Avant-propos
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Après Kant. Mélanges offerts à Jean-Pierre Fussler
- Auteur : Hatzenberger (Antoine)
- Pages : 7 à 11
- Collection : Rencontres, n° 600
Article de collectif : 1/24 Suivant
Avant-propos
Tout peut donc être repris […] Mais pour cela, tout doit être « re-vu ».
Ancien élève de l’École normale de Strasbourg, des classes préparatoires du lycée Poincaré de Nancy, puis de l’École normale supérieure de Saint-Cloud (promotion 1969), Jean-Pierre Fussler aime à évoquer particulièrement le souvenir des enseignements reçus de Jean Lechat, de Jean-Toussaint Desanti, de Camille Pernot, de Bernard Besnier, d’Alexandre Matheron, de Martial Gueroult (sur Platon, sur le deuxième livre de l’Éthique, et la dernière année de son cours sur Kant), ou de Georges Labica – sous la direction duquel il a rédigé un mémoire sur les écrits philosophiques de Georges Politzer. Dans les années 1980, il a soutenu une thèse de doctorat sur la philosophie morale et politique de Paracelse à l’université de Strasbourg, sous la direction de Lucien Braun.
De ses maîtres, Jean-Pierre Fussler a retenu la haute exigence du travail philosophique et la fidélité aux grands idéaux républicains de l’instruction publique, qu’il a perpétuées à son tour par son dévouement entier et sans faille à ses élèves et étudiants des lycées de Bouxwiller, dans le nord de l’Alsace, et des classes préparatoires aux grandes écoles du lycée Kléber et du lycée Fustel de Coulanges, à Strasbourg, puis au lycée Lakanal, à Sceaux, en région parisienne, ainsi que par sa participation au jury du concours de l’agrégation de philosophie, et par son enseignement sur la philosophie de Kant à l’École normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud – alors ENS Lettres et Sciences humaines, avant de devenir l’ENS de Lyon. Son cours sur la méthodologie transcendantale de la Critique de la raison pure attend publication.
Nous sommes nombreux à le considérer, à notre tour, comme un maître, et souhaitons rendre hommage ici, par ce recueil, au rôle qu’il a 8joué dans la formation philosophique de plusieurs générations d’étudiants, et à la part active qu’il a prise dans le mouvement de regain des études kantiennes en France.
Par son affinité personnelle avec la langue allemande, mais aussi par son goût pour le grec et le latin, par sa vaste culture – de la philosophie antique à la phénoménologie, en passant par l’âge classique –, par la rigueur méthodologique de ses analyses, Jean-Pierre Fussler a enseigné à lire aussi bien Platon et Aristote, que Descartes et Leibniz, ou Nietzche et Heidegger. Certes, c’est le propre du rythme des programmes des classes de Lettres supérieures et de Première supérieure d’imposer cet éclectisme des auteurs et des thèmes, et le renouvellement annuel du corpus, mais Jean-Pierre Fussler s’est à chaque fois spécialisé, tout en se gardant bien de devenir un spécialiste, au sens restrictif du terme, et en conservant toujours un point de vue synthétique et surplombant sur le vaste panorama de l’histoire de la pensée.
En préface à l’ouvrage tiré de sa thèse sur la Renaissance, Les Idées éthiques, sociales et politiques de Paracelse (1493-1541) et leur fondement (Association des publications des Universités de Strasbourg, 1985), Lucien Braun écrivait : « Jean-Pierre Fussler manifeste à la fois un esprit philosophique, une connaissance accomplie de la langue allemande (ou plutôt de l’alémanique, ce qui est plus rare), une grande familiarité avec les idées politiques du xvie siècle, bref, une capacité et une intelligence interdisciplinaires. »
Tout en sachant conserver toujours cet esprit encyclopédique, et conférant toutes ses lettres de noblesse à la philosophie générale et à l’histoire de la philosophie, Jean-Pierre Fussler a progressivement concentré son attention sur l’œuvre d’Immanuel Kant, qu’il a commentée et traduite. D’abord la Critique de la raison pratique (Paris, GF-Flammarion, 2003), puis La Religion comprise dans les limites de la seule raison (Paris, GF-Flammarion, 2019). Dans la recension de la traduction de l’œuvre de Kant de 1788 pour la Revue philosophique de la France et de l’étranger, André Stanguennec a salué une rédaction « claire, élégante, […] respectant le style parfois contourné de certaines phrases kantiennes », des notes précieuses proposant « un véritable commentaire des pages les plus complexes de l’œuvre », bref, « un réel instrument de travail, particulièrement fiable et utile, tant pour les chercheurs que pour les étudiants1 ». 9La philosophie kantienne du rationalisme critique s’est imposée comme un point nodal et crucial de la problématisation dans les cours de Jean-Pierre Fussler. On peut dire qu’avec, notamment, à la même époque, Michèle Crampe-Casnabet à l’École normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud, Jean-Pierre Fussler a œuvré à la revivification du kantisme dans les études philosophiques françaises des années 1990 et suivantes.
Plutôt assez avare de participations à des colloques, d’interventions éditoriales et de publications académiques – hormis l’article sur le chatouillement dans la philosophie morale de Descartes, en discussion avec Matheron2 –, Jean-Pierre Fussler réserve essentiellement sa pratique philosophique à la relecture des textes et à leur transmission directe, comme, récemment, lors des Rencontres philosophiques de Langres, en 2018 (avec une conférence sur la Critique de la faculté de juger), ou dans des sessions de formation continue des enseignants. La lecture d’abord, et la relecture toujours et encore, avant toute écriture. Pour l’heure, la traduction vient remplir ce double objectif exégétique et pédagogique. L’édition critique de la Raison pratique de Kant est actuellement remise sur le métier par le philosophe traducteur. La nouvelle édition est sous presse. Et le fait d’avoir emprunté récemment à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg un exemplaire de son propre ouvrage sur Paracelse, comme en témoigne le bulletin de prêt à son nom oublié dans l’ouvrage en juillet 2019, serait-il le signe d’un travail en cours, d’un retour aux sources ? Comme l’écrivait Jean-Pierre Fussler naguère en conclusion de ce travail : « Tout peut donc être repris, semble dire Paracelse. Mais pour cela, tout doit être “re-vu”. »
En attendant de le savoir, nous proposons ici ces études offertes à Jean-Pierre Fussler dans ces mélanges : des travaux dont nous aimons à penser qu’ils pourraient l’intéresser, ainsi que ses collègues et tous ses disciples – passés, présents et futurs –, et plus généralement tous les amoureux de la sagesse. Naturellement, nous avons essayé, chacune et chacun, de nous inscrire dans ce que nous avons respectivement pu retenir de ses indications et de ses encouragements sur les chemins de la philosophie. Si la part réservée aux études kantiennes dans ce recueil ne surprendra personne, la diversité des domaines d’étude et la pluralité 10des points de vue se veulent le témoignage en acte de l’ouverture et de la multiplicité des parcours initiés par les leçons philosophiques de Jean-Pierre Fussler. Tâchant de mobiliser, nous aussi, « capacité et intelligence interdisciplinaires », en croisant les approches, nous faisons dialoguer dans cette Festschrift perspectives kantiennes, lectures et relectures des œuvres de Kant, commentaires de son œuvre et études de sa réception contemporaine, mais aussi, plus généralement, questions éthiques, essais phénoménologiques et diverses études philosophiques qui s’accordent toutes sur la nécessité de la méthode, la diversité du rationalisme et les impératifs de la pensée critique. Lectrices et lecteurs percevront les réseaux de références, les liens tissés d’un texte à l’autre, les problématiques récurrentes, les discussions croisées.
La première partie – Perspectives kantiennes – regroupe des analyses d’œuvres de Kant, se concentrant sur la spécificité de son style philosophique dans un passage stratégique de la Dissertation de 1770 (A. Lhomme) ; allant chercher le sens des images mythologiques dans les notes de bas de page de La Religion comprise dans les limites de la seule raison (C. Arlaud) ; explorant sa participation à l’orientalisme à partir de ses remarques sur l’Islam (A. Hatzenberger) ; réfléchissant sur sa conception de la fraternité à la lumière des critiques de la notion de citoyenneté passive dans la philosophie hispanophone contemporaine (H. Marzolf) ; et revenant sur la question de l’idéalité de la paix et de la réalité de la guerre à partir des significations de l’enseigne de l’auberge hollandaise qui donna son titre au projet philosophique de 1795, « Zum ewigen Frieden » (A. Grandjean).
La deuxième partie – (Re)lectures de Kant – prend la mesure de la multiplicité des effets de l’héritage kantien dans l’esthétique allemande, la théorie critique française, l’éthique de la discussion et la philosophie analytique. Comment l’œuvre kantien a-t-il été reçu, utilisé, critiqué, réutilisé, dépassé ? Y a-t-il un kantisme de Goethe (N. Class) ? Quelle influence la troisième Critique a-t-elle eu sur la constitution de la science de l’art en général et chez Edgard Wind en particulier (A. Rieber) ? Comment Kant a-t-il été lu, ou relu, par Michel Foucault (M. Foessel), Albrecht Wellmer (V. Pratt) ou Nelson Goodman (A. Anne-Braun) ?
La troisième partie pose des Questions éthiques, en revenant sur les grands concepts moraux du stoïcisme impérial (L. Tavernier), l’éthicité et l’institutionnalisme chez Hegel (J.-F. Kervégan), et le problème du mal tel qu’il est abordé dans la psychanalyse freudienne (F. Lamouche).
11La quatrième partie – Phénoménologies – fait dialoguer Husserl avec Descartes et Pascal sur le motif de l’origine des connaissances (P. Guenancia), avec Heidegger à propos de la notion de crise (B. Baas), et Merleau-Ponty, à propos de la distinction entre choséité et objectivité, avec un développement vers l’art contemporain (B. Delmotte), et à propos des notions d’histoire et de liberté (A. Hubeny).
La dernière partie – Miscellanées – revient sur les rapports entre religion et philosophie chez Spinoza (C. Dreyfus-Le Foyer), sur le traité d’éducation de Rousseau (J. Goldzink), et sur la figure socratique au prisme de Nietzsche (Th. Bernard). La réflexion se poursuit donc de manière ouverte et inchoative avec l’invocation des personnages conceptuels de Socrate, de Jésus et du Précepteur.
Antoine Hatzenberger
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15413-6
- EAN : 9782406154136
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15413-6.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/01/2024
- Langue : Français
- Mots-clés : Philosophie, Kant, éthique, phénoménologie, politique, esthétique, raison