The Brangues Meetings 19–25 june, 2023
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société Paul Claudel
2023 – 3, n° 241. Enseigner et transmettre Claudel - Author: Mayaux (Jean-François)
- Pages: 125 to 127
- Journal: Bulletin of the Paul Claudel Society
Les Nouvelles Rencontres de Brangues
19-25 juin 2023
Comme le dit Christian Schiaretti, directeur artistique des Nouvelles Rencontres de Brangues, « les Rencontres sont à l’inverse, au-delà d’un festival. Elles sont une conversation avec le public, un sens. » Bien sûr l’écrin somptueux de cette frontière du Bas-Dauphiné, jouxtant le Rhône et les surplombs du Bugey méridional, les longues journées magnifiques à l’ombre des tilleuls centenaires du domaine de Brangues, la scène magique de « la ferme » quand le soir tombe enfin et la grande présence de Claudel, que l’on ne manquera pas d’aller saluer « au fond du parc, dans le coin le plus reculé de son jardin », y apportent le calme secret de la consolation par le beau et obligent. Mais il y a aussi la programmation artistique exigeante et variée, la coordination dévouée d’une équipe sympathique et efficace, administrative, technique et gastronomique, sans oublier les merveilleux interprètes, jeunes et moins jeunes, de la « petite troupe de Brangues » qui tous se mobilisent « en toute conscience et en toute générosité ».
La première journée avait pour thème la présentation du Prix Paul Claudel par Christian Schiaretti pour les Rencontres et Catherine Mayaux pour la Société Paul Claudel, après une introduction drôle et éclairante d’Ahmed le Subtil (Juliette Gharbi), le personnage créé par Alain Badiou, « à propos de la crise du théâtre ». Ce prix a pour vocation de consacrer une fois par an une œuvre écrite par un poète à l’usage de la scène, dont un bel exemple a été donné par le Stabat mater furiosa de Jean-Pierre Siméon (grand prix de poésie de l’Académie française en 2022), magnifiquement interprété par Gisèle Torterolo. Après l’obstinée colère de celle « qui se tient debout et refuse de comprendre [la guerre] », une détente musicale bienvenue a été donnée par Les Aperçues, un beau concert pour neuf voix de femmes et harpe par l’ensemble Esquisses, dirigé par Guillemette Daboval.
La deuxième journée était présentée « comme un manifeste des Rencontres, le souci de mêler la réflexion à l’action, la table et le plateau. 126Public mélangé selon leur âge ou leurs motivations. Petits et grands, flâneurs et studieux, la pensée comme le sourire. Théâtre, musique et poésie ». La journée a bien commencé par les Histoires de Rosalie, quelques aventures de la grand-mère russe Rosalie de Michel Vinaver quand elle était enfant. La fraîche et tendre évocation par Juliette Gharbi de cette Russie de rêve contrastait étrangement avec les gesticulations des milices russes au même moment à quelques milliers de kilomètres de là… En début d’après-midi, Catherine Mayaux nous a proposé une approche croisée particulièrement éclairante et instructive de « Paul Claudel et Alexis Leger / Saint-John Perse, diplomates et poètes d’un même siècle », fondée sur une exposition de la Fondation Saint-John Perse en 2021, en présence de Muriel Calvet, directrice de la Fondation, conférence agrémentée de lectures poétiques dites par Louise Chevillotte et Julien Tiphaine.
Le reste de la journée a été scandé par un programme particulièrement dense et varié : Midi nous le dira, une pièce récente et très enlevée de Joséphine Chaffin, un portrait voix-musique d’une héroïne moderne avec (encore !) Juliette et la musicienne Anna Cordonnier ; « Comment j’ai dirigé une actrice notoire en la suivant », un dialogue plein d’humour de Christian Schiaretti avec Francine Bergé ; Le Roman de Renart, une sélection jubilatoire de scènes du fameux anonyme du xiie siècle mettant aux prises Renart et son compère Ysengrin, en octosyllabes à rimes plates magnifiquement interprétées par les deux Cléments (Carabédian et Morinière, et ce, malgré l’épaule récemment opérée de ce dernier) : ils portaient les fameux masques créés par Erhard Stiefel (sortis de la collection présentée à la maison Ravier de Morestel pendant l’été). La soirée s’est terminée en douceur(s) dans la ferme avec les Musicodrames interprétés par Sylvia Bergé (de la Comédie-Française) et Thierry Ravassard au piano. Ces œuvres de Francis Thomé à Isabelle Aboulker en passant par le compositeur Erik Satie, nous ont fait découvrir quelques-uns de ces joyaux dans un florilège de petites histoires où voix et piano s’entremêlent dans un contrepoint onirique et poétique.
La troisième journée était tout entière construite autour de la figure de la femme irréductible : Camille Claudel, Antigone et Électre. L’image de Camille Claudel, l’autre génie de la fratrie, reste malheureusement associée à de trop nombreux scénarios complotistes plus ou moins malsains et c’est l’immense mérite du film de Gilles Blanchard D’une folie l’autre et du livre de Marie-Victoire Nantet Camille et Paul Claudel. 127Lignes de Partage (Gallimard, 2020) de restituer une vérité enfin fondée sur les faits et les documents. La projection de D’une folie l’autre (le titre mériterait un long développement à lui seul) a été incontestablement un des moments forts des Rencontres, autant par la finesse, la justesse et l’émotion de son écriture cinématographique, que par une chronique fidèle aux événements qui ont jalonné le naufrage progressif dans la psychose de Camille, de 1890 à 1913, date de son internement à l’âge de 49 ans. La projection fut suivie d’un débat avec Marie-Victoire Nantet et Gilles Blanchard sur « Camille et Paul », permettant de mieux cerner la contradiction entre folie attestée et folie contestée de Camille, à l’origine de tant de mauvais récits.
Les deux derniers spectacles des Rencontres, Antigone et Électre, splendides variations poétiques à partir de Sophocle par Jean-Pierre Siméon, dont l’une – Antigone – a été créée en 2016 dans une mise en scène de Christian Schiaretti au TNP de Villeurbanne, ont constitué l’autre point d’orgue de ces rencontres. Ces deux héroïnes tragiques étaient magnifiquement incarnées par Kenza Laala. Sans doute parce que la valeur fondamentalement positive du personnage d’Antigone nous inspire plus que le caractère sombre d’Électre, nous avons été plus sensibles à la première pièce, mais c’est encore la faute aux Grecs…
Jean-François Mayaux
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-15883-7
- EAN: 9782406158837
- ISSN: 2262-3108
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15883-7.p.0125
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-13-2023
- Periodicity: Four-monthly
- Language: French