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Classiques Garnier

Maldoror and I

  • Publication type: Journal article
  • Journal: Cahiers Lautréamont
    2022, n° 4
    . varia
  • Author: Saliou (Kevin)
  • Abstract: A review of the graphic novel published in 2022 that features a troubled teenager fascinated by Les Chants de Maldoror.
  • Pages: 323 to 326
  • Journal: Lautréamont Studies
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406141914
  • ISBN: 978-2-406-14191-4
  • ISSN: 2607-754X
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14191-4.p.0323
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 10-05-2022
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
  • Keyword: Maldoror, Ducasse, Lautréamont, graphic novel, review, Broyart, Richard, influence, killer.
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Maldoror et moi

Benoît Broyart et Laurent Richard, Maldoror et moi, Paris, Glénat, 2022.

Lidée de départ était prometteuse, le résultat à larrivée un peu décevant hélas. Maldoror et moi est une bande-dessinée basée sur un scénario de Benoît Broyart et Laurent Richard qui nous proposait de suivre Martin, un adolescent de dix-sept ans engoncé dans une vie trop bourgeoise et trop étriquée, et qui découvre une échappatoire dans la fréquentation des Chants de Maldoror. Une lecture de cœur qui fut peut-être celle des auteurs, et sans doute aussi celle de beaucoup de lecteurs dIsidore Ducasse.

Limaginaire macabre et surréaliste du poème en prose le bouleverse, lattire et finit par lobséder. Les Chants qui composent louvrage imprègnent ses pensées et simmiscent dans sa réalité. Les mots de Lautréamont contaminent la psyché de Martin. Peu à peu, le monde réel et limaginaire deviennent indiscernables1.

Une belle promesse, scrupuleusement tenue, mais qui naboutit hélas quà une lecture littérale et au premier degré de lœuvre maldororienne (des Poésies, rien ne sera dit dailleurs, la couverture de lédition des Œuvres complètes reproduite à lidentique entre les mains de Martin ayant dailleurs changé son titre en Les Chants de Maldoror).

Le dessin est superbe. Si lon peut regretter un trait simpliste dans lexpression un peu désincarnée des visages, le talent de Laurent Richard prend toute son ampleur quand les visions poétiques des Chants de Maldoror font exploser les cases de la BD. Alors, la planche devient une illustration pleine page, envahissante et incontrôlée, le noir et blanc qui caractérise le morne quotidien de Martin se trouve rehaussé par un usage très esthétique 324de la couleur rouge, et leffet graphique provoqué donne limpression dune explosion de taches dencre comme autant de fulgurances poétiques.

Cest sur le plan du scénario que les réserves se font plus grandes. On peine à sintéresser à Martin, cet adolescent en pleine crise qui parle mal à son père – personnage de bourgeois médiocre et insipide –, à ses professeurs et à tous les gens qui lentourent. On retrouve dans le noyau familial de Martin une transposition de celui – tel quil est fantasmé – de Ducasse : la mère est morte et le fils tient le père pour responsable de son absence. Martin fait du rock de garage, écrit de la poésie torturée, adule Baudelaire avant même de rencontrer Ducasse sur son chemin mais surtout, il va mal. Le récit, découpé en six chants, suit sa descente progressive dans une sorte de violence qui se voudrait maldororienne et superbe, mais qui nest que lexpression dun mal-être adolescent et dun narcissisme aussi blessé quexacerbé. Les épisodes – somme toute insignifiants – de sa vie ne font que ressortir son égotisme horripilant, et lon peine à trouver pour ce personnage le moindre intérêt. Fort heureusement, la plus grande partie de lhistoire est une mise en illustration dépisodes des Chants à mesure quil les lit : cest là que la BD devient excellente, et lon se prend à regretter lavertissement initial des auteurs qui expliquent quil était, selon eux, impossible dillustrer Maldoror : ils avaient pourtant tout pour en faire quelque chose de bien. Le personnage de Maldoror apparaît sous la forme dun être hideux au nez crochu, lui aussi un peu décevant : peut-être aurait-il mieux valu ne pas le figurer trop explicitement pour laisser limaginaire du lecteur faire son œuvre.

Sans trop en révéler sur la tournure que prend lhistoire, nous signalerons encore deux autres réserves. Bien quattachés à souligner le caractère extrême et choquant du livre de Lautréamont, les auteurs nassument pas jusquau bout ses aspects sulfureux : la pédophilie est édulcorée, de même que laction du bouledogue de Maldoror, suggérée puis esquivée par une ellipse – alors que dautres navaient pas craints de rester fidèles à lhorrible jusquau-boutisme de Ducasse, par exemple TagliaMani dans sa belle édition illustrée. Toute la BD sattache à montrer linfluence délétère du livre sur un esprit adolescent, mais ce livre, pour qui ne le connaîtrait pas, paraît finalement plus inoffensif quil ne lest peut-être – et lon ne sait guère, au juste, à qui sadresse cet album, du néophyte ou du connaisseur. Notre dernier reproche, finalement, ira aussi en ce sens : lhistoire raconte, sans recul aucun, combien ces « pages pleines de poison » peuvent contaminer 325une âme pure. On assiste au basculement dun adolescent révolté et dépassé par ses problèmes de socialisation dans une carrière du mal psychopathologique, mais qui na aucunement la grandeur ni la dimension esthétisante de la quête maldororienne. La révolte de Martin est petite, elle se termine dailleurs sans que cela ne déclenche en nous la moindre frustration, mais on peine à voir le rapport entre les ambitions de ce petit délinquant et le sublime de lœuvre de Ducasse. Maldoror le lui dit dailleurs :

Je te mets en garde, Martin. Ton projet ne me plaît quà demi. Nulle dimension politique en jeu dans les miens. Tu dois te concentrer sur la cruauté et surtout, cette jouissance à tirer le profit dune cruauté gratuite. [] Concentre-toi sur ce meurtre, pourquoi pas, mais ny vois pas le début dune quelconque insurrection, la fin du monde que tu vomis2.

Ainsi, le livre rend finalement mal lhommage quil promettait dans son titre : il réduit Maldoror à un guide quon aurait pu renommer La Criminalité pour les nuls et nous prive de la dimension, autrement plus spectaculaire, de la poésie ducassienne. Aucun humour, aucune tendresse ne sexprime dans ces pages. Si Maldoror et moi est un hommage à Lautréamont, il ne sen tient quà un versant horrifique superficiel. Il ne donnera pas envie à qui ne le connaît pas daller le lire, et il décevra les afficionados du comte par un traitement limité du sujet.

Léon Bloy affirmait que Les Chants de Maldoror faisaient passer Les Fleurs du Mal pour des bondieuseries, et il finit par se débarrasser de son propre exemplaire par crainte que sa femme et sa fille ne trouvent ce livre délétère dans sa bibliothèque. Tel semble être le message des auteurs à la fin de lhistoire : Martin jette le livre, geste symbolique qui referme peut-être sa crise dadolescence, et semble prêt à retourner sur le chemin de la vertu : lintention des auteurs reste en effet indéfinie. Âme timide, qui vomit deffroi après son méfait, dirige tes talons en arrière et non en avant, et emprunte un chemin philosophique plus sûr : il nest décidément pas bon que tout le monde lise les pages des Chants de Maldoror, car quelques-uns seuls peuvent savourer ce fruit amer sans danger.

Kevin Saliou

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Ouvrage cité

Broyart Benoît et Richard Laurent, 2022, Maldoror et moi, Paris Glénat.

1 Benoît Broyart et Laurent Richard, Maldoror et moi, Paris, Glénat, 2022, quatrième de couverture.

2 Ibid., p. 129.