L’Espitre as femes, un texte inédit du manuscrit BnF, fr. 25545
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
2020 – 2, n° 40. varia - Auteur : Maulu (Marco)
- Pages : 409 à 426
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
L’Espitre as femes, un texte inédit
du manuscrit BnF, fr. 25545
Le manuscrit BnF, fr. 25545
Il s’agira, dans la présente étude, d’analyser une composition inédite en alexandrins intitulée l’Espitre as femes, transmise par le manuscrit de Paris, BnF, fr. 25545 (olim Notre Dame 274 bis), un recueil en parchemin de 167 fol. – un fol. a été numéroté 87bis – daté du premier quart du xive siècle, une datation qui peut coïncider avec la transcription de notre poème1. La mise en page est en double colonne de 38-39 lignes jusqu’au fol. 21 et de 36 lignes par la suite, sans miniatures, à l’exception d’un animal ressemblant à un éléphant portant un écusson, dessiné au crayon dans la marge inférieure du fol. 160r. Les lettrines sont en rouge, ainsi que les nombreuses rubriques. Chaque feuillet mesure 217x145 mm. La justification, tracée à la mine de plomb, est assez irrégulière, compte tenu des perturbations dans l’ordre des cahiers (22 au total, dont 18 quaternions, 1 sénion, deux binions et un quinion initial formé par plusieurs folios collés). Les feuillets n. 136, 137, 139, 140 sont mutilés et l’ordre des fascicules a été modifié, comme l’attestent les deux tables des matières manifestement plus tardives que le reste du codex, contenant respectivement 33 et 37 textes, alors que le manuscrit en transmet actuellement 452. La numérotation en chiffres romains et 410arabes est multiple et on observe plusieurs mains de différents copistes. La reliure, moderne, est en maroquin noir.
L’hypothèse d’une provenance tournaisienne de ce manuscrit, plus précisément dans un contexte flamand et bourgeois, a été évoquée principalement sur la base de la présence de trois textes renvoyant à ce milieu, intitulés Les Foires de Champainne et de Brie, Li Roiaume et les terres desquex les marchandises viennent a Bruges et Des poissons que on prant en la mer3.
D’après l’analyse de Långfors des derniers vers du Dit des quatre rois, transmis par ce manuscrit, le recueil daterait de 1316 environ, une 411conclusion qui me paraît plausible. Voyons les vers en question et le commentaire de Långfors :
Ci faut li dis des quatre rois
Que je vos ai dit demanois :
Phelippe, Looys et Jouhan
Et de Phelippe qui en cest an
Reçut la coronne de France,
Dont mont de gent orent pesance,
En l’an mil seze et trois cens,
Entre Noël et saint Vincent.
Le premier « Phelippe » est Philippe le Bel. « Looys » est Louis X le Hutin, qui mourut le 5 juin 1316, laissant sa seconde femme, Clémence de Hongrie, enceinte d’un fils, Jean, dit Jean Ier, qui, né en septembre, ne vécut que cinq jours. Le frère de Louis X, Philippe le Long, se fit couronner à Reims, « entre Noël et saint Vincent » (24 mai), plus exactement le 9 janvier 1317 (n. st.), « dont mont de gent orent pesance » : le couronnement fut en effet marqué par des incidents. C’est à cette date qu’une grande partie du manuscrit 25545 a été exécutée. Ce qui n’a pas été écrit par le même copiste ne peut guère être que très peu antérieur à 13174.
Voyons par la suite le contenu du recueil :
1. De Salemon et de Marcol son compaingnon (fol. 1ra-2ra) ;
2. L’evangile as fames (2rb-3vb) ;
3. L’espitre as femes (3ra) ;
4. Certes se je voloie les propretez dire (3ra) ;
5. Table des matières du volume (3rb-3va) ;
6. Des fames, des dez et de taverne (4ra-4rb) ;
7. D’une dame de Flandres c’uns chevalers tolli a.j. autre par force (4va-4vb) ;
8. D’une damoisele qui onques por nelui ne se volt marier (4vb-5vb) ;
9. Des proverbes Seneke le philosophe (6ra-8vb) ;
10. Proverbes rurauz et vulgauz (9ra-12vb) ;
11. La pater nostre [Le Paternostre farsie] (14ra-14rb) ;
41212. De credo in Deum (14rb) ;
13. Rutebeuf, La vie dou monde, version longue (14va-15va) ;
14. Huon le Roi de Cambrai, La descrissions et la plaisance des relegions (15va-17ra) ;
15. Dou pape, dou roy et des monnoies (17rb-17va) ;
16. Les foires de Champainne et de Brie (17va-18rb) ;
17. Li roiaume et les terres desquex les marchandises viennent a Bruges (18va-19ra) ;
18. Des poissons que on prant en la mer (19rb) ;
19. Gerbert, De Groingnet et de Petit (19va-20ra) ;
20. Des mesdisens (20ra-21va) ;
21. La confession Renart et son pelerinage (21va-24vb) ;
22. De Karesme le felon et de Charnage le baron (24vb-28vb) ;
23. Marie de France, Ysopet (28vb-45vb) ;
24. Li rommans des. vij. sages (46ra-69vb) ;
25. De la dame qui se plaint de son baron pour sa coille noire (69vb-70vb) ;
26. De la dame qui aveinne demandoit pour Morel sa provande avoir (70vb-73ra) ;
27. [Marguet convertie] (73rb-75ra) ;
28. De l’escuier qui vouloit espouser douze femmes [Du vallet aus douze fames] (75ra-76ra) ;
29. D’une seule fame qui a son cors servoit cent chevaliers de tous poins (76rb-77va) ;
30. Du chevalier qui fist les cons parler (77va-82vb) ;
31. De la chastelainne de Vergi (84ra-89va) ;
32. Richard de Fournival, Li bestiaires d’amors en françois, en vers (89va-92rb) ;
33. Texte religieux en latin (xve siècle) (92rb) ;
34. La vie sainte Thaïs d’Egipte, extrait du Poème moral (95ra-95vb) ;
35. [La vie de saint Georges, en prose française et acéphale] (96ra-96va) ;
36. [La vie saint Patrice] (97ra-104rb) ;
37. [Les quinze signes du Jugement dernier] (104rb-106va) ;
38. Baudouin de Condé, Li troi mort et li troi vif (106vb-108ra) ;
39. Reclus de Molliens, Miserere (108rb-132vb) ;
40. Reclus de Molliens, Carité (132vb-149vb) ;
41. Dit des quatre rois, fragment (150ra-150rb) ;
42. Jean le Rigolé, Le dit de Jehan le Rigolé (150rb-151ra) ;
41343. Lai de l’oiselet (151ra-154ra) ;
44. Se ne vos cuydast enuyer (154va-155ra) ;
45. Jacques d’Amiens, De l’art d’aimer [Art d’amors] (156ra-167va)5.
Visiblement les textes transmis sont à la fois nombreux et disparates : dits, fabliaux, fables, compositions liées à un contexte marchand, mais aussi vies de saints et textes religieux, à côté d’œuvres plus « célèbres », telles que le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival, la Châtelaine de Vergi, un immanquable Roman des sept sages en prose, l’Ysopet de Marie de France, la Confession Renart de Rutebeuf et, à la fin, une version de l’Art d’aimer de Jacques d’Amiens, se rattachant idéalement au filon féminin et misogyne propre au recueil, ont encouragé dans leur ensemble les chercheurs à approfondir la question du canon propre à ce manuscrit. Sur la base de la sélection des textes, on arrive à comprendre que le public destinataire était intéressé par des textes en prose et en vers, possiblement salaces et amusants, sans pour autant négliger l’aspect didactique et moralisant ou religieux inhérent, justement, à plusieurs œuvres, par exemple Salomon et Marcoul où, en outre, ne manquent pas les allusions aux prostituées, ou encore le Bestiaire d’amour, le Livre des sept sages, les vies de saints, les œuvres du Reclus de Molliens, etc. Compte tenu de la nature factice du manuscrit, ce processus de sélection a été fait in progress, ce qui favorise l’impression d’hétérogénéité non seulement matérielle du recueil.
Je n’aborderai pas ici les questions concernant la composition du manuscrit ni l’analyse des rapports qu’entretiennent les textes transmis dans leur ensemble ; je me pencherai plutôt sur la partie initiale du 414codex, où se concentrent des poèmes éminemment misogynes ou liés à la topique féminine. Le filon misogyne, très populaire dans la littérature médiévale en général, est particulièrement développé dans notre recueil, compte tenu non seulement des compositions explicites, sinon triviales, qu’il contient, mais également des analogies que ces dernières entretiennent avec des textes plus construits, comme le Roman des sept sages ou L’art d’aimer, par exemple. En fait, le dialogue interne entre les œuvres qu’il transmet rend ce manuscrit, bien qu’il soit factice, somme toute cohérent, notamment grâce au rôle important occupé par les dits et les fabliaux consacrés aux femmes qui n’ont pas manqué d’attirer l’attention des chercheurs, comme on l’a vu. En ce qui concerne le canon du recueil, il existe une contribution d’Ariane Bottex-Ferragne, avec laquelle je me trouve parfois en désaccord, notamment quand la chercheuse affirme que :
Le recueil Paris, BnF, fr. 25545 appartient à ces exemplaires qui opposent une sérieuse résistance à toute tentative d’élucidation poétique. Ce codex […] renferme un total de quarante-cinq pièces dont huit textes interpolés et plusieurs unica qui ne présentent aucune unité générique, métrique ni même linguistique : fabliaux, dits, romans et vies des saints s’entremêlent, tandis que le vers s’oppose à la prose et que le latin côtoie le français6.
Pour nuancer une telle impression de « résistance », il suffit de considérer les unica présents dans la partie initiale du manuscrit et plus précisément les sept premiers textes, sans négliger les nombreuses autres compositions qui ont les femmes pour sujet. Et même lorsqu’on considère d’autres pièces du recueil, on arrive également à faire ressortir une veine féminine très prononcée qui, bien évidemment, n’est pas la seule possible. D’ailleurs, ne s’agissant pas d’un recueil anthologique, on ne peut espérer non plus une cohérence « totale » qui, d’ailleurs, serait difficile à repérer dans plusieurs manuscrits composites analogues quant à l’époque, les dimensions, la structure et le contenu, transmettant notamment dits et fabliaux. De ce fait, je ne vois pas comme particulièrement problématique le code mixing latin/français ni, encore moins, l’alternance des vers et de la prose7. En revanche, je ne suis pas certain qu’une vue d’ensemble du manuscrit BnF, fr. 41525545 visant à une reductio ad unum soit forcément la plus adaptée à la reconstruction de la genèse et du canon de ce codex. Au contraire, à défaut d’indices solides et concrets, dans ce cas spécifique, ou dans d’autres similaires, le facteur de la variété et de la pluralité de textes cohabitant dans un même recueil doit être reconsidéré dans toute son importance au niveau de la constitution de l’unité représentée par le liber médiéval.
L’Espitre as femes
Le poème qui fait l’objet de cette étude se trouve en tête du manuscrit, inséré parmi une série de textes portant sur les femmes. Il a été composé en six quatrains d’alexandrins monorimes, un mètre usuel dans les compositions de ce genre. Dans les trois premiers quatrains, les vers ont été subdivisés en hémistiches ; par la suite, en se rendant compte que l’espace dans la colonne n’aurait pas suffi et voulant copier au fol. 2rb l’Evangile as fames, il est probable que le scribe ait décidé de transcrire un alexandrin par ligne. Par conséquent, l’écriture est plus resserrée à partir de la quatrième strophe. Dans le premier quatrain de la composition suivante se trouvant dans la col. b du même folio, c’est-à-dire l’Evangile as fames, la situation est presque identique : dans la première strophe un hémistiche par ligne a été copié et, à partir de la deuxième strophe, les vers sont complets. Par contre, la scripta de l’Evangile ne semble pas la même que celle de l’Espitre ; par exemple, on peut considérer rapidement certaines différences graphiques (la première forme enregistrée appartient à l’Evangile) : <an> au lieu de <en> (dans l’Espitre se trouve uniquement androit, contre plusieurs graphies <an> de l’Evangile, dont un, souvant, à la rime8) ; fame(s) pour feme(s), jour pour jor, papillons pour papeillons.
416Les titres d’Espitre et d’Evangile attribués respectivement aux textes susmentionnés étaient assez fréquents dans les compositions courtes consacrées aux femmes9. À ce propos, il y a quelques points d’intérêt qui méritent d’être signalés : la source principale de l’Espitre est le Chastie-Musart (dorénavant CM), un poème anonyme très misogyne de longueur variable datant du xiiie siècle qui eut un certain succès, comme en témoigne sa tradition manuscrite10. Or, dans son édition de la rédaction transmise par le manuscrit Harley 4333 (2e moitié du xiiie siècle), Paul Meyer écrit :
La description du ms. 4333 (Musée Britannique) a été publiée dans le tome I de la Romania, p. 206-209. Lorsque je rédigeai cette notice, je n’avais à ma disposition que les deux premiers vers du petit poème qui sera publié ci-après. Ne m’étant point rappelé que ces deux vers figuraient à une autre place, dans le Chastie-Musart, et induit en erreur par la rubrique, c’est l’evangile de fames, je ne réussis point à identifier cette composition. Depuis, ayant examiné de nouveau le ms., je reconnus sans peine qu’il contenait, sous un titre nouveau, un texte assez court du Chastie-musart, poème publié depuis longtemps11.
Au fol. 113vb, le CM est précédé par la rubrique « C’est l’evangile de fames » : ce titre ne correspond évidemment pas à l’Evangile transmis 417par le manuscrit BnF, fr. 25545 juste après l’Espitre12. Au fol. 114rb, après la conclusion du CM, se trouve la rubrique « C’est l’espitre des fammes » : elle non plus ne correspond pas au poème publié ici. En fait, cette composition, connue sous le titre de Bien des fames, commence par les vers suivants :
[Incipit]
Qui que des fames vous mesdie
Je n’ai talent que mal en die,
C’onques a cortois ne a sage
N’oï de fame dire outrage…
[Explicit]
Quar si comme li sages dist,
N’est pas sages qui en mesdist ;
Que [sic] aus fames honor ne porte,
La seue honor doit estre morte13.
De plus, dans le manuscrit BnF, fr. 1553, fol. 504ra-va (fin du xiiie siècle), se trouve un unicum intitulé Li Epystles des femes qui, à l’exception du titre, ne coïncide pas avec l’Espitre14. Dans le manuscrit de 418Dijon, Bibliothèque municipale 525 (xive siècle), fol. 113r, la Contenance des fames est intitulée l’Epistre des fames15. De cet échange de rubriques et de titres, on déduit finalement que sous la définition assez large d’Epistre ou d’Evangile rentraient des compositions différentes, d’où la confusion apparente qui rend l’identification de ces poèmes parfois ardue. La conclusion est que, probablement, l’Espitre du manuscrit BnF, fr. 25545 a été conçue et intitulée en se fondant sur un titre relativement fréquent dans ce type de compositions plus ou moins courtes, plus ou moins misogynes et écrites en octosyllabes ou en alexandrins. D’ailleurs, le contenu même de ce texte en confirme la nature composite puisqu’il est, comme on le verra par la suite, un véritable centon d’éléments issus de sources antérieures et assemblés également dans un objectif de remplissage. L’Espitre est donc similaire aux textes contre les femmes qui étaient très diffusés aux xiiie et xive siècles : après une strophe initiale, ouvertement misogyne, on relève dans la suivante un changement de ton, d’une façon analogue à la contraposition entre bonnes et mauvaises femmes mise en place par des œuvres telles que Le Blasme des fames ou Le Bien des fames, par exemple16. Conformément à la perception ambiguë de la femme en tant que source de rejet et d’attraction, et suite à un incipit canoniquement injurieux, les femmes sont assimilées à la Vierge dans le deuxième 419quatrain de l’Espitre, tant et si bien qu’arrivé à la moitié du texte on lit : « En l’onnor de la Dame que devons aourer/ devons nous totes femes et servir et amer » (v. 14-15). En revenant au premier quatrain, les femmes sont décrites comme une véritable calamité pour tout homme se soumettant à leur influence ; ensuite, au v. 5 elles sont comparées à l’escarbot qui chasse les papillons. Cette image peu édifiante, qui renferme l’idée de la femme tentatrice chassant les hommes pour les mener à la perdition, est nuancée par la mention de celles « qui ainment lors signors / et servent volentiers, / dïent lor Pater Nostre / et lisent lor sautiers » (v. 7-8). Ainsi, dit le poète, « haute chose a en feme », car Dieu se fit homme en descendant « dedans la sainte Vierge », sans qu’on ait néanmoins l’impression d’une réhabilitation authentique des femes tout court, le modèle de perfection mariale étant inatteignable pour elles, contrairement au bien lourd « héritage » d’Ève. Par la suite, une fois déclaré de manière péremptoire que « li mestres si androit veut finer son affaire : / dou convine des femes ne veut il plus retraire » (v. 16-17), la composition se termine sur une invocation canonique à Dieu pour qu’il octroie le salut de l’âme « a ceax qui la [la Vierge] requierent de bon cuer finement » (v. 22). Cette conclusion, quelque peu hâtive, invite à penser à une composition sans prétention sauf celle, principale, consistant à combler un espace vide d’une façon adaptée au contexte. Cette limitation d’espace entraîne, par ailleurs, l’absence d’un développement conséquent aux prémisses. En outre, comme le note Verhulsdonck à propos de l’Espitre et de l’Evangile des fames, « il est intéressant de voir que l’auteur de ces poèmes, à court d’imagination, n’a pas hésité à les étoffer de quatrains empruntés à une autre pièce misogyne, Le Chastie-Musart17 ». Or, malgré le lien direct établi dans le manuscrit BnF, fr. 25545 entre Espitre et Evangile, les emprunts les plus macroscopiques du premier texte ont été faits justement au Chastie-Musart, en particulier dans les quatrains suivants :
420
L’Espitre as femes |
Chastie-Musart, éd. Eusebi |
Strophe ii Ne sont pas toutes teles, ne il n’est pas mestiers, Ains en i a des bones18 aus cuers loiax entiers Qui ainment lors signors et servent volentiers19, Dïent lor Pater Nostre et lisent lor sautiers. |
Strophe lxxviii Ne sont pas totes teles, ne il n’est pas mestiers, Ainz en i a qui ont cuers loiax et entiers, Et servent lor seignors de gré et volantiers, Et dient lor patrenostres, set seaumes et sautiers. |
Strophe iii Haute chose a en feme, ce vous fais bien entendre, Et se vos non savez, si le devez aprendre. Bien le monstra li Sires : en om daingna descendre Dedans la sainte Vierge et humanité prendre. |
Strophe lxxxii Feme est mout haute chose, ce vos di sanz mespranre, Et se vos nel savez si le devez aprandre ; Bien le vos mostre Diex quant il daigna descendre En la Virge Marie et char i prendre. |
Strophe v Li mestres si androit veut finer son affaire : Dou convine des femes ne veut il plus retraire, Mais je vous pri a tos tes oeuvres puissiens faire C’au Jor dou jugement puissiens a Jhesum plaire. |
Strophe lxxxiv Li maistres velt finer ci endroit son affaire, Du covine des femes ne velt ci plus retraire, Mais tant pri a vos toz tel chose puissiez faire Qu’au jor du jugement a Jhesu puissiez faire. |
En définitive on peut affirmer que, pour façonner son texte, le poète a puisé directement dans un modèle transmettant le CM : suite à une collation avec les variantes notées dans l’apparat critique de l’éd. Eusebi, on constate une certaine proximité avec des variantes sporadiques du manuscrit siglé V, c’est-à-dire Rome, Bibl. Apost. Vaticana, Reg. lat. 1321, qui transmet « un rifacimento in 379 quartine che sviluppa un motivo novellistico a partire dalla LXXXIX quartina20 ». Ne s’agissant que de trois quatrains, il serait cependant difficile d’affirmer à quelle famille de manuscrits du CM l’Espitre serait redevable. L’auteur de ce dernier texte a étoffé les quatrains qu’il aurait pu, peut-être, composer lui-même (les strophes i, iv et vi) avec trois provenant du CM. Il faut également souligner que, malgré la large prédominance de vers misogynes dans cette dernière composition, dans l’Espitre ont été retenues uniquement les strophes finales comparant les femmes pieuses à la Vierge de la sorte que, hormis le quatrain initial, l’auteur élabore 421une sorte de version très abrégée et édulcorée de sa source. Une telle opération permet en outre d’alterner des modèles antithétiques Marie/Ève au niveau de la suite des pièces se trouvant au début du recueil. Finalement, on comprend mieux que l’effet de transition hâtive qu’on a relevé auparavant dans le poème est tributaire non seulement d’un manque d’espace, mais aussi du fait que le quatrain final du CM a été inséré hors contexte dans l’Espitre, de sorte qu’une nouvelle strophe contenant une invocation à la Vierge a été calée afin de clore le poème d’une façon plus appropriée. Cette strophe même évoque cependant le sens du quatrain suivant du CM :
L’Espitre as femes, strophe vi |
CM, strophe lxxix |
Or prïons a la Vierge qui ne faut ne ne ment A ceax qui la requierent de bon cuer finement, Que por nous prie a Dieu qu’au Jor dou jugement Por nous aiens sentence sen nul empeschement. |
Or prion Jesu Crist qui fist et terre et mer Que des mains au deable nos vueille delivrer, Et a ces pecheresses si lor pechez plorer Qu’il puissent de lassus la joie recouvrer. |
La conséquence des opérations effectuées par son auteur est que, dans l’Espitre, l’équilibre et le rythme soutenu propres au modèle principal font défaut. On a dès lors l’impression d’avoir à faire à un centon contenant très peu de matière poétique originale, à partir du titre jusqu’au développement.
Restent à signaler dans le manuscrit BnF, fr. 25545 des éléments communs à l’Espitre et à l’Evangile du point de vue matériel :
1. la subdivision commune aux deux compositions des alexandrins d’abord en un seul hémistiche, puis en un vers entier par ligne ;
2. la différence de couleur de l’encre entre la strophe initiale de l’Evangile et le reste de la composition ;
3. la coloration en rouge des lettrines et de certains groupes de lettres communs seulement à l’Espitre et au premier quatrain de l’Evangile ;
4. la même main du copiste.
Il paraît probable que l’Espitre et la première strophe de l’Evangile aient été copiées à la suite, comme l’indiquent les éléments paléographiques ci-dessus, tandis que le reste de l’Evangile aurait pu être transcrit après une interruption de travail, par exemple. Il faudrait toutefois comprendre si le premier quatrain en hémistiches de l’Evangile – le 422seul dont l’encre s’est bien préservée et le seul pourvu de rubriques et de lettrines rouges identiques à celles de l’Espitre – a été ajouté successivement au reste de l’Evangile, tout comme la rubrique « [C]i commence l’evangile as fames », peut être afin de « compléter » une version acéphale du texte. D’ailleurs, on sait que l’Evangile est un poème riche en variantes, au point qu’à l’exception de Jodogne, les autres éditeurs ont renoncé à en proposer un texte « unique », en préférant donner plusieurs versions séparément. Je considère cette éventualité comme moins probable par rapport à la première : le plus important est que les deux poèmes sont liés l’un à l’autre, malgré la différence considérable concernant la qualité poétique qui tourne, sans aucun doute, à l’avantage de l’Evangile.
Quelques remarques sur la langue du texte, pour finir. L’Espitre nous a été transmise dans une scripta d’oïl, avec quelques faibles traits vocaliques du Nord, notamment picards et wallons, mais diffusés plus largement dans le domaine d’oïl : voir ŏ[ tonique > ou, onnour 7 à côté de onnor 25 ; ō[+ r ourer 2721. On remarquera l’alternance graphique toutes 5, totes 15 et, pour l’oscillation <en> <an>, <em> <am>, la graphie androit 17, mais feme 1 et passim22. On peut également souligner la tendance à privilégier les formes non diphtonguées de ō] tonique : por, tos 15 ; ō[ tonique : lor 7, 8 et passim ; ō[ atone : plorer 16 ; ŏ[ tonique : bon 16 et passim ; ĕ[ atone > i : signors 723. Voir également diurnum > jor 20 et het ‘haït’ 424. Cette tendance à la monophtongaison se trouve également dans ă[ prétonique : mestres 17 et amer 14, à côté de ainment 725. Par contre, ĭ[ prétonique > ei dans papeillon 2. Voir également tales > tes26. Le consonantisme présente 423l’évolution graphématique c + a > <ch> : escharbot, chace 2 pourchace 3. Du point de vue morphologique, le poème compte une entorse à la règle de la déclinaison nominale : li papeillons 2, corrigé ici en le papeillon. En outre, au v. 7 le pronom possessif lors est accordé au nom signors, alors qu’au v. 8 on a lor sautiers. Pour la morphologie verbale, sont à signaler trois occurrences du subjonctif présent de P4 puissiens 19, 20 et aiens 24 : la terminaison en -iens se trouve fréquemment dans les scriptae du Nord et, surtout, de l’Est, mais globalement elle a une diffusion assez vaste27. D’ailleurs, les formes en -iens étaient bien attestées en ancien français : par conséquent, elles ne peuvent pas être considérées ici comme « dialectalismes28 ».
En conclusion, l’Espitre a été copiée dans une koinè d’oïl aux traits composites, tirant vers le Nord, avec des formes verbales de subjonctif présent qui, étant originaires de l’Est, ne s’avèrent pourtant pas suffisamment marquées pour permettre d’avancer l’hypothèse que le copiste provient de cette région. Quant à la langue de l’auteur, l’absence de traits dialectaux à la rime empêche de formuler des hypothèses sur cet aspect.
424Édition
i
|fol. 2ra| Fox es li hon qui gronce29 de riens que feme face,
Ele samble l’escharbot30 que le papeillon chace31
Et s’assiet en la fange, ne li chaut en quel place32 :
425Feme si het s’onnour et sa honte pourchace.
ii
Ne sont pas toutes teles, ne il n’est pas mestiers,
Ains en i a des bones aus cuers loiax entiers
Qui ainment lors signors et servent volentiers,
Dïent lor Pater Nostre et lisent lor sautiers.
iii
Haute chose a en feme, ce vous fais bien entendre,
Et se vos non savez, si le devez aprendre.
Bien le monstra li Sires : en om daingna descendre
Dedans la sainte Vierge et humanité prendre33.
iv
En l’onnor de la Dame que devons aourer,
Devons nous totes femes et servir et amer,
Et por tos pecheors deprïer et ourer ;
Or lor doint bon confort et lor pechiez plorer.
v
Li mestres34 si androit veut finer son affaire :
Dou convine35 des femes ne veut il plus retraire36,
426Mais je vous pri a tos tes oeuvres puissiens faire
C’au Jor dou jugement puissiens a Jhesum plaire.
vi
Or prïons a la Vierge qui ne faut ne ne ment
A ceax qui la requierent de bon cuer finement,
Que por nous prie a Dieu q’au37 Jor dou jugement
Por nous aiens sentence38 sen nul empeschement.
Amen. Explicit l’espitre as femes.
Marco Maulu
Università di Sassari
1 Dans la « Notice du manuscrit » de Gallica, le poème est daté du xive siècle.
2 Voir la « Notice du manuscrit » citée ci-dessus. D’après A. Långfors, « Le dit des quatre rois. Notes sur le ms. fr. 25545 de la Bibliothèque Nationale », Romania, 44, 1915, p. 87-91, ici p. 87, « du moins une ancienne table, au fol. 3 bis, indique, pour les compositions contenues dans le ms., un ordre différent de l’ordre actuel ; les feuillets portent plusieurs anciennes numérotations qui ont été biffées. Selon Brakelmann, on peut distinguer au moins quatre mains différentes ; mais elles sont sensiblement contemporaines, et à peu près du début du xive siècle. Quelques pages laissées en blanc ont été utilisées après coup ». O. Collet, « ‘Textes de circonstance’ et ‘raccords’ dans les manuscrits vernaculaires », Quant l’ung amy pour l’autre veille : mélanges de moyen français offerts à Claude Thiry, éd. T. Van Hemelryck et M. Colombo Timelli, Turnhout, Brepols, 2008, p. 299-311, ici p. 307, nie que le manuscrit soit factice, dans le sens qu’il « forme assurément un tout composite mais aussi organique. Il s’agit en fait d’un exemplaire typique du système de production par livrets, ce qui explique la variété des écritures qu’on y observe et les singularités de sa mise en page à certains endroits, ainsi que les pertes et déplacements qu’il a subis au cours de son histoire. On peut en effet être assuré qu’il a été démembré et réassemblé au moins deux fois depuis sa fabrication, et seuls les fol. 1 à 5 occupent la place qu’ils avaient déjà lorsqu’un possesseur ou un lecteur s’est avisé de détailler son contenu une première fois, peut-être au xvie siècle ». Voir également S. Huot, From Song to Book : the Poetics of writing in old French Lyric and lyrical narrative Poetry, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1987, p. 36-39.
3 Voir W. Azzam, O. Collet, Y. Foehr-Janssens, « Mise en recueil et fonctionnalité du récit », Le recueil au Moyen Âge. Le Moyen Âge central, éd. Y. Foehr-Janssens et O. Collet, Turnhout, Brepols, 2010, p. 16 et Collet, « ‘Textes de circonstance’ », p. 311. Voir aussi M. Jeay, Le commerce des mots : l’usage des listes dans la littérature médiévale (xiie-xve siècles), Genève, Droz, 2006, p. 230-231. En suivant l’hypothèse de Collet, A. Bottex-Ferragne, « L’esprit du bourgeois ou l’esprit du bourg : le siècle dans tous ses états dans le manuscrit Paris, BNF, fr. 25545 », Études françaises, 48, 3, 2012, p. 127-151, ici p. 150, écrit : « Dans le contexte de la Flandre du tournant des xiiie et xive siècles, où les révoltes populaires répétées ajoutent aux tensions sociales généralisées qui opposent le pouvoir royal, l’aristocratie comtale et l’élite bourgeoise – elle-même fortement divisée –, le manuscrit Paris, BNF, fr. 25545 présente un véritable laboratoire d’exploration sociale ». Concernant le remaniement du Chevalier qui fist les cons parler transmis par ce recueil (texte n. 30), J. Th. Verhulsdonck, « Le ms. B.N. fr. 25.545. », Atti del V Colloquio della International Beast Epic, Fable and Fabliau Society, éd. A. Vitale-Brovarone et G. Mombello, Alessandria, Dell’Orso, 1987, p. 113-120, écrit à la p. 114 : « En parlant du remanieur M. Rychner [J. Rychner, Contribution à l’étude des fabliaux. Variantes, remaniements, dégradations, Genève, Droz, 1960, vol. 1, p. 58] conclut qu’il ‘visait un public populaire avide d’évasion vers une vie plus large’. Personnellement je ne crois pas que cette amplification vise à ‘épater le vilain’, mais plutôt à être appréciée par un public qui, comme le remanieur lui-même, a eu une certaine formation scolaire, un public de clercs qui […] veulent se distinguer des autres, les gens du commun, les illettrés, le public populaire dont parle M. Rychner ».
4 Långfors, « Le dit des quatre rois », p. 91. Edmond Faral, dans E. Faral et J. Bastin (éd.), Œuvres complètes de Rutebeuf, Paris, Picard, 1959-1960, t. 1, p. 22, fait mention de la contribution de Långfors en observant que dans le Dit des quatre rois on fait précisément mention de « Philippe V le Long, sacré à Reims le 9 janvier 1317 (n. st.). Le scribe écrivait donc avant le 3 avril (Pâques) de cette année-là ». Enfin, pour Collet, « ‘Textes de circonstance’ », p. 310, « la date mentionnée dans les vers conclusifs du Dit des quatre rois constitue dès lors un repère tout à fait plausible ».
5 Collet, « ‘Textes de circonstance’ », p. 308, observe : « Au total, le recueil comprend aujourd’hui 45 entrées [44 plus la table des matières]. On sait par ailleurs que de nombreux extraits en ont été tirés au xviiie siècle, même s’il règne quelque confusion dans l’inventaire de ces retranscriptions modernes ». D’après R. E. V. Stuip, La Chastelaine de Vergi. Édition critique du ms. B.N.F. fr. 375 avec introduction, notes, glossaire et index, suivie de l’édition diplomatique de tous les manuscrits connus du xiiie et du xive siècle, La Haye/ Paris, Mouton, 1970, p. 44, certains textes – pas l’Espitre – ont été transcrits dans d’autres manuscrits : Paris, BnF, fr. 837 et Berlin, Deutsche Staatsbibliothek, Hamilton 257. D’après le chercheur, il faut ajouter également le ms. Sainte-Geneviève 2474, une copie du xviiie siècle des fabliaux du ms. BnF, fr. 25545 contenant deux textes absents dans ce codex : Le Chevalier au barisel et La Bible au Seigneur de Berzé. Pour Collet, « ‘Textes de circonstance et raccords’ », p. 308, « rien n’indique cependant qu’ils en aient jamais fait partie et selon toute vraisemblance, ils proviennent d’un autre exemplaire collationné en même temps que le nôtre ».
6 Bottex-Ferragne, « L’esprit du bourgeois », p. 128-129.
7 Voir à ce propos Verhulsdonck, « Le ms. B.N. fr. 25.545 », p. 117.
8 Sur cet aspect, voir J. Wüest, « Les scriptae françaises II. Picardie, Hainaut, Artois, Flandres », Lexikon der Romanistischen Linguistik, II, 2, Die einzelnen romanischen Sprachen und Sprachgebiete vom Mittelalter bis zur Renaissance, Žd. G. Holtus, M. Metzeltin, C. Schmitt, TŸbingen, Niemeyer, 1995, p. 300-314, ici p. 309.
9 Voir Three Medieval Views of Women. La Contenance des fames, Le Bien des fames, Le Blasme des fames, éd. et trad. G. K. Fiero, W. Pfeffer, M. Allain, New Haven, Yale University Press, 1989, p. 8-10. Voir également P. Meyer, « Mélanges de poésie française. iv. Plaidoyer en faveur des femmes », Romania, 6, 1877, p. 499-503.
10 La tradition manuscrite est la suivante : Amsterdam, Universitetsbibliotheek, 073 (XV.G.01) ; Londres, British Library, Harley 4333 ; Oxford, Bodleian Library, Digby 086 ; Paris, BnF, fr. 1593 ; Paris, BnF, fr. 12483 ; Paris, BnF, fr. 15111 ; Paris, BnF, fr. 19152 ; Paris, BnF, fr. 20040 ; Rome, Biblioteca apostolica Vaticana, Reg. lat. 1323. Le poème a été édité dans les Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du xiiie siècle, éd. A. Jubinal, nouvelle édition, revue et corrigée, Paris, Daffis, 1874-1875, ici t. 3, p. 382-393 [édition d’après le ms. BnF, fr. 19152] ; P. Meyer, « Le Chastie-musart d’après le ms. Harléien 4333 », Romania, 15, 1886, p. 603-610 ; J.-J. Salverda de Grave, « Poème en quatrains conservé dans un manuscrit de la bibliothèque d’Amsterdam », Romania, 44, 1915-1917, p. 579-583 ; Il poemetto « Chastie-musart » della Vaticana, éd. F. Blasi, Messine, Università degli Studi, 1953 ; Chastie-musart (Cod. Vat. Reg. lat. 1323), éd. A. Pensa Michelini Tocci, Rome, Ateneo, 1970 (je n’ai pas été en mesure de consulter ces deux derniers ouvrages) ; M. Eusebi, « Le quartine proverbiali del Chastie-musart », Mélanges in memoriam Takeshi Shimmura, Tokyo, Librairie France Tosho, 1998, p. 35-67, réimprimé dans Mario Eusebi, Saggi di filologia romanza, éd. E. Burgio, Firenze, Del Galluzzo, 2005, p. 85-114 (je tire de cette édition les citations du poème).
11 Meyer, « Le Chastie-Musart », p. 603.
12 Verhulsdonck, « Le ms. B.N. fr. 25.545 », p. 116, observe à juste titre que dans ce recueil l’Evangile est précédé par l’Espitre « sans doute par allusion à la succession de la lecture des textes sacrés pendant la messe ». Les témoins de l’Evangile sont les suivants : Bâle, Öffentliche Bibliothek der Universität, 205 ; Berne, Burgerbibliothek, 205 ; Chantilly, Bibliothèque et Musée du Château, 475 ; Dijon, Bibliothèque municipale, 525 ; Épinal, Bibliothèque municipale, 189 ; Paris, BnF, lat., 8654 ; Paris, BnF, fr., 837 ; Paris, BnF, fr., 1553 ; Paris, BnF, fr. 1593 ; Paris, BnF, fr., 24436 ; Paris, BnF, fr. 25545 ; Paris, coll. part. CP 0389. Voir en outre O. Jodogne, « L’édition de l’Évangile aux femmes », Studi in onore di Angelo Monteverdi, Modène, Società Tipografica Modenese, 1959, t. 1, p. 353-375. La version du ms. BnF, fr. 25545 a été publiée, non sans erreurs, par G. C. Keidel, The Évangile aux femmes. An Old French satire on women, Baltimore, Friedenwald, 1895, p. 70-76. Sur cette édition on peut voir le compte rendu de P. Meyer dans Romania, 25, 1896, p. 134-136 et, du même auteur, « Deux nouveaux manuscrits de l’Évangile des femmes », Romania, 36, 1907, p. 1-11, ici p. 2-3.
13 Voir Three Medieval Views of Women, p. 106-113 et Mario Pagano, Poemetti misogini antico-francesi. 1. « Le blasme des fames », Catania, Università di Catania, 1990.
14 Voir l’éd. d’A. Jubinal, Jongleurs et trouvères ou choix de saluts, épitres, rêveries et autres pièces légères des xiiie et xive siècles, Paris, Merklein, 1835, p. 21-25. Incipit : « Femes sont de diverse vie : / l’une est si plainne de sotie/ que son blasme ne set celer ; / et l’autre set tant d’escremie… ». Explicit : « Ne seut on que sor elles dire, / fors que pute, gloute et larnesse. / Che ferai fin, et grande laisse ; / si ne vous ferai plus de noisse. / Chi define des femes ».
15 Voir Three Medieval Views of Women, p. 6. Après le Roman de la Rose, ce manuscrit transmet une série de textes qui n’est sans rappeler celle du début du ms. BnF, fr. 25545, bien que les compositions ne coïncident pas avec celles contenues dans ce recueil : la Contenance ou Epistre des femmes, l’Evangile des femes et le Motet des femmes, ce dernier étant un texte attribué, peut être, à Jean de Meun. Voir à ce sujet J. Haines, « An Antifeminist Motet by Jean de Meun (?) : O bicornix/ A touz jours/ Virgo Dei genitrix », Nottingham Medieval Studies, 53, 1, 2009, p. 21-38. Enfin, pour la description du ms., voir la base Jonas, entrée « Dijon, Bibliothèque municipale 525 ».
16 « La dualité Ève/Vierge, présente dans chaque femme, sert à l’idéaliser ou à la blâmer, et il est vraiment curieux que dans une époque où la religion imprègne toute la vie, la misogynie coexiste avec la splendeur du culte envers Marie » (G. García Teruel, « Les opinions sur la femme dans quelques récits des xiie et xiiie siècles », Le Moyen Âge, 101, 1995, p. 23-40, ici p. 38). Dans Three Medieval Views of Women, p. 45, on lit : « The author of the Blasme perceives woman as cunning and formidable, a dangerous adversary. His reproaches may derive from the more broadly ascriptive misogynic topos that warned that ‘all women are spotted with the vice of a grasping and avaricious disposition, and they are always alert to the search for money or profit’ ; but one cannot help suspecting that he had in mind a particularly aggressive category of urban female ». Voir également L. Frey, M. Frey, J. Schneider, Women in Western European History. A select chronological, geographical and topical Bibliography, London, Greenwood, 1982 et A. Grisay, Les dénominations de la femme dans les anciens textes littéraires français, Gembloux, Duculot, 1969, en part. p. 58-60.
17 Verhulsdonck, « Le ms. B.N. fr. 25.545. », p. 116.
18 Variante commune au ms. V (= Rome, Bibl. Apost. Vaticana, Reg. lat. 1321) du Chastie-Musart.
19 Variante commune au ms. V du CM.
20 Eusebi, « Le quartine proverbiali del Chastie-Musart », p. 86.
21 Ch. Th. Gossen, Grammaire de l’ancien picard, Paris, Klincksieck, 1976, § 28b ; [= syllabe ouverte ;] = syllabe entravée.
22 Dans le sixième quatrain, on a à la rime ment, finement, jugement, empeschement. Voir Gossen, Grammaire, § 15 et J. Chaurand, Introduction à la dialectologie française, Paris, Bordas, 1972, p. 75.
23 Voir G. Zink, Phonétique historique du français, Paris, PUF, 1986, p. 185. D’après G. Zink, L’ancien français, Paris, PUF, 1987, p. 28, la forme signors peut être rattachée à la scripta picarde. D’après A. Dees, Atlas des formes linguistiques des textes littéraires de l’ancien français, Tübingen, Niemeyer, 1987, p. 206, le type signeur/signour serait caractéristique des départements du Nord et de la Moselle.
24 Voir Gossen, Grammaire, § 26.
25 Gossen, Grammaire, § 1.
26 P. Fouché, Phonétique historique du français, Paris, Klincksieck, 1952, p. 366.
27 Voir par ex. Hervis de Mes, éd. J.-Ch. Herbin, Genève, Droz, 1992, p. lvii, qui signale cette désinence comme propre au conditionnel présent. Voir également, du même auteur, La mise en prose de la geste des Loherains dans le manuscrit Arsenal 3346, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 1995, p. xix et Chartes en langue française antérieures à 1271 conservées dans le département de la Haute-Marne, publiés par J. Monfrin, avec le concours de L. Fossier, Paris, CNRS, 1974, p. 59, 94 et passim.
28 Voir, par ex. les nombreuses attestations de ces désinences dans le Dictionnaire Électronique de Chrétien de Troyes, entrées « avoir » et « pouvoir ». D’après P. Fouché, Le verbe français : étude morphologique, Paris, Klincksieck, 1981, p. 420, les formes seiiens et seiiez, analogiques de aiiens, aiiez, « s’expliquent par la proportion aie : aiiens, aiiez = seie : seiiens, seiiez ». En ce qui concerne puissiens, voir la p. 431. Voir également F. Duval, Le français médiéval, Turnhout, Brepols, 2009, p. 135. Selon M. K. Pope, From Latin to modern French, Manchester, Manchester University Press, 1934, § 907, « in the extant works of the western region in the twelfth century the etymological forms of the first person plural are already superseded by the analogical forms of the present indicative : -ons, -uns, -om, -um, -omes, -umes […] but in the eastern and northern region and probably in the central, -iens […] remained in use. This form gained ground in the central region in the later thirteen and fourteenth centuries, and preponderates in Parisian documents of the fourteenth century ». De son côté, A. Brasseur, Étude linguistique et littéraire de la « Chanson des Saisnes » de Jehan Bodel, Genève, Droz, 1990, p. 50, souligne que « ces désinences se rencontrent aux 4e personnes en picard, mais elles existent également en wallon, en lorrain, dans les dialectes de l’Est, du Sud-Est et du Centre-Sud. Gossen les juge cependant plus fréquentes en Artois ». Enfin, selon Chaurand, Introduction à la dialectologie française, p. 114-115, « cette terminaison s’est maintenue dans le Nord et dans l’Est (picard, wallon, champenois, lorrain) ».
29 gronce] « faire entendre une protestation par des grognements » (DEAF, entrée « groncier »). Dans le CM, le topos de la folie liée à l’homme prêtant son intention aux femmes est développé dans les quatrains lxxxiii-lxxvi. Enfin, le syntagme fox est… était très diffusé dans la littérature française de l’époque et il se trouve également dans le CM ; par ex., dans la version du ms. BnF, fr. 19152 on lit : « Fox est qui entor feme sejorne ne demeure » (v. 397) ; « mult est fox qui en feme a son coraige mis » (v. 301) (Œuvres complètes de Rutebeuf, éd. Jubinal, t. 3, p. 391-392).
30 Hémistiche de sept syllabes.
31 le papeillon] li papeillons. L’image du papillon pourrait s’inspirer, au moins en partie, du vers de l’Evangile « com fait li papillons qui s’art a la chandoille » (fol. 2va), tout comme l’allure générale du premier quatrain. La comparaison entre les femmes et certains animaux était fréquente ; voir par ex. Le Blasme des fames, éd. Fiero, Pfeffer, Allain, v. 70-74 : « Femme est serpent par grefment poindre, / feme est lyuns pur seignurer, / femme est leopard pur devurer, / femme est goupille pur deceivre, / femme est urs pur coups receivre… ».
32 L’escarbot est un « insecte de la famille des coléoptères clavicornes, qui vit dans le fumier et les charognes » (DEAF, entrée « escharbot »). L’étymon est sans doute scarabaeum, mais une confusion avec crabronem, bourdon, insecte nectarivore appartenant à la famille des apidae, a dû entraîner une confusion entre ce dernier et le scarabée (voir J. Corominas, Diccionario crítico etimológico castellano e hispánico, Madrid, Gredos, 1980-, entrée « escarabajo »). Brunetto Latini, Tresor, éd. et trad. P. G. Beltrami, P. Squillacioti, P. Torri et S. Vatteroni, Turin, Einaudi, 2007, p. 264, écrit à propos de la naissance des abeilles : « Et si dient cil qui esprové l’ont, que eles naissent de charoigne de beuf […], autresi naissent [es]char[bot] de cheval, et fusse de mul, et guepes de asnes ». Par conséquent, l’escarbot est souvent décrit comme un mélange du bousier et du bourdon/frelon : sa forte proximité aux abeilles peut être également constatée chez Marie de France, par exemple dans la fable intitulée Le loup et l’escarbot, où ce dernier défie en duel le loup pour lui montrer sa supériorité et, le lendemain, « li escarboz manda les ees [‘abeilles’] ; / n’[en] aveit un sul remés / ne grosse musche ne cornet [‘bourdon’] / ne bone wespe ne wibet [‘moucheron’] » (Marie de France, Les fables, éd. et trad. Ch. Brucker, Louvain, Peeters, 1991, p. 252, v. 25-28). Sa nature hybride en fait également un chasseur : cet aspect est retenu dans l’Espitre où, par contre, l’escarbot n’est pas que coprophage, vu qu’il « chasse » les papillons, un aspect qu’on n’a pas trouvé ailleurs. Dans les Vies des pères on lit : « Ne resemblez pas l’escharbot : / li escharboz tant vole et roe / qu’au dereein chiet en la boe / dont ja ne se relevera » (La vie des pères, éd. F. Lecoy, Paris, SATF, 1987-1999, vol. 1, v. 6487-6490). Il s’agit visiblement du même comportement décrit dans l’Espitre, v. 3-6. Sur l’idée de mouvement associée à cet insecte, on peut voir Corominas, Diccionario, p. 676 et Li dit de l’escharbote, v. 210-221 où, par contre, revient encore une fois l’élément de la coprophagie : « Leur samblant nous aprent et note/ qu’il font aussi con l’echarbote/ qui vole par les haus vergiez/ de fleurs et de feuilles chargiez / […] mais petit son erre i sejourne, / ainz adrece sa voie et tourne / où elle voit le lieu plus lait, / car sa nature ne li lait / converser en lieu bel ne gent » (Dits de Watriquet de Couvin, éd. A. Scheler, Bruxelles, Devaux, 1868, p. 403-404). Dans l’Ysopet, Marie décrit la jalousie de cet insecte envers un autre animal volant, l’aigle, de façon qu’il s’adresse « as autres escarboz », en se plaignant car « il n’esteient ver ne oisel ; / saül ne poeient voler, / a jeün ne sorent aler » (Fables, éd. Brucker, p. 290, v. 9-13). Finalement, dans notre composition, l’escarbot, animal volant et chasseur, semble correspondre tantôt au frelon, tantôt au bousier proprement dit.
33 « Quar il n’est en cest mon nus hom, / por que il ait sens ne reson, / ne doie honor porter a fame / por l’onor a la haute dame / que Jhesu Crist tant d’onor fist / que desus les angles l’assist » (Le Bien des fames, éd. Fiero, Pfeffer, Allain, v. 11-16). Dans le même ouvrage on lit : « Primary among Mary’s positive characteristics was her freedom from carnality : not only was she conceived by divine intervention, but her own chastity was preserved by the immaculate conception of Jesus. Another of the Virgin’s virtues was her status as Mother of God, and particularly her loving, suffering nature » (p. 68-69).
34 mestres] mests avec e écrit entre les lignes.
35 dou convine]. Dans le CM, v. 333, on lit « du covine » < *convenium ‘affaire, manière’. La varia lectio des autres témoins du CM est : des contraires as f. B ; de la coustume C.
36 retraire] retire avec a écrit entre les lignes.
37 q’au] qu avec a écrit entre les lignes.
38 por nous aiens sentence]. La leçon aiens pose problème au niveau du sens, là où on se serait plutôt attendu une P3 en dépendance de Dieu. Il pourrait s’agir d’un faute de plume dérivant de la nécessité d’insérer un mot bisyllabique. Pourtant, la possibilité qu’il s’agisse d’une concordance ad sensum permettant d’interpréter le passage comme « que nous soyons jugés » m’a dissuadé de corriger la leçon du ms. Voir à ce propos C. Buridant, Grammaire nouvelle de l’ancien français, [Paris], Sedes, 2001, § 307.
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- ISBN : 978-2-406-11263-1
- EAN : 9782406112631
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11263-1.p.0409
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/01/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : épître, évangile, misogynie, alexandrin, recueil