage de Maldoror apparaît sous la forme d’un être hideux au nez crochu, lui aussi un peu décevant : peut-être aurait-il mieux valu ne pas le figurer trop explicitement pour laisser l’imaginaire du lecteur faire son œuvre.
Sans trop en révéler sur la tournure que prend l’histoire, nous signalerons encore deux autres réserves. Bien qu’attachés à souligner le caractère extrême et choquant du livre de Lautréamont, les auteurs n’assument pas jusqu’au bout ses aspects sulfureux : la pédophilie est édulcorée, de même que l’action du bouledogue de Maldoror, suggérée puis esquivée par une ellipse – alors que d’autres n’avaient pas craints de rester fidèles à l’horrible jusqu’au-boutisme de Ducasse, par exemple TagliaMani dans sa belle édition illustrée. Toute la BD s’attache à montrer l’influence délétère du livre sur un esprit adolescent, mais ce livre, pour qui ne le connaîtrait pas, paraît finalement plus inoffensif qu’il ne l’est peut-être – et l’on ne sait guère, au juste, à qui s’adresse cet album, du néophyte ou du connaisseur. Notre dernier reproche, finalement, ira aussi en ce sens : l’histoire raconte, sans recul aucun, combien ces « pages pleines de poison » peuvent contaminer 325une âme pure. On assiste au basculement d’un adolescent révolté et dépassé par ses problèmes de socialisation dans une carrière du mal psychopathologique, mais qui n’a aucunement la grandeur ni la dimension esthétisante de la quête maldororienne. La révolte de Martin est petite, elle se termine d’ailleurs sans que cela ne déclenche en nous la moindre frustration, mais on peine à voir le rapport entre les ambitions de ce petit délinquant et le sublime de l’œuvre de Ducasse. Maldoror le lui dit d’ailleurs :
Je te mets en garde, Martin. Ton projet ne me plaît qu’à demi. Nulle dimension politique en jeu dans les miens. Tu dois te concentrer sur la cruauté et surtout, cette jouissance à tirer le profit d’une cruauté gratuite. […] Concentre-toi sur ce meurtre, pourquoi pas, mais n’y vois pas le début d’une quelconque insurrection, la fin du monde que tu vomis2.
Ainsi, le livre rend finalement mal l’hommage qu’il promettait dans son titre : il réduit Maldoror à un guide qu’on aurait pu renommer La Criminalité pour les nuls et nous prive de la dimension, autrement plus spectaculaire, de la poésie ducassienne. Aucun humour, aucune tendresse ne s’exprime dans ces pages. Si Maldoror et moi est un hommage à Lautréamont, il ne s’en tient qu’à un versant horrifique superficiel. Il ne donnera pas envie à qui ne le connaît pas d’aller le lire, et il décevra les afficionados du comte par un traitement limité du sujet.
Léon Bloy affirmait que Les Chants de Maldoror faisaient passer Les Fleurs du Mal pour des bondieuseries, et il finit par se débarrasser de son propre exemplaire par crainte que sa femme et sa fille ne trouvent ce livre délétère dans sa bibliothèque. Tel semble être le message des auteurs à la fin de l’histoire : Martin jette le livre, geste symbolique qui referme peut-être sa crise d’adolescence, et semble prêt à retourner sur le chemin de la vertu : l’intention des auteurs reste en effet indéfinie. Âme timide, qui vomit d’effroi après son méfait, dirige tes talons en arrière et non en avant, et emprunte un chemin philosophique plus sûr : il n’est décidément pas bon que tout le monde lise les pages des Chants de Maldoror, car quelques-uns seuls peuvent savourer ce fruit amer sans danger.
Kevin Saliou
326Ouvrage cité
Broyart Benoît et Richard Laurent, 2022, Maldoror et moi, Paris Glénat.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-14191-4
- EAN: 9782406141914
- ISSN: 2607-754X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14191-4.p.0323
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-05-2022
- Periodicity: Annual
- Language: French
- Keyword: Maldoror, Ducasse, Lautréamont, graphic novel, review, Broyart, Richard, influence, killer.