Between conceivable alterity and plausible proximity Medieval literature in Charles Sorel’s Bibliothèque française
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
2021 – 1, n° 41. varia - Author: Mortgat-Longuet (Emmanuelle)
- Pages: 299 to 318
- Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
Entre altérité raisonnée
et proximité vraisemblable
La production littéraire médiévale
dans La Bibliothèque française de Charles Sorel
Alors même que continuent à voir le jour des ouvrages qui cherchent à ordonner, faire connaître ou réguler l’ensemble de la production livresque – passée et contemporaine –, on voit se développer, depuis la fin du xvie siècle, divers bilans rétrospectifs qui ne sont consacrés, d’une manière ou d’une autre, qu’aux seuls écrits de langue française. En ce qui concerne l’invention, aux xvie et xviie siècles, d’une éventuelle « littérature médiévale », ces bilans parcellaires semblent, à défaut d’être nécessairement les plus nombreux à l’époque, au moins révélateurs d’une évolution qui sera bientôt décisive. En effet, après les « recherches » des grands érudits de la fin du xvie siècle (Claude Fauchet et Étienne Pasquier notamment1), semble désormais se conforter, dans la seconde moitié du xviie siècle, la détermination d’un « ancien » patrimoine littéraire de langue française, même si la valeur à lui accorder n’est pas sans poser problème, notamment aux plus lettrés, davantage amateurs du corpus latin de la période. De fait, ce n’est véritablement qu’au cours du xixe siècle que ce que l’on appréhendera alors comme « littérature du Moyen Âge » se verra de plus en plus systématiquement restreint à la production d’expression française, pour la plus grande part non savante. Aussi allons-nous chercher à éclairer quelques caractéristiques de ce qui peut d’ores et déjà dans l’historiographie du xviie siècle permettre à certains de distinguer un passé littéraire médiéval de langue française, en examinant pour notre part le cas de La Bibliothèque française de Charles Sorel dont la seconde édition, la plus complète, date de 16672.
300En effet, dans le cadre d’une interrogation sur les divers sens et découpages conférés à la notion de « litterae » dans la définition d’un corpus constitutif d’un âge médiéval, La Bibliothèque française de Sorel semble représentative d’une certaine propension des hommes de son époque à restreindre leur attention sur le domaine des « belles lettres », aux dépens de celui des « bonnes lettres » (ou « bonae litterae3 »), – restriction qui accompagne souvent, mais pas toujours4, l’élection de la production en langue vulgaire comme objet privilégié d’étude. Rappelons toutefois que cette restriction n’en est qu’à ses débuts et que, comme on le sait, elle ne concerne en aucune façon nombre de lettrés d’alors : par exemple, entre 1616 et 1617, un Du Chesne peut éditer autant les poésies françaises d’Alain Chartier que les Opera d’Abélard ou d’Alcuin5 ; en 1630, un Naudé peut considérer uniquement la production savante néo-latine dans un ouvrage d’histoire de la culture pourtant rédigé en français, son Addition à l’histoire de Louis xi6 ; ou encore, en 1685-1686, vingt ans après Sorel, un Baillet peut envisager de ne se priver d’aucun champ du savoir, ni des écrits en grec et en latin, dans sa gigantesque entreprise de revue critique de l’ensemble de la production imprimée7, etc.
Il convient donc d’autant plus ici d’examiner de près les divers ressorts et cadres intellectuels qui président aux propos de Sorel sur la 301production littéraire de ces « vieux siècles ». On sait bien sûr, notamment depuis les travaux de Nathan Edelman, combien peut « survivre » au xviie siècle la mémoire du Moyen Âge8 – même conditionnée, comme l’a souligné Bernard Beugnot, par des « écrans conceptuels9 » – et, récemment, Emmanuel Bury évoquait certains éléments lui permettant de conclure à une paradoxale « classicisation » des modèles médiévaux à cette époque10. Il est malgré tout évident qu’aucun « Moyen Âge littéraire » n’a, en tant que tel, de véritable existence historiographique dans La Bibliothèque française : le découpage chronologique y est approximatif et rudimentaire ; les catégories utilisées sont imprécises, doublées d’une prédominance attendue des adjectifs « vieux » ou « anciens » pour qualifier les ouvrages, les mots, les langues, les âges, les temps, etc.
Pourtant s’y manifeste incontestablement de la considération pour une certaine production littéraire de cette période. En l’occurrence, cette reconnaissance nous semble procéder notamment d’une perception croissante de l’écart. On sait, en effet, que le sens de la différence, historique notamment, s’éveille en cette seconde moitié du xviie siècle et qu’il va considérablement peser dans les vifs échanges de la querelle des Anciens et des Modernes. Cependant la représentation de la production médiévale relève de toute évidence en même temps, dans La Bibliothèque française, de la recherche de ce que nous pourrions nommer une “proximité vraisemblable” permettant à Sorel de représenter et de donner sens à cette production pour ses contemporains. Il s’agit donc pour nous d’examiner dans quelle mesure cette paradoxale association 302entre éveil d’un sens de l’altérité et appétence à la ressemblance peut encadrer dans cet ouvrage la détermination d’une production littéraire médiévale.
Considérer les « anciens livres » :
de quelques problèmes
On connaît le projet de Sorel : il entend dans ce texte proposer « l’Examen et le Choix des meilleurs et des principaux Livres de notre Langue11 ». Contrairement à la bibliothèque d’un Gessner12 ou, plus récemment, celle d’un Naudé13, Sorel ne s’intéresse donc qu’au corpus en français, qu’il s’agit d’illustrer en ne retenant que les ouvrages qui ont particulièrement « orné » la langue de la patrie14. Ainsi, contrairement à un La Croix du Maine ou un Du Verdier15, il n’entend pas donner des renseignements factuels sur les livres, mais bien plutôt examiner leur contenu, ce qui le conduit à les ordonner selon leur matière, en complétant éventuellement ce classement de subdivisions fondées sur le type d’écrit. La perspective n’est pas celle d’une quelconque spécialisation ou professionnalisation : sont considérés les « Livres propres à toutes sortes de Gens, et principalement de ceux qui concernent les belles Lettres16 ». C’est qu’il s’agit, comme l’a montré Michèle Rosellini, non seulement d’éviter au lecteur d’être la « proie ignorante et docile du marché de la librairie », mais encore de le former : s’appuyant sur sa propre culture humaniste et sachant tirer profit de sa connaissance des 303« bonnes lettres » pour imposer sa propre image des « belles lettres », Sorel, estime la chercheuse, vise un public large, mondain notamment, dont il entend élever le goût et affiner les critères de jugement17.
Dans cette perspective, quelle place peut-elle être accordée à la production médiévale ? De manière à souligner l’épanouissement de la langue et de la culture contemporaines, Sorel entend utiliser conjointement deux types de démarches. Dans la plupart de ses chapitres, « rangés selon leurs sujets18 », il se consacre aux « écrits en Langage d’aujourd’hui ou qui en approchent19 ». Aussi, même s’il ne se prive pourtant pas parfois, au sein de certaines de ces sections, de faire de brefs récits rétrospectifs, il juge nécessaire l’ajout d’un dernier chapitre qui vise à « considérer à part les plus anciens Livres Français, qui à peine peuvent être entendus20 » en les examinant cette fois-ci selon l’ordre chronologique. Ce chapitre qui constitue une véritable histoire de la prose21 et de la poésie de langue française et qui consacre une large part à la période qui nous intéresse ici, s’intitule : « Du progrès de la langue française, et des auteurs qui ont écrit en chaque siècle22 ». Son propos est donc fondamentalement démonstratif : il s’agit d’illustrer le parcours des écrits vers la « pureté23 » moderne. Pourtant, cette dimension téléologique ne le conduit ni à occulter ni à dénigrer la production des « vieux temps ». Il s’agit donc d’observer quelles interactions permettent cette attitude et ainsi de comprendre quels faisceaux de problèmes encadrent et déterminent cet examen des « anciens Livres ». Sorel doit en effet composer avec plusieurs difficultés : il lui faut contourner la production latine de cette période, 304théologique notamment, qu’en homme de savoir il n’ignore pas, tout en donnant des gages de la considération à lui vouer. Il lui faut promouvoir la « pureté » du langage actuel sans pour autant se priver d’un patrimoine susceptible de témoigner d’une histoire et de dispositions nationales. Il lui faut prendre acte d’une certaine obsolescence de ces anciens livres (« qui à peine peuvent être entendus24 » nous dit Sorel) tout en souhaitant convaincre son lecteur de leur utilité. En offrant des réponses en « raison25 » à ces difficultés, il pourra légitimer l’intérêt qu’il invite à prêter à ces ouvrages et, par là même, d’autant plus conforter la médiation que sa propre démarche de bibliothécaire peut constituer. C’est ce que nous allons nous efforcer de montrer rapidement en nous contentant de renvoyer, pour ce qui concerne le détail des goûts et choix de Sorel en matière de Moyen Âge, à une étude qui en avait été donnée en 196726.
Des « temps » aux contours peu définis
Alors que Sorel, auteur notamment d’une Histoire de la Monarchie française, a longtemps été historiographe de France et n’a cessé de réfléchir à la manière d’écrire l’histoire27, les contours de ces « vieux temps », dans cette Bibliothèque française, sont bien peu définis. Si la langue elle-même se voit à l’occasion reliée aux successions dynastiques (« […] le Langage 305qu’on parlait en France, sous les Rois de la première et de la seconde Race, était tout différent du nôtre28 »), les auteurs ou les ouvrages ne sont guère datés, ni même situés : la seule réelle mention à ce sujet concerne l’évocation par Sorel des limites chronologiques données par Fauchet à son propre Recueil29. Pour le reste, l’ordre d’apparition dans le discours et la mention du titre ou de l’auteur semblent lui suffire : c’est sans autre précision, notamment, que Le Roman de la Rose apparaît comme le plus applaudi d’« entre nos Livres de l’Antiquité30 ». Quant au déroulement chronologique, il n’est certes jamais perdu, mais reste très imprécis : ainsi par exemple Sorel déclare-t-il, au cours de son propos, vouloir « remonter » « plus haut dans les Siècles » au sujet de la prose, ayant dû la délaisser au profit de la poésie prépondérante « dans les premiers temps31 ». Il ne nous reste donc qu’à induire nous-même les bornes chronologiques de l’ensemble de cette production. En amont, les plus anciens textes nommés sont, pour les vers, le Roman d’Alexandre et Chrétien de Troyes32 et, pour la prose, Villehardouin33 ; en aval, c’est la génération des Lemaire de Belges34 qui semble clore la période : après lui, en effet, une nette amélioration de l’état du langage est attribuée au « Siècle d’Antoine Héroët, de Clément Marot, de Mellin de Saint Gelais » et autres poètes qui, employant « plus d’artifice » et travaillant à « polir la langue35 », incarnent manifestement un changement de période.
La mention d’un « siècle36 » n’est pas aléatoire ici. Dans le propos de Sorel, c’est à partir de l’évocation d’Oresme que les auteurs (et tout particulièrement les historiens, nous allons revenir sur leur cas), commencent à 306être rattachés, conformément à ce qu’on voit dans la tradition humaniste, à un roi ou à une cour. Ce n’est cependant véritablement qu’à partir des règnes de Louis xii, et surtout de François ier et d’Henri ii – comme on pouvait s’y attendre –, que le parcours rétrospectif de Sorel semble se cadrer, même de loin en loin, sur une périodisation selon les règnes. Donc en ce qui concerne notre période médiévale, les écrivains sont simplement ramenés d’une manière fort indéterminée à leur « temps » ou à leur « siècle37 », ce qui nous laisse penser – comme on peut également l’observer à propos de la même période médiévale dans l’Histoire des poètes français de Guillaume Colletet38 – qu’ils sont sans doute dans ce cas moins situés dans une époque donnée qu’ils ne contribuent à la caractériser : on le constate par exemple lorsque Sorel estime, à propos d’Alain Chartier et du fameux baiser que lui aurait donné Marguerite d’Écosse, que « la bonté et la franchise de ce Siècle-là étaient à admirer, où un homme Savant était ainsi honoré par une Princesse39 ». Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement qu’à propos du Moyen Âge la promotion d’un patrimoine linguistique prend nettement le pas ici sur l’attention prêtée à une périodisation politique de la production littéraire, telle qu’on pouvait la constater par exemple chez un Fauchet ou un Pasquier.
En outre, la promotion d’un patrimoine linguistique conduit nécessairement Sorel à faire fi de tout le volet latin de la production médiévale. Ainsi condamne-t-il l’usage de ces « paroles étrangères » par des savants, ou – ironise-t-il – « ceux qui croyaient l’être40 », dans l’ensemble des histoires précédant Joinville : la faute en est, déclare-t-il à plusieurs reprises, à ces moines leurs auteurs, qui « voulaient renfermer les Sciences dans leurs Cloîtres, et ôter la connaissance des bonnes choses aux personnes vulgaires et séculières41 », tandis que Joinville montre bien que le français 307est tout aussi propre « qu’aucun autre langage, à exprimer les choses les plus sérieuses et les plus utiles42 ». La prise en compte d’un large public conduit donc Sorel à resserrer son angle de vue sur certains écrits de cette période, à faire un pas de plus dans l’abandon d’une perspective humaniste et à se réjouir de l’apparition des traductions, malgré l’état du français d’alors. C’est que ces traductions visaient à « l’instruction de la Noblesse qui autrefois étudiait peu43 », dit-il aussi – de manière évidente quoique diplomate – à l’intention du public contemporain à qui il destine son ouvrage. En outre, la promotion des traductions, particulièrement celles de sa propre époque, ne lui permet pas moins de mettre à l’abri de la moindre critique les livres d’« instruction chrétienne » et d’« intelligence de la Bible » de la période médiévale : ses observations sur les traductions de Thomas d’Aquin, notamment, semblent placer ce dernier, pourrait-on dire, comme “hors histoire”, dans le temps de l’éternité44. Aussi, quoique cet examen vise à hiérarchiser les traductions et donner la palme, bien logiquement, aux plus récentes, il ne contribue en rien à clarifier ou renforcer la perception distincte d’une production médiévale, bien au contraire.
Ce défaut de contours bien dessinés et d’une existence clairement balisée révèle donc la dimension fortement empirique de la constitution de la production médiévale dans la Bibliothèque française : elle ne semble guère dépendre in fine de principes préétablis ni du souhait d’en éclairer le procès historique45, ni même – ce qui serait plus attendu – de l’état des connaissances offert à Sorel46. Bien plutôt, le repérage de cette pro308duction dépend au premier chef de ce à quoi il est permis d’accéder par le seul biais de la langue française, au moyen des traductions existantes notamment. Reste à savoir si cela empêche pour autant cette parcellaire production de prendre sens dans le discours de Sorel.
Valeur de la différence :
le Moyen Âge, une autre « nation » ?
Sorel place d’emblée son historique sous le signe de la différence lorsqu’il affirme dès les premières lignes qu’on peut trouver des livres d’un « Langage ancien, si différent du moderne, qu’il semblera que ce soit le Langage d’une autre Nation47 ». Terres étrangères, donc, que ces temps anciens : c’est effectivement en prenant la mesure de cette différence, en la soulignant et non en l’estompant, que Sorel cherche à tirer profit de ces « vieux Livres48 ». Rappelons qu’à peu près au même moment, en 1667, Saint-Évremond condamne Racine pour n’être pas entré dans le « génie de ces nations mortes » dont il représente les héros et estime que, pour réussir à en bien juger, le spectateur, tout comme le poète,
éloigne son esprit de tout ce qu’il voit en usage, tâche à se défaire du goût de son temps, renonce à son propre naturel, s’il est opposé à celui des personnes qu’on représente : car […] la raison, qui est de tous les temps, nous peut faire entrer en ce qu’[elles] ont été49.
Quelles sont donc les propres « raisons » mises en jeu par son contemporain Sorel pour appréhender ces rivages livresques d’un autre temps ?
Comme beaucoup de savants qui, avant lui, ont enquêté sur cette période50, Sorel promeut à son tour la valeur de l’« Antiquité » française 309en tant que telle51 et plaide pour le respect qui lui est dû52. Il réactive notamment à l’occasion l’argument, déjà topique depuis au moins un siècle, selon lequel les écrits de cette période sont riches d’intérêt pour la connaissance de l’ancienne langue française53. Il faut cependant remarquer que, dans la quête de vérité qui est la sienne, Sorel ne rejoint pas Chapelain – en l’occurrence, il ne semble apparemment pas connaître le dialogue de celui-ci sur le Lancelot54 – pour accorder aux romans médiévaux de l’intérêt concernant la connaissance de l’histoire. Bien au contraire, Sorel estime qu’ils contiennent des « choses hors de raison », des « aventures fort incroyables » et leur dénie ainsi toute capacité au « vraisemblable55 » : on reconnaît bien là la lutte plus générale que Sorel ne cesse de mener contre le roman, auquel il oppose l’histoire qu’il place au sommet des genres56. Il est donc logique que, jouant encore une fois l’archive contre le « fabuleux », il plaide ici pour la nécessité de sauvegarder les traces et les témoignages de ces temps révolus. Il faut dire qu’en cela Sorel hérite en outre la tradition déjà bien fournie du médiévisme érudit, bénéficiant des démarches des Pithou, des Fauchet, des Pasquier, des Masson, des travaux de l’historiographie humaniste européenne, des Du Chesne et de l’ensemble des érudits qui entourent 310celui-ci57. Du reste, lorsque dans La Guide Sorel traite des « pièces originales de l’Histoire de France », il fait un très vibrant éloge de l’œuvre de Du Chesne, notamment de son entreprise de recueil de documents qui permet de lutter contre la perte et l’oubli, le manque de connaissances et la corruption de la vérité58.
Mais encore faut-il savoir lire, déchiffrer, comprendre, évaluer, hiérarchiser ces archives et documents, de même que ces « vieilles » fictions en prose ou en vers. Issus de “terres étrangères”, produits de coutumes, de mœurs, de langages, dont on mesure de manière croissante l’écart avec les habitudes et usages contemporains, ces vestiges et reliques d’un passé révolu requièrent un ensemble de savoirs spécifiques. Il faut donc des passeurs : ce sera le rôle des philologues, des traducteurs, des historiens. Et ce sera bien sûr aussi le rôle du bibliothécaire-historiographe, apte à guider les lecteurs dans cet amas inégal et prolifique de livres59. Ainsi rectifie-t-il ceux qui ignorent les premières rhétoriques françaises, en citant celle de Fabri « en vieux Caractères60 », ou encore estime-t-il que pour bien lire Grégoire de Tours, il faut « savoir expliquer toutes les particularités de ses Narrations, et s’en servir judicieusement », ce qui le conduit à justifier l’absence d’une mention de Pharamond chez l’évêque et à prôner, au profit de celui-ci, une comparaison entre ses écrits et ceux d’autres historiens61. Nous constatons donc d’une part que Sorel continue à faire confiance au savoir et à l’érudition pour le service d’un public pourtant dorénavant élargi et, d’autre part, que la nécessité de ce recours révèle bien la perception d’une distance irréductible avec ces « vieux temps » : certes, Sorel donne relief à une période médiévale en matière de lettres de langue française en la rendant ainsi accessible au plus grand nombre, mais elle n’en reste pas moins une terre lointaine à explorer qui, pour être source de plaisir et d’intérêt, requiert d’autant plus des médiations.
311Pour une proximité vraisemblable
des lettres médiévales
En effet, si Sorel entend récupérer pour un public non nécessairement savant certains bénéfices de cette production parvenue d’un autre univers, il la lui faut rendre, d’une manière ou d’une autre, proche de ses lecteurs, propre à un voisinage plaisant et utile, et apte à supporter des valeurs collectives. Le discours qui accompagne et encadre cette production « d’une autre Nation62 » doit donc établir sa paradoxale mais néanmoins vraisemblable et efficace proximité avec le lecteur.
L’obstacle le plus aigu est évidemment linguistique : comment se distancier de la « rudesse » de cet idiome quasi étranger63 et en même temps le faire reconnaître comme étant déjà « notre langue64 » ?
De ce point de vue, Sorel use de procédés qu’il partage avec un certain nombre de ses contemporains : tout d’abord, le recours (traditionnel depuis le siècle précédent) à d’éventuelles racines fédératrices. Ces hommes du Moyen Âge sont chez lui « nos anciens » et même « nos Ancêtres65 ». Cette fabrique de lignages se double de phénomènes d’actualisation qui, eux aussi, ne sont pas le seul fait de Sorel : après Colletet par exemple, le bibliothécaire se plaît à évoquer les « imitations » par des mondains comme Voiture de « vieux mots66 » ; et après Pierre de Caseneuve et avant Fontenelle notamment, Sorel vante le renouvellement des « Questions d’Amour » par ses contemporains, dans « plusieurs Livres de Galanterie » et à la cour tout particulièrement67.
312Mais cette proximité qu’instaure Sorel avec la production médiévale semble dépasser ces simples phénomènes d’actualisation, comme le montre notamment la pensée particulièrement ferme et constante qu’il déploie concernant la sauvegarde des « vieux mots ». Regrettant qu’au sein d’impressions de Joinville et de Commynes on ait changé des termes dont on croyait l’usage « aboli », il souhaite que ce traitement ne soit pas étendu,
particulièrement à ceux qui ont une éloquence véritable et naturelle, desquels les paroles anciennes étant jointes ensemble, ont une grâce qui s’y trouve entièrement attachée, et qui est absolument détruite en y substituant des termes nouveaux.
Il conclut que « cette fâcheuse correction rend un Discours fade et languissant68 ». La parole éloquente est donc un tout auquel on ne peut retrancher une partie sans en ôter la grâce, et la langue française, avant même son épanouissement, témoigne donc dans son unité de dispositions propres qui lui permettent d’ores et déjà de toucher le lecteur69. Même si le propos principal de Sorel consiste à marquer le « progrès » de la langue vers la douceur et la pureté modernes, il passe donc déjà ici, lorsqu’il juge ces « anciens livres », d’une axiologie érudite (promotion de leur valeur de document et de témoignage notamment) à une axiologie esthétique (promotion de la grâce de l’éloquence naturelle qu’ils peuvent recéler).
Cet effort pour établir un rapprochement efficace entre ses contemporains et la production médiévale conduit ainsi Sorel à au moins trois positions fortes et constantes.
313Remarquons tout d’abord qu’il ne cesse d’affirmer que ce patrimoine médiéval mérite un vrai travail philologique : il plaide notamment pour « mettre en marge l’explication des mots obscurs » ou encore placer des « Annotations » qui, contrairement à la substitution de termes, permettent de voir « au naïf » la langue de l’original70 ; il loue ainsi la traduction de Villehardouin par Blaise de Vigenère qui laisse en regard le texte d’origine71. Et il se félicite du dictionnaire de « vieux mots » de Borel, le Tresor de Recherches et Antiquitez gauloises et françoises, publié en 1655, même s’il l’estime insuffisant72.
Autre position constante de Sorel : il faut juger les écrivains du passé, tout particulièrement ceux de la période médiévale, relativement à l’état de la langue de leur époque. L’argument selon lequel les écrits doivent être appréciés en fonction des « défauts » de leurs « siècles » se développe au moins depuis les années 164073, mais Sorel y recourt systématiquement. Ainsi condamne-t-il les « faibles Esprits » qui accusent Alain Chartier « de rudesse et de peu d’élégance en ses Discours » : c’est qu’il parlait, explique-t-il, « le langage de son temps74 ». Et il loue les traductions d’Oresme dont il faut « excuser seulement [le] langage qui ne pouvait être meilleur de son temps75 ».
Enfin observons que, dans ces conditions, cette grâce de l’éloquence naturelle susceptible de franchir les siècles peut s’accompagner paradoxalement d’une mise en jeu de la notion de « bel » ou « bon » usage, lui permettant même d’accéder à une certaine a-temporalité. Alain Chartier est d’autant plus exempt de l’accusation de « rudesse » qu’il suivait « le bel usage, qui est celui de la Cour et des Gens de condition76 » et Commynes 314peut être loué « pour son langage, qu’on croit être des meilleurs de ce temps-là », notamment parce qu’il « avait vu assez la Cour de France pour apprendre à bien parler77 ». Ainsi les débats contemporains de Sorel sur le « bon usage » et sur ceux qui en sont le modèle lui permettent de faire vivre un imaginaire de similitudes sociales, à même de transcender le cours de l’histoire. Ces parentés de configurations sociales activées sous le sceau du vraisemblable permettent donc ici à certains écrivains du Moyen Âge de figurer encore comme des modèles. De ce point de vue, on pourrait se demander si la quête chez Sorel de la meilleure production littéraire médiévale de langue française n’est pas autant constituée d’une quête d’un espace socio-linguistique que certains invariants mettraient hors temps, que celle d’un passé à proprement parler.
Des bons services de la production médiévale
Quoi qu’il en soit, le dernier point qui caractérise de manière saillante cette proximité établie par Sorel avec certaines œuvres médiévales est la démonstration de leur utilité particulière78.
C’est en effet un Moyen Âge profitable à ses lecteurs que Sorel édifie. S’il choisit de ne pas nommer les plus anciens poètes c’est, dit-il, parce qu’ils « ne sont pas fort utiles », préférant renvoyer le lecteur à Fauchet, Nostredame et Pasquier79. En revanche, l’éloge de la certitude, candeur et fidélité de l’histoire écrite par Grégoire de Tours80, des « excellents traits de Politique » de Commynes81, des « pensées […] morales et […] instructives » d’Alain Chartier82 montrent que Sorel, parallèlement à son intérêt pour la langue elle-même, peut à son tour recourir à une 315opposition entre res et verba pour promouvoir le profit qu’il y a à tirer de ces auteurs. Il s’agit cependant ici d’historiens – dans le cas de Chartier, Sorel renvoie en fait à ses traités ou œuvres allégoriques, en prose pour la plus grande part, et non à ses poésies qu’il dénigre83 –, ce qui nous conduit à revenir sur la distinction entre poésie et histoire. En effet, nous l’avons dit, Sorel consacre au corpus des historiens un traité « particulier », La Guide de l’Histoire de France, qu’il annexe à sa Bibliothèque, choisissant donc d’exploiter « séparément84 » son savoir et son expérience en matière d’histoire nationale. Or on observe deux importantes variations entre l’ensemble de La Bibliothèque française et ce traité distinct, qui ne sont pas sans jouer sur les rapports à la période médiévale qui s’y établissent respectivement. D’une part, le public qui est visé dans La Guide (les « curieux » et « ceux qui ont envie de passer jusqu’aux curiosités extrêmes85 ») est manifestement moins élargi que dans La Bibliothèque (en l’occurrence, « toutes sortes de Gens86 »). D’autre part, le point de vue utilitaire s’amplifie dans La Guide. Ainsi, en ce qui concerne la période médiévale dans ce traité, Sorel invite tout particulièrement les plus curieux de ses lecteurs à se tourner eux-mêmes vers les sources de cette époque87 (historiens « originaux » pour chaque siècle, chroniques et autres documents) : la préférence à accorder aux propres témoignages des contemporains des faits plaide, en effet, pour l’intérêt et le profit qu’il y a à tirer de la connaissance directe et personnelle de ces temps reculés. C’est aussi que ce recours aux sources est profitable lorsqu’il s’agit de répondre personnellement et en toute assurance de ce que l’on entend « rapporter » de l’histoire à autrui88 ; il conduit à estimer, au sein des documents, ce qui est « meilleur » et « plus vraisemblable89 », à « distinguer le certain d’avec l’incertain90 », à « conférer » les passages 316opposés les uns aux autres91 – en bref, le recours aux sources, nécessaire pour ces temps anciens92, requiert et exerce la faculté de jugement de qui n’entend pas se contenter d’une « connaissance médiocre » de l’histoire93. Ici, la production médiévale, pour peu qu’on veuille la considérer au regard du critère fondamental de la vérité94, recèle donc d’importants bienfaits spécifiques tant personnels (exercice du discernement) que collectifs (voie d’accès à une authentique histoire nationale).
Deux régimes différents de perception et d’utilisation déterminent donc la période médiévale au sein de La Bibliothèque française d’une part et de La Guide d’autre part : ils relèvent aussi, dans une certaine mesure, du fossé fondamental qui existe dans toute l’œuvre de Sorel entre le domaine de la fiction, corpus où règne le « fabuleux », et le corpus proprement historique. Et celui-ci a les préférences de Sorel parce que, s’il ressortit lui aussi d’une prose susceptible d’être appréciée pour sa grâce, il peut malgré tout, au moins pour une part, échapper aux objectifs de l’éloquence au nom de la quête du vrai.
Conclusion
Dans ces deux traités qui entendent faire un choix « raisonné », pour un public globalement élargi, des plus notables productions littéraires de langue française ainsi qu’à témoigner du progrès de cette langue jusqu’à son épanouissement le plus récent95, les écrits en vers et en prose des 317« vieux temps » ont bel et bien leur place. L’âge de ces « anciennetés » françaises n’est pas ici défini en tant que tel. Il est cependant repérable, non seulement grâce aux mentions d’œuvres qui en esquissent une cartographie et des jalons temporels, mais encore grâce aux propos du bibliothécaire-historien qui tendent à encadrer et orienter l’usage et l’évaluation que le lecteur peut faire de ces écrits. En effet, pour peu qu’un médiateur avisé sélectionne et apprivoise ces œuvres étrangères et veuille bien les mettre au diapason des contemporains, ceux-ci peuvent en tirer grand profit : c’est de fait ce que cherche à faire Sorel lorsqu’il explique qu’il faut relativiser les faiblesses de ces œuvres en fonction des limites de leur époque ou bien lorsqu’il donne retentissement à ce qui, d’après lui, résiste à l’épreuve du temps et fait écho aux valeurs esthétiques et sociales les plus modernes. Et c’est encore ce qu’il cherche à faire dans le cas plus précis des écrits d’historiens, lorsqu’il plaide pour les trésors de vérité qu’ils peuvent recéler, pour leur aptitude à l’instruction des plus « curieux » lecteurs et à l’exercice de leur discernement.
Il y a donc sans doute divers régimes d’utilité et de plaisir au sein de ce qui peut déterminer ici la considération d’une production littéraire médiévale et les usages qui en sont préconisés : en témoigne cette distinction entre le domaine historique et le reste des « belles lettres », manifestement davantage soumis à une dimension que nous nommerions aujourd’hui esthétique. Ces divers régimes d’utilité et de plaisir nous semblent donc constitutifs de différents “Moyen Âge” littéraires au sein même du propos de Sorel – signes, peut-être, de l’inéluctable diversité des “Moyen Âge” élaborés par les auteurs à cette époque? Sans doute, la catégorie des lettres médiévales n’a-t-elle pas encore assez d’existence en tant que telle dans l’historiographie littéraire de cette période et sans doute ses déterminations n’ont-elles pas encore suffisamment d’autonomie, même relative, pour revêtir une unité tangible – qu’elle soit d’ordre chronologique, formel ou axiologique.
Pourtant, ces bilans rétrospectifs qui voient le jour entre la fin du xvie siècle et la fin du xviie ont porté à la connaissance des lecteurs un corpus propre à diverses investigations – qu’elles soient globalement érudites, comme chez Pasquier et Fauchet, ou plus « galantes » comme chez Fontenelle ou Mademoiselle Lhéritier96. Cette production médié318vale a ainsi malgré tout déjà suffisamment de contours et de reliefs pour être activée et réactivée au gré des interrogations et motivations de chacun dans ce xviie siècle qui s’invente aussi dans la recherche de ses modèles. À cet égard, La Bibliothèque française de Sorel nous semble une pièce significative à verser au dossier de cette invention d’une littérature médiévale au xviie siècle, qui semble autant procéder d’une appétence ambivalente d’altérité que du désir d’affermir une propre identité nationale.
Emmanuelle Mortgat-Longuet
Université de Paris Nanterre
CSLF (EA 1586)
1 On peut ajouter à ces travaux les « bibliothèques françaises » de Fr. de La Croix du Maine (1584) et d’A. Du Verdier (1585), citées infra.
2 La première version date de 1664. Nous nous référerons désormais à l’éd. suivante : Ch. Sorel, La Bibliothèque française (1667), éd. F. d’Angelo, M. Bombart, L. Giavarini, Cl. Nédelec, D. Ribard, M. Rosellini, A. Viala, Paris, Champion, 2015. Nous considérerons également La Guide de l’Histoire de France […], traité « particulier » qui apparaît dans l’édition de 1667 (p. 323-414 [278-387]) et que Sorel consacre à l’examen des livres traitant de l’histoire de la « Patrie » (voir p. 325-326 [279-282]). Pour plus de commodité, nous indiquons également, entre crochets, la pagination du texte de référence de 1667.
3 Sur cette question, voir Ph. Caron, Des « Belles Lettres » à la « Littérature ». Une archéologie des signes du savoir profane en langue française (1680-1760), Louvain-Paris, Peeters, 1992 ; Bonnes lettres / Belles lettres, éd. Cl. Poulouin et J.-Cl. Arnould, Paris, Champion, 2006.
4 On peut par exemple citer le cas de la « Lettre latine à Smith » de mars 1655 dans laquelle Pellisson s’efforce de donner son jugement sur les meilleurs livres écrits jusqu’alors en langue française, en considérant des domaines du savoir plus larges que ceux relevant des seules « belles lettres » (texte éd. par W. H. Barber, « A Seventeenth-century view of french literature », French Studies, 2, 1948, p. 140-147).
5 Les Œuvres de Maistre Alain Chartier […], éd. A. du Chesne, Paris, S. Thiboust, 1617 ; Petri Abaelardi, […] et Heloisae, […] Opera […], éd. A. du Chesne, Paris, N. Buon, 1616 ; B. Flacci Albini sive Alchvvini, […] Opera […], éd. A. du Chesne, Paris, S. Cramoisy, 1617. Sur Du Chesne et ses travaux, voir E. Bury, « Le “Père de l’Histoire de France” : André Duchesne (1584-1640) », Littératures classiques, 30, 1997, p. 121-131.
6 G. Naudé, Addition à l’Histoire de Louys xi, Paris, F. Targa, 1630.
7 A. Baillet, Jugemens des sçavans sur les principaux ouvrages des auteurs, Paris, A. Dezallier, 1685-1686, 4 t.
8 Sur la réception du Moyen Âge au xviie siècle, voir notamment : N. Edelman, Attitudes of Seventeenth-Century France toward the Middle Ages, New York, King’s Crown Press, 1946 ; J. Frappier, « Voiture amateur de vieux romans » [1re version 1951], Amour courtois et table ronde, Genève, Droz, 1973, p. 283-295 ; J. Voss, Das Mittelalter im historischen Denken Frankreichs […], München, Fink, 1972 ; J.-M. Chatelain, La Bibliothèque de l’honnête homme : livres, lecture et collections en France à l’âge classique, Paris, BnF, 2003 ; Mémoires des chevaliers. Édition, diffusion et réception des romans de chevalerie du xviie au xxe siècle, éd. I. Diu, É. Parinet, Fr. Vielliard, Paris, École des Chartes, 2007 ; Accès aux textes médiévaux de la fin du Moyen Âge au xviiie siècle, éd. M. Guéret-Laferté et Cl. Poulouin, Paris, Champion, 2012.
9 Il s’agit de l’« outillage mental » qui informe à l’avance l’image du Moyen Âge : B. Beugnot, « Naissance de l’histoire littéraire et représentation du Moyen Âge », La Mémoire du texte. Essai de poétique classique, Paris, Champion, 1994, p. 89-105.
10 E. Bury, « Entre philologie et littérature : quelques aspects du Moyen Âge dans le discours critique du xviie siècle », Accès aux textes médiévaux, éd. Guéret-Laferté et Poulouin p. 235-249 (notamment p. 248-249).
11 La Bibliothèque française, p. 59 [aijr] (« Table des chapitres », sous-titre de l’ouvrage).
12 C. Gessner, Bibliotheca universalis […], Zürich, C. Froschover, 1545.
13 G. Naudé, Avis pour dresser une bibliothèque [1re éd. 1627], éd. B. Teyssandier, Paris, Klincksieck, 2008. Naudé écrit pour la collectivité des savants, comme le souligne B. Teyssandier : « Même si Naudé choisit d’écrire son texte en français, symboliquement, le latin reste pour lui la langue des livres et même du livre » (p. xl).
14 La Bibliothèque française, p. 300 [250]. Voir aussi l’épître « À la France » et le début de l’« Avant-discours », p. 55-57 et 63 [aijv-aiiyv et 1-2].
15 Fr. Grudé de La Croix du Maine, La Bibliotheque […], Paris, A. L’Angelier, 1584 et A. Du Verdier, La Bibliothèque […], Lyon, B. Honorat, 1585 [rééd. M. Rigoley de Juvigny, Les Bibliothèques françoises […], Paris, Saillant et Nyon, 1772-1773].
16 La Bibliothèque française, p. 66 [5].
17 M. Rosellini, « La Bibliothèque française de Charles Sorel : intégration ou liquidation de la bibliothèque humaniste ? », Littératures classiques, 66, 2008, p. 93-113 (voir notamment p. 104-105 et 112-113).
18 La Bibliothèque française, p. 293 [242].
19 Ibid.
20 Ibid.
21 Il est du reste le premier texte qui cherche ainsi à retracer le développement de la prose française depuis ses origines : les historiens précédents avaient essentiellement considéré le parcours de ce qu’on pouvait alors regrouper sous le terme de « poésie française » – quitte, comme l’avait fait Colletet notamment, à inclure dans son ouvrage également certains prosateurs.
22 La Bibliothèque française, p. 293 [241].
23 La Bibliothèque française, p. 298 [248]. Sur le sens à accorder au mot « pureté » dans la démarche de Sorel, voir les analyses de Cl. Nédelec, selon qui le terme ne signifie pas « purisme » : « Style, langue, énonciation », La Bibliothèque française, p. 507-529, particulièrement p. 518-522.
24 La Bibliothèque française, p. 293 [242].
25 Le terme apparaît notamment lorsque Sorel déclare qu’en ce qui concerne les auteurs, contrairement à ce qu’avaient pu faire La Croix Du Maine et Du Verdier, il lui faut « rendre raison de la fausse et injuste réputation, aussi bien que de la vraie et légitime » (La Bibliothèque française, p. 66 [5]). Et dans sa conclusion générale à l’ouvrage, Sorel oppose aux « catalogues » qui le précèdent son choix « raisonné » des livres (p. 321 [273]).
26 J.-P. Leroy, « La littérature médiévale dans la Bibliothèque française de Charles Sorel », Moyen Âge et littérature comparée, Paris, Didier, 1967, p. 103-112.
27 L’Histoire de la Monarchie française, dont l’avertissement date de 1628, a été publiée de 1629 à 1633 et ne continue pas au-delà de Charlemagne. Le titre change en 1647 (Histoire de France). Sorel est historiographe de France entre 1636 et 1663 (même s’il en garde le titre après cette date, il est privé de pension). Sur l’identité d’historien de Sorel, voir D. Riou, « Charles Sorel historien et historiographe de France », Littératures classiques, 30, 1997, p. 145-157 ; sur son « écriture de l’histoire », voir M. Rosellini : « Écrire l’histoire de France au service de la patrie : le projet singulier de Charles Sorel », xviie siècle, 246, 2010, p. 69-95 et « “La Guide de l’histoire de France” : une contribution à l’éducation politique des lecteurs ? », La Bibliothèque française, p. 545-580.
28 La Bibliothèque française, p. 294 [242].
29 Ibid. Il s’agit de Cl. Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Plus les noms et sommaire des oeuvres de cxxvii. poetes françois, vivans avant l’an m.ccc., Paris, M. Patisson, 1581.
30 La Bibliothèque française, p. 297 [246].
31 La Bibliothèque française, p. 298 [248].
32 La Bibliothèque française, p. 294-295 [243-244].
33 La Bibliothèque française, p. 298 [248].
34 La Bibliothèque française, p. 302 [252].
35 La Bibliothèque française, p. 303 [254] (termes en italiques dans le texte).
36 Nous ne revenons pas ici sur les sens et emplois du terme à l’époque de Sorel, et renvoyons à trois articles qui, notamment, fournissent des éléments sur le lien entre la catégorie du « siècle » et la figure du « prince » : A. Niderst, « Les sens du mot “siècle” dans la langue classique », Le Français moderne, 3, 1971, p. 207-219 ; R. Zuber, « Les “siècles” classiques », Les Émerveillements de la raison, Paris, Klincksieck, 1997, p. 189-194 ; E. Mortgat-Longuet, « Du “siècle d’Auguste” au Siècle de Louis xiv : quelques réflexions sur le concept de “siècle” du début du xviie siècle à Voltaire », Voltaire et le « Grand siècle », éd. J. Dagen et A.-S. Barrovecchio, SVEC, 10, 2006, Oxford, Voltaire Foundation, p. 97-116.
37 Employés dans ce sens, ces deux termes sont le plus souvent au singulier : voir par exemple La Bibliothèque française, p. 299 [249] (où une occurrence de « temps » est passée du pluriel au singulier entre 1664 et 1667) et p. 295 [244], 297 [247], 300-305 [250-256], 307-310 [258-261], etc.
38 Cet imposant ouvrage, constituant la première véritable histoire littéraire nationale, a été rédigé entre 1635 et 1659.
39 La Bibliothèque française, p. 301 [251]. Nous soulignons.
40 La Bibliothèque française, p. 299 [249].
41 La Guide de l’Histoire de France, p. 353 [321]. Voir aussi La Bibliothèque française, p. 257 [202].
42 La Bibliothèque française, p. 299 [249].
43 La Bibliothèque française, p. 271 [217] (chap. xi).
44 Voir La Bibliothèque française, p. 114 [51-52]. Sauf en ce qui concerne les écrits contemporains ou légèrement antérieurs à l’époque de Sorel, il n’apparaît, dans ce bilan rétrospectif placé en introduction au chap. iv sur les livres d’« Instruction chrétienne », quasiment aucune distinction de chronologie au sein des écrits originaux mentionnés. Ce n’est qu’en ce qui concerne les traductions de certains de ces ouvrages que des distinctions entre époques sont faites (La Bibliothèque française, p. 111-115 [50-52]).
45 Certaines réflexions cherchent à généraliser les observations ponctuelles (« chaque Siècle a eu ses vices et ses Censeurs », La Bibliothèque française, p. 295 [244]), mais on ne peut dire qu’elles structurent et déterminent la trame même du propos, comme ce sera par exemple en revanche le cas dans La Vie de Monsieur Corneille et L’Histoire du théâtre français, textes où Fontenelle se montre en quête des principes de causalité historique (composés selon A. Niderst et d’autres commentateurs dans la dernière décennie du xviie siècle et publiés respectivement pour la première fois en 1729 et 1742).
46 Sorel laisse de côté quantité d’informations qu’auraient pu lui procurer par exemple Fauchet et Du Chesne qu’il cite pourtant en maints endroits.
47 La Bibliothèque française, chap. xii, p. 293 [242].
48 On trouve cette expression dans La Bibliothèque française, par exemple p. 302 [253].
49 Ch. de Saint-Évremond, « Dissertation sur la tragédie de Racine intitulée Alexandre le Grand » [1667], Écrits sur le théâtre, éd. F. Corradi, Pise, Edizioni ETS, 2015, p. 37 et 42.
50 Nous pensons notamment à Colletet, qui se présente à cet égard comme l’héritier d’une lignée de savants du siècle précédent dont Pasquier et Fauchet.
51 Par exemple, Sorel juge la période étudiée par Fauchet dans son Recueil d’« une antiquité assez remarquable » (La Bibliothèque française, p. 296 [245]) ou remarque que le titre précis de la rhétorique de Pierre Fabri « ressent bien l’antiquité » (p. 85-86 [25]). On pourrait multiplier les exemples.
52 Il faut bien conserver le peu d’écrits qui restent de cette période, recommande Sorel, « sans que la rudesse de leur style, amoindrisse le respect dû à l’antiquité, dont elle est la meilleure marque » (La Guide de l’Histoire de France, p. 345 [309]). Nous soulignons. En l’occurrence, Sorel ne parle ici que des « anciennes Chroniques et autres Mémoires », défendant la valeur de vérité historique que ces « originaux » peuvent recéler.
53 Voir La Guide de l’Histoire de France, p. 353 [321], 398 [369]. Sur cet argument développé depuis au moins Henri Estienne en 1579 et repris plus récemment par des hommes comme Gilles Ménage ou Pierre Borel, nous nous permettons de renvoyer à notre Clio au Parnasse. Naissance de l’« histoire littéraire française » aux xvie et xviie siècles, Paris, Champion, 2006, p. 237-254.
54 Le dialogue de Chapelain composé en 1647 est resté inédit jusqu’en 1728 (voir De la lecture des vieux romans, J. Chapelain, Opuscules critiques, éd. A. C. Hunter, introd., révision des textes et notes par A. Duprat, Genève, Droz, 2007, p. 317-349). Ce dialogue avait circulé, mais Sorel était bien loin d’être un proche de Chapelain. Cela dit, on peut aussi faire l’hypothèse qu’il connaissait au moins par ouï-dire les positions de l’académicien, mais qu’il ait préféré en taire le nom ici, pour éviter toute apparence de polémique.
55 La Bibliothèque française, p. 233 [175] (voir l’ensemble des p. 232-245 [174-188]).
56 Sur cette question, voir Rosellini, « Écrire l’histoire de France », p. 69 sq.
57 Voir les propos de Sorel sur tous ces travaux, notamment dans La Bibliothèque française, p. 214-223 [160-165], 303-305 [254-256] et, surtout, dans La Guide de l’Histoire de France, p. 327-376 [284-346] et 397-405 [368-378].
58 La Guide de l’Histoire de France, p. 341-347 [303-311].
59 Sur la question de la « multiplication des livres », voir notamment B. Teyssandier, « L’ethos érudit dans l’Avis pour dresser une bibliothèque de Gabriel Naudé » et J.-M. Chatelain, « L’excès des livres et le savoir bibliographique », Littératures classiques, 66, 2008, respectivement p. 117-131 et p. 145-160.
60 La Bibliothèque française, p. 85 [25].
61 La Guide de l’Histoire de France, p. 346-348 [311-314].
62 La Bibliothèque française, p. 293 [242].
63 Ce sont les termes « rudesse » et « mots barbares » que Sorel emploie le plus souvent pour caractériser l’ancienne langue française (La Bibliothèque française, p. 298 [248], 301 [250], 303 [254], 307 [258], etc.).
64 Voir les occurrences de « notre [ancienne] Langue » et de son « Progrès », La Bibliothèque française, p. 293 [241-242], 300 [250], 302 [252-253], etc.
65 Voir notamment La Bibliothèque française, p. 226-227 [168]. Par exemple, une cinquantaine d’années auparavant, chez A. Du Chesne (après P. Fabri ou É. Pasquier), Chartier est nommé le « Père de l’éloquence françoise » (Les Œuvres de Maistre Alain Chartier, fol. a iiv).
66 Voir La Bibliothèque française, p. 303 [253].
67 La Bibliothèque française, p. 295-296 [244-245]. Sorel vise ici le public galant (sur le profit symbolique à tirer de ces pratiques qui se veulent mémorielles, voir D. Denis, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au xviie siècle, Paris, Champion, 2001, p. 164-167 – et la note 140 sur la dimension légendaire de ces évocations). D’autres ouvrages en cette seconde moitié du xviie siècle cherchent également à relier des pratiques contemporaines à ces « jeux » médiévaux : voir notamment P. de Caseneuve, L’Origine des jeux fleureaux de Toulouse [publ. posthume], Toulouse, R. Bosc, 1959, p. 34-46 et B. de Fontenelle, Histoire du théâtre français, Œuvres, éd. J.-B.-J. Champagnac, Paris, Salmon, 1825, t. iv, p. 152-155 (pour la datation de ce texte, voir supra, n. 45).
68 La Bibliothèque française, p. 302 [252].
69 Sur la notion de « naïveté » et la « compréhension architecturale de la langue française » (chaque élément y a sa « raison d’être ») dans l’idée naissante du « génie de la langue française », voir G. Siouffi, Le Génie de la langue française. Études sur les structures imaginaires de la description linguistique à l’Âge classique, Paris, Champion, 2010, respectivement p. 39-48 et 169-171.
70 La Bibliothèque française, p. 302 [252] et La Guide de l’Histoire de France, p. 353-354 [321-322].
71 La Bibliothèque française, p. 298-299 [248].
72 La Bibliothèque française, p. 303 [253]. Sorel en appelle en effet à un dictionnaire consacré uniquement au langage des « vieux Romans » qu’on parlait dans les cours princières ou royales – manière évidente ici d’inscrire encore une fois le public mondain dans son propos.
73 Ce type d’argument qui témoigne d’un sens croissant de la relativité historique se trouve notamment chez Chapelain, Plassac-Méré, Balzac, Pellisson, Colletet (voir Clio au Parnasse, p. 249 et 277-279).
74 La Bibliothèque française, p. 300-301 [250-251]. Et Sorel insiste, non sans scepticisme et ironie, à l’endroit de ses contemporains : « Plusieurs se persuadent même qu’il [Alain Chartier] avait autant de raisons d’estimer bons les termes dont il se servait, comme nous de nous contenter de ceux dont nous nous servons aujourd’hui ».
75 La Bibliothèque française, p. 272 [218].
76 La Bibliothèque française, p. 301 [251].
77 La Bibliothèque française, p. 302 [251-252]. Sorel précise en outre que la cour du premier maître de Commynes, le duc de Bourgogne, « était toute pleine de Français ». Le propos est identique pour Lemaire de Belges qui « suivait la Cour » et s’était accommodé « au langage des Personnes de condition » (ibid.).
78 Sur le critère de l’utilité, voir les travaux de M. Rosellini qui ont souligné son importance dans l’ensemble de l’œuvre de Sorel (notamment les trois articles cités).
79 La Bibliothèque française, p. 296-297 [245-246].
80 La Guide de l’Histoire de France, p. 348 [314].
81 La Bibliothèque française, p. 301 [251].
82 La Bibliothèque française, p. 300 [250].
83 Ibid.
84 Voir La Bibliothèque française, p. 222 [164-165] et La Guide de l’Histoire de France, p. 325-326 [281-282]. Sorel a cependant déjà survolé ce domaine au chapitre viii (« Des Narrations véritables ») de sa Bibliothèque française, p. 216-222 [162-164].
85 La Guide de l’Histoire de France, p. 341 [303-304] et 346 [311]. Sur le public de La Guide, voir Rosellini, « “La Guide de l’histoire de France” », p. 568-580.
86 La Bibliothèque française, « Avant-discours », p. 66 [5].
87 Sur ce recours aux sources préconisé par tout un ensemble d’historiens du xviie siècle, voir Bury, « Entre philologie et littérature », p. 236-242.
88 La Guide de l’Histoire de France, p. 341 [303-304].
89 La Guide de l’Histoire de France, p. 342 [305].
90 La Guide de l’Histoire de France, p. 345 [309].
91 La Guide de l’Histoire de France, p. 348 [313] (et p. 414 [386]).
92 La Guide de l’Histoire de France, p. 345 [308-309] (et p. 414 [386]).
93 La Guide de l’Histoire de France, p. 346 [311] (et p. 341 [303-304]). Sur la question de la formation du lecteur dans ces traités, voir Rosellini, « Écrire l’histoire de France », p. 84-86 et « “La Guide de l’histoire de France” », p. 562 ; et M. Bombart, « Un regard sur le monde littéraire : les “Gens de Lettres” et leurs querelles », La Bibliothèque française, p. 504-505.
94 Sorel écrit notamment à propos de chroniques des xie-xiiie siècles : « On les reçoit toutes pour le besoin qu’on en a, sans examiner leur Style. La rudesse de leur Siècle ne permettait pas à leurs Auteurs, de s’adonner à l’élégance. C’est bien assez pour leur profession, si dans tout ce qu’ils ont écrit, ils ont gardé la vérité qui est l’âme de l’Histoire » (La Guide de l’Histoire de France, p. 354 [322] ; voir aussi p. 414 [386]). Comme Sorel l’avait annoncé au début du traité (p. 326 [282]), La Guide s’attache ici à des textes en latin.
95 La Bibliothèque française, p. 320-321 [272-274].
96 Voir notamment la Lettre à Madame D. G*** et la « Préface » à La Tour ténébreuse […] de M.-J. Lhéritier, Contes, Mlle Lhéritier, Mlle Bernard, Mlle de La Force, Mme Durand, Mme Dauneuil, éd. R. Robert, Paris, Champion, 2005, p. 35-41 et 115-123. Nous remercions Ph. Hourcade d’avoir mis à notre disposition ses compétences sur la romancière.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-11996-8
- EAN: 9782406119968
- ISSN: 2273-0893
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11996-8.p.0299
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-07-2021
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: history, fiction, classification, literary genre, history of literature