Présentation générale
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres complètes
- Pages: 7 to 39
- Collection: Eighteenth-Century Library, n° 31
- Series: Poetica, n° 1
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Présentation générale
Les poésies d’Antoine de Bertin sont régulièrement publiées jusqu’au milieu du xixe siècle, soit en œuvres complètes, principalement dans le premier quart du siècle, soit dans des recueils collectifs aux côtés de Chénier ou Parny. Mais, comme de son vivant, Bertin s’efface progressivement devant la postérité de ce dernier, et c’est principalement à travers leur correspondance qu’il est désormais connu du public. Cependant, à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle, il fait encore partie des poètes que l’on lit et qui inspirent. Témoins les premiers pas en poésie de Lamartine : « J’écrivis aussi un ou deux volumes d’élégies amoureuses, sur le mode de Tibulle, du chevalier de Bertin et de Parny. Ces deux poètes faisaient les délices de la jeunesse1. » Comme les autres premiers poètes romantiques, Alphonse de Lamartine est d’abord inspiré par les élégiaques latins et français2. C’est à leur imitation qu’il apprend, dit-il, à versifier et son imagination d’élève au collège de Belley est enthousiasmée par leurs églogues : « c’était surtout la partie descriptive et pastorale de ces poésies qui m’enivrait3. » Ses œuvres de jeunesse, comme le « Cantique sur le torrent de Buisy près de Belley », ou même la description plus tardive de l’entrée dans les Gorges de Saint-Rambert4 peuvent rappeler par endroits la « Lettre écrite des Pyrénées » de Bertin.
Longtemps laissé dans l’ombre d’Évariste Parny par la critique, Antoine de Bertin fut néanmoins une figure en vogue de la poésie de la deuxième moitié du xviiie siècle. Il est, avec Parny, l’un des derniers représentants de la poésie néo-classique qui dominait alors en France. Son œuvre, étonnamment variée par rapport à sa brièveté – le poète mourut à l’âge de 38 ans –, semble même assez représentative de la littérature de son époque qui, selon Michel Delon, « offre la plus belle palette de poésie amoureuse, du lyrisme aux crudités, du badinage à la passion, de la convention au sentiment vécu5 ».
Si l’on connaît mieux Parny, c’est d’ailleurs sans doute parce qu’il a produit une œuvre bien plus considérable et que ses Chansons madécasses, en particulier, ont marqué à la fois l’histoire de la poésie (il s’agit des premiers poèmes en prose de la littérature française) et l’histoire des idées : en prêtant sa voix au colonisé malgache, en répondant à Flacourt6, Parny s’inscrit dans la lutte contre l’esclavage, dans la continuité de l’abbé Raynal. Or Bertin est certainement celui qui, à l’origine, a initié Parny à la poésie. Mais le succès fulgurant des Poésies érotiques de Parny a permis à ce dernier de dépasser son « aîné » dès 1778. De plus, Bertin est mort jeune et sa production poétique s’est limitée aux années 1770-1785, ce qui accroît la méconnaissance que l’on en a actuellement. Les exégètes de chacun des deux poètes les associent systématiquement, jusque dans la mort. Ainsi, peut-on lire dans un dictionnaire de 1822 :
L’un séduit l’esprit, l’autre s’empare du cœur. Néanmoins, ce qui rétablit l’égalité que semblait altérer ce parallèle, c’est que Bertin est mort avec toute sa gloire, tandis que les dernières productions de Parny ont porté plus d’une atteinte à la sienne7.
L’amicale rivalité entre les deux poètes se poursuit donc, malgré eux, dans les dictionnaires du début du xixe siècle. Si la Biographie nouvelle des contemporains de 1820, dirigée par A.V. Arnault, souligne combien
Parny est supérieur à Bertin8, dans l’article consacré à celui-ci, elle lui rend cependant justice :
Sentiments délicats, sensibilité vraie, pensées ingénieuses, images brillantes, talent des plus heureux, telles sont les qualités qui distinguent le chevalier de Bertin, et qui lui ont assigné sur le Parnasse français un rang dont La Harpe, qu’il cite, avec l’abbé Delille, au nombre de ses amis, ne l’a pas jugé digne sans doute, puisqu’il ne parle de lui dans aucune partie de son Cours de littérature. On sait que La Harpe, bon juge des anciens, ne mérite pas toujours cet éloge lorsqu’il parle des modernes9.
Il serait sans doute fastidieux de relever ici toutes les comparaisons entre les deux œuvres qui parsèment la littérature critique de la première moitié du xixe siècle. Mentionnons toutefois ce jugement de Millevoye en 1814, dans son étude Sur l’Élégie :
Le mouvement, la chaleur, la force, le ton passionné, l’accent poétique à un degré fort éminent, caractérisent ses Élégies, dont la plupart mériteraient mieux le nom de pièces érotiques. Parmi celles dont le titre est justifié, l’on doit remarquer les « Adieux de l’auteur à une terre qu’il vient de vendre10 ». Cette pièce d’une certaine étendue décèlerait à elle seule tout un poète. Parny peut-être n’eût pas, dans le même genre, soutenu si longtemps son style à la même hauteur11.
Sa réception jusqu’au milieu du xixe siècle souligne combien cette rivalité poétique était alors impossible à départager, à l’image de l’amitié des deux auteurs. À la fin du xviiie siècle, ils se trouvent assimilés par Garat qui les distingue nettement de tous ces « jeunes talents […] qui voulaient mériter la gloire par des bagatelles, par des caprices, par des fantaisies, et semblaient croire que, pour se faire un nom immortel, il n’y avait rien de tel que des poésies fugitives12 » :
Ce sont les élégies du Properce et du Tibulle modernes, de M. le chevalier de Bertin et de M. le chevalier de Parny, qui ont parlé des amours et des voluptés de leur jeune âge, comme les amants de Cintie et de Délie, qui par d’heureuses imitations, ont joint au coloris le plus frais, tous ces souvenirs si délicieux de la poésie antique […]13.
Les titres mentionnés par Garat leur ont été donnés de leur vivant, soulignant ainsi le fort succès de leurs œuvres : c’est après avoir publié ses Poésies érotiques, en 1778, que Parny hérite de cette couronne ; et c’est grâce à la publication des Amours que Bertin devient à son tour le Properce français. La caractérisation pourrait surprendre pour chacun d’eux : Parny imite moins que Bertin – ce qui lui vaut sans doute sa plus grande renommée parmi les romantiques – et Bertin imite bien plus Tibulle que Properce. Il faut, pour comprendre ces périphrases, en revenir à l’esprit des poètes latins, du moins tel qu’on les percevait à cette période. L’un des éditeurs de Bertin, Lepeintre, en 1821, le rappelle :
Bertin a paru ambitionner d’être regardé comme le Properce français et en effet nul autre poète n’en a tant approché ; il en a les beautés et les défauts et ainsi que l’a remarqué spirituellement quelqu’un : « comme Properce, il semble n’aimer que parce qu’il veut écrire ; tandis que Parny, comme Tibulle, n’écrit que parce qu’il aime14. »
Ce jugement, quelque peu sarcastique, rejoint celui de Millevoye15 et témoigne bien du tournant dans la réception de Bertin au début du
xixe siècle, tournant que Georges Buisson, pour sa part, n’explique pas seulement par des critères de poétique mais aussi par des raisons idéologiques :
En l’espace d’une dizaine d’années, ce Chénier réputé « romantique », non sans quelque méprise, prit le pas sur Bertin, si goûté des « classiques ». En vérité, cette substitution d’idoles paraît moins correspondre à une mutation esthétique qu’à un changement de climat politique et culturel : en effet le chantre d’Eucharis, jadis admis aux jeux du Petit Trianon et protégé du futur Charles X, pouvait moins que jamais, après 1830 supporter la comparaison avec le chantre de Camille, qui avait fini en héros de la liberté16.
Toujours est-il que dans le dernier quart du xviiie siècle, on goûte particulièrement la poésie imitative. Les Œuvres de Bertin connaissent une douzaine d’éditions entre 1785 et 1828. C’est bien en tant que continuateur de l’œuvre des élégiaques latins que l’auteur des Amours est perçu, dès avril 1780, dans le Mercure de France :
Dans un temps où le néologisme, l’afféterie des expressions, le clinquant des idées, la fausse enluminure sont si fort à la mode, et s’accréditent de plus en plus par la réputation d’écrivains soi-disant gais, légers, jolis, où leurs nombreux imitateurs ne travaillent qu’à se former un je-ne-sais quel jargon précieux et coquet qu’on appelle persifflage et à rimer fastidieusement le langage des coulisses ; dans un temps où l’on substitue au naturel, au sentiment, aux grâces, la manière, le petit esprit, les faux agréments ; combien tous ceux qui aiment la belle poésie, la poésie vraie, naturelle, élégante, harmonieuse, ne doivent-ils pas applaudir aux talents d’un jeune Poète qui, doué d’une imagination, nette et agréable, et nourri de la lecture de Tibulle et d’Ovide, se montre digne, en quelque sorte, de les ressusciter dans notre langue ; et, ce qui est remarquable, de qui la diction, toujours poétique, toujours pittoresque, s’est conservée pure, franche et saine, au milieu de la contagion du mauvais goût, du mauvais style, et du mauvais exemple. Depuis longtemps il ne s’est rien fait dans le genre érotique de plus agréable, de plus voluptueux et de plus spirituel17.
Il convient en effet de rappeler qu’avant la célébration de l’imagination romantique, la convention et l’imitation en poésie constituent un critère esthétique fort, comme le rappelle Garat :
Ces imitations des anciens, lorsqu’elles sont heureuses, ont quelque chose qui, dès leur naissance même, consacre les ouvrages nouveaux. Ceux qui ne connaissent pas les anciens, y trouvent la Nature telle que les anciens savaient la voir, la sentir et la peindre ; ceux qui ont le bonheur de les connaître, ont le plaisir de retrouver à la fois et la nature et ces poètes enchanteurs qui en ont été les premiers peintres, et les peintres les plus fidèles18.
L’allusion est ainsi garante de reconnaissance au deux sens du terme, d’autant que Bertin s’inscrit aussi dans la tradition de la poésie descriptive. Cependant, définir la poésie de Bertin uniquement par sa dimension imitative, ce serait en limiter injustement la portée. Il serait même difficile de caractériser de façon déterminée ce poète quelque peu insaisissable, que ce soit à travers sa vie ou son œuvre. Si l’ethos du poète élégiaque se pose au premier regard comme une construction, la personnalité de l’auteur du Voyage de Bourgogne ou des Œuvres diverses montre une variété de facettes parfois en opposition. On peut même se hasarder à postuler que le poète est aussi, dans une certaine mesure, méconnu de lui-même. Il est en effet caractérisé par une certaine inconstance : celle de l’image (à nuancer) du libertin qui s’exprime dans certains de ses vers badins, celle de la diversité de ses influences qui vont de l’élégie romaine à Dorat, en passant par Chapelle et Voltaire – mais, en ce qui concerne ce dernier, autant le dramaturge que l’auteur de vers légers. Son écriture alterne imitation des modèles antiques et formes libres, vers et prose, parfois dans un même texte – le prosimètre. Si sa production n’est guère importante en termes de volume, elle ressortit néanmoins à plusieurs genres : du voyage léger à l’ode lyrique, de l’épître élégiaque à la lettre amicale… et dans cette variété, une constante : la présence tantôt construite, tantôt sincère d’un je qui a fait dire et répéter que Bertin est un précurseur du romantisme. Il s’agit aussi et surtout d’un poète du déracinement ; partant d’une analyse de l’importance de la Grèce pour Chénier, Catriona Seth souligne un dénominateur commun à nombre de poètes de la seconde moitié du xviiie siècle qui ont contribué
à l’évolution du genre : nombreux sont ceux qui ont une expérience de l’ailleurs et notamment Bertin, Parny, Léonard, Chabanon qui viennent tous des tropiques : « Cette ouverture particulière – postule-t-elle – qui fait d’eux, jusqu’à un certain point des déclassés ou des marginaux en termes de patrimoine intellectuel, explique leur capacité à innover en littérature19. » Et il est vrai que le souvenir de l’ailleurs exotique a en partie déterminé la poétique de l’auteur qui se définit, dans le poème « Épilogue » comme un « arbuste […] transplanté20 ». Il convient donc, avant d’aller plus loin, de revenir quelque peu sur la biographie du poète.
La passion fit mon génie
On pourrait être tenté de reconstituer la vie d’Antoine de Bertin à partir de ses poèmes ; lui-même nous y invite dans sa seconde lettre au Vicomte de Bourbon-Busset, où il précise que ses Amours sont « l’histoire fidèle de [son] cœur et de [sa] vie » ; de même, dans l’« Épilogue » il retrace une rapide biographie :
Ô vous qui lirez mes écrits,
Lecteurs trop indulgents, voulez-vous me connaître ?
Mais il demeure difficile de faire la part de l’histoire et de la fiction. Antoine de Bertin est né à l’île Bourbon – actuelle île de La Réunion – le 10 octobre 1752. Son père était alors commandant du Quartier de Sainte-Suzanne, au nord-est de l’île, puis devint, de 1763 à 1767, gouverneur de l’île. Sa mère étant décédée alors qu’il était très jeune, c’est son père qui prit en charge son éducation jusqu’à son départ pour la métropole en 1761, à l’âge de neuf ans21. On ne sait pas grand-chose de ces quelques années à Bourbon où, contrairement à Parny, il ne revint
jamais. On peut supposer qu’il eut une enfance relativement heureuse et aisée, qu’il mythifiera ensuite dans ses poèmes22. La haute société bourbonnaise étant, au milieu du xviiie siècle, assez peu nombreuse, il est fort probable qu’il ait fréquenté les familles de la haute société de la colonie car, comme le signale Léon de Forges de Parny :
Au xviiie siècle, tous les militaires et notables de l’île se connaissaient et se fréquentaient. Dans leur jeune âge, leurs enfants jouaient ensemble sur les plages de Bourbon ou dans les jardins des habitations paternelles.
Bertin, Parny et leurs frères eurent pour premiers instituteurs les Lazaristes qui avaient des établissements à Bourbon. Mais, à cette époque, les colons aisés envoyaient leurs enfants faire leurs études en métropole. C’est Antoine Bertin qui partit le premier de son île natale23.
Arrivé en France, il fit ses études à Paris : il les commença au pensionnat de Colin dans le quartier de Picpus, puis entra au prestigieux collège du Plessis, rue Saint-Jacques, jusqu’en 1771. Il y aurait remporté un prix d’honneur. Après un an de classes, il intègre les Gendarmes de la garde du roi en 1772. Six semaines plus tard, les trois frères Parny le rejoignent : Jean-Baptiste, Évariste et Chériseuil. À la fin de ses années au collège et durant ses classes, il lit les élégiaques latins, s’en inspire et rédige un premier recueil de poèmes : Mes Rêveries, contenant Érato et l’Amour, Poème ; suivi des Riens. Il paraît en 1771 « à Londres24 », mais l’accueil n’est guère favorable, à tel point qu’il préfère l’oublier pour l’édition de ses Œuvres en 1785. Les critiques de la fin du xviiie et du début du siècle suivant – parmi lesquels même son ami Ginguené et l’érudit Boisonnade – n’ont pu en retrouver la trace25. En 1772, il publie « Aux Sauvages » dans l’Almanach des Muses, puis régulièrement d’autres épîtres qui connurent à chaque fois un certain succès. Sans doute est-il donc vrai que c’est lui qui initia Parny à la poésie, comme il le fait dire à l’ermite du Voyage de Bourgogne :
Et toi, qui, de bonne heure introduit au Parnasse,
Le premier le guida dans ses sentiers déserts,
Et, nourri des leçons d’Horace,
L’avertis qu’un peu d’art, loin de nuire à leur grâce,
Embellit les aimables airs ;
Vaincu par lui, dans la future race,
Tu ne seras connu que par ses vers26.
Dans les années 1770, la vie de Bertin se partage entre le domaine de Bélair, propriété familiale du Bordelais, et les demeures des frères Parny : dès 1772, il prend en effet l’habitude de rejoindre les deux frères Parny chez eux, dans le Marais, ou dans un séjour plus champêtre qu’ils occupent dans la vallée de Feuillancour27.
Le père d’Antoine de Bertin, François-Jacques Bertin, avait acquis, en 1771, le château et le domaine de Bélair, dans le Bordelais, dans les Graves, où son fils a, semble-t-il, souvent séjourné. Le château, ainsi que la vigne (Sainte-Marie de Bélair) qui en dépendait, possédaient une forte charge affective pour le poète qui y fait régulièrement allusion et lui consacre une élégie des Amours : « Adieux à une terre qu’on était sur le point de vendre » (III, XX)28. En 1784, suite à un problème de succession, le domaine est saisi et mis en vente, aux enchères, le 7 mars 178529. Mais cet ancrage bordelais présente un autre atout pour l’amant d’Eucharis, de son vrai nom Marie-Catherine Sentuary, épouse de Jean-Louis Testart, négociant-armateur à Bordeaux. Les recherches historiques de Georges Buisson l’ont amené à découvrir que les amants se rencontraient régulièrement dans le Bordelais ; il va même jusqu’à postuler que leur liaison n’était guère discrète, tant le mari se montrait complaisant, ce que tendrait à confirmer l’élégie « À une femme que je ne nommerai point », parue en 1775 dans l’Almanach des Muses. Il est même probable que le quatrième enfant d’Eucharis, Louise-Catherine-Marie-Antoinette Testart, surnommée Zéphirine, était fille d’Antoine de Bertin. Si l’on en croit le poète, leur liaison dura sept ans30. Aussi peut-on supposer qu’un certain nombre des poèmes recueillis dans les Œuvres diverses, publiés dans l’Almanach des Muses entre 1773 et 1777, lui étaient dédiés. « Le Congé. Billet d’Ovide à une dame romaine », paru
en 1777, marque vraisemblablement la fin de leur liaison. En revanche, il est difficile de l’identifier parmi les différentes dédicataires des Rêveries31, pourtant rédigées aux alentours de 1770, époque du début de la liaison ; Georges Buisson postule qu’il pourrait s’agir de la même muse32.
Les deux amants étaient destinés à se rencontrer. Marie-Catherine Sentuary est née, en effet, le 15 janvier 1747 à Saint-Denis, à Bourbon. Fille du procureur général, elle est donc issue du même milieu qu’Antoine de Bertin et il est probable qu’ils se soient croisés sur l’île. Néanmoins, le projet de mariage contrarié par un père, dont il est question dans l’élégie IX du livre I, est certainement une fiction : Marie-Catherine Sentuary a épousé M. Testart en janvier 1767 – Bertin n’a pas encore quinze ans. Mais ils ont pu se revoir aussi bien dans le Bordelais qu’à Paris – où, prétend le poète galamment, il l’aperçut la première fois – ou à Feuillancour chez les frères Parny dont elle est la cousine le plus éloignée. Les sœurs Sentuary semblent muses par nature : la cadette, Michèle Guesnon de Bonneuil, sera ensuite la Camille de Chénier.
Les trois sœurs Sentuary, Mme de Bonneuil, Mme Testart et Françoise-Augustine se retrouvent aussi à Feuillancour dans la joyeuse compagnie des poètes bourbonnais qui fondèrent en 1772 le cercle anacréontique de la Caserne, ainsi parodiquement nommé parce que la majorité de ses membres étaient militaires. Cette « amicale créole33 » réunit nombre de Bourbonnais ou d’Antillais. Société pastiche, à mi-chemin entre les cultes à mystère de l’Antiquité et la loge franc-maçonne, la Caserne reproduit aussi la sociabilité galante des soirées parisiennes. Bertin la définit ainsi dans le Voyage de Bourgogne (1777) :
Représentez-vous […] une douzaine de jeunes militaires, dont le plus âgé ne compte pas encore cinq lustres ; transplantés la plupart d’un autre hémisphère, unis entre eux par la plus tendre amitié, passionnés pour tous les arts et pour tous les talents, faisant de la musique, griffonnant quelquefois des vers, paresseux, délicats, et voluptueux par excellence ; passant l’hiver à Paris,
et la belle saison dans leur délicieuse vallée de Feuillancour. L’un et l’autre asile est nommé par eux la Caserne. C’est là qu’aimant et buvant tour à tour, ils mettent en pratique les leçons d’Aristippe et d’Épicure. Enfin, Madame, qu’on appelle cette société charmante l’ordre de la Caserne ou de Feuillancour, le titre n’y fait rien ; la chose est tout.
La suite du texte décrit un rite d’initiation sans doute assez conforme à ce qui se pratiquait alors, faisant allusion à l’emblème des membres : un ruban gris de lin, orné d’une grappe de raisin couronnée de myrte, une écharpe en l’honneur de l’épicurisme et de la poésie qui parodie délicatement la bandoulière des Gardes du corps.
Outre Bertin et les trois frères Parny, on peut y rencontrer, selon Léon de Forges de Parny34, Catherine et Jean-Benoît Le Tort (cousin des Parny), Auguste de Pinczon du Sel (ami d’enfance d’Évariste), Trophime-Gérard de Lally-Tollendal, Stanislas de Boufflers, Nicolas Magon de la Gervaisais, Théodore de Marsan (propriétaire de l’immeuble loué par Parny dans le Marais), le Chevalier de Bonnard, le vicomte de Bourbon-Busset, Michel de Cubières, Dorat, Fontanes, Chabanon, le Chevalier de Saint-Georges et Ginguené. Les femmes aussi sont tantôt bourbonnaises, à l’instar de Marie-Anne et Luce de Lisle, tantôt de la haute société parisienne comme : la vicomtesse de Castellane, Égidie de Noyan comtesse de Saint-Aulaire, Jeanne Genêt (future Madame Campan), Madame de Sabran (maîtresse de Boufflers). Bien peu militaire, le cercle est marqué par la forte présence de poètes bientôt en vogue, ou de familiers des cercles littéraires35.
Il est intéressant de noter, avec Catriona Seth et Jean-Michel Racault, que nombre des membres créoles de cette amicale connurent une ascension sociale fulgurante36 :
[…] les trois frères Parny furent reçus dans le corps d’élite fort aristocratique que formaient les Gendarmes de la Garde du Roi, Jean-Baptiste Parny et
Antoine de Bertin entrèrent au service du comte d’Artois, frère de Louis XVI (et futur Charles X), le premier devenant même l’un des quatre « écuyers de main » de la Reine ; cette charge peu absorbante, qui consistait à « donner la main à la Reine en l’absence du chevalier d’honneur » permettait surtout aux membres du petit clan d’accéder au cercle des familiers occasionnels de Marie-Antoinette. L’ascension est prodigieuse pour de jeunes Créoles issus d’une lointaine colonie de la mer des Indes, de plus dépourvus en réalité de naissance et de fortune37.
Et Bertin rend à plusieurs reprises hommage à Marie-Antoinette : l’élégie XIX du Livre III, « Les jardins du Petit Trianon », est fondée sur une observation précise du lieu favori de la Reine qui témoigne d’une connaissance intime de l’endroit. Dans le Voyage de Bourgogne, dans la description du château de Choisy, on lit une allusion au couple princier qui y séjourna. Et l’on peut se demander si « l’autre Vénus » de Bertin, dans ses « Vers à M. le Maréchal… » ne serait pas, une fois de plus, Marie-Antoinette qu’il avait pu voir lors des représentations théâtrales du Petit Trianon auxquelles il fait allusion dans une épître du 19 septembre 1780.
La seconde égérie des Amours, à partir du livre III, n’a en revanche aucun lien apparent avec la Caserne. Si l’on se fie aux élégies de Bertin, elle semblait d’abord vivre familièrement avec lui à la campagne, avant de se marier à un riche barbon. Les recherches minutieuses de Georges Buisson l’ont amené à en déduire que Catilie était Élisabeth-Perrine, l’une des deux filles d’un premier mariage d’Hélène Péan, veuve d’un officier de Bourbon, Pierre Lagourgue. Celle-ci avait épousé François Bertin, le père d’Antoine en 1761 et s’était installée avec lui à Bélair, emmenant toute sa petite famille. Élisabeth avait en effet connu un mariage arrangé avec le riche et vieux Rostéguy de Taste le 3 novembre 1780… quelques mois après la première parution des Amours. Dans l’édition suivante, en 1785, Bertin recompose le troisième livre pour y insérer notamment « Sur le mariage de Catilie » où il se plaint de l’union entre la belle Catilie et « un riche époux ». L’allusion aux rigueurs d’un père peut étayer l’hypothèse de Georges Buisson :
Comment ne pas penser que ce mariage de convenance avec un barbon déclinant, mais noble, fut arrangé et imposé par Bertin père et le curateur des mineurs Lagourgue pour couper court au scandale que dut susciter,
dans la bonne société bordelaise, la révélation publique de cette situation pré-mauriacienne38 ?
Deux ans plus tard, Élisabeth devient veuve et riche :
Ainsi s’explique fort bien […] que le poète et sa chère Catilie aient pu reprendre la vie commune, désormais sans gêne aucune, et, présider ensemble aux vendanges et aux fêtes rurales, après le départ de Bertin père pour l’île Bourbon, où il allait s’efforcer en vain de rassembler assez de fonds pour éviter la faillite39.
Malgré d’heureux moments que chante Bertin dans sa nouvelle édition – « les vendanges », notamment – la période est davantage à la mélancolie. Les problèmes d’argent de sa famille empêchent le poète de tenir son rang. On ne sait rien de la fin de sa liaison avec Catilie. Peut-être une certaine lassitude ; Bertin n’écrit plus après 1785 ; aime-t-il encore, celui qui expliquait, dans son « Épilogue » : « la passion fit mon génie » ? Peut-être est-il possible de dater la fin de cet amour, si l’on prend à la lettre ce que dit Parny lorsqu’en 1787, dans son Coup d’œil sur Cythère, désabusé par Éléonore, il s’adresse ainsi au « chantre brillant de Catilie » :
Nous avons aimé tous les deux ;
Sur les bords fleuris du Permesse
L’Amour poussa notre jeunesse,
Et l’heureux nom d’une maîtresse
Embellit nos vers paresseux.
[…] Nous avons trop aimé Vénus ;
Rions-en ; il est doux de rire
Des faiblesses que l’on n’a plus.
Malgré la reconnaissance tant attendue, les années 1780 sont de plus en plus douloureuses pour Antoine de Bertin. Le 24 avril 1783, Catherine Sentuary décède d’un mal phtisique. En 1784, ce sont des ennuis de santé qui l’amènent à partir en cure dans les Pyrénées – d’où il écrit sa dernière lettre connue à Parny. Le 7 mars 1785, la propriété de Bélair est vendue : les Bertin sont en faillite. En 1789, le poète – qui n’écrit plus – décide de suivre Hélène de Lestang, Créole de Saint Domingue, dans son île. Il l’épouse en juin 1790, mais décède moins de trois semaines plus tard, emporté par les fièvres.
Le déraciné
Arraché à sa terre natale avant ses dix ans, décédé à Saint-Domingue peu après son mariage, Bertin est caractérisé par un déracinement permanent. Chez lui, l’exil de la terre natale, la douleur de l’éloignement, nourrissent une poésie empreinte de mélancolie qui permet de faire jaillir le souvenir de l’ici originel, devenu ailleurs exotique, dans la peinture de l’hic et nunc métropolitain40. La sensation de déracinement permanent habite son œuvre, depuis ses textes de jeunesse jusqu’au poème « Épilogue ». L’un de ses tout premiers textes, « Vers à Jeannette à l’Orient » faisait déjà référence à l’arrachement au pays natal :
Mais aurez-vous la cruauté
D’oublier un petit sauvage,
De son Ile autrefois jeté,
Sur votre florissant rivage ;
Qui croyant voir l’Europe en vous,
Rougit de répandre des larmes,
Et s’élançant sur vos genoux,
Dit : mon pays n’a pas ces charmes ?
Sans psychanalyser post mortem le poète, il est aisé de voir que ses amours sont créoles, ce qui autorise encore davantage le recours à l’exotisme dans certaines de ses élégies ou de ses épîtres. Si l’on ne peut parler d’une poétique créole en propre, il est possible de déceler chez Bertin une poétique du déracinement qui dépasse le simple exotisme ornemental à la mode :
La conscience de la spécificité littéraire créole suppose non pas l’exil – le terme serait un peu excessif pour Bertin et certainement faux pour Parny – mais du moins la distance de l’ici à l’ailleurs, le déplacement imaginaire de la colonie vers sa métropole41.
La fondation de la petite société de la Caserne peut ainsi se comprendre comme une façon de renouer avec leurs racines pour les jeunes Créoles. D’où de nombreux jeux entre les poètes qui multiplient les renvois du poème de l’un à une élégie de l’autre, les réponses et les allusions qui ne prennent tout leur sens que dans le cadre de cette communauté42. Ainsi, Parny, comme Bertin, se plaisent à fausser les adresses éditoriales de leurs œuvres, en inscrivant « à Bourbon », quand l’île ne contient encore aucune presse : c’est notamment le cas de la première édition du Voyage de Bourgogne, écrit en réponse aux lettres de Parny (qui deviendront ensuite le Voyage à l’île Bourbon). L’allusion que constitue alors cette fausse adresse est à mi-chemin entre le burlesque et l’hommage : il s’agit d’une relation viatique qui prend des accents tour à tour parodiques – notamment lorsque Bertin compare son embarcation aux navires qui vont peupler les colonies – et nostalgiques, quand il évoque le souvenir de la terre natale où séjourne son meilleur ami.
En fait, c’est davantage lorsque Bertin quitte l’élégie amoureuse pour prendre une tournure plus autobiographique, lorsqu’il s’adresse à son ami Parny ou à un autre individu originaire de Bourbon (comme Des Forges Boucher), que se manifeste la référence à l’île natale, et qu’alors l’exotisme n’est plus une « touche » allusive, mais se teinte d’une profonde sincérité. Contrairement à Parny qui, revenu sur l’île, a pu connaître une certaine déception – d’autant que le séjour a été associé à la trahison de l’être aimé – Bertin a sublimé le souvenir de l’île, royaume de son enfance, qu’il mythifie dans ses poèmes :
Né dans ces beaux climats et sous les cieux amis
Qu’au sein des mers de l’Inde embrase le tropique,
Élevé dans l’orgueil du luxe asiatique,
La pourpre et le satin, ces cotons précieux
Que lave au bord du Gange un peuple industrieux,
Cet émail si brillant que la Chine colore,
Ces tapis dont la Perse est plus jalouse encore,
Sous mes pieds étendus, insultés dans mes jeux,
De leur richesse à peine avaient frappé mes yeux.
Je croissais, jeune roi de ces rives fécondes […].
Que fallait-il de plus ? Dociles à ma voix,
Cent esclaves choisis entouraient ma jeunesse ;
Et mon père, éprouvé par trente ans de sagesse,
Au Créole orgueilleux dictant de justes lois,
Chargé de maintenir l’autorité des rois,
Semblait dans ces beaux lieux égaler leur richesse (III, XX, 109).
Bertin transfigure ici le réel : entre la vision naturellement égocentrique de l’enfant et la mythification entraînée par la nostalgie, Bourbon, son gouverneur, et plus encore le fils de ce dernier se retrouvent au centre de cet autre hémisphère qui travaille à son bonheur forcément facile, et même rendu tel par une prise de conscience naturellement différée. Mais cette vision n’est pas simplement le fait de l’enfance, elle correspond à une géographie de l’intime que l’on retrouve dans l’« Épître à M. Des Forges-Boucher », lorsque le poète s’adresse aux heureux habitants de ce rivage :
Or, dites-moi, quand, des mers du Bengale,
La Chine antique, et sa fière rivale,
L’Inde, en tribut vous portent leurs trésors ;
Quand dans vos bois, sur vos fertiles bords,
Tout s’embellit ; quand vous buvez, à table,
D’un vin du Cap la sève délectable,
Ou ce café qui porte un feu nouveau
Dans tous les sens, chatouille le cerveau :
Qu’importe alors qu’au joug de la Tamise
Howe ait rangé l’Amérique soumise […] ?
Le parallèle est saisissant. Bourbon apparaît ici comme un véritable locus amoenus, où parviennent les richesses du monde, et surtout où s’oublient les soucis du siècle, où « la mer calme et tranquille / Paraît au loin un cristal immobile ». Et c’est aussi une nature riche et généreuse :
Peuple innocent, chéri de la nature,
Quel dieu pour toi fait ployer sans culture
Le bananier sous son riche fardeau,
Et dans tes champs errer le melon d’eau ;
Couvre de pleurs la mangue savoureuse,
Suspend l’orange à sa branche épineuse
Et fait jaunir l’ananas fortuné
D’un long feuillage au sommet couronné43 ?
Elle est aussi, au risque du pléonasme, naturelle en ce sens que, se suffisant à elle-même, elle n’a pas besoin d’agriculture, et encore moins de greffe – procédé dénaturant que le poète dénonce à l’instar de Rousseau –, comme le souligne G. Boucher : Bertin « […] vante l’utilité des végétaux tropicaux […] et condamne les techniques de greffe qui, selon lui, dénaturent les plants originels44 ». Certes, l’ode à la liberté naturelle de Bourbon, où tout pousse évidemment « sans culture », se limite au règne végétal et oublie les quelques 21 047 esclaves que comptait l’île en 176745. Pour Bertin, l’esclave fait partie du « luxe asiatique » de l’île où, comme au Paradis terrestre, on ne travaille pas, pas même la généreuse nature :
Esclave en France, esclave au bord du Tibre,
L’arbre affranchi dans ces lieux est donc libre !
Mais l’image de l’arbre peut aussi se lire comme une métaphore du poète qui se sent, il l’écrit dans l’« Épître à M. Des Forges-Boucher », « transplanté […] d’un autre hémisphère », et il insiste dans son « Épilogue » : « Faible arbuste, à neuf ans transplanté dans Paris. » La mer elle-même lui manque, comme il l’écrit dans son épître « À Messieurs les deux frères de Parny » : « C’est un bonheur dont je n’ai pas joui depuis mon enfance. » Et le rêve du voyage se retrouve l’objet de la onzième élégie du Livre II (« Pour de lointains climats, abandonnons ces lieux »). Dans le Voyage de Bourgogne, la vue d’« un essaim léger d’hirondelles » sur les berges de la Seine stimule l’impossible désir de rejoindre l’ami Parny, alors à Bourbon :
La Peuplade s’exile en de plus doux climats,
Et quitte, en gémissant, les champs qui l’ont vu naître.
Vers les sables brûlants où s’impriment tes pas,
Ami, l’oiseau prudent s’envolera peut-être ; […]
Toi-même, il te verra, sous un palmier sauvage, […]
Il te verrait dans son passage !
Mon cœur est agité de mouvements divers ;
Je le suis encor dans les airs,
Et voudrais être du voyage !
Mais Bertin n’y va pas. C’est tout le paradoxe qui conclut l’« Épître à M. Des Forges-Boucher » ; après avoir longtemps fait l’éloge de Bourbon, de sa nature, après avoir chanté sa nostalgie du pays natal, il achève par ces mots :
C’en est donc fait : une rive si chère
N’aura de moi que mes faibles écrits.
Partez mes vers ; je demeure à Paris.
La nostalgie du poète est bien une constante. Elle apparaît pour la première fois dans « Aux Sauvages », poème paru d’abord dans l’Almanach des muses en 1772, où il semble nier le bonheur prétendu des habitants de Bourbon :
Loin des bords chéris de la France,
Vous avez le front d’être heureux !
Mes amis, connaissez vous mieux,
Et voyez votre impertinence.
[…]
Que je vous plains, mes chers sauvages,
De n’avoir jamais vu Paris !
Les plaisirs de Bourbon sont énumérés sous l’angle de la concession (« il est vrai que ces orangers / […] Ces bois […] / Et vos ananas couronnés […] annoncent des prédestinés »), et les « huttes » s’opposent aux plaisirs de la capitale qui font des Parisiens les « enfants gâtés » de la Nature. Or, en 1778, Bertin écrit au sujet de Bourbon : « Laissez Paris étaler ses miracles / […] Oui, la nature a des aspects plus doux. » En fait, il n’y a pas de contradiction. Si l’on a pu voir un certain racisme méprisant dans la peinture des « crânes ronds et cotonnés » et des « nez camus et basanés » des « Sauvages », ces critiques sont à resituer dans un texte dont la visée est essentiellement parodique, comme pour pallier l’absence et la nostalgie par l’expression du déni et du rejet. C’est davantage « un jeune fat de la capitale46 » qui s’exprime ici, et les plaisirs parisiens énumérés le sont de façon hétéroclite, mettant sur le même plan :
Nos chars transparents, nos palais,
Le boudoir des jeunes actrices,
Nos cuisiniers, nos chapeaux suisses,
Tous nos déguisements anglais,
Nos fiers cochers aux gros bouquets,
À la moustache germanique,
Et la fureur épidémique
De n’avoir plus l’air d’un Français.
La parodie atteint son acmé dans les derniers vers qui ne sont pas sans rappeler De l’esprit des lois de Montesquieu avec la gradation dans l’absurde des arguments fondés sur l’apparence physique et l’indifférence de Dieu47 :
L’Européen est son ouvrage ;
Mais le nez plat d’un Africain
Ne saurait être à son image.
D’où ce plaisir, signalé par Gwenaëlle Boucher48, que prend Bertin dans l’énumération des beautés naturelles de l’île : la critique n’est qu’une feinte.
Mais le poète trouve aussi une nature à chanter en Europe, et les puissants chênes, les hêtres et les cyprès sont plus nombreux, dans ses recueils, que les bananiers et les cocotiers. Et le poète de se consoler avec la campagne française qui présente, à sa façon, une autre nature sauvage qui le console des embarras de la ville. À plusieurs reprises, dans l’ensemble de l’œuvre, il est question de fuir Paris ; c’est tout l’objet de l’Élégie « Éloge de la campagne » qui débute ainsi :
Laissons, ô mon aimable amie,
L’habitant des cités, en proie à ses désirs,
S’agiter tristement et tourmenter sa vie,
Pour se faire à grands frais d’insipides plaisirs,
Les champs du vrai bonheur sont le riant asile […] (III, XXII, 110).
La même rhétorique et les mêmes topiques se retrouvent dans l’« Épître à M. Des Forges-Boucher », où Bertin souligne que le sage « vit à la cour ; mais il meurt dans les champs », et où c’est « un importun du jour » qui vante les plaisirs éphémères et superficiels de la capitale. La campagne française et la nature bourbonnaise se rejoignent dans la même opposition à la cité et à ses artifices.
Mais les deux terres peuvent, à part égale, susciter douleur et nostalgie. Cette identité dans le sentiment procuré se retrouve aussi en négatif dans « Adieux à une terre qu’on était sur le point de vendre ». La mise en vente du domaine familial de Sainte-Marie de Bélair entraîne d’abord la plainte élégiaque du poète dépossédé de ses « pénates chéris » qui le « consol[aient] du fracas de Paris » (III, XX), chantant les « riches moissons » de la vigne. Puis elle rappelle, dans un douloureux écho, la perte plus ancienne, mais comme originelle, de la terre natale. Comme l’analyse Jean-Michel Racault, « la perte du domaine bordelais […], qui réactive la perte première de l’île et de l’enfance, en superpose pour ainsi dire les éléments de décor dans une série de correspondances qui certes ne s’établissent pas terme à terme, mais où l’on retrouve bien un équivalent “exotique” de la description “domestique” initiale49 ». La transition s’opère autour de la notion d’apatride :
Je n’ai plus, désormais étranger dans la France,
De retraite où chanter ni d’asile pour mourir.
Le sentiment dépasse alors la simple nostalgie et confine au désespoir lorsque Bertin résume la double dépossession, qui s’apparente à une perte de soi :
Tout s’est évanoui. Trésor, gloire, splendeur,
Tout a fui, tel qu’un songe à l’aspect de l’aurore,
Ou qu’un brouillard léger qui dans l’air s’évapore,
À cet éclat d’un jour, succède un long malheur.
L’éphémère entre ici dans la vie même de l’auteur qui prend conscience de la vanité de l’être et de sa vie, réduite à un songe. Son vertige a des accents pascaliens : plus de repère pour ce poète qui, d’un hémisphère
à l’autre, ne trouve plus son centre nulle-part, du moins au sens géographique. Lui reste en effet son amour pour Catilie : « Mais son amour me reste et je n’ai rien perdu », conclut-il.
Comme le résultat d’une dissémination qui peine à faire racine, Bertin vit un drame intérieur qui réside dans ce sentiment perpétuel de déracinement. Ce n’est pas tant l’espace en soi qui est problématique, l’ici ou l’ailleurs, mais bien l’identité du poète par rapport à leur dimension emblématique. Si dans l’« Épître à M. Des Forges-Boucher » il s’exclame « Rivage heureux, tu n’es plus ma patrie ! », le mot « patrie » peut alors désigner le « lieu où l’on est né (terre des ancêtres) », ou bien « l’endroit où l’on se sent bien ». Bertin envisage la perte de deux patries : l’originelle, désormais exotique, et celle du nouvel ici, à la fois patrimoniale (la terre de son père) et culturelle (ancestrale par sa vigne qui évoque les poésies antiques, historique par les grands hommes qui l’ont parcourue). Cette dernière devait être la dernière, comme il le déclarait dès le livre II des Amours :
Rendu pour lors à mes premiers penchants,
J’irai, j’irai, loin du monde volage,
De mes aïeux cultiver l’héritage,
Tondre ma vigne, et labourer mes champs (II, I, 59).
Le sujet apatride est l’objet d’un déplacement permanent. Aussi l’enracinement souhaité, pour Bertin, ne peut-il être que d’ordre poétique. D’où l’unité paradoxale de son œuvre – au-delà du classicisme formel –, dans l’écriture de la nature comme source de recueillement et d’inspiration, qu’elle soit exotique ou non. Les arbres semblent interchangeables dans ces vers adressés à Parny :
Couché nonchalamment à l’ombre
Des pins ou des peupliers verts,
Je cherche à donner à mes vers
Ce brillant coloris, ce nombre,
Cet air fini, cet heureux tour,
Et cette grâce naturelle,
Qui d’une lumière immortelle
Parent la moindre bagatelle,
Et qui font vivre plus d’un jour50.
C’est bien une sensation d’éternité, du moins une fuite de l’éphémère que recherche en soi et pour soi le poète. Et lorsqu’il chante
Ces vallons odorants tout peuplés d’orangers,
Où l’on dit qu’autrefois des poètes bergers,
Les premiers dans leurs vers marquèrent la cadence,
il évoque non les arbres de son enfance si récurrents dans ses poèmes exotiques, mais l’Italie antique. Bourbon s’intègre dans cette vaste géographie poétique qui transcende l’Histoire, étape primitive d’un monde qui va de la naissance de l’églogue aux heures de la Caserne, escale possible dans un univers qui va des « sables brûlants51 » aux « glaces hyperborées ». Il s’agit de donner à voir l’ailleurs – tel que le perçoit sa nostalgie, bien sûr – mais aussi de l’intégrer dans sa poétique. D’où des images encore récentes telles que « l’ananas fortuné » ou le « riche fardeau » du bananier. D’où aussi, cette volonté d’inscrire Bourbon dans la mythologie antique : le poète construit ainsi une mythobiographie. L’île dépeinte dans l’« Épître à M. Des Forges-Boucher » est habitée par Vertumne et Flore et ses habitants descendent de Vénus et de Mars, les Dieux protecteurs de Bertin, poète amoureux et soldat :
On sait qu’un jour, pour mieux tromper Vulcain,
Mars et Vénus dans vos bois descendirent ;
L’Amour survint, et vos peuples naquirent52.
C’est un déplacement de la pastorale, par lequel une même mythologie fonde les deux natures : l’églogue est universelle parce que vision d’une âme, point d’ancrage d’une poétique qui, à défaut de pouvoir fixer sa patrie, l’étend à tous les lieux aimés. Aussi ne suffit-il pas de décrire la beauté de la nature au moyen d’artificielles métaphores et périphrases : il faut que celle-ci apparaisse à l’âme heureuse – réellement ou sous la forme du souvenir. Inversement, les moments de douleur défigurent le paysage – comme plus tard chez les Romantiques53 :
Ce vallon frais, par les monts renfermé,
N’offre à mes yeux qu’une aride verdure ;
L’oiseau se tait ; l’air est moins parfumé,
Et ce ruisseau roule une onde moins pure :
Tout est changé pour moi dans la nature ;
Tout m’y déplaît ; je ne suis plus aimé54.
La rime interne déplaît / aimé souligne le lien intime entre la vision intérieure et la transfiguration de la réalité extérieure.
Il y a donc, chez le déraciné, une quête d’adéquation ; et sa poétique elle-même, quand elle cherche à dire l’ailleurs avec les mots de l’ici, relève de cette transplantation qui le mine. Pourtant, il est des greffes qui ont pris, rarement, comme le girofle sur Bourbon :
C’est là qu’au bord d’un ruisseau transparent
De Bornéo le girofle odorant,
Heureux larcin d’un mortel intrépide,
Lève en secret son front jeune et timide.
Ah ! protégez cet arbuste naissant !
L’espoir est permis, mais il demeure fragile, à « protéger ». Phénomène exceptionnel, il l’est davantage encore dans la poésie, ou l’art en général. Ainsi, l’oscillation paradoxale entre une nature tropicale libre, foisonnante et généreuse, d’une part, et les éléments les plus marquants d’une ancienne civilisation – qui remonte, bien sûr, à l’Antiquité gréco-latine – se résout véritablement une seule fois dans l’œuvre de Bertin, dans l’Élégie « Les jardins du petit Trianon », lieu « où l’Art, en l’imitant, surpasse la Nature » (III, XIX, 104) : se promenant dans les « sentiers étroits » menant à un « antre solitaire », puis à une « élégante colonnade » de marbre blanc, le poète se mue en héros de l’Astrée et semble y vivre véritablement la pastorale tant rêvée, lorsqu’il dépose son serment au pieds de la statue du dieu Amour. « Campagne » microcosme, avec ses « vallons » et ses « montagnes », composée sans l’être, « désordre bizarre » où se
retrouvent « le catappas55 de l’Inde » et « l’érable précieux », il s’agit d’une réussite quasi poétique – au sens étymologique – d’une nature artificiellement sauvage :
Quel art a rassemblé tous ces hôtes divers,
Nourrissons transplantés des bouts de l’univers […] ?
Cette fois, par le miracle de l’art, la greffe a pris, soulignant ainsi la douloureuse transplantation du poète et les lacunes de son art, suggérant aussi que les aveux modestes de l’auteur ne sont pas de simples topoi, mais bien l’expression de la conscience de son insuffisance. Lorsqu’il s’écrie, à propos de Bourbon « Mais comment peindre ou compter tes richesses », l’expression de l’indicible ne relève pas seulement de la traditionnelle prétérition de la poésie encomiastique56, ni du lieu commun de la littérature de l’ailleurs, elle introduit au grandiose. Une autre occurrence de cette modalité apparaît dans l’avant-dernière pièce des Œuvres : la « Lettre à M. le Comte de Parny, écrite des Pyrénées ». La peinture d’un paysage de montagnes, à Gavarnie, stupéfie le poète :
Cet endroit est très bien nommé le Chaos57. L’imagination ne peut rien concevoir de plus horrible et de plus beau, de plus triste et de plus imposant.
[…] Je me crus tout d’un coup jeté dans un désert à cent mille lieues de l’Europe et de vous, seul en un mot dans l’univers. Figurez-vous, s’il est possible, un vaste amphithéâtre de rochers perpendiculaires, dont les flancs nus et horribles présentent à l’imagination des restes de tours et de fortifications, et dont le sommet ruisselant de toutes parts est couvert de neiges éternelles. […] Qu’on parle encore de ces ouvrages des Romains, de ces amphithéâtres dont les voyageurs courent admirer les ruines à Nîmes et dans d’autres villes ! Pour être frappé de ces monuments […] il faut n’avoir pas vu ce cirque bien plus auguste, bien plus terrible, où la Nature, aux yeux du philosophe, lutte perpétuellement avec le Temps.
Le paysage grandiose fait se rejoindre les deux sentiments antagonistes fondamentaux de l’œuvre de Bertin, tout en lui faisant sentir, comme en écho, sa propre solitude. Les débris de montagne détachés de leur base et qui forment un autre paysage – déracinés mais pour créer
un nouveau décor, plus beau – communient avec son âme parce qu’ils en expriment l’indicible. Le lecteur peut entendre en écho les vers de Parny face au volcan, paysage dévasté :
Mon œil rapidement porté
De torrents en torrents, d’abîmes en abîmes,
S’arrête épouvanté.
Ô nature ! qu’ici je ressens ton empire !
J’aime de ce désert la sauvage âpreté ;
De tes travaux hardis j’aime la majesté ;
Oui, ton horreur me plaît : je frissonne et j’admire58.
Et le texte de Bertin semble s’achever sur un aveu d’impuissance :
De ce vaste tombeau je ne puis m’arracher. […]
Tout m’attriste et me plaît, tout m’annonce l’empire
De l’éternel vieillard qui fuit sans s’arrêter :
Sur la nature enfin tout force à méditer.
Qu’elle est belle en ces lieux ! quelle horreur elle inspire !
Il nous faudrait ici Buffon pour la décrire,
Et Delille pour la chanter.
Il s’agit bien de dire l’émotion pure qui naît de la contemplation. La place du poème, juste avant l’épilogue, qui signe les adieux de Bertin avec la poésie – il n’en publiera plus désormais – fait sens. Cette fois, l’aveu clôt le texte pour laisser le moment en suspens, dans cette rencontre ineffable entre cet espace dont le sublime est né de sa destruction et le poète déraciné, dans cette coïncidence entre l’éphémère et l’éternel. Déraciné, jeté tel un arbuste fragile, Bertin semble se constituer une seconde patrie. Mais celle-ci est plurielle : la joyeuse communauté des Créoles expatriés de la Caserne, la propriété familiale du Bordelais. Mais toutes sont fragiles : Parny lui manque et lui inspire ses plus beaux textes ; la propriété est mise en vente. Le sentiment initial du déracinement ancre une profonde nostalgie dont l’objet varie, à l’instar des différentes « transplantations » du poète lui-même. Le déracinement de Bertin est sans doute ce qui justifie, dans son œuvre, cette oscillation entre le badin et le grandiose, le grotesque et le sublime.
Au déracinement initial répond une volonté de s’enraciner dans et par la poésie. Et le néoclassicisme59 de l’églogue, loin de se réduire à un artifice à la mode, s’inscrit dans une poétique du sujet qui tend à faire coïncider les éléments épars d’une identité en exil permanent.
La canne et la vigne
Un tel sentiment peut expliquer l’hésitation constante chez Bertin – dans son cœur comme dans ses textes – entre l’exotisme fantasmé de Bourbon et la fascination pour la France qui représente la poésie et la reconnaissance de son identité de poète. D’où un jeu permanent entre l’innovation et les codes d’une poésie ancrée dans la tradition qui peut se percevoir notamment à travers les motifs végétaux qui caractérisent cette poésie néo-classique : la canne à sucre emblématique de Bourbon et la vigne, plante caractéristique de la France, mais aussi lieu commun de la poésie antique et à l’antique.
La vigne et le vin sont des motifs récurrents dans l’œuvre de Bertin. On peut néanmoins repérer deux modalités de traitement de cette double topique. La première ressortit au principe du lieu commun et s’inscrit bien dans la tradition des Anciens d’une célébration de la nature et de ses dons, ou du labeur des paysans. La vigne, au même titre que les ormeaux ou les saules, constitue un élément de décor conventionnel. Elle relève d’une esthétique de l’imitation. Et chez Bertin, l’influence des Géorgiques de Virgile est assez patente. Comme chez Virgile, Tibulle et Properce, les végétaux ont tous une valeur emblématique. Dans cette nature symbolique où le cyprès connote l’idée de deuil – ce qu’il continuera de faire bien après –, la vigne évoque la vie sous toutes ses formes. Elle est un élément du paysage paisible de la campagne lorsque le poète évoque la simplicité de la vie rustique à laquelle il aspire. Loin de se glisser dans le moule éculé d’une simple fiction poétique, Bertin,
avec le possessif « j’irai […] tondre ma vigne » fait référence au réel et à l’intime. Si, lorsqu’il évoque une promenade imaginaire dans la Grèce et l’Italie antiques, Bertin s’attarde évidemment sur « les grappes murissantes » (II, 11-75), la vigne n’est pas qu’un lieu commun d’une poésie toute de conventions, elle fait aussi partie de l’histoire familiale de ce Créole qui découvrit avec fascination le paysage européen à l’âge de dix ans.
Lorsqu’il est heureux en amour, Bertin convoque quasi systématiquement la vigne comme élément important d’un décor qui reflète son sentiment intérieur :
Et l’univers n’est qu’un bocage
Peuplé de fortunés amants (III, 13).
Associée à la relation heureuse, la vigne est finalement un de ces éléments du paysage dont le traitement peut laisser qualifier Bertin de « romantique » au sens que donne Rousseau à ce mot60 ou dans celui de Letourneur61. Dans la cinquième élégie du Livre II, Bertin évoque d’abord la campagne où il allait avec sa belle, près des vignes, vivre sa passion, mais après le départ d’Eucharis, le jardin de leur amour n’est plus qu’un « bois sombre, en cyprès transformé » qui « n’offre à [s]es yeux qu’une aride verdure » (II, 5).
Mais plus que la vigne, c’est davantage le « vin », et surtout l’« ivresse » qui constituent les plus importants leitmotive des Amours de Bertin. Le vin coule à flots dans les évocations festives, généralement à la campagne,
près des vignes qui le produisent : « Le vin coule, on se mêle, on danse sous l’ormeau » (III, 22). La vigne, le vin et l’ivresse, tout coule de source dans la peinture de « La Vendange » au livre III. Bertin y invite Catilie à la récolte du raisin comme à un jeu :
Et, comme on voit la diligente abeille
De leurs plus doux parfums dépouiller les jardins,
En te jouant détache ces raisins (III, 17).
Puis, le vin, servi simplement dans un « broc », « paraît soudain », comme le merveilleux résultat de la récolte. À la diversité des raisins, ceux « qu’un sombre azur colore, / Ceux dont l’émail pâlit, mais que le soleil dore », le « doux muscat » (tous, cependant issus de la même vigne), répond la variété des vins et des plaisirs simples des rires et de la danse, d’une douce folie qui s’empare des gens. La transfiguration poétique (c’est non pas sur une charrette, mais « sur des chars » que sont étalés les « tributs » de Bacchus) traduit les effets merveilleux du vin sur l’âme et sur l’amour.
Aussi l’« ivresse » devient-elle sous la plume du poète synonyme d’amour éperdu. L’image, plus que récurrente dans les Amours, supplante celle, plus morbide, de la « fièvre ». L’association des effets trouve en quelque sorte sa source dans l’observation de la nature, comme dans cette élégie dédiée « à l’Amour » :
Vois-tu la vigne tortueuse
Embrasser les ormeaux et ramper autour d’eux ?
Que plus tendre, ce soir, ou plus voluptueuse,
Catilie, à l’instant qui nous joindra tous deux,
M’enlace de ses bras, m’entoure de leurs nœuds,
Et que sa dent légère, en redoublant mes feux,
Imprime sur ma bouche une marque amoureuse (III, 9).
L’analogie est claire : la femme est la vigne et le vin ; c’est elle qui, dans une immédiateté merveilleuse, provoque l’ivresse. Et si l’amour enivre, c’est surtout de désir et de plaisir : « Mais qui peut arrêter l’impétueuse ivresse / D’un cœur brûlant d’amour et que le plaisir presse ? » répète-t-il (I, 11-51). Cette notion, dans les Amours, a toujours une connotation érotique, voire carrément libertine, lorsque le poète évoque le moment où, grâce au précieux breuvage, il obtint les faveurs d’Eucharis :
Te souvient-il d’un soir, où dans des flots de vin
Tu pris soin d’endormir ta vigilante escorte ? (I, 6)
Signalons toutefois que dans le Voyage de Bourgogne, le vin et l’ivresse sont davantage associés à l’amitié : chaque étape du voyage est prétexte à ouvrir un nouveau flacon, et les bouteilles vides traînent sur le bateau glissant sur la Seine. Autre aspect d’une vie quelque peu dissolue mais rehaussé par l’amitié entre les compagnons, le vin conserve cette douce ambiguïté d’un plaisir quelque peu transgressif.
Une seule fois, Bertin mentionne le vin du solitaire, tentant ainsi de consoler son désespoir suite au départ d’Eucharis :
J’ai souvent essayé de noyer dans le vin
Ma peine et mes tristes alarmes :
Ô Bacchus ! Ton nectar divin
S’aigrissait sur mon cœur, et se tournait en larmes (II, 1).
Bref, il n’y trouve pas « l’espoir, la jeunesse et la vie, / – Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie, / Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux ». Si le « vin » rime toujours avec « divin », cela ne suffit pas. C’est que le précieux breuvage n’est que le révélateur des moments de joie et de bonheur, tout comme la notion d’ivresse (ici objet d’une métaphore filée) permet de mesurer la tristesse et l’absence :
Enfin (je l’avouerai) dans mes bras amoureux
J’ai tenu quelquefois une autre enchanteresse ;
Mais tout à coup, au fort de mon ivresse,
Quand je touchais au moment d’être heureux,
Le souvenir de ma maîtresse
Venait saisir mon cœur et glacer ma tendresse,
Et je sentais expier tous mes feux.
Les motifs de la vigne et du vin montrent donc combien Bertin s’est approprié les lieux communs de la poésie néo-classique dans une expression intime et sincère62. D’un autre côté, on a déjà signalé que la poétique de la nature chez Bertin présentait de réelles similitudes, une vraie unité, qu’il évoque la campagne française ou qu’il chante les
paysages des tropiques. Mais, hormis la petite communauté créole de « La Caserne », les lecteurs de l’époque connaissent mieux les puissants chênes et les sombres cyprès que les bananiers et la canne à sucre. Or celle-ci, en quelque sorte emblème de l’île Bourbon – à l’instar de l’ananas et autres fruits exotiques – est chère au poète.
L’entreprise poétique de Bertin prend alors un tour paradoxal : il s’agit de dire l’ailleurs exotique selon l’esthétique néo-classique fondée en grande partie sur l’imitation et l’allusion. La nature exotique participe ainsi du même univers – au sens étymologique – que celle de l’ici métropolitain. Comment rendre compte poétiquement de ce « bocage » exotique ?
Cette entreprise est souvent dépréciée par une critique qui l’évalue à l’aune de la poésie romantique. Serge Meitinger, par exemple, souligne que « l’exotisme est d’abord contraint de se couler dans le moule élégiaque qui ne lui convient pas vraiment63 ». Il conviendrait plutôt de revenir à la conception de la poésie de l’époque, pour éviter de décréter sèchement « l’inadéquation du style néo-classique au paysage tropical64 » comme Gwenaëlle Boucher, ou même comme Michel Delon qui commente ainsi une métaphore de Bourgeois que l’on trouve aussi chez Bertin :
Quand, après avoir évoqué le parfum d’un beau fruit, Bourgeois ajoute : « Mais rien n’est comparable à sa mâle beauté. / Il mérite le prix dont il est surmonté », la périphrase tient de l’énigme et il faut se reporter à la note pour comprendre : « c’est l’ananas, fruit excellent et surmonté d’une espèce de couronne, dont l’effet est admirable. » Que n’a-t-il dit au beau fruit : tu n’es qu’un ananas ! Ce n’est pas parce qu’elle est trop philosophique ou trop savante que cette poésie lasse parfois son lecteur, mais parce qu’elle traduit par des mots jugés plus nobles ce qu’il voudrait entendre exprimer par des images65.
Mais justement : « tu n’es qu’un ananas » n’est pas une image et ne renvoie à rien sinon à la réduction encore plus mystérieuse d’un mot aux sonorités étranges. Cette dimension didactique accompagne nécessairement la nouveauté à la fois naturelle et poétique. Et Catriona Seth rappelle que « la périphrase appelle la note dans un jeu typique
de la poésie de la fin des Lumières66 » et même que certains des fruits auxquels font référence les poètes ne sont pas encore lexicalisés par l’Académie. Bertin lui aussi évoque souvent la couronne de « l’ananas fortuné » et le même reproche est souvent étendu par la critique des xxe et xxie siècles aux périphrases qu’emploie Bertin pour désigner la canne à sucre. Or, il s’agit au contraire pour lui d’un double objectif : d’une part, renouveler les lieux communs de la poésie élégiaque en les dédoublant à partir d’une réalité autre et, d’autre part, d’ennoblir cette matière exotique par la périphrase ou l’épithète poétique. L’auteur d’élégies doit alors adopter le ton que Marmontel nomme le « familier noble67 ». Il s’agit aussi de respecter les préceptes d’Horace et de Boileau repris par nombre d’arts poétiques du xviiie siècle, comme l’Abrégé des règles de versification française (1745) de Restaut qui détaille les termes proscrits et les expressions prescrites (comme « coursier » au lieu de « cheval68 »), selon le principe que les mots de la poésie « ont beaucoup plus de grâce que ceux dont on se sert habituellement69 ». Et c’est là aussi le rôle de la périphrase et de la métaphore : elles permettent de rehausser ce qui est bas et de transfigurer le monde par le discours : « la périphrase en étendant le discours le relève70 », note Jaucourt. Mais il est permis d’inventer. Le recours aux seuls lieux communs appauvrit la langue, ce que souligne Chénier pour qui la richesse de la poésie est dans ce jeu subtil entre imitation et invention : « Il est certain aussi qu’il y a encore à trouver une infinité d’images nouvelles et de nouvelles combinaisons de mots […] » qui peuvent effaroucher d’abord, « mais que l’habitude lui fera bientôt aimer71. » Et c’est bien ce qui se produit avec « l’ananas fortuné » et les « roseaux savoureux » que, dans les années 1780, les lecteurs identifient grâce aussi à l’intertextualité : dès lors qu’une périphrase est reprise, elle est élevée au rang de lieu commun, justement parce qu’elle a touché l’élite.
Si Dumarsais souligne que les allusions doivent être facilement reçues72, Bertin – par ailleurs instigateur du cercle anacréontique de la Caserne – se plaît aussi à pratiquer l’art de la pointe.
Chénier y excelle et lui qui influença Lamartine et Hugo semble aller assez loin dans la complexité de la périphrase. Il nomme ainsi le chocolat, « du noir cacao la liqueur délicieuse », et « les glands dont l’Yémen [sic] recueille la moisson73 » désignent le café. Bertin, quant à lui, revendique une plus grande simplicité. Son recueil des Amours s’ouvre justement sur son incapacité à écrire dans le style épique et le naturel revendiqué de ses vers guidés par l’inspiration74. C’est sur le mode de l’énumération, voire de l’inventaire, qu’il cite, dans « Adieux à une terre qu’on était sur le point de vendre » les végétaux tropicaux :
Le roseau savoureux, fragile amant des ondes,
Le manguier parfumé, le dattier nourrissant,
L’arbre heureux où mûrit le café rougissant,
Des cocotiers enfin la race antique et fière
Montrant au-dessus d’eux la race tout entière.
À la complexe périphrase métaphorique, il préfère l’épithète poétique. Aux désormais topiques « épis » ou « roseaux jaunissants » désignant le blé, s’ajoutent les « roseaux savoureux » (III, XX, 109) pour métaphoriser la canne à sucre. L’image revient dans l’« Épître à M. Des Forges-Boucher », où Bertin développe cette image (mais il s’adresse ici à un insulaire de Bourbon) :
Quels doux roseaux dans ces plaines jaunissent !
J’entends au loin cent pressoirs qui gémissent :
Du jonc noueux le nectar exprimé
Brille à mes yeux, en sucre transformé,
Ou, pétillant dans sa mousse légère,
Monte, frémit, et s’échappe du verre.
C’est ici et non dans le poème précédent que Bertin ajoute une note didactique : « les cannes à sucre. Outre le sirop et le sucre, on en exprime encore un vin très agréable, nommé, par les Créoles, Frangourin ou vin de cannes. » Le lecteur comprend alors que la canne est bien la vigne des tropiques. Chez Bertin, la périphrase n’a pas qu’une visée didactique (ramener l’inconnu au connu) ou ornementale (par le goût de la pointe). « Couronné » ou « savoureux », le végétal exotique est soit ennobli, soit inscrit dans une poétique du plaisir pour rejoindre la vigne des Antiques. La transfiguration n’est pas seulement affaire de vision – par exemple par le récit d’une fiction poétique de la nostalgie de l’enfance – mais bien de détail, de travail du mot dont la rigueur et le plaisir sont effectivement comparables à ceux du vendangeur.
Merci au Professeur Jean-Michel Racault pour ses précieux conseils et ses encouragements lors de la réalisation de ce travail, ainsi qu’à Mme le Professeur Catriona Seth pour sa relecture éclairante.
Merci enfin à Marie-Pierre Rivière du BTCR de l’Université de La Réunion pour sa disponibilité et son aide technique indispensable.
1 Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, Seconde édition, Paris, Au dépôt de la Librairie Grecque-Latine-Allemande, 1820, p. 363 (« première préface des Méditations »).
2 Plus tard, en effet, Lamartine se détache de cette inspiration première, « car s’il est beau d’être jeune, […] il est plus beau encore de vieillir ». En 1858, il écrit dans son Cours familier de littérature, à propos des Nuits de Musset : « Est-ce qu’il n’y a pas véritablement une poésie moderne, se demande-t-on après avoir lu ces pages délicieuses de mélancolie ? Est-ce qu’Ovide, Anacréon, Tibulle, Properce, Bertin, Parny, ont de telles profondeurs dans le sentiment ? » (XIVe Entretien, XIII). Bien vite, il les range tous, à l’exception de Chénier, parmi les « poètes antipoétiques du dix-huitième siècle, […] versificateurs spirituels de l’école dégénérée de Boileau » (XXIIIe Entretien, XXVII).
3 Ibid.
4 « Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète », ibid.
5 Michel Delon, Anthologie de la poésie française du xviiie siècle, Paris, Gallimard, « Poésie-Gallimard », 1997, p. 24.
6 Dans la cinquième chanson, Parny débute ainsi : « Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage. » Il retourne ainsi l’avertissement de Flacourt, gouverneur de Fort-Dauphin au siècle précédent, qui avait écrit, dans son Histoire de la Grande Isle Madagascar, l’avertissement suivant : « Cave ab incolis » (« méfiez-vous des habitants ») – Étienne de Flacourt, Histoire de la Grande Isle Madagascar, Claude Allibert (éd.), Paris, INALCO-Karthala, 1995, p. 289.
7 Coll., Biographie et galerie historique des contemporains, Paris, Chez M. P. Barthélémy, 1822, p. 90.
8 « C’est en vain qu’un critique sans âme, La Harpe, osa placer au-dessus de Parny, du poète de l’amour, Bertin, le poète des bonnes fortunes. » Biographie nouvelle des contemporains ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité…, Paris, Librairie historique, 1820, art. « Parny ».
9 Ibid., art. « Bertin ».
10 Le véritable titre est : « Adieux à une terre qu’on était sur le point de vendre » (Amours, Élégie XX du livre III).
11 Charles-Hubert Millevoye, Œuvres complètes, 3e édition, t. 1, Paris, Chez Furne, 1827, p. 40.
12 Dominique-Joseph Garat, Précis historique de la vie de M. Bonnard, Paris, De l’Imprimerie de Monsieur, 1787, p. 39.
13 Ibid., p. 88-89.
14 Pierre-Marie-Michel Lepeintre-Desroches (éd.), Poètes français, ou Collection des poètes du premier ordre, et des meilleurs ouvrages en vers du second ordre – Poésies du second ordre : Œuvres de Bertin, Paris, chez Mme Veuve Dabo, 1821, p. xv.
15 « Les premiers succès de son ami échauffèrent l’imagination de Bertin. Les entretiens de Parny achevèrent de l’enflammer. Comme ce général qui se disait tous les jours : “Je veux être un grand capitaine”, Bertin se répétait : “Je serai un poète élégiaque”. Il se retira dans une campagne, seul avec Tibulle, Properce, Catulle, Ovide, et Horace ; les lisant, les relisant sans cesse, la plume à la main, il traduisit en vers leurs passages les plus saillants, les refondit en un corps d’ouvrage, et de ses emprunts parvint à se faire un fonds. Parny, plus sobre dans ses imitations, n’empruntait aux poètes anciens, quelquefois même aux prosateurs modernes, qu’un petit nombre de traits délicatement choisis, mais que la nature lui eût offerts sans leur secours, car il avait ressenti une passion profonde. Plus souvent heureux, Bertin n’aimait que le plaisir. Parny, plus sensible et plus tendre, semblait en quelque sorte n’aimer dans l’amour que l’amour même. De leurs impressions diverses dut résulter la différence de leurs talents », Millevoye, op. cit., p. 37.
16 Georges Buisson, « Le poète Bertin et ses Amours », Cahiers Roucher-André Chénier, no 10-11, 1990-1991, p. 56. Pour une perspective plus large sur le sujet, voir du même auteur : « Le déclassement de la poésie du xviiie siècle sous l’influence de Sainte-Beuve », Œuvres et critiques, VII, I, 1982, p. 117-130.
17 « Les Amours, Élégies en trois Livres. À Paris, chez la Veuve Duchesne, Libraire, rue S. Jacques, au Temple du Goût », Mercure de France, avril 1780, p. 216-226. Voir l’annexe 5 à la fin de ce volume. Ginguené et Eugène Asse identifient La Harpe comme l’auteur de cet article.
18 Mercure de France, janvier 1786, p. 61. Il s’agit de la critique très laudative des Œuvres du chevalier Bertin qui s’étend sur deux numéros : décembre 1785 et janvier 1786. Garat y compare les sources latines (Tibulle et Properce) avec les élégies de Bertin.
19 Catriona Seth, Agnès Steuckardt, André Chénier, Paris, Atlande, « clefs concours », 2005, p. 17.
20 Voir Catriona. Seth, « La possibilité d’un arbre. Ananas, attes et autres lataniers chez Bertin, Parny et Bernardin de Saint-Pierre », Bernardin de Saint-Pierre et l’océan Indien, Jean-Michel Racault, Chantale Meure, Angélique Gigan (éd.), Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 123-139.
21 L’Adonis appareilla le 24 octobre 1761 de Bourbon et arriva à Lorient le 15 février 1762.
22 Voir notamment l’élégie XX du Livre III des Amours, ainsi que l’« Épître à M. Des Forges-Boucher ».
23 Léon de Forges de Parny, « La Caserne », Cahiers Roucher-André Chénier, no 10-11, 1990-1991, p. 15.
24 L’adresse est vraisemblablement fausse.
25 Les Dictionnaires de l’époque datent d’ailleurs généralement l’ouvrage de 1773.
26 Notons qu’il s’agit ici de la partie réécrite du Voyage et qui n’est parue qu’en 1785.
27 Sur ce point, voir Cariona Seth, Évariste Parny (1753-1814). Créole, révolutionnaire, académicien, Paris, Hermann, « La République des Lettres », 2014, p. 44 sq.
28 Voir aussi « La Vendange » dans le Livre III.
29 Peu après la publication de la seconde édition des Amours, d’où le titre de l’élégie.
30 Voir les Amours, Livre II, élégies II et X, ainsi que Livre III « Aux Mânes d’Eucharis ».
31 Érato et l’Amour est dédié à une certaine Cloé ainsi qu’un certain nombre de pièces des Riens. Mais on trouve aussi Glycère, Églé, Doris, Rosine, Thémire…
32 Georges Buisson, art. cité, p. 60.
33 L’expression est de Jean-Michel Racault : Mémoires du Grand Océan. Des relations de voyages aux littératures francophones de l’océan Indien, Paris, PUPS, « Lettres francophones », 2007, p. 166. On comprend ainsi que lorsque Parny consacre un poème à la mort d’Eucharis, ce n’est pas simplement l’ancienne maîtresse de son ami Bertin qu’il chante pour consoler ce dernier, mais son amie à lui aussi, dont le décès l’attriste profondément.
34 Léon de Forges de Parny, « La Caserne », art. cité, p. 18-19, p. 18-09 Catriona Seth émet toutefois un doute raisonnable quant à la certitude de cette liste (Évariste Parny – 1753-1814, op. cit., p. 47).
35 Égidie de Noyan, par exemple, est la fille d’un poète alors célèbre : François-Joseph Beaupoil de Saint-Aulaire (1643-1742), poète de salon, familier de la marquise de Lambert et de la duchesse du Maine. Voir l’élégie que lui dédie Bertin : « À madame la comtesse de Saint Aul… » (Œuvres diverses).
36 Voir à ce propos : Catriona Seth, Évariste de Parny (1753-1814), thèse dactylographiée, Université de Paris-Sorbonne, 1994, p. 121-123.
37 Jean-Michel Racault, Mémoires du Grand Océan, p. 166-167.
38 Georges Buisson, art. cité, p. 67.
39 Ibid.
40 On retrouve d’ailleurs dans sa poésie des éléments qui seront plus tard caractéristiques de la littérature diasporique postcoloniale. À ce sujet, nous nous permettons de renvoyer à notre article : « Antoine de Bertin, une poétique du déracinement », Repenser la diversité : le sujet diasporique, Corinne Duboin (dir.), CRLHOI, Université de La Réunion, Saint-André, Océan Éditions, 2013, p. 89-102.
41 Jean-Michel Racault, Mémoires du Grand Océan, p. 162.
42 Mais Paris suit, à ce moment une véritable mode créole (sans doute du fait de l’influence de cette petite société, dont faisait partie notamment la muse de Chénier) : voir, sur ce point, Jean-Louis Joubert, Histoire littéraire de la francophonie. Littératures de l’océan Indien, Vanves, Edicef-Aupelf, 1991, p. 206-210.
43 Ibid. Nous soulignons. Pour une analyse plus détaillée de la flore exotique de Bourbon chez Bertin, voir : Catriona Seth, « La possibilité d’un arbre. Ananas, attes et autres lataniers chez Bertin, Parny et Bernardin de Saint-Pierre », Bernardin de Saint-Pierre et l’océan Indien, Jean-Michel Racault, Chantale Meure, Angélique Gigan (éd.), Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 123-139.
44 Antoine de Bertin Œuvres, Gwenaëlle Boucher (éd.), Paris, L’Harmattan, « Les Introuvables », 2009, p. 12. Sur cette question, voir aussi C. Seth, art. cité, p. 139.
45 Voir Jean-Michel Racault, Mémoires du grand océan, op. cit., p. 167.
46 Jean-Michel Racault, Mémoires du Grand Océan, p. 173.
47 On se souvient du fameux passage sur « l’esclavage des nègres » : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. – On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir. » Montesquieu, De l’esprit des lois, XV, V.
48 Gwenaëlle Boucher, éd. citée, p. 12 : « Pourtant, cette évocation railleuse du “nez plat d’un Africain” ne peut dissimuler le plaisir qu’éprouve l’auteur à dénombrer les richesses naturelles de ces terres “incultes” […] » (nous soulignons).
49 Jean-Michel Racault, Mémoires du Grand Océan, p. 169-170.
50 Nous soulignons.
51 I, XII. On a déjà pu relever la même expression – ici générique – pour qualifier précisément le sol foulé par Parny dans son Voyage à Bourbon.
52 Mais les noirs descendent de Vulcain dont ils sont la « noire et grossière image » …
53 En ce sens – et sans tomber dans la téléologie – Bertin pourrait être dit « romantique », selon l’acception de Baudelaire : « Le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. Ils l’ont cherché en dehors, et c’est en dedans qu’il était seulement possible de le trouver. Pour moi, le romantisme est l’expression la plus récente, la plus actuelle du beau. Il y a autant de beautés qu’il y a de manières habituelles de chercher le bonheur », Baudelaire, Salon de 1846, in Baudelaire critique d’art, Claude Pichois (éd.), Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1992, p. 80.
54 Nous soulignons.
55 Espèce d’amandier originaire d’Inde orientale.
56 Suit, en effet, un long développement desdites richesses.
57 En italiques dans le texte.
58 Élégie VI, livre IV.
59 Nous employons le terme « néoclassicisme » au sens large, pour désigner ce mouvement dont le rapport à l’Antiquité est de l’ordre de « l’imitation inventrice », selon l’expression de Louis Racine (Réflexions sur la poésie, 1747) reprise par Chénier (Œuvres complètes, Gérard Walter éd., Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1950, p. 690).
60 Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, in Œuvres complètes, B. Gagnebin et M. Raymond (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. 1, 1959, « Cinquième promenade », p. 1040-1049.
61 Le terme de romantisme exprime « une vue, une scène d’objets, un paysage, qui attachent les yeux et captivent l’imagination en éveillant dans l’âme émue des affections tendres et mélancoliques » : « Nous n’avons dans notre langue que deux mots, peut-être même qu’un seul, pour exprimer une vue, une scène d’objets, un paysage, qui attachent les yeux et captivent l’imagination : Si cette sensation éveille dans l’âme émue des affections tendres et des idées mélancoliques, alors ces deux mots, Romanesque et Pittoresque, ne suffisent pas pour la rendre… Le mot Anglais Romantique cité au-dessus est plus heureux et plus énergique : en même temps qu’il renferme l’idée de ses parties groupées d’une manière neuve et variée, propre à étonner les sens, il porte de plus dans l’âme le sentiment de l’émotion douce et tendre qui naît à leur vue, et joint ensemble les effets physiques et moraux de la perspective. » Pierre Letourneur, « Discours extrait des différentes Préfaces, que les Éditeurs de Shakespeare ont mises à la tête de leurs Éditions », in Shakespeare traduit de l’anglois dédié au Roi, Paris, 1776, p. cxviii.
62 Sur ce point, voir Catriona Seth, « La cave des poètes : poétique des vins, imaginaire de l’ivresse », in Dix-huitième siècle, no 29, « Vin, Vignes, Vignerons », E. Wahl et J. Bart (éd.), 1997, p. 269-280.
63 Serge Meitinger, « Exotisme et contre-exotisme dans l’œuvre de Bertin », Cahiers Roucher-André Chénier, no 10-11, 1990-1991, p. 78.
64 Gwenaëlle Boucher, éd. citée, p. 28.
65 Michel Delon, Anthologie…, p. 19.
66 Catriona Seth, art. cité, p. 131. Parny aussi, par exemple, a sacrifié à cet usage.
67 Marmontel, Éléments de littérature, Sophie Le Ménahèze (éd.), Paris, Desjonquères, « xviiie siècle », 2005, art. « Familier », p. 558-562.
68 Il faut bien des règles strictes maintenues et renforcées depuis Boileau pour que Victor Hugo puisse ensuite se vanter de « nomm[er] le cochon par son nom ».
69 Cité par Catriona Seth, André Chénier, op. cit., p. 141.
70 Encyclopédie, vol. 12, 1765, p. 374.
71 Cité par Catriona Seth, André Chénier, op. cit., p. 81.
72 Dumarsais, « Allusion », op. cit., p. 126-129.
73 Cités par Catriona Seth, André Chénnier, op. cit., p. 139.
74 « Je chantais les combats : étranger au Parnasse, / Peut-être ma jeunesse excusait mon audace. / Sur deux lignes rangés, mes vers présomptueux / Déployaient, en deux temps, six pieds majestueux. / De ces vers nombreux et sublimes / L’Amour se riant à l’écart, / Sur mon papier mit la main au hasard, / Retrancha quelques pieds, brouilla toutes les rimes : / De ce désordre heureux naquit un nouvel art » (I, 1, mais il s’inspire d’Ovide, voir note infra).
- CLIL theme: 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN: 978-2-406-05942-4
- EAN: 9782406059424
- ISSN: 2258-3556
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-05942-4.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-17-2016
- Language: French