Pierre Gringore et les orateurs Statut d’auteur et pratiques théâtrales au XVIe siècle
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
2020 – 2, n° 40. varia - Auteurs : Doudet (Estelle), Lu (Shanshan)
- Pages : 323 à 341
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
Pierre Gringore et les orateurs
Statut d’auteur et pratiques théâtrales au xvie siècle
Savoir toujours « se tenir au milieu de tout (stare in dimidio rerum)1 » : c’est ainsi que Victor Hugo a croqué le caractère de Gringoire dans Notre-Dame de Paris (1831). Dans l’univers flamboyant du roman, le personnage inspiré par Pierre Gringore (v. 1475-v. 1538) incarne la voie prudente du juste milieu, tout en faisant preuve d’une étonnante capacité à circuler dans les cercles les plus divers, de la cour des miracles à l’entourage des grands. La réappropriation romantique a contribué à faire de Pierre Gringore l’écrivain le plus connu des premières décennies du xvie siècle. Elle a aussi eu pour conséquence de brouiller l’appréhension de son œuvre et la compréhension de l’auctorialité singulière qu’il a construite au fil de sa carrière, de sa formation à Caen aux réseaux parisiens (1499 ?-1518) puis à sa position de héraut d’armes des ducs de Lorraine et de Bar (1518-1538).
Loin du poète déclassé, avatar de François Villon, que le xixe siècle s’est plu à imaginer2, Gringore a occupé une place privilégiée dans l’espace littéraire de langue française du règne de Louis xii à celui de François ier. Elle s’explique d’abord par son intense activité de polygraphe, dont témoignent plus d’une trentaine d’œuvres conservées : textes spirituels – il a, bien avant Marot, proposé une traduction versifiée des Psaumes – ; traités moraux et politiques ; satires et pamphlets d’actualité, et jusqu’à un guide de pèlerinage3. La plupart de ces textes ont en outre joui d’une excellente diffusion, certains étant rapidement traduits en anglais et en néerlandais4. Gringore a saisi les opportunités que l’imprimerie offrait 324aux écrivains vernaculaires. La maîtrise de la vente de ses propres œuvres en tant que libraire, la stratégie commerciale consistant à alterner coups publicitaires et long-sellers aux multiples rééditions ou encore, pour la première fois en français, l’obtention de privilèges protégeant des reproductions non autorisées sont autant de pratiques qu’il a contribué à populariser5. Enfin, dans le sillage de prédécesseurs comme Jean Molinet et André de la Vigne, Pierre Gringore s’est attaché à rendre visible sa présence d’auteur dans ses ouvrages. Ses premiers livres ont été publiés anonymement, mais à partir de 1505 toutes ses œuvres sont conclues par sa signature en acrostiche. Il a également placé au frontispice d’un certain nombre de textes une marque d’auteur originale6. On y voit, au centre d’un cadre où court la devise « tout par raison, raison par tout, par tout raison », la silhouette encapuchonnée de Mère Sotte, entourée de deux sots qui la soutiennent. S’il a choisi de faire circuler une image qui le campe dans son rôle théâtral le plus connu, Gringore n’entendait pas seulement renforcer son prestige d’acteur. À travers Mère Sotte, figure au langage vrai et sans fard, se laisse aussi entrevoir l’ambition d’apparaître comme un auteur de « raison », au double sens que le moyen français donnait à ce terme : un sage moraliste et un éloquent satiriste, usant de ses talents pour conseiller les princes et guider les opinions dans les affaires publiques7.
Cette posture de vir bonus dicendi peritus, Pierre Gringore ne l’a pas inventée. Elle est au fondement de la notion d’orateur, une forme d’auctorialité d’inspiration néo-cicéronienne valorisant les techniques de l’éloquence, l’engagement civique et l’ambition médiatique comme 325principales qualités du bon écrivain. Repensé par les milieux humanistes et curiaux dès la fin du xive siècle puis amplement discuté pendant le xve siècle, le titre d’« orateur moderne » s’est imposé comme le qualificatif le plus prisé des écrivains de langue française jusqu’au milieu du xvie siècle8. Pourtant Gringore, qui s’est constamment présenté comme un « acteur » (au sens d’auteur) et un « compositeur » de livres9, ne semble guère avoir revendiqué le nom d’orateur. Tout au plus s’est-il dit leur « simple apprenti » dans une adresse à la nouvelle reine de France Marie d’Angleterre en 1514 :
Pierre Gringore, vostre subgiect obedient, simple aprentiz des rethoriciens eloquens, orateurs, facteurs et compositeurs modernes en françoys10.
Topos de modestie mis à part, il peut paraître inattendu qu’un auteur aussi soucieux de son image publique n’ait guère investi une posture à laquelle auraient pu le prédisposer la dimension politique de ses publications et sa célébrité de comédien. Il semble d’ailleurs que Gringore n’ait pas non plus été qualifié d’orateur dans les témoignages et les documents officiels sur sa carrière.
La présente enquête a pour objectif de comprendre les raisons de cette absence, en tentant de mieux cerner les fonctionnements de l’auctorialité chez les professionnels de la parole publique au début du xvie siècle. Plus généralement, elle souhaite contribuer au développement des études transhistoriques sur les statuts d’auteurs et sur les formes de communication littéraire qui en découlent, en proposant de les aborder non par leurs réalisations les plus visibles mais par leurs lignes de fuite : lacunes inexpliquées, évitements discrets, décalages souterrains.
Rédigée à quatre main, l’étude s’intéressera à la position particulière de l’homme de scène qu’a été Gringore. Elle est en effet au cœur du paradoxe que nous croyons avoir détecté. Pourquoi l’écrivain et comédien, 326qui a créé sa marque d’auteur à partir de son rôle de Mère Sotte, ne s’est-il pas montré sous les traits d’un orateur ? En quoi la communication théâtrale est-elle différente de la relation construite par l’éloquence des hommes de loi, des conseillers princiers ou autres proclamateurs de discours publics ? Afin de proposer quelques pistes de réponse, l’analyse s’articulera en deux temps. Le premier sera consacré à la comparaison des titres auctoriaux utilisés par Gringore et par quelques-uns de ses contemporains ; le second sera dédié à l’étude de la communication mise en œuvre par l’œuvre théâtrale la plus ambitieuse du « facteur et compositeur », La Vie monseigneur sainct Loÿs par personnaiges.
« Quel titre en faculté de parler ? »
Gringore au milieu des orateurs
« Quel tiltre lui assignes tu en faculté de parler ? » questionnent les suivantes de Rhétorique lorsqu’en 1463, Jean Robertet soumet à ces personnifications de la création littéraire l’éloge de George Chastelain, dit l’Orateur George11. Engagée un siècle auparavant, la rénovation du lexique de la communication littéraire a touché au premier chef les désignations de l’auteur. Le moyen français les a multipliées : acteur, compositeur, poete, facteur, fatiste, orateur, etc. Cette expansion terminologique s’est accompagnée de deux questionnements : quelle légitimité culturelle doivent démontrer ceux qui prétendent à de tels titres ? Quelle habilitation sociale doivent-ils recevoir de leurs pairs, de leurs publics et de leurs éventuels commanditaires ?
L’auteur orateur,
de la posture distinctive à la pensée dominante
La notion d’orateur se caractérise dans cet ensemble par sa puissance de distinction. Dès le milieu du xive siècle, le titre a donné lieu à d’âpres compétitions au sein des milieux intellectuels européens, opposant les auteurs qui le revendiquaient à ceux auxquels il était dénié. Affirmant qu’il 327n’existait pas d’orateurs et de poètes dignes de ce nom hors d’Italie (« oratores et poetae extra Italiam non quaerentur »), Pétrarque s’est livré en 1369 à une provocation calculée à l’égard des lettrés français qui soutenaient la papauté avignonnaise12. Des tactiques de discrimination analogues ont marqué l’essor des divers pôles du mouvement humaniste cisalpin au tournant des xive et xve siècles13. Des disputes du même ordre ont éclaté à Paris en 1401-1402 lorsqu’il s’est agi d’élire pour premier classique de la littérature française l’auteur du Roman de la rose, que ses défenseurs nommaient « ce tres divin orateur et poete et tres parfait philozophe, maistre Jehan de Meung14 ». Que de tels qualificatifs puissent être accordés à un écrivain qu’elle considérait comme un pornographe a incité Christine de Pizan à lancer le Débat sur le Roman de la rose, première querelle littéraire documentée en français et prémisses du mouvement des querelles des femmes.
Pour autant, au moment où Pierre Gringore a entrepris de se faire un nom, les polémiques suscitées par la distinction socio-culturelle attachée au titre d’orateur étaient émoussées et son usage devenu consensuel. Le qualificatif est alors largement accordé aux écrivains français anciens ou contemporains par les théoriciens de l’activité littéraire. De L’Instructif de la seconde rhétorique, imprimé vers 1500, au Grand et vrai art de pleine rhétorique de Pierre Fabri en 1521, les arts poétiques ont loué à travers lui la (re)naissance de l’éloquence vernaculaire :
Pour ce est elle de present advenue
en la langue galicane fertile
par pluseurs bons clers engins retenue15.
Chez les écrivains eux-mêmes, l’institution de « l’orateur moderne » est visible dans les nombreuses répétitions du qualificatif, qu’il s’agisse 328de retracer brièvement une histoire des lettres françaises ou de se positionner face à des lecteurs. En 1511, Jean Lemaire de Belges a fait de Jean de Meun, « orateur françois, homme de grant valeur et litterature », le premier d’une longue théorie de « poëtes, orateurs et historiiens de la langue françoise, tant antiques que modernes », allant du romancier de la Rose à « ceulx qui encoires vivent et florissent16 ». Dans une épître sur Marignan dédiée à Claude de France et rédigée vraisemblablement entre 1515 et 1518, Jean Marot s’est présenté quant à lui en tant que « simple orateur » au service du couple royal :
Ne t’esbahy si moi, simple orateur,
de ta meison le moindre serviteur,
ay osé prendre audace de t’escrire17.
Le joueur orateur : les limites d’une auctorialité ?
Face aux pratiques dominantes de ce que nous avons qualifié ailleurs « d’âge des orateurs18 », la discrétion de Gringore est frappante. Pourquoi s’est-il peu emparé d’une forme d’auctorialité qui paraissait si bien lui convenir ?
Pour le comprendre, il faut cerner plus précisément les contours de la notion d’orateur à son époque. Elle requiert d’abord l’association de la maîtrise de la parole publique avec un ensemble de qualités morales – la sagesse, l’esprit critique, la vertu civique – et de compétences rhétoriques données par une formation académique19. Or à la différence d’un Molinet ou d’un Bouchet, soucieux de rappeler leur qualité de « maîtres » formés 329aux écoles au seuil de leurs œuvres, Gringore s’est rarement attribué, ou laissé attribuer, un tel titre20. Plus encore, il s’est présenté, dans les Folles Entreprises de 1505, comme un homme sans grade universitaire : « je n’ay degré en quelque faculté21 ». Ceci n’induit pas une absence de culture lettrée, dont témoigne l’autoportrait tracé aux vers suivants : « aprés que je euz prins plaisir et deduyt / d’estudier en bibles et croniques22 ». À l’explicit de la même œuvre, la dédicace à Pierre de Ferrières rappelle d’ailleurs que les Gringore étaient une famille d’hommes de loi longtemps au service de cette dynastie normande. De fait, même si l’écrivain n’a pas lui-même suivi un cursus de droit – du moins pas jusqu’au diplôme car il a pu fréquenter l’université de Caen –, une connaissance certaine de la rhétorique des juristes transparaît dans ses textes :
Et toutesfois pour l’onneur de justice
L’ay composé, posé que soye nice
D’entreprendre œuvre de si hault pris23.
Reste que Gringore a troqué le titre de maître contre celui, bien différent, de Mère Sotte. Il s’est fait le porteur d’une autre éloquence régulatrice des désordres de la société : non celle des orateurs du barreau24, mais celle des joueurs de théâtre, parés du masque paradoxal de la folie.
Une autre caractéristique pointe dans les vers de Marot précédemment cités, où l’orateur est assimilé au serviteur privilégié d’une maison princière. Depuis le milieu du xve siècle s’est développé l’usage, semble-t-il spécifique au français, de donner ce nom aux écrivains officiels d’une cour. Dans la 330principauté de Bourgogne d’abord25, puis dans de nombreuses régions francophones, les orateurs curiaux ont eu pour mission de chroniquer l’histoire des princes dont ils étaient secrétaires ou conseillers, d’organiser les manifestations spectaculaires de leur puissance, de commenter ou de polémiquer sur les événements marquants de l’actualité. Historiographe, performeur, influenceur : tels sont les rôles que subsume le terme quand en 1495, André de La Vigne se dit « orateur du roi Charles viii » ou qu’en 1517 Jean Bouchet évoque « maistre Jehan le Maire indiciaire et orateur moderne » des cours Habsbourg puis Valois26.
En apparence, la carrière de Pierre Gringore semble répondre à ces attentes. Professionnel reconnu des scènes parisiennes, il a été impliqué dans l’organisation des entrées de plusieurs reines, dont il a rédigé les livrets commémoratifs. Vraisemblablement à la recherche d’un patronage princier – ce que pourrait suggérer son autoportrait en « aprentiz des […] orateurs » adressé à la reine de France en 151427 –, il a été engagé en avril 1518 à la cour barroise. Il a dès lors signé la plupart de ses œuvres « Pierre Gringoire dit Vauldemont, herault d’armes de hault et puissant seigneur monsieur le duc de Lorraine28 ». L’acte officiel de sa nomination semble justifier l’octroi de gages à l’écrivain par son éloquence de moraliste, son autorité de « compositeur » de textes et son talent récréatif de comédien :
Retenue de huissier d’armes en l’ostel Monseigneur le Duc pour Pierre Gringoire qui est expert et compositeur de livres, moralitez, dictiers notables en ryme, dont il a donné recreation et passe temps a mondit seigneur le Duc29.
331En devenant Vaudémont, Gringore n’a donc pas complètement abandonné l’habit de Mère Sotte30. Mais si la mission de porte-parole princier qu’assume le héraut ou l’huissier d’armes auprès de son employeur s’est avérée compatible avec les activités du joueur de théâtre, ces statuts successifs semblent avoir éloigné Gringore de la position d’orateur. En effet, la production historiographique des hérauts, fréquente depuis le xve siècle, n’a pas la légitimité des chroniques officielles31. Les divertissements du farceur de cour, quoiqu’appréciés et bien rémunérés, sont en général distingués de l’organisation de festivités politiques32. Nous faisons donc l’hypothèse que Gringore n’a pu – ou pas voulu – assumer le prestigieux statut d’homme de podium qu’avait alors l’orateur parce qu’il était avant toute chose, aux yeux de ses contemporains, un homme de scène.
Être « historien et facteur » :
La Vie monseigneur sainct Loÿs par personnaiges
La culture littéraire dominante qu’a été l’âge des orateurs s’avère travaillée par la présence de formes d’auctorialité et de stratégies de communication alternatives entre écrivains et publics. Signant ses publications en tant qu’« acteur et compositeur », Pierre Gringore a aussi été qualifié d’« historien et facteur » dans les textes documentant 332sa carrière d’homme de théâtre33. Cette partie de l’enquête se propose donc de relire l’activité dramatique de Gringore au croisement des lignes de fuite dessinées par la position de « l’orateur moderne ». Écrire pour la scène, est-ce s’affirmer comme un maître du discours politique et un historien du temps présent au même titre que ce que suggère le titre d’orateur au début du xvie siècle ? Se mettre au service de communautés urbaines, est-ce devenir leur porte-parole, comme le font les orateurs gagés des rois et des princes ?
La Vie monseigneur sainct Loÿs par personnaiges a été choisie pour terrain d’enquête car elle occupe une place particulière au sein de l’abondante œuvre gringorienne34. L’unique manuscrit conservé de l’œuvre suggère dès l’incipit sa nature de commande :
Cy commance La Vie monseigneur sainct Loÿs, roy de France, par personnaiges, composee par Pierre Gringoire, à la requeste des maistres et gouverneurs de ladicte confrarie dudit sainct Loÿs, fondee en leur chappelle de sainct Blaise à Paris35.
Si l’on ignore la date exacte de composition de la Vie, la mention révèle Gringore dans une position auctoriale apparemment à mi-chemin (in dimidio rerum) entre l’entreprise indépendante du Jeu du Prince des sots, un spectacle d’actualité que sa compagnie semble avoir présenté de son propre chef aux Halles de Paris le 23 février 1512, et la participation de l’artiste aux entrées des reines Anne de Bretagne (1504), Marie d’Angleterre (1514) et Claude de France (1517). Dès lors, La Vie monseigneur sainct Loÿs doit-elle 333être considérée comme un spectacle public, permettant à Gringore de se positionner comme un historiographe politique, ou comme une œuvre de dévotion privée, fabriquée par un artiste à l’intention d’une confrérie ?
Gringore, historien ?
De la compilation de sources au spectacle politique
Les 7000 octosyllabes de la pièce, divisés en neuf « livres36 », font de la Vie l’œuvre théâtrale la plus monumentale conçue par Gringore. Ils déroulent les épisodes marquants de l’existence d’un saint roi, ancêtre du prince régnant Louis xii. En composant le personnage éponyme, Gringore semble donc faire œuvre hagiographique et politique37.
La Vie monseigneur sainct Loÿs est l’un des exemples les plus remarquables de mystère historique, à l’instar de deux autres pièces du xve siècle inspirées elles aussi de l’histoire de France plus ou moins récente, le Jeu saint Loÿs anonyme et le Mystère du siège d’Orléans38. Toutefois la comparaison des trois œuvres met en valeur d’importantes disparités : en termes de taille d’abord, la pièce de Gringore étant de loin la plus courte ; et en termes de sélection et de traitement des sources. La Vie tire l’essentiel de sa construction d’une reprise précise des Grandes Chroniques de France. Ce choix, qui a conduit Gringore à effacer la présence d’actants surnaturels tels que Dieu, les anges ou les diables, fait de la prose des historiographes officiels du royaume la source directe des vers dramatiques, qui en apparaissent parfois comme le calque. De plus, la mise en écrit de l’histoire du roi par des témoins de ses actions est représentée dans plusieurs scènes :
Le frere
Je ne m’en doy taire,
mais le croniquer en ystoire
affin que a jamais soit memoire
de ce cas icy advenu39.
334Est donc mis en abyme, dans la dynamique du spectacle, le processus de rédaction de la pièce : les spectateurs voient des personnages « croniquer » les discours et les gestes de Louis tout en écoutant celui-ci et son entourage échanger des répliques qui ne sont autres que des mises en voix des Chroniques de France. Si Gringore n’a pas prétendu au statut d’historien officiel assumé par les orateurs princiers, son activité théâtrale l’a conduit à mettre en pratique d’autres savoir-faire impliqués par le verbe « historier » en moyen français : compiler des sources historiographiques ; concevoir une intrigue ; élaborer un spectacle à sujet historique, doté d’une forte dimension exemplaire et spéculaire pour ses publics40.
Pièce jouant de l’autorité de sources savantes qu’elle rend accessibles à une assistance moins lettrée, la Vie est aussi porteuse d’un discours politique. Louis ix incarne en scène un prince idéal, qui dit « tout faire par raison » : il s’agit d’un écho visible à la devise de l’auteur Gringore41. Le roi est présenté comme un souverain dont les actions sont décidées en accord avec des personnages allégorisant les trois états, Chevalerie, Église et le Populaire, qui figure en particulier le peuple parisien. À leurs côtés apparaît Bon Conseil, que Louis déclare son « principal gouverneur42 ». Cette mise en scène, où l’on détecte l’éloge convenu d’un pouvoir royal limité et arbitral, permet cependant de souligner une relation privilégiée, que Nicole Hochner a qualifiée de « dépendance et de complicité mutuelle43 », entre Louis, Bon Conseil et le Populaire. Le roi se déclare inséparable de Conseil, incarnation de l’esprit de justice 335et des vertus du bon gouvernant : « sans vous, Bon Conseil, rien ne faiz44 ». Le Populaire lui accorde également toute sa confiance : « Bon Conseil fait regner justice45 ».
Il est visible que le comportement politique attribué au saint roi ne diffère guère de celui du Prince des Sots mis en scène dans la sottie de 151246. Certes, le contexte de réception des deux pièces a été différent. Alors que la représentation du Jeu en temps de carnaval laisse supposer une audience assez large et hétérogène, nous ignorons si la Vie a été effectivement représentée devant la confrérie, puisqu’en 1501 un règlement de la prévôté de Paris « a suspendu et suspend les confrairies et assemblees des maçons et charpentiers47 ». Il est difficile, dans l’état actuel des recherches, de résoudre cette question ; mais on peut avancer que, d’un spectacle à l’autre, Gringore n’a pas modifié sa vision des équilibres entre gouvernement royal et pouvoir populaire. Le Jeu les dépeint dans un cadre polémique alors que la Vie les montre dans celui, utopique, d’une entente parfaite entre le prince juste et ses sujets. Mais dans les deux cas, les personnifications du peuple sont montrées comme les soutiens les plus actifs de la politique royale :
Bon Conseil
Tres noble et redoubte seigneur,
se par moy vous vous gouvernez,
hardiment asseur vous tenez
que sur tous aurez seigneurie.
Vous avez la chevallerie
du peuple, qui vous aydera48.
La « chevallerie du peuple », c’est ici le peuple « armé, embastonné49 », tout prêt à combattre les ennemis de la dynastie capétienne, à condition que celle-ci gouverne sagement et en accord avec le droit ; un peuple participant activement aux affaires du royaume et à l’image duquel les confrères charpentiers et maçons pouvaient sans doute s’identifier.
336Gringore « facteur et compositeur » :
la fabrique spectaculaire d’une mémoire communautaire
Le Théatre des antiquitez de Paris publiée par Jacques Du Breuil au début du xviie siècle offre une description assez précise de la confrérie qui a commandé le chef-d’œuvre dramatique de Gringore. Y sont détaillés son principal lieu de réunion et les modalités de la dévotion à saint Louis :
Le lieu d’icelle chapelle […] servoit anciennement aux Religieux de Sainct Julian le Pauvre […] : mais, en estant hors, les massons et charpentiers de la ville de Paris, en l’an 1476, y establirent leur Confrairie qui est de sainct Blaise, Evesque et Martyr, et de sainct Louys, Roy de France. […] En faveur de quoy Charles de Bourbon […], par ses lettres de l’an 1477, du 28 jour de janvier, donna à toutes personnes vrayement penitenz et confez qui les jours de festes de sainct Blaise, de sainct Louys, de Noël et de Pasques, visiteroient ladite Chapelle, y feroient devotes prieres et aumoneroient de leurs biens, pour chacune feste cent jours de vraye indulgence des penitences à eulx enjointes. […] Ladicte Chapelle n’a aucune fondation, et n’est entretenuë que par les massons et charpentiers de ceste ville de Paris, qui y font chanter une grande Messe, avec le son des orgues, tous les Dimanches et bonnes festes de l’annee, par des Religieux des Carmes. Le mur d’icelle chapelle est tout couvert d’histoires peintes à destrampe, ou entre autres sont representez les faicts et gestes de sainct Louys Roy de France50.
Illustrées dès le xive siècle par le cycle parisien des Miracles de Nostre Dame par personnages51, les commandes de spectacles dévotionnels ont été une pratique usuelle des confréries de métier dans les villes d’expression française, toujours florissante au xvie siècle. Ces jeux, performés ou simplement lus pendant les assemblées des confrères à des dates festives 337– par exemple à la Saint-Louis, le 25 août – peuvent à double titre être qualifiés de mystères. Ils relèvent aussi bien du mysterium en tant que spectacles sacrés réservés à un cercle privé et du ministerium en tant que service d’intérêt public organisé par et pour une communauté52. Destinés à honorer des saints protecteurs, ces jeux ont été conçus comme des instruments de salut pour les groupes professionnels qui les ont joués et regardés, mais aussi sans doute comme des outils pour favoriser la visibilité sociale de ces groupes. On comprend dès lors pourquoi le monde des confréries a développé des contacts avec les artistes de la scène53.
Les archives documentant les activités de Pierre Gringore en tant que « facteur », c’est-à-dire ici organisateur de performances scéniques, le montrent en collaboration étroite avec des artisans du bâtiment dès le début de sa carrière parisienne. C’est notamment le cas du charpentier Jean Marchand le jeune avec lequel il a conçu plusieurs dispositifs d’entrées princières de 1501 à 151754. Que cela soit par ce biais ou un autre, il est vraisemblable que l’acteur professionnel qu’était Gringore a noué des liens durables avec une confrérie impliquée dans les constructions éphémères du théâtre. Pourtant, ce n’est pas en tant que Mère Sotte que Gringore est nommé dans La Vie monseigneur sainct Loÿs. Il y apparaît plutôt dans la position de « compositeur » d’un jeu ambitieux, d’une durée de représentation d’au moins quatre ans si l’on en croit les renvois à l’année suivante placés à l’issue des livres iv, v et viii :
Chevallerie
Suffise vous pour ceste annee.
Le Herault
Je feray assavoir, à tous
338ceulx de Paris, que le roy vient ;
sa venue atendre convient
juc à ung an. Noble assistence,
à Dieu, prenez en pascience.
L’Eglise
Messeigneurs, soyez tous contens
pour ceste annee. […]
Mais Dieu vueille que l’autre annee,
toute la belle compaignie
y soit et le bien multiplie
à tous ceulx qui sont resjouys
d’entrenir la confrarie
de nostre patron saint Loÿs55.
« Composer », dans ce contexte, semble bien renvoyer aux compétences rhétoriques de l’auteur Gringore, notamment en termes de dispositio des actions dramatiques et d’elocutio des répliques versifiées56. On peut faire l’hypothèse, quoiqu’avec prudence, que le terme pourrait aussi signaler sa capacité à articuler un jeu dramatique au sein d’un dispositif visuel et discursif complexe. La Vie a pu être conçue pour interagir, d’une manière ou d’une autre, avec l’historia, c’est-à-dire la brève vie du saint récitée lors des offices de saint Louis comme avec la fresque donnant à voir les hauts faits du roi sur les murs de la chapelle57.
Il est clair en tout cas que la « composition » de la pièce par Gringore a été pensée pour intégrer la représentation des activités qui distinguent les membres de la confrérie et qui rendent visible leur identité religieuse et professionnelle. C’est ainsi que l’écrivain met en valeur certaines pratiques dévotionnelles des confrères, telles que prier ou faire l’aumône58. Mais surtout il consacre la fin de la Vie à trois miracles posthumes auxquels assiste un groupe de maçons et de charpentiers. On y voit les artisans, en chemin pour Beauvais, assister à la noyade d’un enfant, plus tard 339ressuscité par saint Louis ; le pèlerinage de la famille reconnaissante à Saint-Denis et la rencontre d’un malade qui sera également guéri ; enfin l’accident qui frappe le groupe d’artisans : maçons et charpentiers sont sauvés d’un affaissement de terrain par l’intervention du roi saint, qui les protège sous son « saint habit royal59 ». En tissant le motif traditionnel de la Vierge au manteau avec le geste du roi protecteur envers son peuple60, et surtout en les réinscrivant dans l’expérience professionnelle de son public – ici, un accident du travail –, « l’historien et compositeur » a donné vie un spectacle polysémique. La Vie monseigneur sainct Loÿs est à la fois rituel dévotionnel, théâtre d’histoire et réflexion en acte sur les savoirs artisanaux, ceux des maçons et charpentiers mais aussi ceux de l’auteur de théâtre.
Conclusion
« Orateur, facteur et compositeur » : ces désignations de l’écrivain témoignent d’une nouvelle culture littéraire en gestation depuis le xive siècle et devenue rayonnante au xvie siècle. Les savoirs et les techniques de l’éloquence y tiennent une position centrale, qui ne cessera de se consolider aux siècles suivants. Il semble dès lors logique que les professionnels des métiers de la parole aient pris une importance grandissante dans le champ littéraire de cette époque, contribuant à renouveler les formes de l’auctorialité. La traditionnelle posture du moraliste éloquent, familière aux enseignants et aux prédicateurs, a été enrichie par les cultures spécifiques des juristes, des porte-paroles politiques, des hommes de théâtre. La carrière de Pierre Gringore se 340déroule à l’articulation de ces divers milieux. Pourtant, aux yeux de ses contemporains et aux siens propres, Gringore est apparu comme un « facteur », un « compositeur », un « acteur » (au double sens ancien d’auteur et moderne de joueur de théâtre), mais non comme un « orateur ». La présente contribution a tenté de cerner les modalités et certaines des raisons d’un tel évitement.
Dans L’Orateur sans visage, Florence Dupont a appelé à se défier des assimilations rapides entre deux figures centrales de la culture romaine antique, l’orator et l’histrio. « Couple infernal61 », l’homme du forum et l’homme de la scène avaient certes en commun la maîtrise de la communication dans la cité mais étaient séparés par une position socio-culturelle éminemment différente, marginalisée pour l’un, dotée d’une puissante autorité pour l’autre. Cette distinction n’est nullement transposable aux régions françaises des xive-xvie siècles. La profession théâtrale n’y fait alors l’objet d’aucune des discriminations religieuses, juridiques et culturelles qui s’attacheront à elle au xviie siècle ; le parcours de Pierre Gringore démontre au contraire une indéniable valorisation des acteurs. Toutefois, l’invitation de F. Dupont demeure stimulante. En effet, malgré son apparence d’idéal consensuel pour les écrivains français du début du xvie siècle, « l’orateur moderne » a été une notion aux contours assez précis, non interchangeable avec d’autres désignations d’auteur et moins utilisée par certains écrivains, notamment par ceux qui étaient par ailleurs des professionnels de la scène.
L’exemple de Pierre Gringore permet ainsi de mieux comprendre le modèle oratoire et ses alternatives. L’auteur orateur légitime en général sa prise de parole publique par une formation lettrée et/ou par une mission confiée par un prince ; Gringore a longtemps vécu de son art et du commerce de ses ouvrages, dans une certaine indépendance à l’égard des pouvoirs. L’écrivain officiel s’engage face à l’actualité en tant que voix autorisée d’une cour ; le comédien a multiplié les rôles, empruntant les traits de Mère Sotte, dont la folie joyeuse lui a servi de masque satirique, puis la livrée de Vaudémont, sous laquelle il s’est fait défenseur de l’hétérodoxie catholique. Les orateurs sont en général par statut des historiographes, interprètes de l’histoire passée et présente ; le 341« compositeur » a compilé des chroniques et inventé des fictions afin de façonner la mémoire de communautés locales. L’orateur est un auteur qui organise des spectacles politiques ; Gringore a été un homme de théâtre qui a fait des livres. Autant de manières différentes et complémentaires de faire résonner la parole publique.
Estelle Doudet
Universités de Lausanne
et Grenoble Alpes
Shanshan Lu
Université des langues étrangères
de Pékin
1 V. Hugo, Notre-Dame de Paris, éd. J. Seebacher, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1975, p. 33.
2 E. Doudet, « Villon et les Rhétoriqueurs. Mythologie comparée de l’automne du Moyen Âge », Villon, mythe et poésie, éd. J. Dufournet et M. Faure, Paris, Champion, 2011, p. 219-233.
3 Le Voyage et Oraisons du Mont Calvaire de Romans en Dauphiné est paru chez Gillet Couteau vers 1516, consultable dans la bibliothèque en ligne de l’INHA.
4 Par exemple Venegien [L’Entreprise de Venise], Anvers, Michiel Hillen van Hoochstraten, 1514 ; voir C. J. Brown et S. Speakman Sutch, « Pierre Gringores Entreprise de Venise en de Antwerpse Venegien », Spiegel der Letteren, 49/2, 2007, p. 197-211.
5 Voir entre autres C. J. Brown, Poets, Patrons and Printers. Crisis of Authority in Late Medieval France, Ithaca, Cornell University Press, 1995, p. 79-97 ; Ead., « Pierre Gringore, acteur, auteur, éditeur », Grands Rhétoriqueurs. Cahiers V.-L. Saulnier, 14, 1997, p. 145-163 ; F. Stankiewicz, Pierre Gringore (v. 1475-v. 1538), homme de lettres, de théâtre et de cour. Être auteur au xvie siècle, thèse de l’École nationale des chartes, Paris, 2009.
6 Dans l’une des deux éditions des Folles Entreprises en 1505 apparaissent pour la première fois la signature conclusive en acrostiche et, sur la page de titre, la marque d’auteur suivie par l’annonce de « l’enseigne de Mere Sote » où Gringore tenait sa librairie (Paris, BnF Rés. Ye 1321, consultable sur Gallica, USTC 12604). La marque de Mère Sotte semble avoir été utilisée pour la dernière fois pour les Menus propos en 1521.
7 La marque de Mère Sotte n’est pas réservée aux publications théâtrales ; elle accompagne les œuvres dédiées à la satire des abus du monde, telles que Les Folles Entreprises, Les Fantaisies de Mère Sotte ou Les Menus propos. En revanche, elle n’orne pas les textes polémiques composés notamment contre le pape Jules ii.
8 Voir entre autres F. Cornilliat, Sujet caduc, noble sujet, la poésie de la Renaissance et le choix de ses ‘arguments’, Genève, Droz, 2009.
9 À partir de 1505, les titres ou les privilèges de ses ouvrages font apparaître ce binôme lexical ; par exemple L’Espoir de paix (Paris, 1511) est annoncé fol. 2r comme un « traictié fait a l’honeur du tres / chrestien Loys douziesme de ce nom roy de / France redigé et composé par Pierre / Gringore » et terminé fol. 11v par le privilège à « Pierre Gringore acteur et compositeur d’icelluy » (Paris, BnF, Rés. Ye 1324, consultable sur Gallica, USTC 26186).
10 P. Gringore, Les Entrées royales à Paris, éd. C. J. Brown, Genève, Droz, 2005, p. 127.
11 G. Chastelain, J. Robertet, J. de Montferrant, Les Douze dames de rhétorique (1463), éd. D. Cowling, Genève, Droz, 2002, p. 121-122.
12 F. Pétrarque, Lettres de la vieillesse viii-xi, éd. E. Nota, trad. C. Laurens, Paris, Les Belles Lettres, 2004, IX, 1, p. 132-133, § 36. Il ajoute : « nullus doctus in Gallia ».
13 C. Revest, « La naissance de l’humanisme comme mouvement au tournant du xve siècle », Annales, Histoire, Sciences Sociales, 3, 2013, p. 665-696.
14 Réponse de P. Col à C. de Pizan dans Le Débat sur le Roman de la rose, éd. É. Hicks, Paris, Champion, 1977, p. 89 ; E. Doudet, « Christine de Pizan et l’orateur au féminin au xve siècle », L’Auctorialité au féminin dans les fictions courtoises, des trobairitz à Christine de Pizan, éd. N. Koble, A. Arato & R. Décloître, Fabula Colloques en ligne 2019, https://www.fabula.org/colloques/document6265.php, consulté le 30/11/2020.
15 L’Instructif de la seconde rhétorique, éd. E. Buron, O. Halévy, J.-C. Mühlethaler, dans La Muse et le Compas, poétiques à l’aube de l’âge moderne, dir. J.-C. Monferran, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 119, v. 1483-1485.
16 J. Lemaire de Belges, La Concorde des deux langages, éd. J. Frappier, Genève-Paris, Droz, 1947, p. 44 et 4. L’idéal de l’orateur a joué un rôle non négligeable, quoiqu’encore peu étudié par la critique, dans le développement des premières histoires littéraires françaises, en soutenant des réflexions sur le passage de « l’antiquité » des auteurs du xiiie siècle à la « modernité » de ceux du xvie siècle.
17 J. Marot, Commencement d’une epistre de Jehan Marot à la Royne Claude, Les Deux Recueils, éd. G. Defaux et T. Mantovani, Genève, Droz, 1999, p. 35.
18 Voir introduction du dossier, p. 296-297.
19 Définition classique en moyen français, par exemple chez Laurent de Premierfait au début du xve siècle : « Rethorique est habondant science de bien parler, neccessaire en civiles questions touchans les choses et les persones affin de faire choses justes et bonnes. L’en appelle orateur ung home bon qui saigement scet dire les choses selon les regles de science rethorique. La bonté de l’omme orateur est comprise en quatre choses, c’est assavoir en bon engin naturel, en sciences, en vie et en meurs. Quiconques a plainement en soy ces quatre choses, il est home de eloquence. » Le Livre de la vraye amistié, traduction du De Amicitia de Cicéron, éd. O. Delsaux, Paris, Champion, 2016, p. 271.
20 La deuxième édition de L’Espoir de paix (Lyon, Noël Abraham, 1511, Paris, BnF Rés. Ye 1202, USTC 67137) présente l’une des rares occurrences du syntagme « compillé par Maistre Pierre Gringore » (L’Espoir de paix, Œuvres polémiques, éd. C. J. Brown, Genève, Droz, 2003, p. 188). On ignore si elle a été contrôlée par l’auteur.
21 Pierre Gringore, Oeuvres moralisatrices I (1499-1510), éd. C. J. Brown, Genève, Droz, 2020, p. 556.
22 Op. cit. p. 556.
23 Op. cit. p. 557, M. Bouhaïk-Gironès, « Pierre Gringore, fils de juriste et homme de théâtre : famille et transmission des savoir-faire dans les métiers de la parole (France du Nord, xve-xvie siècle) », Famille, savoirs et reproduction sociale dans l’Ancien Régime. Autour de la transmission des biens, des savoirs et des pouvoirs (Europe, Nouveau Monde, xiie–xixe s.), éd. A. Bellavitis et I. Chabot, Rome, École française de Rome, 2011, p. 307–322.
24 L’équivalence « orateur : advocat », posée en 1380 par le lexique Aalma (Paris, BnF, lat. 13032), demeure inchangée chez Louis Le Caron deux siècles plus tard (L’Orateur, Paris, L’Huillier & Métayer, 1598, p. Aiv).
25 Le premier écrivain officiel à porter le titre d’orateur est George Chastelain à partir de 1455 ; Estelle Doudet, Poétique de George Chastelain (1415-1475), Paris, Champion, 2005, p. 47-94.
26 A. de La Vigne, Le Voyage de Naples, éd. Anna Slerca, Milan, Vita e pensiero, 1981, p. 153 ; J. Bouchet, Le Chapelet des Princes, éd. J. Britnell, « Couronne de l’art poétique, couronne mortuaire : Le Chapelet des princes de Jean Bouchet », Lingua, cultura e testo. Miscellanea in onore di Sergio Cigada, éd. E. Galazzi et G. Bernardelli, Milan, Vita e pensiero, 2003, t. II, p. 136.
27 Il est possible qu’en 1514 la troupe de Gringore a pu être fragilisée par le décès de certains comédiens qui lui étaient liés, comme Caillette, engageant l’écrivain à chercher d’autres opportunités auprès des cours princières. Le départ pour la cour de Lorraine, en compagnie du comédien Jean de Pontalais, semble avoir eu lieu à l’hiver 1517-1518. J. Koopmans (éd.), Le Recueil de Florence, 53 farces imprimées à Paris vers 1515, Orléans, Paradigme, 2011, p. 21-23.
28 Notables Enseignements, adages et proverbes, Paris, Galiot du Pré, 1528 (Paris, BnF, Rés. Ye 1328, consultable sur Gallica).
29 H. Lepage, Pierre Gringore, extrait d’études sur le théâtre en Lorraine, Mémoires de la Société des arts, lettres et sciences de Nancy, Nancy, Grimblot, 1849, p. 21-22.
30 Les archives comptables lorraines mentionnent Gringore tantôt comme Vaudémont tantôt comme Mère Sotte de 1518 au début des années 1530 ; Lepage, Pierre Gringore, p. 23-27.
31 Comme le montre l’œuvre de Nicaise Ladam, héraut puis roi d’armes des Pays-Bas Habsbourg de 1488 aux années 1540, le héraut est autorisé par sa fonction à être un rédacteur de textes d’actualité, un compilateur de textes historiographiques à la gloire des dynasties qu’il sert et un rédacteur de mémoires personnelles ; il n’est pas habilité à recevoir le titre d’indiciaire (chroniqueur officiel) de la principauté de Bourgogne.
32 Certaines cours ont créé des positions distinctes pour les orateurs-chroniqueurs et pour les comédiens princiers, les premiers organisant les manifestations politiques, les seconds y participant tout en animant la vie festive de la cour ; voir, au xve siècle, les rôles différents donnés en Bourgogne au farceur Michault Taillevent et à l’orateur George Chastelain, E. Doudet, « Mettre en jeu, mettre en écrit : les Rhétoriqueurs bourguignons face aux textes de théâtre », L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. van Hemelryck et C. van Hoorebeeck, Turnhout, Brepols, 2006 p. 99-110 ; Ead., « Charles vii et l’âge des orateurs : l’éloquence française entre modélisations et débats », Le Pouvoir des lettres au temps de Charles vii, éd. F. Bouchet, Paris, Champion, sous presse.
33 [Entrée de Marie d’Angleterre en 1514 :] « A Jehan Marchand, charpentier et Pierre Gregoire, historien et facteur […] la somme de cent quinze livres parisis […] pour avoir […] fait faire les echafaux, composé les mysteres, habits des personnages, loué tapisseries et salarié les chantres, menestriers et autres personnes pour servir aux mysteres qu’il a convenu faire à l’entree de la Reine… », Comptes et ordinaires de la prévôté de Paris cités par H. Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, Paris, 1720, t. 3, p. 593-594. Il est également qualifié de « facteur et inventif » en 1504 (Bouhaïk-Gironès, p. 318).
34 L’œuvre théâtrale conservée de Gringore rassemble les quatre parties du Jeu du Prince des sots (1512), La Sottie des chroniqueurs (1515), La Vie monseigneur sainct Loÿs (1498-1508 ?) et les livrets d’entrées pour les reines Marie d’Angleterre et Claude de France. Koopmans (Recueil, p. 20-23) a fait l’hypothèse que certaines des 53 pièces imprimées dans le recueil de Florence pourraient également être des productions de sa compagnie.
35 Les extraits cités sont issus S. Lu, Édition critique de La Vie monseigneur sainct Loÿs par personnaiges de Pierre Gringore, thèse de doctorat, Université Grenoble Alpes & Paris III Sorbonne-Nouvelle, 2020. Sont aussi donnés entre parenthèses les numéros de page de l’ancienne édition (Œuvres complètes de Gringore, op. cit., t. II, éd. A. de Montaiglon et J. de Rothschild).
36 Dans le manuscrit de Paris, BnF, fr. 17511, chaque « livre » est introduit par un titre qui précise son numéro et par un bref passage en décasyllabes.
37 Dès 1460, L’Instructif de la seconde rhétorique a associé les « histoires » et les « mystères » aux chroniques (op. cit., p. 134).
38 D. Smith (éd.), Édition critique du Jeu saint Loÿs, manuscrit B.N. fr. 24331 (xve siècle), thèse de doctorat, Université Paris III Sorbonne Nouvelle, 1987 ; Le Mystère du siège d’Orléans (mi-xve siècle), éd. G. Gros, Paris, Librairie Générale Française, « Lettres gothiques », 2002.
39 v. 367-370 (Œuvres, p. 19) ; voir aussi Le Secretain (c’est-à-dire sacristain) de Saint-Denis : « […] De cecy ferons escripture / pour memoire perpetuelle. » v. 6915-6916 (p. 318).
40 D. Quéruel, « Histoire et personnage : quand la rue devient théâtre à la fin du Moyen Âge », Les Arts du spectacle dans la ville (1404-1721), éd. C. Le Brun-Gouanvic et M.-F. Wagner, Paris, Garnier, 2001, p. 37-60. Pour un exemple, voir les ‘histoires’ exemplaires de la procession de Lille, E. Doudet et K. Lavéant, « Les histoires romaines, un théâtre exemplaire », Elseneur, 31, 2017, p. 59-74.
41 « Je vueil tout faire par raison, / moyennant la divine grace », v. 95-96 (Œuvres, t. II, p. 7).
42 v. 564-565 (Œuvres, p. 29).
43 N. Hochner, « Pierre Gringore : une satire à la solde du pouvoir ? », Fifteenth-Century Studies, 26, 2001, p. 102–120, ici p. 111. Pour d’autres études, voir J.-C. Aubailly, « L’image du prince dans le théâtre de Gringore », Le Pouvoir monarchique et ses supports idéologiques aux xvie–xviie siècles, éd. J. Dufournet, A. Fiorato et A. Redondo, Paris, Publications de la Sorbonne Nouvelle, 1990, p. 175-183 ; et M. Jennequin-Leroy, Le poète et ses princes : les fondements d’une autocritique dans le discours des Grands Rhétoriqueurs (Jean Molinet, Pierre Gringore et Octovien de Saint-Gelais), thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, 2010, p. 217-258.
44 v. 640 (Œuvres, p. 32).
45 v. 1181 (Œuvres, p. 55).
46 Pour une édition de l’ensemble du jeu, P. Gringore, Le Jeu du Prince des Sotz et de Mere Sotte, éd. A. Hindley, Paris, Champion, 2000.
47 Archives nationales, Livre Gris, Y 63, fol. 4.
48 v. 566-571 (Œuvres, tp. 29).
49 v. 578 (ibid.).
50 J. Dubreuil, Le Théatre des antiquitez de Paris, Paris, Chez Claude de la Tour, 1612, p. 588-589. Voir également l’arrêt du Parlement suspendant les assemblées des confréries des maçons et charpentiers, 13 juillet 1501, Archives nationales, Livre Gris, Y 63, fol. 4 ; et la « réinstallation de la confrérie Saint-Blaise-Saint-Louis, rue Galande, abolie du temps de François ier », 25 août 1548, Archives nationales, MC/ET/C/29. Le premier texte a été édité par R. de Lespinasse dans Les Métiers et corporations de la ville de Paris, le second n’a connu aucune édition ni étude jusqu’à présent.
51 Il s’agit d’une quarantaine de textes dramatiques honorant la Vierge Marie commandés par la confrérie Saint-Éloi de la guilde des orfèvres de Paris entre 1339 et 1382 (Les Miracles de Nostre Dame par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, Paris, Firmin Didot, 1876-1893 ; traduction en cours par G. Bezançon et P. Kunstmann, Paris, Classiques Garnier, t. I, 2017 ; t. II, 2019). Pour d’autres spectacles de confréries, voir É. Lalou, Le Mystere de saint Crepin et saint Crepinien : étude et édition critique, thèse de doctorat, Université Paris IV Sorbonne, 1986 ; C. S. Petryszcze, Le Mistere de la Saincte Hostie. Introduction, édition du texte et notes, mémoire de master, Rennes II, 2014, consultable sur le site de l’université.
52 Articles « mystere », Dictionnaire du moyen français et Französisches Etymologisches Wörterbuch, consultables sur le site de l’ATILF.
53 Nous mettons à part les confréries exclusivement dédiées à l’activité théâtrale comme la confrérie de la Passion à Paris ; voir G. A. Runnalls, « La confrérie de la Passion et les mystères. Recueil de documents relatifs à l’histoire de la confrérie de la Passion depuis la fin du xive jusqu’au milieu du xvie siècle », Romania, t. 122, no 485-486, 2004, p. 135-201.
54 [1501] « Jehan Marchand, charpentier de la Grande Coignée et Pierre Gringoire, compositeur, pour avoir fait et composé le mystere fait au Chastelet à l’entree de M. l’archiduc [Philippe d’Autriche] ». [1517] « Me Pierre Gregoire, compositeur et historien, et Jehan Marchand, Maistre juré charpentier, cent livres parisis, pour par eux avoir fait faire le mystere qui a esté fait devant le Chastelet le jour que la reine a fait son entree en cette ville de Paris… », Sauval, Histoire, p. 534 et 596-597.
55 v. 3086 (Œuvres, p. 141) ; v. 3903-3907 (p. 179) ; v. 6287-6300 (p. 289), nous soulignons.
56 Nous rejoignons ici la lecture proposée, avec des précautions que nous partageons, par M. Bouhaïk-Gironès, art. cité, p. 319.
57 Voir M. C. Gaposchkin, The Making of Saint Louis, Ithaca et London, Cornell University Presss, 2008, p. 161-165, 250-283.
58 Les scènes d’aumône sont nombreuses dans le livre I ; dans l’ensemble de la Vie, les prières sont mises en valeur par des changements métriques brisant le rythme des octosyllabes, par exemple par des rondeaux triolets. Voir S. Lu, « Faire de l’histoire au théâtre au xvie siècle : les triolets dans La Vie monseigneur sainct Loÿs par personnaiges de Pierre Gringore », Questes, 36, 2017, p. 109-128, consultable en ligne.
59 Le Charpentier : « Mes bons amys, penser devez / que sainct Loÿs si soustenoit / la terre qui sur nous estoit, / et soubz son sainct habit royal / nous gardoit d’avoir auchun mal ; / nous l’avons veu visiblement. » v. 6933-6938 (Œuvres, p. 320).
60 S. Barnay, « Une apparition pour protéger, le manteau de la Vierge au xiiie siècle », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 8, 2001, p. 13-22 et D. Donadieu-Rigaut, « Les ordres religieux et le manteau de Marie », ibid., p. 107-134. Le thème de la protection du roi envers son peuple est l’un des fils rouges de la Vie : « Il [le roi] te garde, le Populaire, / que ne soys robé ni pillé », v. 4724-4725 (Œuvres, p. 216) ; « Le roy le veult et luy commande, / car il veult que son peuple en paix/ soit entretenu desormais, / sans le pillier ne molester », v. 4734-4737 (ibid.).
61 F. Dupont, L’Orateur sans visage, essai sur l’acteur romain et son masque, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 13.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11263-1
- EAN : 9782406112631
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11263-1.p.0323
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/01/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Gringore, rhétorique, théâtre français, auctorialité