Exposition
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2015 – 2, n° 216. Vocal et pictural dans Le Soulier de satin - Auteur : Parsi (Jacques)
- Pages : 101 à 103
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
Camille Claudel, au miroir d’un art nouveau (8 novembre 2014-8 février 2015)
Pour célébrer le 150e anniversaire de la naissance de Camille Claudel, La Piscine à Roubaix a organisé pendant quatre mois une exposition remarquable, qui proposait au visiteur, sur un ensemble de plus de cent cinquante pièces, quatre-vingt-onze œuvres de la sculptrice. Cet événement tout à fait exceptionnel tant par la qualité des œuvres sélectionnées que par leur nombre restera sans doute la dernière manifestation à offrir un tel ensemble. Tout a paru concourir à la réussite de l’entreprise des deux commissaires, Bruno Gaudichon et Anne Rivière : d’une part le report en 2016 de l’ouverture du musée de Nogent-sur-Seine, futur musée Camille Claudel, laissait disponible sa très belle collection acquise en 2008, d’autre part les travaux de rénovation au musée Rodin permettait un prêt d’œuvres bien plus large qu’il n’aurait pu être envisageable en d’autres circonstances. Il est clair que ces deux musées ne se dessaisiront plus jamais à l’avenir en aussi grand nombre de pièces capitales. Et cette réunion inédite ne se reproduira vraisemblablement jamais plus.
Les expositions consacrées à Camille Claudel ont jusqu’ici fait la part belle à la biographie et même l’autobiographie, avec lecture de l’œuvre à la lumière de sa liaison avec Auguste Rodin. Cette manière d’aborder les sculptures, sorte de tradition inaugurée par Paul Claudel lui-même qui, au sujet de la Valse, écrivait : « L’œuvre de ma sœur, ce qui lui donne son intérêt unique, c’est que tout entière, elle est l’histoire de sa vie » a pour malheureuse conséquence de ne laisser le plus souvent d’autre clé de lecture au visiteur que biographique et de placer par voie de conséquence comme au second plan, en quelque sorte, certains aspects de la création claudélienne et des œuvres importantes comme les Causeuses ou la Vague. Sans vouloir tourner le dos à cette vision de l’œuvre de l’artiste ou la remettre en question, les deux commissaires de l’exposition ont voulu proposer une approche originale, soulignant les questions bien précises de travail, de style, de création, voire de divulgation en confrontant les sculptures avec des œuvres contemporaines, ou parfois du passé. Cette démarche, tout à fait passionnante pour le visiteur, révèle, au-delà de tout ce que l’on a déjà pu écrire sur ces sculptures, une artiste qui étudie la forme, qui cherche des solutions nouvelles, qui dialogue avec ses
aînés et ses contemporains, et enfin qui ouvre des voies toutes neuves à la sculpture. Camille Claudel, artiste engagée dans l’art de son temps, ne se lit plus à la seule lumière de l’influence rodinienne.
Le parcours, structuré en onze sections, se décline de façon chronologique et thématique, parmi lesquelles : le naturalisme, la Valse, portraits d’enfants, l’Âge mûr, Clotho, Eugène Blot, les reprises… Chaque période, chaque angle d’approche ou d’étude s’organise à partir d’une ou de quelques sculptures de Camille, les confrontant, ou les mettant en miroir, avec d’autres œuvres, sculptures ou tableaux. Ainsi dans la première section, la Vieille Hélène, œuvre antérieure à la rencontre de Camille avec Rodin, est-elle mise en dialogue avec d’autres représentations de vieilles femmes, qu’il s’agisse du buste la Mère de l’artiste d’Alfred Boucher, d’un autre signé Jean Baffier, ou encore de la Bonne Vieille de François Pompon, trois œuvres tout à fait contemporaines de celle de Camille. La forte personnalité, le génie de la jeune artiste d’à peine vingt ans s’imposent à l’évidence. Aux représentations réalistes, et assez sages, des trois sculpteurs cités, répond la Vieille Hélène, violemment modelée, d’un naturalisme presque expressionniste, avec ce mouvement en déséquilibre qui projette le sujet dans l’espace, ce qui deviendra la marque la plus personnelle de Camille Claudel dans ses œuvres futures. Aux autres représentations de vieilles femmes, les yeux baissés, exprimant un silence plein de sagesse ou une certaine résignation devant la vie qui passe sans retour possible, la Vieille Hélène oppose ses yeux grands ouverts tournés vers le haut, dans un mouvement vibrant de vie, accentué par un menton volontaire.
Il en est ainsi dans les espaces suivants. Une série de six Valse, auprès de la grande et spectaculaire version en bronze avec drapé, souligne le travail incessant de l’artiste quant au positionnement des visages et des mains des deux valseurs. Cette œuvre emblématique de Camille Claudel étonne d’autant plus, par la violence de l’expression et sa sensualité, qu’elle est mise en miroir avec des œuvres contemporaines assez mondaines de René-Xavier Prinet et de Jean-Louis Forain sur le même thème.
C’est un peu plus loin dans le parcours de l’exposition un dialogue vraiment admirable qu’instaurent Anne Rivière et Bruno Gaudichon entre Clotho et Celle qui fut la belle heaulmière de Rodin, voire même la Misère de Jules Desbois et la Parkinsonienne de Paul Richier. Dans sa confrontation avec des œuvres, à peu d’années près, tout à fait contemporaines, Clotho impressionne par son lyrisme puissant et très singulier. Cette mise en miroir, comme dans les espaces précédents ou ceux qui suivent, tissant
des relations, mettant en lumière telle ou telle facette de l’œuvre, souligne combien Camille Claudel était une artiste solidement ancrée dans son époque, sensible aux courants naturalistes et symbolistes, qui partageait avec ses contemporains certaines préoccupations, qui abordait des thèmes souvent voisins. Loin de banaliser l’œuvre, l’exposition fait ressortir la puissante personnalité de l’artiste.
La scénographie de l’exposition, extrêmement savante mais claire, permet par un jeu de vitrines doubles ouvertes sur les deux côtés d’une cloison, outre les confrontations à l’intérieur d’une même section, des rappels et jeux de miroirs d’une section à l’autre, soulignant par là-même l’extrême cohérence du propos des commissaires et celle des années de création de Camille Claudel. En sortant Camille Claudel de son dialogue, souvent présenté comme exclusif, avec Rodin, l’exposition de Roubaix a replacé l’artiste au cœur de la création de son temps. Le public a saisi le regard neuf que proposait cette exposition et sa richesse. Avec 110 000 visiteurs, La Piscine a connu à cette occasion son plus grand succès en termes de fréquentation, après Picasso en 2004.
Jacques Parsi
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-5010-5
- EAN : 9782812450105
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5010-5.p.0101
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/09/2015
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français