Ovide chez Dante Mémoire et réécriture du mythe
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
2021 – 1, n° 41. varia - Auteur : Rossi (Federico)
- Pages : 117 à 144
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
Ovide chez Dante
Mémoire et réécriture du mythe
Si l’on compare la littérature italienne aux autres domaines romans, on est frappé par le rôle exceptionnel joué par Dante ; ce lieu commun de la critique peut être confirmé aussi pour ce qui concerne la diffusion en langue vulgaire des Métamorphoses. Avant Dante, il n’y a presque pas de références directes au poème ovidien en Italie, tandis que Dante fait des Métamorphoses l’une des bases de sa révolution poétique ; en outre, le Florentin est le premier à transposer en vulgaire italien des passages du poème latin, bien avant que celui-ci ne soit traduit par le notaire de Prato Arrigo Simintendi. Dans l’œuvre de Dante, on peut observer plusieurs types de références, de la simple citation de l’autorité d’Ovide à la réécriture1.
La comparaison point par point entre Dante et Ovide a fait l’objet de très nombreuses études ; ce que je voudrais faire, c’est plutôt étudier l’usage que le poète florentin a fait du poète classique avec en toile de fond, mais toujours bien visible, la pénétration des œuvres ovidiennes dans l’Italie de son temps. En fait, je voudrais démontrer que la poésie de Dante a changé de manière permanente la réception d’Ovide, et en particulier des Métamorphoses, dans la littérature en vulgaire italien.
118J’expliquerai tout d’abord quelle était la place d’Ovide dans la culture de l’Italie de Dante. Ensuite, je proposerai quelques exemples des traductions des Métamorphoses que Dante insère dans le Banquet, en donnant la première version du texte en vulgaire italien. Après cela, je montrerai comment Dante a introduit de nouveaux mythes ovidiens dans la lyrique, avec ses propres Rime mais surtout à travers l’exemple de la Comédie. Enfin, j’analyserai les reprises d’un mythe des Métamorphoses dans l’écriture du poème.
De l’Ovide amoureux à l’Ovide des Métamorphoses
Au premier siècle de la littérature en langue vulgaire d’Italie, Ovide est connu surtout en tant que maître d’amour. On s’est longtemps demandé si les auteurs classiques majeurs (tel Ovide) faisaient encore partie intégrante de l’éducation dans les écoles du xiiie siècle2. On sait que les notaires de la Magna Curia étaient tenus de bien connaître la grammaire, donc vraisemblablement les auteurs3 ; pourtant, dans leur production en langue vulgaire il n’y a pas de traces d’une connaissance directe de l’auteur classique4. On peut faire des considérations semblables 119pour les rimeurs toscans, qui appartenaient souvent à la catégorie des juristes.
Dans la lyrique des premiers poètes en langue vulgaire d’Italie, on trouve parfois la mémoire de quelques mythes ovidiens5, mais il s’agit toujours d’histoires déjà mentionnées dans les modèles français et provençaux6. C’est le cas de celle de Narcisse, que l’on trouve chez Rinaldo d’Aquino, Poi li piace ch’avanzi suo valore, 32-457, chez Chiaro Davanzati, Como Narcissi, in sua spera mirando, 1-68 et dans le sonnet anonyme Guardando la fontana il buo[n] Narciso9 ; ces mentions dépendent probablement des antécédents que constituent les chansons de Bernart de Ventadorn (Can vei la lauzeta mover, BdT 70.43, v. 23-24) et de Peirol (Mout m’entremis de chantar voluntiers, BdT 366.21, v. 20-21), ainsi que le Lai de Narcisse10. D’une façon semblable, on peut faire remonter le souvenir du mythe de Pyrame et Thisbé soit au poème français éponyme, soit aux mentions de ce couple « exemplaire » dans la lyrique provençale (en particulier chez Raimbaut de Vaqueiras, Era·m requier sa costum’e son us, BdT 392.2, v. 11-12, un auteur bien connu en Italie où il a passé plusieurs années). Ce n’est donc pas à cause de la lecture des Métamorphoses que nous trouvons les deux amants malheureux chez Pierre 120de la Vigne, Amore, in cui disio, 1511, dans le sonnet anonyme L’amoroso conforto e lo disdotto, 1712, chez Schiatta di messer Albizzo Pallavillani, Poi che vi piace ch’io deggia treguare, 1313, dans le sonnet Disidero lo pome ne lo fiore, v. 14 (attribué à Chiaro Davanzati14), et chez Rustico Filippi, Oi amoroso, v. 1115.
On rencontre également la mention des deux flèches d’Amour, celle d’or et celle de plomb ; c’est un motif qui remonte aux Métamorphoses (I 469-71), mais que l’on trouve dans plusieurs textes romans, comme les chansons lyriques de Raimbaut d’Aurenga (Er quant s’embla, BdT 389.15, v. 34-35) et Guiraut de Calanson (Celeis cui am de cor, BdT 243.2, v. 9-16)16 et surtout le Roman d’Eneas, v. 8039-8044 (Amour « tient.II. dars en sa main destre / […] / li uns des dars est d’or en son / qui fait aimer ; l’autre de plon / qui fait haïr : deversement / navre et point Amor forment »)17. C’est probablement grâce à la médiation du Roman que le motif passa dans le sonnet de l’Abbé de Tivoli Ai deo d’amore, a te faccio preghera (v. 10-14)18 :
[…] ma tu m’ài feruto
de lo dardo de l’auro, ond’ò gran male,
che per mezzo lo core m’ài partuto :
di quello de lo piombo fo altretale
a quella per cui questo m’è avenuto.
« … mais tu m’as blessé
avec la flèche d’or, et j’en ressens une grande douleur
121car tu m’as divisé le cœur en plein milieu :
Et tu as pris la flèche de plomb pour blesser
celle qui est la cause de ce qui m’est arrivé. » (trad. personnelle)
On trouve le même motif dans le sonnet de Cavalcanti O tu, che porti nelli occhi sovente19 ; et pourtant, Cavalcanti parle de trois flèches, comme Guiraut de Calanson (et plus tard, en Italie, les Documenti d’Amore de Francesco da Barberino20). Dante, dans la chanson Tre donne, v. 59, revient aux deux flèches d’Ovide (« l’uno e l’altro dardo »), même si la mention est trop rapide pour qu’on puisse avancer des hypothèses sur sa source.
Dans la lyrique des premiers poètes en langue vulgaire d’Italie, Ovide est souvent cité nommément en tant que maître d’amour. C’est le cas dans la chanson anonyme Giamai null’m nonn-à sì gra∙richezze (v. 15-16 : « e de l’amor no sacio dir ragione / ed aggio letto verso de l’on Vidio », « je ne sais pas discuter de l’amour ; et [pourtant] j’ai lu les vers d’Ovide21 »), chez Dante da Maiano (sonnet Amor mi fa sì fedelmente amare, v. 5-6 : « D’Ovidio ciò mi son miso a provare / che disse per lo mal d’Amor guarire », « Je me suis mis à essayer ce qu’Ovide dit pour guérir du mal d’amour22 »), ou chez Cino da Pistoia (sonnet Se mai leggesti versi de l’Ovidi, littéralement « Si jamais tu as lu des vers d’Ovide », où le poète rappelle à Onesto da Bologna que l’amant doit être soumis face à une dame dédaigneuse23). Guido Orlandi, à son tour, envoie à Cavalcanti ces mots impératifs : « Ovidio leggi : più di te ne vide ! », c’est-à-dire « Lis Ovide : il a vu plus de choses que toi ! » (sonnet Per troppa sottiglianza il fil si rompe, v. 13) ; Cavalcanti répond que, bien qu’il ait lu Ovide, Orlandi ne comprend pas les enseignements d’Amour (sonnet Di vil matera mi conven parlare, v. 7)24.
122Dans le Tesoretto de Brunetto Latini (v. 2357-2362) on rencontre « Ovidio maggiore » (« l’Ovide majeur »), défini comme celui « che gli atti dell’amore, / che son così diversi, / rassembla ‘n motti e versi » (« qui les actes de l’amour / qui sont si divers / rassemble en mots et vers »), si bien que les chercheurs se divisent entre ceux qui y voient une référence aux Métamorphoses et ceux qui préfèrent penser aux œuvres érotiques25. Étant donné que dans les Métamorphoses on trouve de nombreuses histoires qui pourraient justifier cette description, on pourrait penser que le notaire florentin emploie l’expression Ovidius maior dans son sens usuel ; dans ce cas, une œuvre à la matière aussi complexe que les Métamorphoses serait présentée comme un simple catalogue de faits amoureux. Toutefois, dans la suite du récit du Tesoretto, Brunetto demande à Ovide des indications sur le bien et le mal d’Amour (nommé « le garçon aux ailes, / aux flèches et à l’arc », v. 2368-2369) ; Ovide lui dit que la force d’Amour ne peut être entendue que par ceux qui l’ont éprouvée (« che la forza d’amare / non sa chi no∙lla prova », v. 2374-2375), donc Brunetto doit chercher la réponse dans son propre cœur ; ensuite, le notaire reste possédé (« ’nvescato », v. 2385) par l’Amour, mais grâce à l’art appris d’Ovide il réussit à s’enfuir (« Ma Ovidio, per arte, / mi diede maestria / sì ch’io trovai la via / com’io mi trafugai », v. 2390-2393). Le rôle du poète classique est ainsi terminé et Brunetto se hâte de confesser ses péchés « aux prêtres et aux frères » (v. 2406), dont les enseignements moraux occupent plusieurs centaines de vers. Il semble, donc, que Brunetto pense exclusivement à l’Ovide de l’Ars et des Remedia (les œuvres les plus communes, employées aussi dans l’enseignement scolaire26) et que, en tout cas, la rencontre avec cet auteur n’est qu’un épisode marginal, presque un égarement, dans le parcours de formation du Tesoretto.
Pour aborder Dante, dans la Vita nova c’est aussi l’Ovide des Remedia amoris qui est cité dans la liste des poètes qui « ànno parlato alle cose inanimate sì come se avessero senso o ragione » (« ont parlé aux choses inanimées 123tout comme si elles eussent sens et raison »), c’est-à-dire le premier canon poétique fixé par Dante, qui comprend par ailleurs Virgile avec l’Énéide, Lucain et Horace avec l’Ars poetica. Dante écrit donc (Vita nova, XXV 9)27 :
Per Ovidio parla Amore, sì come se fosse persona umana, ne lo principio de lo libro c’ha nome Libro di Remedio d’Amore, quivi : « Bella michi, video, bella parantur, ait ».
« Par Ovide vient parlant Amour comme s’il fût personne humaine, au commencement du livre qui a nom Livre de Remède d’Amour, ici : “Bella michi, video, parantur, ait” » (trad. A. Pézard).
Dante ne traduit pas le texte ovidien : la parole des anciens poètes ne peut pas encore résonner dans la langue vulgaire. Ovide est cité à travers la référence à la prosopopée d’Amour : cet usage du texte classique pour exemplifier une figure rhétorique trouve des parallèles dans les traités comme l’Ars versificatoria de Mathieu de Vendôme ou le Candelabrum de Bene de Florence28, même si l’on ne trouve pas l’exemple exact de Dante dans la tradition des artes dictaminis. En tout cas, cette approche rhétorique des textes classiques est typique du contexte culturel des comuni italiens29.
L’intellectuel qui, désormais en exil, écrit le De vulgari eloquentia et le Banquet, entretient avec ses modèles une relation très différente de celle du temps de la Vita nova. Dans le traité latin, Dante affirme sans ambages que l’Ovide auquel on doit se référer est celui des Métamorphoses (De vulg. el., II vi 7) :
Nec mireris, lector, de tot reductis autoribus ad memoriam : non enim hanc quam suppremam vocamus constructionem nisi per huiusmodi exempla possumus indicare. Et 124fortassis utilissimum foret ad illam habituandam regulatos vidisse poetas, Virgilium videlicet, Ovidium Metamorfoseos, Statium atque Lucanum […].
«Et ne t’émerveille pas, lecteur, de tant de poètes que j’ai rappelés à ta mémoire ; car cette construction que j’appelle nonpareille, je ne la puis signifier autrement que par des exemples de cette sorte. Et sans doute serait-il bien utile, pour en gagner la disposition habituelle, d’avoir lu les poètes réglés, à savoir Virgile, l’Ovide de la Métamorphose, Stace et Lucain… » (trad. A Pézard).
On assiste, ici, au changement d’un paradigme. De même, dans le Banquet, Dante cite seulement l’Ovide des Métamorphoses et, ce qui est plus significatif, ne renvoie jamais à des mythes qui narrent les « actes de l’amour », mais à ceux du chant d’Orphée (II i 4)30, de la chute de Phaéton (II xiv 5, IV xxiiii 14), du combat entre Hercule et Antée (III iii 8), de la création du monde (IV xv 8), de la peste d’Égine (IV xxvii 17-21)31. Parmi ces références, je vais maintenant examiner celles qui impliquent la traduction de la source ovidienne32.
Traduire Ovide : au-delà du volgarizzamento ?
Dans un passage très célèbre du Banquet, Dante affirme que l’on ne peut pas traduire la poésie, parce que « nulla cosa per legame musaico armonizzata si può della sua loquela in altra transmutare sanza rompere tutta sua dolcezza ed armonia » (« rien de ce qui a reçu son harmonie des liens de la musique ne peut passer de sa parlure dans une autre sans 125rompre toute sa douceur et son harmonie », [trad. A. Pézard], I vii 14). Cependant, dans le traité il traduit constamment les autorités qu’il cite ; il est mû par la volonté d’être compris par un public plus nombreux, et en particulier par les nobles dont il veut ressusciter la vertu, mais il est aussi poussé par « l’amour naturel de (sa) propre parlure » (I xi 5). Il ne s’agit pas de simple vulgarisation, mais d’une opération plus ambitieuse, présentée par l’auteur à travers des références bibliques très solennelles (I xiii 12) :
Questo sarà quello pane orzato del quale si satolleranno migliaia, e a me ne soverchieranno le sporte piene. Questo sarà luce nuova, sole nuovo, lo quale surgerà là dove l’usato tramonterà, e darà lume a coloro che sono in tenebre ed in oscuritade, per lo usato sole che a loro non luce.
« Il sera ce pain orgé dont se rassasient milliers de personnes, et il en restera pour moi de pleines corbeilles. Il sera neuve clarté, soleil neuf qui se lèvera là où l’ancien soleil se sera couché, et il prêtera flambeau à ceux qui sont en ténèbres et obscurité, par le fait de l’ancien soleil qui pour eux ne luit plus » (trad. A. Pézard).
Dans un seul cas, en traduisant moins d’un vers du texte d’Ovide, Dante se borne à donner une traduction « utilitaire », sans tenter de rivaliser avec le modèle, quand il traduit les mots de Vénus à Cupidon « arma manusque meae, mea, nate, potentia » par « Figlio, armi mie, potenzia mia » (« Fils, toi qui es mon armure, ma puissance ») : il condense le doublet synonymique arma manusque dans le simple armi et instaure un ordre des mots plus approprié à la prose, en anticipant aussi le vocatif nate.
En IV xv 8, en revanche, Dante cite un passage plus long d’Ovide pour soutenir que tous les hommes descendent d’un même ancêtre :
E che appo li gentili falso fosse, ecco la testimonianza d’Ovidio nel primo del suo Metamorfoseos, dove tratta la mundiale constituzione secondo la credenza pagana o vero delli gentili, dicendo : “Nato è l’uomo” ; non disse “li uomini”, disse : “Nato è l’uomo, o vero che questo l’artefice delle cose di seme divino fece, o vero che la recente terra, di poco dipartita dal nobile corpo sottile e diafano, li semi del cognato cielo ritenea. La quale, mista coll’acqua del fiume, lo figlio di Iapeto”, cioè Prometeos, “compuose in imagine delli Dei che tutto governano”. Dove manifestamente pone lo primo uomo uno solo essere stato.
« Et que cela fût faux de même aux yeux des Gentils, voici comme en témoigne Ovide, dans le premier livre de son Metamorfoseos, où il traite de la constitution du monde selon la croyance des Païens, ou, si l’on préfère, des Gentils, en disant : 126“L’homme est né” (il ne dit pas “les hommes”, il dit “l’homme est né”) “soit que l’artisan des choses l’ait fait de semence divine, soit que la terre encore neuve, depuis peu départie du noble éther, retînt les semences du ciel né en même temps qu’elle. Et cette terre, mêlée avec l’eau du fleuve, le fils de Japet, c’est-à-dire Prométhée, la façonna à l’image des dieux, qui tout gouvernent”. Par où de façon manifeste il affirme que le premier homme fut un seul » (trad. A. Pézard).
Dante traduit ici littéralement Mét. I, v. 78-83 :
natus homo est, sive hunc divino semine fecit
ille opifex rerum, mundi melioris origo,
sive recens tellus seductaque nuper ab alto
aethere cognati retinebat semina caeli.
quam satus Iapeto, mixtam pluvialibus undis,
finxit in effigiem moderantum cuncta deorum33.
Dans ce cas, le Florentin semble aspirer à une traduction élégante, en lien avec la prose du traité : c’est pourquoi il déplace les verbes en fin de phrase, en créant un ordre S-O-V qui ne correspond pas à l’ordre du modèle, mais en maintient la texture littéraire. De même, Dante ne renonce pas à clarifier le texte en donnant des explications : il traduit opifex par artefice, un terme déjà utilisé auparavant en langue vulgaire34. Il serait intéressant de vérifier s’il y a dans quelques manuscrits du latin une glose opifex id est artifex : les manuscrits que j’ai consultés, qui reprennent le commentaire d’Arnoul d’Orléans, ont plutôt opera faciens (Vat. Lat. 1598, fol. 2r) ou factor (Vat. Lat. 1479, fol. 54r). En outre, Dante explique l’alto aethere comme « nobile corpo sottile e diafano » (« corps noble, subtil et diaphane »). Cette intervention (qui est effacée dans la traduction de Pézard) montre la compétence philosophique du traducteur ; en revanche, l’insertion du nom de Prométhée – une glosse très répandue dans les manuscrits latins – se fait comme chez tous les volgarizzatori. Enfin, le participe moderantum est traduit par une proposition relative, ce qui est une constante de Dante traducteur, avec le verbe governano qui est un des mots-clés de la pensée du poète sur le divin.
127On peut comparer la traduction donnée ici par Dante avec celle plus tardive de Simintendi, qui ne présente pas les interventions que je viens d’observer35 :
Fu formato l’uomo ; o vero che quello meraviglioso maestro de le cose fece costui del seme delli dei, imagine di migliore mondo ; o vero che la ricente terra, e divisa nuovamente dall’alta aria, ritenea i prencipii del cognato cielo ; la quale lo figliuolo di Iapeto, mescolata nell’onde de’ fiumi, compuose in forma delli dei che temperano tutte le cose.
« L’homme fut formé, soit que ce merveilleux maître des choses fît celui-ci de la semence des dieux, image du monde meilleur, soit que la terre récente et séparée depuis peu de l’air élevé ait conservé les principes de son parent, le ciel ; et le fils de Japet, en la mélangeant avec les ondes des fleuves, le modela à la forme des dieux qui tempèrent toutes choses » (trad. personnelle).
Dans cette traduction, l’homme ne naquit pas mais « fut formé » ; opifex est traduit comme maestro, « maître » ; aether est simplement aire, « air », tandis que les semina caeli deviennent les « principes » du ciel. Effigiem devient « forme » et les dieux « tempèrent » les choses, selon un autre sens du mot. Dans le texte latin de Simintendi comme dans celui de Dante, pluvialibus devait être remplacé par fluvialibus, ce qui explique les deux traductions qui parlent de l’eau des fleuves.
Dans le dernier passage que je vais commenter, Dante résume la « fable » d’Éaque et de la peste d’Égine, afin de montrer que le vieux roi avait les parfaites caractéristiques de son âge, c’est-à-dire prudence, justice, largesse et affabilité (IV xxvii 17-21) :
E che tutte e quattro queste cose convegnano a questa etade, n’amaestra Ovidio nel settimo [di] Metamorfoseos, in quella favola dove scrive come Cefalo d’Atene venne ad Eaco re per soccorso, nella guerra che Atene ebbe con Creti. Mostra che Eaco vecchio fosse prudente, quando, avendo per pestilenza di corrompimento d’aere quasi tutto lo popolo perduto, esso saviamente ricorse a Dio e a lui domandò lo ristoro della morta gente ; e per lo suo senno, che a pazienza lo tenne e a Dio tornare lo fece, lo suo popolo ristorato li fu maggiore che prima. Mostra che esso fosse giusto, quando dice che esso fu partitore a nuovo popolo e distributore della terra diserta sua. Mostra che fosse largo, quando disse a Cefalo dopo la dimanda dello aiuto : “O Atene, non domandate a me aiutorio, ma tolletelvi ; e non dite a voi dubitose le forze che ha questa isola. E tutto questo è [lo] stato delle mie cose : forze non ci menomano, anzi ne sono a noi di soperchio ; e lo avversario è grande, e lo tempo da dare è, bene aventuroso e sanza escusa”. Ahi quante cose sono da notare in questa risposta ! Ma a buono intenditore basti essere posta qui 128come Ovidio la pone. Mostra che fosse affabile, quando dice e ritrae per lungo sermone a Cefalo la istoria della pestilenza del suo popolo diligentemente, e lo ristoramento di quello. Per che assai è manifesto a questa etade essere [queste] quattro cose convenienti : per che la nobile natura in essa le mostra, sì come lo testo dice. E perché più memorabile sia l’essemplo che detto è, dice di Eaco re che questi fu padre di Telamon, [di Peleus] e di Foco, del quale Telamon nacque Aiace, e [di Peleus] Achilles.
« Et que ces quatre qualités ensemble soient le propre de cet âge, Ovide nous l’enseigne dans le septième livre des Métamorphoses, en cette fable où il écrit comment Céphale d’Athènes vint trouver le roi Éaque pour obtenir son aide dans la guerre d’Athènes contre la Crète. Il montre qu’Éaque, qui était vieux, était prudent quand, ayant perdu presque tout son peuple à cause de la peste répandue par la corruption de l’air, il recourut sagement à Dieu et lui demanda de faire renaître le peuple mort ; et par sa grande sagesse, qui le rendit patient et le fit revenir à Dieu, son peuple lui fut rendu plus grand qu’auparavant. Il montre qu’Éaque était juste, quand il dit qu’à ce nouveau peuple le roi partagea et distribua sa terre désertée. Il montre qu’Éaque était large lorsqu’à Céphale, qui lui demandait de l’aide, le roi répondit : “O Athènes, ne me demandez pas mon aide, mais prenez-la et ne pensez pas que les forces que possède cette île puissent vous faire défaut. Voici toutes mes possessions en l’état où elles se trouvent : nos forces n’en seront pas amoindries, mais nous en avons de reste ; et l’adversaire est grand : c’est le moment de donner, c’est une chance qui ne souffre point d’excuse.” Hélas combien de choses sont à noter dans cette réponse ! Mais pour celui qui comprend bien il suffira de l’avoir donnée ici comme Ovide la donne. Il montre qu’Éaque était affable quand le roi retrace avec soin pour Céphale, dans de longs discours, l’histoire de la peste de son peuple, et de sa renaissance. C’est pourquoi il apparaît avec évidence que quatre qualités sont propres à cet âge ; c’est pourquoi la noble nature les montre là, comme le dit le texte. Et pour rendre plus mémorable l’exemple qu’on a ici narré, Ovide dit du roi Éaque qu’il fut le père de Télamon, de Pélée et de Phocus, et de Télamon naquit Ajax, et de Pélée, Achille » (trad. personnelle).
Dans ce passage, Dante traite le texte des Métamorphoses avec liberté et familiarité à la fois, en bon connaisseur du poème : il résume simplement la plus grande partie de l’épisode, mais il rapporte fidèlement les mots d’Éaque, dans lesquels, comme il le dit, on pourrait noter plusieurs choses. Il est frappant d’observer que son intérêt ne va pas tout simplement à l’histoire mythique, mais à la façon dont le poète ancien la raconte : c’est pourquoi il est important pour lui de « l’avoir donnée ici comme Ovide la donne ». Du point de vue des contenus, Dante efface complètement les aspects prodigieux du mythe et en particulier la transformation en homme d’une colonie de fourmis opérée par Jupiter 129afin de repeupler Égine. Il traite la fable comme s’il s’agissait d’histoire, selon le paradigme de l’évhémérisme typique de beaucoup de lectures médiévales des Métamorphoses.
Il convient aussi de rappeler que le même mythe sera traité d’une façon très différente dans l’Enfer (XXIX 58-66) :
Non credo ch’a veder maggior tristizia
fosse in Egina il popol tutto infermo,
quando fu l’aere sì pien di malizia,
che li animali, infino al picciol vermo,
cascaron tutti, e poi le genti antiche,
secondo che i poeti hanno per fermo,
si ristorar di seme di formiche ;
ch’era a veder per quella oscura valle
languir li spirti per diverse biche.
« Je ne crois pas qu’il fut plus terrible
de voir à Égine tout le peuple malade,
quand l’air était si plein de pestilence,
que tous les animaux, jusqu’au moindre ver,
moururent, et que plus tard le peuple antique,
comme les poètes le tiennent pour certain,
fut restauré par la semence des fourmis,
que de voir ici dans la vallée obscure
languir des esprits en différents tas » (trad. J. Risset).
Ici, Dante insiste sur le fait que ce furent les poètes qui racontèrent cette histoire, ce qui en souligne le caractère fabuleux. En revanche, dans le Banquet, Dante met l’accent sur les traits historiques ; les notices finales sur les descendants d’Éaque semblent tirées d’une note comme celle qu’on lit dans le ms. Laur. S. Marco 238, fol. 62v (et on peut consulter aussi le ms. Laur. Plut. 35.5, fol. 90r) : « Esopus fuit pater Egine cum qua concubuit Iuppiter et inde natus est Eacus ; et iste concubuit cum Sarmace et inde nati sunt Phocus et Peleus et Telamon. Peleus fuit pater Achillis, Telamon Aiacis, Phocus autem caruit filio36 ». Ce détail suffit à nous rappeler qu’en étudiant le rapport d’un auteur du Moyen Âge avec un texte classique, il faut toujours considérer les instruments qui l’aidaient à lire et à mémoriser.
130La réponse d’Éaque, que Dante dit avoir transcrite telle qu’Ovide la donne, est la suivante (Mét. VII, v. 507-511) :
« ne petite auxilium, sed sumite » dixit, « Athenae,
nec dubie vires, quas haec habet insula, vestras
ducite, et (o maneat rerum status iste mearum !)
robora non desunt ; superat mihi miles et hoc est,
gratia dis, felix et inexcusabile tempus37. »
Pour apprécier la qualité de la traduction, revendiquée par l’auteur, il faut considérer que le texte latin que Dante pouvait lire comportait beaucoup de différences avec celui de nos éditions critiques : il avait probablement dubias pour dubie, dicite pour ducite, hostis grandis pour hoc est gratia dis38. Il faut quand même observer que Dante choisit de garder les verbes au pluriel (domandate, tollete, dite), même si Athènes en italien est un nom singulier (comme on le voit juste au-dessus dans la « guerra che Atene ebbe con Creti »). Le latinisme syntactique est probablement une conséquence de la volonté d’être très fidèle au modèle.
En conclusion de cette partie, nous pouvons dire qu’en traduisant Ovide ainsi que d’autres auteurs classiques dans le Banquet, Dante ne veut pas seulement rendre ces textes accessibles à de nouveaux lecteurs, mais il vise aussi à donner de la force à la langue vulgaire grâce à l’émulation du latin. Certes, ces deux objectifs sont communs à la plupart des volgarizzatori39. Cependant, la très haute considération que Dante a de la langue vulgaire le conduit à une audace sans égales : cette tendance aboutira à un véritable défi aux classiques et à la tentative de les dépasser dans la poésie de la Comédie.
131Mythes ovidiens dans la lyrique :
Dante (et Cino) comme précurseur(s)
C’est donc l’Ovide des Métamorphoses qui est cité, encore une fois en tant qu’autorité sur l’amour, dans l’épître adressée par Dante à Cino da Pistoia pendant les premières années de son exil40 ; dans ce texte, Dante répond à une question de son ami : est-ce que l’âme peut se transformer (transformari) en passant d’une passion à une autre ? Dante se prononce affirmativement et, à l’appui de cet argument, il allègue un exemple tiré des Métamorphoses (Ep. III [4] 7) :
Auctoritatem vero Nasonis, quarto De Rerum Transformatione, que directe atque ad litteram propositum respicit, superest ut intueare ; scilicet ubi tradit autor equidem in fabula trium sororum contemtricium in semine Semeles, ad Solem loquens, qui, nymphis aliis derelictis atque neglectis in quas prius exarserat, noviter Leucothoen diligebat : « Quid nunc, Yperione nate », et reliqua.
« Quant à l’autorité des sages, tu n’auras qu’à la considérer chez Ovide, au quatrième livre des Transformations de nature : ce qu’il dit regarde droitement et à la lettre notre propos, à savoir précisément dans la fable des trois sœurs qui méprisèrent un dieu en méprisant l’enfant de Sémélé, quand il s’adresse au Soleil qui, délaissant et négligeant les autres nymphes dont l’amour l’avait d’abord embrasé, chérissait Leucothoé d’une tendresse toute neuve : “Eh quoi”, dit-il, “fils d’Hypérion”, et cetera » (trad. A. Pézard).
En premier lieu, il faut observer que Dante met en valeur le titre du poème, qui dans beaucoup de manuscrits était « Metamorphoseos idest de transformatione », en le reliant au sujet de la question de Cino. Dans le sonnet de Cino Dante, quando per caso s’abbandona on dit que « l’alma […] si può ben trasformar d’altra persona » (« l’âme […] peut se transformer [en se liant] à une autre personne »), avec ce même mot « trasformar » qui, on peut le penser, a rappelé à Dante le texte d’Ovide41 ; Dante a donc 132recours aux Métamorphoses et non pas aux Remedia amoris, qui auraient donné la même réponse42. Le Florentin invite son correspondant à lire les vers du ive livre des Métamorphoses (192 et suivants), où l’une des Minyades raconte comment le Soleil tomba amoureux de Leucothoé, en oubliant l’amour des autres nymphes. Il faut observer l’originalité de l’opération de Dante, qui innove par respect de la tradition que nous avons très vite passée en revue. Rien de surprenant dans la citation d’Ovide à propos des règles du jeu d’amour ; pourtant, Dante évoque un mythe peu connu dont il était difficile de trouver une mention hors des Métamorphoses. En outre, l’idée que l’amour du Soleil pour Leucothoé soit un exemple du passage d’un amour à un autre se justifie exclusivement par la lecture directe des vers d’Ovide, où l’on dit que le Soleil oublia toutes ses autres amantes face à celle-ci (Mét. IV, v. 204-9).
Comme on l’a noté, dans les mêmes années cette histoire est citée par le notaire Geri d’Arezzo dans son Dialogue sur l’amour adressé à Francesco da Barberino43 :
Scis me celo, terris inferisque regnatorem, nec te fugit quibus flammarum nostrarum fervoribus, illum qui celi terrarumque opera omnia lustrat, solem, decoxerim in sua Leucothoe, in qua, dum sepius suspiratos ducit affectus, sui luminis expers factus, non semel eclipsavit
« Tu sais que je règne dans le ciel, sur la terre et aux enfers et tu n’ignores pas de quelles flammes brûlantes j’ai embrasé celui qui éclaire toutes les œuvres du ciel et de la terre, le soleil, pour sa Leucothoé, pour laquelle, poussant très souvent des soupirs passionnés, privé de sa lumière, il s’est éclipsé plusieurs fois » (trad. personnelle).
Geri insère cette référence dans une série d’exemples de dieux qui ont été vaincus par l’amour ; le recours aux Métamorphoses n’est pas du tout étonnant sous la plume de ce notaire, dont la formation classique en fait l’un des précurseurs de l’humanisme44. Toutefois, dans l’œuvre de Geri on cite l’amour du Soleil pour Leucothoé d’une façon plus générique, 133et non pas comme exemple de mutatio amoris, dans une galerie qui comprend beaucoup d’autres mythes classiques.
L’idée que l’on puisse passer d’un amour à un autre fait l’objet de plusieurs échanges de sonnets entre Dante et Cino ; dans un cas, encore une fois dans une réponse, Dante insère une référence au poème d’Ovide. Dans le sonnet I’ ho veduto già senza radice on trouve ainsi la première citation d’un mythe ovidien dans la lyrique italienne (avec le sonnet parallèle de Cino dont on parlera ci-après), si l’on exclut les mentions qui dérivent d’antécédents français ou provençaux. Dans le premier quatrain du sonnet, Dante allègue l’exemple d’un mythe qui lui était très cher, celui de Phaéton (Rime, Barbi xcv ; Contini 40a ; De Robertis 99, v. 1-4) :
I’ ho veduto già sanza radice
legno ch’è per omor tanto gagliardo
che que’ che vide nel fiume lombardo
cader suo figlio, fronde fuor n’elice.
« J’ai vu déjà tige n’ayant racine
par ses humeurs se montrer tant gaillarde
que celui-là qui au fleuve lombard
vit choir son fils en peut feuillage traire » (trad. A. Pézard).
Le soleil, dit Dante, peut faire naître des feuilles d’un tronc sans racines (Pézard pensait plutôt à « un surgeon greffé sur un sujet “franc” de la même nature », d’où la traduction par « tige » du « bois » de l’original45). Le soleil est donc indiqué par la périphrase « celui-là qui au fleuve lombard vit choir son fils », qui renvoie, de façon générique, au mythe raconté par Ovide dans le deuxième livre du poème. Cette histoire, ici traitée incidemment, est reprise par le poète dans le Banquet (II xiv 5), dans une des Epîtres (XI [4] 5) et surtout dans de nombreux passages de la Comédie (Inf. XVII 106-108 ; Purg. IV 72, XXIX 119 ; Par. XVII 1-3, XXXI 125). Donc, dans ce sonnet, Dante choisit un mythe qui n’avait aucune diffusion dans la littérature en langue vulgaire antérieure mais qui était très important dans son propre bagage culturel. C’est une allusion fort difficile, que Dante ne se préoccupe pas d’éclairer (contrairement à ce que nous allons voir chez d’autres auteurs) : évidemment, il sait que 134son destinataire a une connaissance des Métamorphoses suffisante pour résoudre l’énigme.
Après Dante, les références de ce type deviendront courantes ; on trouve deux exemples dans l’œuvre du même Cino46. En fait, nous ne connaissons pas l’exacte chronologie des Rime des deux auteurs ; il ne serait donc pas correct de considérer l’usage du mythe par Cino comme dérivé de l’exemple de Dante, qui aurait transmis à son ami ce goût à travers la lettre et le sonnet déjà mentionnés. L’on peut tout aussi bien imaginer le scénario opposé : dans ce cas, en écrivant à Cino, Dante aurait employé des références aux Métamorphoses en vertu de la connaissance du poème par son ami (ce que, par ailleurs, nous devons supposer dans tous les cas) et de l’usage qu’il en fait dans ses textes, tels ceux qui nous allons maintenant analyser.
Dans le sonnet Amor, che viene armato a doppio dardo (Rime, 146), Cino rappelle un mythe qui, comme nous l’avons vu, était plutôt répandu, celui des deux flèches d’Amour ; et pourtant le poète de Pistoia s’écarte de la tradition poétique en langue vulgaire, en reprenant directement le lieu des Métamorphoses où l’on trouve cet élément. Le texte est plutôt obscur, à cause aussi d’une situation textuelle encore précaire (il n’y a pas d’édition critique des Rime de Cino47). Cino répond à un sonnet attribué à Gherardo da Reggio (Con sua saetta d’or percosse Amore48), qui lui avait demandé s’il devait aimer ou haïr une femme qui laissait mourir son amant sans aucune douleur ; et en particulier, s’il était possible qu’Amour, qui avait blessé l’amant avec sa « flèche d’or », permît cette conduite impitoyable. Cino répond en renvoyant implicitement son interlocuteur au texte d’Ovide, qui donne une description précise du comportement de Cupidon. En fait, Amour porte deux types de flèches (« doppio dardo », v. 1) : il est donc évident qu’en plus d’avoir blessé l’amant avec celle d’or (« de l’auro », v. 3), il a aussi percé la femme avec celle de plomb (« del piombo ritondo », v. 4). Cino rappelle également qu’Ovide présente cette dynamique par rapport à Apollon et Daphné, « celle de Pénée » (« quella di Peneo », v. 6) qui « se transmua » (« trasmutò sé », v. 8). Il faut 135donc respecter Amour, parce que sinon on court un risque semblable à celui d’Apollon et Daphné (« come Dafne del Sol », v. 13). Comme l’avait noté Domenico De Robertis49, Cino réécrit le texte d’Ovide (Mét. I, v. 466-474) :
dixit et eliso percussis aere pennis
inpiger umbrosa Parnasi constitit arce
eque sagittifera prompsit duo tela pharetra
diversorum operum : fugat hoc, facit illud amorem ;
quod facit, auratum est et cuspide fulget acuta,
quod fugat, obtusum est et habet sub harundine plumbum.
hoc deus in nympha Peneide fixit, at illo
laesit Apollineas traiecta per ossa medullas ;
protinus alter amat, fugit altera nomen amantis50.
La source ovidienne est reprise très précisément dans certains détails (en particulier, la référence au mont Parnasse et le « plomb arrondi » qui correspond à l’obtusum plumbum du latin), et, plus encore, dans la concaténation du motif des deux flèches avec le mythe d’Apollon et Daphné. En outre, dans sa réponse à Gherardo, Cino sous-entend le fait que, dans les Métamorphoses, la conduite rancunière de Cupidon est due au mépris dont Apollon l’a accablé ; de même, si Gherardo n’honore pas Amour, celui-ci se vengera sur lui en rendant sa bien-aimée sourde à ses prières. Enfin, les mots « trasmutò sé », « elle se tresmua », introduisent au centre du texte de Cino le thème de la métamorphose.
Dans un autre sonnet (Se conceduto mi fosse da Giove51), Cino revient sur les mutations auxquelles est soumise une femme « froide et cruelle ». 136La vue des larmes du poète n’a pas la force de transformer la conduite de celle-ci (« mutar… dell’usate prove », v. 4). Il désire, donc, que sa bien-aimée soit changée en hêtre, entouré par un lierre (« ’sta donna muterei in bella faggia, / e vi farei un’el[l]era dintorno », v. 10-11), et qu’un autre (lui-même ?) soit l’oiseau qui sur ce lierre chante le nom de l’aimée (« ed un ch’i’ taccio, per simil desìo, / muterei in uccel ched onni giorno / cantere[b]be su l’el[l]era selvaggia », v. 12-14). Dans ce passage, on a vu une allusion à l’histoire de Philémon et Baucis. Dans ce texte aussi, le poète insiste sur la métamorphose et sur le verbe (trans)mutare : il a donc bien compris le sujet du poème ovidien, qui n’est pas la simple description d’actes d’amour mais la transformation des choses.
Cet usage du mythe, initié par Dante et par Cino, amicus eius, eut une grande fortune dans l’œuvre de Giovanni Quirini. Celui-ci était un marchand vénitien qui vécut entre la fin du xiiie siècle et 1333 ; il fut l’un des disciples les plus précoces de Dante, peut-être le premier en Vénétie52. Quirini cite les mythes de Diane et Actéon (Rime, 5, 1-4), de Midas et Dionysos (17, 1-2), d’Argus, Pan et Syrinx (62, 9-11), d’Apollon et Daphné (69, 5-9 et 103, 1-8) et d’autres53. Il n’est pas surprenant de constater que la plupart des références aux mythes ovidiens ont été inspirées par la lecture de la Comédie, qui encourageait à étendre le bagage mythologique par le recours direct au texte ovidien54. En outre, dans les deux cas où il cite Apollon et Daphné, Quirini semble connaître les textes de Cino que nous venons d’analyser, parce que dans le premier il lie le mythe de la flèche de Cupidon qui frappe Apollon avec la mention, 137qui n’est pas du tout nécessaire, du Parnasse, tandis que dans le deuxième il met en rapport le pouvoir de Jupiter avec une femme au cœur dur comme Daphné55. Il faut observer que la plupart de ces références sont très synthétiques : pour les comprendre, le lecteur doit connaître le texte d’Ovide. Ces poèmes s’adressent donc à des destinataires qui partagent les mêmes goûts littéraires que l’auteur.
Quirini est le destinataire d’un sonnet parfois attribué à Dante et très célèbre en Italie pour avoir inspiré le poète contemporain Eugenio Montale56 : Nulla mi parve mai più crudel cosa (Rime, 75a dans l’édition de Quirini ; dans les Rime de Dante, c’est la Dubbia VIII pour Barbi, le numéro 74 pour Contini, tandis que D. De Robertis refuse l’attribution). Aux vers 9-11 de ce poème on lit :
Né quella ch’a veder lo sol si gira
e ‘l non mutato amor mutata serba,
ebbe quant’io già mai fortuna acerba.
« Celle qui vire à mirer le soleil,
gardant, muée, son amour non muable,
seule eut jamais aussi fière fortune » (trad. A. Pézard).
L’auteur du sonnet fait ainsi référence au mythe de Clytie, l’un des moins répandus dans la littérature en langue vulgaire italienne (comme l’observe Claudio Giunta dans son commentaire57) ; le poète inconnu s’inspire en particulier de la fin de l’épisode : « illa suum, quamvis radice tenetur / vertitur ad Solem, mutataque servat amorem » (Mét. IV, v. 269-270)58. Le poète traduit le texte ovidien avec un renchérissement expressif, à travers la figure de polyptote entre le « non mutato amor » et Clytie « mutata ». Il faut observer que chez Ovide ce mythe fait partie de l’histoire de l’amour du Soleil pour Leucothoé (IV 234-270), suggéré par Dante à Cino dans 138l’épître que nous avons mentionnée. En d’autres termes, il semble que chez Dante, Cino et leurs correspondants et adeptes se diffusèrent des exercices poétiques fondés sur le texte d’Ovide, en particulier par rapport aux amours “exemplaires” du Soleil/Apollon59.
Ce texte est caractéristique de la nouvelle approche du texte d’Ovide, vu comme un répertoire de transmutationes aptes à être utilisées comme exempla. Très spécifique est aussi l’usage de la périphrase : Clytie est « Celle qui vire à mirer le soleil, / gardant, muée, son amour non muable » ; de même, dans le sonnet 5 de Quirini, Actéon n’est pas nommé, mais est « celui qui perdit la figure humaine / et devint cerf et fut déchiré / par ses propres chiens, parce qu’il vit Diane / qui se baignait avec ses compagnes » (« Colui che perse la figura umana / e venne cervo e lacerato fue / dai propri cani, però che Dïana / vide bagnar con le compagne sue », v. 1-4). Nous avons vu la même technique dans le sonnet de Dante, où le Soleil était « celui-là qui au fleuve lombard / vit choir son fils », tandis que dans le sonnet de Cino Amor che viene, Daphné est en premier lieu désignée à travers une périphrase (« celle de Pénée ») et est nommée seulement dans l’avant-dernier vers. On crée, de cette façon, une sorte de jeu avec le destinataire, qui doit essayer d’identifier le mythe auquel le poète fait référence : ce n’est qu’à la fin du texte que, dans certains cas (tel le texte de Cino), on donne la solution de l’énigme.
Reprises du mythe ovidien dans la Comédie :
l’exemple de Pyrame et Thisbé
Les textes analysés jusqu’ici nous montrent des possibilités expressives qui étaient inconnues des poètes du xiiie siècle : on peut faire référence à un mythe d’une façon érudite et cryptique et le composer dans une narration brève et incisive, qui en résume les éléments essentiels. Il me semble vraisemblable que Dante ait emprunté ces modalités au modèle 139des Métamorphoses ; elles relèvent du caractère alexandrin de la poésie d’Ovide, destinée à un public savant, qui n’a pas besoin que le poète des Métamorphoses narre dans les détails les histoires qui avaient déjà été traitées par d’autres auteurs (depuis Homère jusqu’à Virgile). En outre, la concision expressive permet à Ovide d’entrelacer de nombreuses histoires, en les enchâssant même dans des narrations à plusieurs niveaux (jusqu’à cinq niveaux, dans le livre V du poème), sans qu’aucune ne perde son efficacité. E. R. Curtius a observé que « dans la poésie antique, seules les Métamorphoses peuvent lui [c’est-à-dire à Dante] être comparées » du point de vue du nombre d’histoires narrées (plus de deux-cent-cinquante dans le poème d’Ovide)60 : pour parvenir à ce résultat, les deux poètes emploient les mêmes stratégies narratives, à savoir la concision et l’allusion savante. Tout comme Ovide traite très brièvement les mythes qu’il tient pour connus de tout le monde, de la même façon Dante se contente souvent d’allusions très serrées aux histoires racontées dans les Métamorphoses.
Si dans la lyrique de Dante (et de Cino) on trouve des traces de cette nouvelle attitude envers le mythe, c’est dans la Comédie que cette révolution prit corps. Dans ce dernier paragraphe, je voudrais donc proposer quelques considérations sur la reprise de mythes ovidiens dans le poème ; puisque sur ce sujet il y a déjà une bibliographie immense, je me borne ici à analyser les deux occurrences d’un seul mythe. Dans le paragraphe précédent nous avons observé le recours à des mythes qui n’ont pas de parallèles dans la littérature vulgaire disponible en Italie ; au contraire, je voudrais maintenant me pencher sur une histoire très courante, celle de Pyrame et Thisbé, afin de montrer la différence de traitement de ce mythe chez Dante et dans la tradition accessible au poète.
Comme je l’ai déjà rappelé, le souvenir de ce couple était très répandu dans la lyrique ; toutefois, dans tous les cas mentionnés au premier paragraphe, les poètes ne font que nommer les deux jeunes gens comme exemple de parfait amour. Par exemple, Pierre de la Vigne, dans le sonnet Amore, in cui disio, v. 14-1661, écrit : « je vous dirai comme je vous ai aimé longuement, / plus doucement que Pyrame a aimé Thisbé / et je vous aimerai aussi longtemps que je vis » (« e direi como v’amai lungiamente, / 140più ca Prïamo Tisbia dolzemente, / ed ameraggio infin ch’eo vivo ancora »). Aucun de ces poètes ne raconte le mythe : les deux amants sont désormais un simple lieu commun62. Si dans la lyrique italienne et provençale Pyrame et Thisbé ont fait l’objet d’allusions rapides et très génériques, du côté narratif, au contraire, leur histoire a été amplifiée jusqu’à plus de 900 vers dans le poème français homonyme (à comparer avec les 111 hexamètres d’Ovide)63. On observe la même tendance à l’amplification dans les poèmes latins sur le même sujet, probables produits du milieu scolaire64. Ce goût est très loin de celui de Dante, qui préfère défier les auteurs classiques sur le plan de la concision expressive65.
Dante cite la fable de Pyrame et Thisbé dans deux passages très courts et incisifs66. Dans le premier cas, Dante doit traverser un mur de feu : Virgile lui donne du courage en lui rappelant qu’au-delà du mur il y a Béatrice qui l’attend. Dante commente (Purg. XXVII 37-42) :
141Come al nome di Tisbe aperse il ciglio
Piramo in su la morte, e riguardolla,
allor che ‘l gelso diventò vermiglio ;
così, la mia durezza fatta solla,
mi volsi al savio duca, udendo il nome
che ne la mente sempre mi rampolla.
« Comme au nom de Thisbé Pyrame ouvrit les yeux,
sur le point de mourir, et la regarda,
tandis que le mûrier devenait vermeil ;
ainsi, ma dureté toute amollie,
je regardai mon sage guide, en entendant le nom
qui bourgeonne toujours dans ma pensée » (trad. J. Risset).
Le souvenir de ce mythe surgit probablement à cause du mur de feu, qui semble avoir rappelé à Dante la paroi qui séparait les deux amants chez Ovide ; cependant, Dante n’explicite pas ce parallèle, préférant évoquer un autre passage du récit ovidien. En l’espace de trois vers (et sous forme de comparaison), il compose une narration, en traduisant très précisément les vers de Mét. IV, v. 145-146 : « Ad nomen Thisbes oculos a morte gravatos / Pyramus erexit visaque recondidit illa67 » (« oculos erexit » devient « aperse ‘l ciglio », « visaque » devient « e riguardolla »). De cette façon, Dante synthétise la fable ovidienne dans son moment le plus dramatique, comme il le fait dans bien d’autres cas68. L’allusion à l’auteur ancien demeure implicite, il n’est même pas nommé.
Dante ne se limite pas à des citations de Pyrame et Thisbé en tant qu’exemple stéréotypé d’amour, comme cela était courant dans la lyrique, et n’a pas non plus recours aux amplifications pathétiques des réécritures narratives, comme celle du poème français du xiie siècle. Le lai de Pyrame et Thisbé est, bien-sûr, une œuvre de très haute qualité (surtout comparée aux médiocres poèmes latins contemporains) ; le choix de son auteur de jouer sur le renchérissement expressif, en insérant de longs monologues attribués aux protagonistes, est tout simplement un choix différent de celui de Dante, qui travaille en réduisant le texte au maximum69.
142Après quelques chants, Dante rappelle encore le même épisode quand Béatrice lui dit que ses yeux, séduits par ce qui est profane, donnent aux choses de fausses couleurs, « tel Pyrame au mûrier ». L’allusion est encore plus rapide, Thisbé n’est pas nommée et seul un lecteur qui connaît bien le texte des Métamorphoses peut comprendre (Purg. XXXIII 67-72) :
E se stati non fossero acqua d’Elsa
li pensier vani intorno a la tua mente,
e ‘l piacer loro un Piramo a la gelsa,
per tante circostanze solamente
la giustizia di Dio, ne l’interdetto,
conosceresti a l’arbor moralmente.
« Et si les idées vaines, sur ta pensée,
n’avaient pas fait comme les eaux de l’Else,
et leur plaisir comme Pyrame au mûrier,
par tant de circonstances uniquement
tu reconnaîtrais dans l’interdit de l’arbre
la justice de Dieu, au sens moral » (trad. J. Risset).
Je voudrais encore observer que dans les deux cas Dante souligne le changement de couleur des fruits du mûrier. Chez Ovide cet élément, que l’on ne trouve pas dans les mentions du mythe de la lyrique italienne et provençale, est ce qui donne, pourrait-on dire, le titre à l’épisode : quand les Minyades décident de chanter des histoires pendant leur travail, elles choisissent de dire « quae poma alba ferebat / ut nunc nigra ferat contactu sanguinis arbor » (IV, v. 51-52)70. En d’autres termes, Dante choisit d’évoquer la fable en citant le détail dans lequel sa signification se résumait pour son auteur, c’est-à-dire la métamorphose. Il faut également noter que l’épisode était marqué par la rubrique « Pirami et Thisbes cruor in arborem morum » dans les très nombreux manuscrits qui exhibent les tituli fabularum du pseudo-Lactance71. Cet élément est repris dans une comparaison très originale entre les mûres et les pensées ; cet expédient rhétorique n’a évidemment pas de fonction didactique, car 143la référence au mythe est elle-même plus difficile que la dynamique intérieure qu’elle devrait expliquer72.
On peut aussi observer que dans la première citation du mythe Dante en faisait un exemple d’amour parfait et fidèle bien que malheureux, conformément à la tradition littéraire en langue vulgaire : dans le lai de Pyrame et Thisbé, par exemple, l’auteur conclut en s’exclamant : « com leur leal amor fu granz ! » et si la mûre « recut noire color / a testemoine de dolor », ce fut en réponse à la prière de Pyrame formulée dans les vers immédiatement précédents73. Par contre, dans la deuxième reprise du mythe, il semble plutôt entendre l’histoire de Pyrame et Thisbé en tant qu’exemple du pouvoir néfaste de l’amour, en accord avec les lectures moralisantes du milieu scolaire. Chez Matthieu de Vendôme, par exemple, le récit développe ce point de départ : « Est amor ardoris species et causa cruoris, / Dum trahit insanus in sua fata manus » (v. 1-2)74 ; de même, dans les Integumenta Ovidii de Jean de Garlande, l’épisode est synthétisé dans ce couplet (v. 181-182) : « Alba prius morus nigredine mora colorans / signat quod dulci mors in amore latet75 ». Le changement de couleur des fruits du mûrier est donc une conséquence du désordre amoureux.
Dans la Comédie, la différence de la valeur donnée au mythe dans les deux cas s’explique aussi par la différence de contexte : dans le premier, on est encore dans la corniche des luxuriants et Virgile exhorte Dante à s’appuyer sur la force de son amour vertueux pour Béatrice ; le passage à travers le mur de feu représente aussi la purification des passions désordonnées qui séparent le poète du Paradis terrestre. Dans le deuxième cas, en revanche, on est désormais dans l’Eden, où Béatrice reproche au Florentin les passions vaines dans lesquelles il s’est égaré après la mort de sa bien-aimée. Entre les deux citations du même mythe s’instaure, 144donc, une relation dynamique qui met en valeur les différentes interprétations possibles du même texte d’Ovide.
Les deux passages analysés sont exemplaires de l’attitude de Dante par rapport aux mythes narrés par Ovide : les Métamorphoses sont un texte de référence, auquel le Florentin fait allusion sans éprouver le besoin de nommer l’auteur classique76 ; les reprises sont souvent très concises, mais maintiennent toujours un lien très étroit avec la source, au point que le plus souvent on a raison de croire que Dante écrivait en ayant le poème d’Ovide sous les yeux77. Ainsi, par rapport à la tradition littéraire en langue vulgaire, Dante entretient une relation à la fois plus étroite et plus libre avec le texte d’Ovide ; par la suite, l’art de la concentration expressive et le goût pour la création d’un répertoire mythologique individuel allaient triompher chez Pétrarque.
Federico Rossi
Scuola Normale Superiore, Pise
1 Les rapports entre Dante et les Métamorphoses ont fait l’objet d’innombrables études ; je me borne à citer les plus importantes : G. Brugnoli, « Forme ovidiane in Dante », Aetates Ovidiane. Lettori di Ovidio dall’Antichità al Rinascimento, éd. I. Gallo et L. Nicastri, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1995, p. 239-256 ; R. Mercuri, « Ovidio e Dante : le “Metamorfosi” come ipotesto della “Commedia” », Dante, 6, 2009, p. 21-37 ; W. Ginzberg, « Dante’s Ovids », Ovid in the Middle Ages, éd. J. G. Clark, F. T. Coulson et K. L. McKinley, Cambridge University Press, Cambridge, 2011, p. 143-159 ; les études regroupées dans M. Picone, Studi danteschi, éd. A. Lanza, Ravenne, Longo, 2017 ; L. Marcozzi, « Ovidio “regulatus poeta”. Dante e lo stile delle Metamorfosi », I classici di Dante, éd. P Allegretti et M. Ciccuto, Florence, Le Lettere, 2017, p. 135-155 ; le volume Miti, figure, metamorfosi. L’Ovidio di Dante, éd. C. Cattermole et M. Ciccuto, Florence, Le Lettere, 2019. Je n’ai pas pu utiliser l’édition Vita Nuova. Rime, t. 2, Rime della maturità e dell’esilio, éd. M. Grimaldi, Rome, Salerno Editrice, 2019, parue quand cet article était déjà terminé.
2 Voir la synthèse de la discussion chez R. Black, Humanism and Education in Medieval and Renaissance Italy. Tradition and Innovation in Latin Schools from the Twelfth to the Fifteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 192-200 ; quant à lui, R. Black soutient que la place des auteurs majeurs dans les écoles fut prise par des auteurs mineurs, tels les textes contenus dans les libri Catoniani (voir M. Boas, « De librorum Catonianorum historia atque compositione », Mnemosyne, n.s., 42, 1914, p. 17-46). Il faut toutefois rappeler qu’au moins les Remedia Amoris étaient très souvent ajoutés à ces textes : voir É. Pellegrin, « Les Remedia Amoris d’Ovide, texte scolaire médiéval », Bibliothèque de l’École de Chartes, 115, 1957, p. 172-159.
3 Voir G. C. Alessio et C. Villa, « Il nuovo fascino degli autori antichi tra i secoli xii e xiv », Lo spazio letterario di Roma antica, éd. G. Cavallo, P. Fedeli, A. Giardina, iii, La ricezione del testo, Rome, Salerno, 1990, p. 473-511, ici p. 495-511. Voir aussi B. Grévin, Rhétorique du pouvoir médiéval : les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (xiiie-xve siècle), Rome, École française de Rome, 2009, p. 145, 149-150, 799 n. 60.
4 Roberto Antonelli a cru voir des traces d’une connaissance directe d’Ovide chez Giacomo da Lentini (voir son commentaire dans Poeti della scuola siciliana, vol. 1, Giacomo da Lentini, éd. R. Antonelli, Milan, Mondadori, 2008, ad indicem) ; cependant, il me semble que tous les contacts qu’il signale concernent des lieux communs, qui remontent à Ovide mais que Giacomo pouvait tout aussi bien trouver ailleurs. Très générique est, par exemple, la référence à l’« art d’amour » dans le sonnet Sì come il sol che manda la sua spera, v. 13 ; comme l’observe le même Antonelli, si l’on y voit un renvoi à Ovide, ce serait un cas isolé dans la lyrique italienne du xiiie siècle (p. 426).
5 Voir M. Giancotti, « La poesia del Duecento. “Se Narcisso fosse vivo” », Il mito nella letteratura italiana, vol. I, Dal Medioevo al Rinascimento, éd. G. C. Alessio, Brescia, Morcelliana, 2003, p. 97-123.
6 De même, les mentions de la lance de Pélée remontent à Bernart de Ventadorn (Ab joi mou lo vers e·l comens, BdT 70.1, v. 45-48), et non pas directement aux Remedia amoris (v. 47-48) : voir S. Bevilacqua, « La lancia di Peleo : vitalità di un topos », Carte romanze, 1/2, 2013, p. 149-177.
7 Poeti della Scuola Siciliana, vol. 2, Poeti della corte di Federico II, éd. C. Di Girolamo, Milan, Mondadori, 2008, p. 167.
8 C. Davanzati, Rime, éd. A. Menichetti, Bologne, Commissione per i testi di lingua, 1965, p. 243.
9 Sonetti anonimi del Vaticano Lat. 3793, éd. P. Gresti, Florence, Accademia della Crusca, 1992, p. 130.
10 Sur la diffusion de ce mythe dans la lyrique italienne des origines, voir R. Crespo, « Narciso nella lirica italiana del Duecento », Studi di filologia italiana, 47, 1989, p. 5-10 ; comme l’écrivait Contini, « La favola ovidiana era passata attraverso la sua fortuna francese, in particolare il Lai di Narciso » (Poeti del Duecento, vol. 1, p. 97), « La fable ovidienne était passée à travers sa fortune française, en particulier le Lai de Narcisse » (trad. personnelle).
11 Poeti della scuola siciliana, vol. 2, p. 278.
12 Poeti della scuola siciliana, vol. 2, p. 961.
13 Monte Andrea da Fiorenza, Le rime, éd. F. F. Minetti, Florence, Accademia della Crusca, 1979, p. 176.
14 C. Davanzati, Rime, p. 383.
15 G. Marrani, « I sonetti di Rustico Filippi », Studi di filologia italiana, 57, 1999, p. 3-199 (ici p. 106).
16 Voir M. G. Capusso, « Le tre frecce d’amore nella canzone allegorica di Guiraut de Calanson Celeis cui am de cor e de saber », Actes du Ier Congrès International de l’Association Internationale d’Études Occitanes (Southampton 1984), éd. P. T. Ricketts, Londres, Westfield College, 1987, p. 157-170 et L’exposition di Guiraut Riquier sulla canzone di Guiraut de Calanson Celeis cui am de cor e de saber, Pise, Pacini, 1989.
17 Le Roman d’Eneas, éd. A. Petit, Paris, Librairie générale française, 1997, p. 492.
18 Poeti della scuola siciliana, vol. 1, p. 357 ; j’accepte la lecture d’Antonelli, selon laquelle les deux flèches ont la même signification que dans le texte d’Ovide. Voir aussi R. Antonelli, « L’Eneas in Sicilia », Studi di filologia e letteratura italiana in onore di M. Picchio Simonelli, éd. P. Frassica, Alessandria, Edizioni dell’orso, 1992, p. 1-10, ici p. 10.
19 G. Cavalcanti, Rime, éd. R. Rea, G. Inglese, Rome, Carocci, 2011, p. 122-124.
20 Francesco da Barberino, I documenti d’amore, éd. F. Egidi, vol. 1, Rome, Società Filologica Romana, 1905, p. 17.
21 Poeti della scuola siciliana, iii, Poeti siculo-toscani, éd. R. Coluccia, Milan, Mondadori, 2008, p. 636. Toutes les traductions des textes italiens sont personnelles, sauf indication contraire.
22 D. da Maiano, Rime, éd. R. Bettarini, Florence, Le Monnier, 1969, p. 164.
23 Voir L. M. G. Livraghi, « Due usi di Ovidio a confronto in Cino da Pistoia lirico (Se mai leggesti versi de l’Ovidi & Amor, che viene armato a doppio dardo) », Arzanà, 19, 2017, p. 9-22, où l’on observe, à juste titre, qu’une indication pareille répond à une « communis opinio » qui ne relève que nominalement de l’autorité d’Ovide. Ovide est également convoqué par Cino en tant que « magister amoris » dans son œuvre juridique, la Lectura in Codicem (voir E. Graziosi, « Dante a Cino : sul cuore di un giurista », Letture Classensi, 26, 1997, p. 55-91, ici p. 76).
24 G. Cavalcanti, Rime, p. 266-269.
25 S. Carrai choisit la première option dans son commentaire au Tesoretto (B. Latini, Poesie, éd. S. Carrai, Turin, Einaudi, 2016, p. 126). La deuxième opinion est soutenue par G. Contini (dans les Poeti del Duecento, éd. G. Contini, Milan-Naples, Ricciardi, 1960, t. 2, p. 257) et L. Marcozzi (« Ovidio “regulatus poeta” », p. 143-144).
26 Voir R. Tarrant, « Ovid », Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics, éd. L. D. Reynolds, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 257-284 (ici p. 258-259) et R. J. Hexter, Ovid and Medieval Schooling. Studies in Medieval School Commentaries on Ovid’s “Ars amatoria”, “Epistulae ex Ponto”, and “Epistolae Heroidum”, Munich, Arbeo-Gesellschaft, 1986.
27 Je cite les traductions de Dante par André Pézard (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1992) sauf pour la Comédie, que je cite dans la version de Jacqueline Risset (Paris, Flammarion, 2010), et pour quelques citations, que je traduis moi-même. Sur le personnage ovidien d’Amour dans la Vita nova, voir M. A. Roglieri, « Per Ovidio parla Amore, sì come se fosse persona umana (V.N. XXV) : The case for Ovid’s figure of Amore in Dante’s Vita Nuova », Carte italiane, 2, 2007, p. 1-34. Dans la nouvelle division établie par Guglielmo Gorni, c’est le paragraphe 16, 9.
28 Voir respectivement E. Faral, Les arts poétiques du xiie et xiiie siècle, Paris, 1924, p. 172 et Bene Florentini Candelabrum, éd. G. C. Alessio, Padoue, Antenore, 1983, p. 223. Dans le Candelabrum, la prosopopée est exemplifiée à travers un passage du poème Nux, qui à cette époque était attribué à Ovide, comme l’observe L. Marcozzi, « Ovidio “regulatus poeta” », p. 143.
29 Voir R. Black, « Ovid in medieval Italy », Ovid in the Middle Ages, p. 123-142 et C. Keen, « Dante e la risposta ovidiana all’esilio », Miti, figure, metamorfosi, p. 111-138, ici p. 113-122.
30 Plus que d’une traduction, on peut parler ici d’une paraphrase d’Ovide, Mét. XI, v.1-2 ; la référence explicite au poète latin, cependant, nous assure qu’en traitant d’Orphée Dante pensait en premier lieu aux Métamorphoses. Sur ce passage très connu, voir Z. G. Barański, « Notes on Dante and the Myth of Orpheus », Dante. Mito e poesia, éd. M. Picone et T. Crivelli, Florence, Cesati, 1999, p. 133-154 et Z. L. Verlato, « Appunti sulle diverse funzioni del mito di Orfeo nella Commedia e nel Convivio », « L’ornato parlare ». Studi di filologia e letterature romanze per Furio Brugnolo, éd. G. Peron, Padoue, Esedra, 2007, p. 349-389.
31 La citation de Mét. V, v. 365 en II v 15 ne fait pas vraiment exception, puisque la parenté entre Vénus et Cupidon y est citée au dehors d’un récit mythique précis. Comme l’observe L. Marcozzi, « L’evoluzione del percorso ovidiano di Dante », Miti, figure, metamorfosi, p. 67-79, ici p. 77, il est très remarquable que, dans ce cas-là, Dante recoure aux Métamorphoses et non pas aux œuvres amoureuses.
32 Voir M. Chiamenti, Dante Alighieri traduttore, Florence, Le Lettere, 1995.
33 « L’homme naquit, soit que le créateur de toutes choses, père d’un monde meilleur, l’ait formé d’un germe divin, soit que la terre récente, séparée depuis peu des hautes régions de l’éther, retînt encore des germes du ciel, restes de leur parenté, et que le fils d’Iapet, l’ayant mêlée aux eaux d’un fleuve, l’ait modelée à l’image des dieux, maîtres de l’univers » (trad. G. Lafaye, Ovide, Les Métamorphoses, Paris, Les Belles Lettres, 1969, t. I, p. 10).
34 Voir le Tesoro della lingua italiana delle Origini consultable sur le site de l’Istituto del Consiglio Nationale delle Ricerche, s. v. artefice.
35 I primi V libri delle Metamorfosi d’Ovidio volgarizzate da ser Arrigo Simintendi, vol. 1, éd. C. Basi et C. Guasti, Prato, Guasti, 1846, p. 7.
36 Voir Ch. A. Robson, « Dante’s Reading of the Latin Poets and the Structure of the Commedia », The World of Dante. Essays on Dante and his Time, éd. C. Grayson, Oxford, Clarendon Press, 1980, p. 81-121, ici p. 88.
37 « Ne me demande pas de l’aide, Athènes ; prends-la ; n’hésite pas à regarder les forces de cette île comme tiennes et (fasse le ciel que je conserve l’état actuel de mes affaires !) … je ne manque pas de ressources ; il me reste des soldats. Grâce aux dieux, cela m’est favorable, et ne m’offre aucune excuse », trad. personnelle.
38 C’est aussi la raison pour laquelle la traduction de Simintendi est très différente de celle de Dante, parce qu’elle se fonde probablement sur une version différente du texte ; c’est pourquoi je renonce ici à comparer les deux traductions.
39 Sur les prologues des traducteurs, où l’on trouve la plupart des déclarations d’intention, voir V. Nieri, G. Vaccaro, « Prologhi, prologuzzi e tappeti di Fiandra guardati a rovescio », Forme letterarie del Medioevo romanzo : testo, interpretazione e storia. Atti dell’XI convegno della Società Italiana di Filologia Romanza (Catania, 22-26 settembre 2015), éd. A. Pioletti, S. Rapisarda, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2016, p. 387-403.
40 Le texte remonte probablement aux années 1303-1306. Voir le commentaire de Marco Baglio dans D. Alighieri, Le opere, vol. 5, Epistole. Egloge. Questio de aqua et terra, éd. M. Baglio, L. Azzetta, M. Petoletti, M. Rinaldi, Rome, Salerno, 2016, p. 80 ; voir aussi L. M. G. Livraghi, « Dante (e Cino) 1302-1306 », Tenzone, 13, 2012, p. 55-98 et « Eros e dottrina nel sonetto dantesco Io sono stato con amore insieme », AlmaDante. Seminario dantesco 2013, éd. G. Ledda et F. Zanni, Bologne, Aspasia, 2015, p. 67-85.
41 Voir aussi Graziosi, « Dante a Cino », p. 73-75.
42 Comme l’observe W. Ginsberg, « In nova fert animus mutates dicere formas corpora : la traduzione e la metamorfosi in Ovidio e in Dante », Miti figure metamorfosi, p. 81-93, ici p. 83-84.
43 Geri d’Arezzo, Lettere e dialogo d’amore, éd. C. Cenni, Pise, Pacini, 2009, p. 114-115. La référence est notée par Claudia Villa dans son commentaire à l’épître, dans D. Alighieri, Opere, éd. M. Santagata, vol. 2, éd. G. Fioravani, C. Giunta, D. Quaglioni, C. Villa et G. Albanese, Milan, Mondadori, 2011-2014, p. 1528.
44 Voir l’introduction à l’édition citée de ses œuvres (en particulier aux p. 3-7).
45 Voir aussi A. Pézard, « Le sonnet de la dame verte (Dante à Cino, Rime XCV) », Revue des études italiennes, 11, 1965, p. 329-380.
46 Livraghi, « Due usi di Ovidio a confronto ».
47 Le texte a été publié par G. Zaccagnini, Le rime di Cino da Pistoia, Genève, Olschki, 1925, p. 118-119, et par M. Marti, Poeti del Dolce stil nuovo, Florence, Le Monnier, 1969, p. 798. Aucune des deux éditions ne me convainc pleinement sur les leçons et la ponctuation ; pour cette raison, je préfère ne pas donner un texte et une traduction intégrale du sonnet.
48 Marti, Poeti del Dolce stil nuovo, p. 796-797.
49 D. De Robertis, « Cino e i poeti bolognesi », Giornale storico della letteratura italiana, 128, 1951, p. 273-312, ici p. 283-285. Voir aussi Livraghi, « Due usi di Ovidio ». Ni G. Zaccagnini, ni M. Marti dans leurs commentaires n’ont mis à profit la source ; c’est pourquoi tous deux ont du mal à comprendre le « plomb arrondi » du v. 4.
50 « Il dit, fend l’air du battement de ses ailes et, sans perdre un instant, se pose sur la cime ombragée du Parnasse ; de son carquois plein de flèches il tire deux traits qui ont des effets différents ; l’un chasse l’amour, l’autre le fait naître. Celui qui le fait naître est doré et armé d’une pointe aiguë et brillante ; celui qui le chasse est émoussé et sous le roseau contient du plomb. Le dieu blesse avec le second la nymphe, fille du Pénée ; avec le premier il transperce à travers les os le corps d’Apollon jusqu’à la moelle. Celui-ci aime aussitôt ; la nymphe fuit jusqu’au nom d’amante » (trad. G. Lafaye, Ovide, Les Métamorphoses, t. I, p. 23).
51 Éd. Zaccagnini, p. 50 ; éd. Marti, p. 570-571 ; Poeti del Duecento, vol. 2, p. 666. Sur ce texte, voir G. Brunetti, « All’ombra del lauro : nota per Cino e Petrarca », La lirica romanza del Medioevo. Storia, tradizioni, interpretazioni. Atti del VI Convegno triennale della Società Italiana di Filologia Romanza (Padova-Stra, 27 settembre-1 ottobre 2006), éd. F. Brugnolo, F. Gambino, Padoue, Unipress, 2009, vol. 2, p. 825-850, en particulier p. 834-836.
52 Voir G. Folena, « Il primo imitatore veneto di Dante. Giovanni Quirini », Culture e lingue nel Veneto medievale, Padoue, Programma, 1990, p. 335.
53 À savoir, Jupiter et Saturne en 76, 13 ; Niobe, Cadmus et Priamus avec ses fils en 26, 12-14 ; Méléagre, Écho, Narcisse et Cadmus en D.7 ; encore Méléagre en D.9, 7 ; Calliste en 76a et Cadmus et Cérès en D.9a, deux sonnets adressés par un ami à Quirini.
54 C’est le cas, entre autres, des mythes de Midas et Dionysos (où Quirini reprend Purg., XX, 106-107), d’Argus, Pan et Syrinx (Purg., XXXII, 64-66), de Méléagre (Purg. XXV, 22-24). Voir G. Quirini, Rime, éd. E. M. Duso, Padoue, Antenore, 2002, p. xxv (« Ovidio […] consente al poeta di arricchire e rinfrescare le consuete tematiche stilnovistiche con preziosi intarsi mitologici », même si « spesso la Commedia fa da filtro anche nel recupero ovidiano ») ; E. M. Duso, « Echi stilnovistici e classici nelle rime di Giovanni Quirini », Antichi testi veneti, éd. A. Daniele, Padoue, Esedra, 2002, p. 63-79 (ici p. 75-76) ; et M. Giancotti, « La poesia del Trecento. Rimpolpare Ovidio », Il mito nella letteratura italiana, vol. 1, p. 247-278, ici p. 266-268.
55 Le rôle du sonnet Amor che viene armato a doppio dardo a été relevé par E. M. Duso, « Petrarca e i rimatori veneti del Trecento », Lectura Petrarce, 19, 1999, p. 181-210, ici p. 203-204.
56 Dans la poésie Primavera hitleriana, Montale invoque l’aimée comme « Clizia […] tu / che il non mutato amor mutata serbi » (« Clytie […] toi / qui gardes, muée, ton amour non muable ») et met en épigraphe les vers du sonnet à Quirini.
57 D. Alighieri, Opere, éd. M. Santagata, vol. 1, Milan, Mondadori, 2011, p. 691 ; C. Giunta relève aussi qu’il s’agit d’un texte qui « precorre i tempi », en anticipant la manière de Pétrarque.
58 « Quoique retenue par sa racine, elle se tourne vers son cher Soleil ; même après sa métamorphose, elle lui garde son amour » (trad. G. Lafaye, Ovide, Les Métamorphoses, t. I, p. 105).
59 Apollon et le Soleil sont assimilés chez Ovide (par exemple, en II 36 Phaéton appelle le Soleil « Phoebus »), ainsi que dans le Carmen Saeculare d’Horace et, par conséquent, dans la tradition médiévale ; par exemple, dans le sonnet de Cino Amor che viene on parle sans hésitations de l’amour entre « Daphné et le Soleil ».
60 E. R. Curtius. La littérature européenne et le Moyen Âge latin, trad. J. Bréjoux, Paris, Puf, 1956, p. 450.
61 Poeti della scuola siciliana, vol. 2, p. 278.
62 De façon semblable, un autre couple, Pâris et Hélène, fait l’objet dans la lyrique italienne des origines de « menzioni piuttosto ellittiche, stereotipate », de façon que « tutta la vicenda è condensata in un verso, in un’astrazione senza tempo e luogo che ha il carattere quasi di un emblema » (Giancotti, « La poesia del Duecento », p. 97).
63 Les éditions les plus récentes, dans deux versions différentes, sont Piramo e Tisbe, éd. C. Noacco, Rome, Carocci, 2005 et Lais du Moyen Âge. Récits de Marie de France et d’autres auteurs, xiie-xiiie siècle, édition bilingue publiée sous la direction de P. Walter, Paris, Gallimard, 2018, p. 1032-1075. Le poème fut ensuite inséré dans l’Ovide moralisé ; voir É. Deschellette, « Le récit ovidien de Pyrame et Thisbé, revu par le Moyen Âge », Camenulae, 7, 2011, p. 1-14 et E. Gaggero, « Pyrame et Thisbé. Métamorphoses d’un récit ovidien du xiie au xve siècle », Les romans grecs et latins et leurs réécritures modernes. Études sur la réception de l’ancien roman, du Moyen Âge à la fin du xixe siècle, éd. B. Pouderon, Paris, Beauchesne, 2015, p. 77-125.
64 Voir R. Glendinng, « Pyramus and Thisbe in the Medieval Classroom », Speculum, 61, 1986, p. 51-78 et M. Gaggero, « Il Piramus et Tisbé e la tradizione mediolatina di Ovidio : primi sondaggi », Parole e temi del romanzo medievale, éd. A. P. Fuksas, Rome, Viella, p. 247-279. Sur l’amplificatio « principale fonction de l’écrivain » médiéval, voir Faral, Les arts poétiques du xiie et xiiie siècle, p. 61.
65 Voir C. Villa, La protervia di Beatrice. Studi per la biblioteca di Dante, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2009, p. 96-97.
66 Pour une interprétation des deux citations de la fable dans la Comédie d’un point de vue théologique, très intéressante bien que peu focalisée sur la reprise d’Ovide, voir Ch. Moevs, « Pyramus at the Mulberry Tree : De-Petrifying Dante’s Tinted Mind », Imagining Heaven in the Middle Ages : A Book of Essays, éd. J. S. Emerson et H. B. Feiss, New York, Routledge, 2000, p. 211-244. Dante cite aussi les vers d’Ovide « in Piramo » dans la Monarchie (II viii 4), au moment où il mentionne Sémiramis et Ninus ; ce n’est donc qu’une notation érudite, mais il faut observer que les souverains de Babylone sont rappelés dans le canto des luxuriants (Enf. V 58-59), où, comme dans les deux reprises du mythe, il est question des conséquences de la passion amoureuse.
67 « À ce nom de Thisbé Pyrame lève ses yeux déjà appesantis par la mort, il la voit et les referme » (trad. G. Lafaye, Ovide, Les Métamorphoses, t. I, p. 101).
68 Par exemple, dans la reprise du mythe de Niobé (Purg. XII 37-39), où « più che mai, Dante condensa » (voir F. Bessone, « Tebe nella Commedia : tra Ovidio e Stazio », Miti, figure, metamorfosi, p. 139-163, ici p. 146).
69 Je ne veux pas nécessairement suggérer, bien sûr, que Dante connaissait le Pirame et Thisbé, mais il devait être familier de cette façon de traiter les histoires de l’Antiquité.
70 « Comment un arbre qui portait des fruits blancs en porte aujourd’hui de noirs, depuis qu’il a été arrosé de sang » (trad. G. Lafaye, Ovide, Les Métamorphoses, t. I, p. 97).
71 P. Ovidi Nasonis Metamorphoseon libri XV. Lactanti Placidi qui dicitur narrationes fabularum ovidianarum, éd. H. Magnus, Berlin, Weidmann, 1914, p. 646. Voir aussi R. Tarrant, « The narrationes of ‘Lactantius’ and the Transmission of Ovid’s Metamorphoses », Formative Stage of Classical Traditions : Latin Texts from the Antiquity to the Renaissance, éd. O. Pecere, M. D. Reeve, Spolète, CISAM, 1995, p. 83-115.
72 Une analyse très riche des possibles significations de cette métaphore est offerte par G. Ferrante, « Canto XXXIII. Il disìo del ritorno tra lamento e consolazione », Cento canti per cento anni. Lectura Dantis Romana, vol. 2, Purgatorio, t. 2, Canti XVIII-XXXIII, éd. E. Malato et A. Mazzucchi, Rome, Salerno, 2014, p. 986-1024, ici p. 998-1009 ; voir aussi Moevs, « Pyramus at the Mulberry Tree ».
73 Lais du Moyen Âge, éd. Walter, v. 870 et 754-755 (p. 1074 et 1068) ; dans l’éd. Noacco, ce sont les vers 921 et 791-792 (p. 94 et 88). Cette valeur positive de l’exemple se retrouve dans l’Ovide moralisé.
74 Mathei Vindocinensis Opera, éd. F. Munari, vol. 2, Piramus et Tisbe, Milo, Epistule, Tobias, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1982, p. 164.
75 Jean de Garlande, Integumenta Ovidii, éd. Ghisalberti, p. 51.
76 Quand Dante nomme Ovide, c’est pour le présenter en tant que personnage (Enf. IV 90) ou le défier (Enf. XXV 97).
77 Comme l’observe G. Contini, Un’idea di Dante. Saggi danteschi, Turin, Einaudi, 2001, p. 160, à propos du début d’Enf. XXX.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11996-8
- EAN : 9782406119968
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11996-8.p.0117
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/07/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Dante, Ovide, poésie, Italie, Moyen Âge, réception