Rencontres de Brangues
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2021 – 3, n° 235. La fabrique d’un opéra – La création du Soulier de satin - Auteurs : Mayaux (Catherine), Nantet (Marie-Victoire)
- Pages : 129 à 132
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
Rencontres de Brangues
Les Nouvelles Rencontres de Brangues des 25, 26 et 27 juin 2021 étaient officiellement placées à partir de cette année sous la direction artistique de Christian Schiaretti : celui-ci, avec toute son équipe et sous l’égide de l’Association des NRB, mit autant de rigueur que d’enthousiasme à proposer un ensemble de mises en scène, dictions poétiques et échanges qui ont comblé les spectateurs.
Le texte de Jean-Pierre Siméon « La Poésie sauvera la monde », dit par Olivier Borle accompagné au violoncelle par Marc Lauras, donna le ton en ouverture : seul le diapason du poète permet d’habiter pleinement le monde et la poésie apporte un « parfum de résurrection » face aux mauvais penchants d’aujourd’hui, ce que les auditeurs n’étaient que trop prêts à entendre après tant de mois de privations de ce qui fait le sel de la vie.
La mise en scène de Jeanne de Charles Péguy, remarquablement jouée par Louise Chevillotte, Juliette Gharbi et Kenza Laala, fut un moment de communion absolue avec les spectateurs : arpentant une scène longiligne, sillon de la terre d’ici-bas creusé de leurs pas nerveux, ou longue allée de bois rappelant le pont de la scène du Nô, vêtues d’amples robes blanches connotant médiévalisme et rusticité, les trois femmes aux rôles marqués : Jeanne dans la colère et la révolte, Madame Gervaise dans la sérénité, Hauviette dans l’incertitude, articulaient avec une netteté appuyée un texte empreint d’une force charnelle, marqué par la musicalité incantatoire de la langue de Péguy. Les reprises de phrases et répétitions de mots multipliaient les résonances de sens et renforçaient la conscience de l’engagement pris par chacune. La prouesse fut d’autant plus remarquable qu’en raison de plusieurs circonstances, les actrices ne jouèrent qu’une fois cette pièce dont bénéficièrent les spectateurs de Brangues, saisis par l’émotion que suscitait la beauté du texte et de leur jeu : qu’elles soient très sincèrement remerciées.
Après Mangeclous et la lioncesse qui donna aux plus jeunes une belle expérience d’art dramatique, Edith Azam joua Karpiano dans la grange, véritable surprise artistique : un personnage à mi-chemin entre l’enfance 130et l’âge adulte, à moins que ce ne soit entre un ici bien concret et un imaginaire très riche, dit son désir d’apprentissage du piano et déploie doucement sur la scène les touches d’un piano en carton – d’où le titre. Le discours désarmant de simplicité – apparemment, réveille le langage par une inventivité subtile, par des trouvailles qui émeuvent et ouvrent au partage des intériorités et des différences.
La petite cour du château, abritée d’une toile de bateau, accueillait un échange entre Christian Schiaretti et Blandine Masson, directrice de la fiction à France-Culture : le travail de mise en son d’une pièce ou d’un texte pour la radio a des exigences intéressantes qui sollicitent davantage l’imaginaire de l’auditeur et se prêtent à une créativité différente de celle de la scène, impliquant un renouvellement du texte, relecture, sinon réécriture.
Phèdre était jouée le soir, par la troupe talentueuse de la Compagnie Dramatique Dépendante dirigée par Christian Schiaretti et dont les acteurs nous ont déjà touchés dans des rôles claudéliens. La richesse et la densité de la pièce, tout comme ses étrangetés, sont dans tous les esprits ; les vers les plus connus ont été transcendés par l’habileté des acteurs. Francine Berger donna à Œnone la mal inspirée une émouvante posture qui mit en valeur la complexité du personnage, et Marc Zinga fit retentir avec justesse les accents de la sincérité ravagée par l’injustice d’Hippolyte.
Une autre belle surprise de ces Nouvelles Rencontres fut la prestation d’Aymeri Suarez-Pazos qui récita sous le grand tilleul quatre des Cinq Grandes Odes – une seule fut lue. Le registre élevé du texte et la scansion irrégulière des versets appelaient la hauteur de ton qu’avait retenue avec souplesse l’acteur et les accents dramatiques de sa voix : le plein souffle de sa diction maintenait la tension intérieure (du texte comme de l’écoutant) et faisait ressortir des échos et connexions qui échappent le plus souvent à la lecture silencieuse. Souhaitons qu’Aymeri Suarez-Pazos revienne à Brangues dire la cinquième Ode et d’autres poèmes.
Dimanche après-midi, deux moments de grâce clôturèrent les Rencontres. Le premier rendit hommage à celle qui les créa en 1972, Renée Nantet Claudel, disparue en janvier 2021 à 103 ans. On entendit sa voix, elle nous emporta dans ses projets et ses rêves sous la conduite à la fois légère et profonde d’un Christian Schiaretti fort ému. Puis place fut faite à La Fontaine, à ses fables que chacun d’entre nous, les connaissant, s’enchante de découvrir comme si c’était la première fois par la magie de deux comédiens de la Ben compagnie.
131En marge des Rencontres, deux expositions développèrent des motifs claudéliens. La première, réalisée par Laurence Martinez, très soignée et riche en documents, portait sur « Camille et Paul ». Elle était accueillie par l’Association « Brangues Village de Littérature », dans son Espace Claudel-Stendhal. En écho, Marie-Victoire Nantet présenta, de manière vivante, photographies à l’appui, son ouvrage Paul et Camille Claudel Lignes de partage (Gallimard, 2020) dont le Bulletin 233 a rendu compte.
Jean-François Dalle-Rive accompagna les rencontres d’une exposition de photographies en noir et blanc dans la gloriette, intitulée « Variations sur le lac d’Ambléon » : véritable poète, le photographe porte attention aux reflets aquatiques et traces fugaces que livre la nature. Ses talents ressortent dans la sobriété fine du noir et blanc et ses aperçus d’espaces infimes à ras de terre, d’eau ou de neige. Certes, Paul Claudel qui aimait tant son pays d’adoption l’aurait appréciée. Dans le même esprit, le public prit plaisir à écouter le florilège de textes rassemblés sous le titre « Claudel écologiste » par Jacqueline Bigallet, qu’un comédien inspiré lut à la Maison Ravier le jeudi précédent les Rencontres.
Catherine Mayaux
et Marie-Victoire Nantet
BIBLIOGRAPHIE
Paul Claudel, Conoscenza dell’Est. Frammenti in prosa dall’Estremo Oriente (1895-1905), Traduzione, note e saggio introduttivo a cura di Simonetta Valenti, Torino, L’Harmattan Italia, maggio 2021, 200 p.
Paul Claudel et Saint-John Perse, chemins croisés, sous la direction de Muriel Calvet, directrice de la Fondation Saint-John Perse, et Catherine Mayaux, Publication de la Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, 2021, 216 p.
Cet ouvrage accompagne l’exposition sur le même sujet présentée à la Fondation Saint-John Perse (Cité du Livre, Aix-en-Provence) du 20 novembre 2021 au 19 mars 2022.
Claude-Pierre Pérez, Paul Claudel « Je suis le contradictoire », biographie, Les Éditions du Cerf, 2021, 568 p.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12711-6
- EAN : 9782406127116
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12711-6.p.0129
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/12/2021
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français