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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Après Kant. Mélanges offerts à Jean-Pierre Fussler
  • Auteur : Hatzenberger (Antoine)
  • Résumé : Ce recueil d’études philosophiques s’origine dans l’enseignement reçu de Jean-Pierre Fussler, commentateur de l’œuvre kantien. Condisciples, anciens étudiants et collègues s’associent pour un travail collectif rendant compte de la diversité et de l’actualité des domaines et des régimes d’exercice de la raison critique, avec Kant, et après Kant.
  • Pages : 7 à 11
  • Collection : Rencontres, n° 600
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406154136
  • ISBN : 978-2-406-15413-6
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15413-6.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/01/2024
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Philosophie, Kant, éthique, phénoménologie, politique, esthétique, raison
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Avant-propos

Tout peut donc être repris [] Mais pour cela, tout doit être « re-vu ».

Ancien élève de lÉcole normale de Strasbourg, des classes préparatoires du lycée Poincaré de Nancy, puis de lÉcole normale supérieure de Saint-Cloud (promotion 1969), Jean-Pierre Fussler aime à évoquer particulièrement le souvenir des enseignements reçus de Jean Lechat, de Jean-Toussaint Desanti, de Camille Pernot, de Bernard Besnier, dAlexandre Matheron, de Martial Gueroult (sur Platon, sur le deuxième livre de lÉthique, et la dernière année de son cours sur Kant), ou de Georges Labica – sous la direction duquel il a rédigé un mémoire sur les écrits philosophiques de Georges Politzer. Dans les années 1980, il a soutenu une thèse de doctorat sur la philosophie morale et politique de Paracelse à luniversité de Strasbourg, sous la direction de Lucien Braun.

De ses maîtres, Jean-Pierre Fussler a retenu la haute exigence du travail philosophique et la fidélité aux grands idéaux républicains de linstruction publique, quil a perpétuées à son tour par son dévouement entier et sans faille à ses élèves et étudiants des lycées de Bouxwiller, dans le nord de lAlsace, et des classes préparatoires aux grandes écoles du lycée Kléber et du lycée Fustel de Coulanges, à Strasbourg, puis au lycée Lakanal, à Sceaux, en région parisienne, ainsi que par sa participation au jury du concours de lagrégation de philosophie, et par son enseignement sur la philosophie de Kant à lÉcole normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud – alors ENS Lettres et Sciences humaines, avant de devenir lENS de Lyon. Son cours sur la méthodologie transcendantale de la Critique de la raison pure attend publication.

Nous sommes nombreux à le considérer, à notre tour, comme un maître, et souhaitons rendre hommage ici, par ce recueil, au rôle quil a 8joué dans la formation philosophique de plusieurs générations détudiants, et à la part active quil a prise dans le mouvement de regain des études kantiennes en France.

Par son affinité personnelle avec la langue allemande, mais aussi par son goût pour le grec et le latin, par sa vaste culture – de la philosophie antique à la phénoménologie, en passant par lâge classique –, par la rigueur méthodologique de ses analyses, Jean-Pierre Fussler a enseigné à lire aussi bien Platon et Aristote, que Descartes et Leibniz, ou Nietzche et Heidegger. Certes, cest le propre du rythme des programmes des classes de Lettres supérieures et de Première supérieure dimposer cet éclectisme des auteurs et des thèmes, et le renouvellement annuel du corpus, mais Jean-Pierre Fussler sest à chaque fois spécialisé, tout en se gardant bien de devenir un spécialiste, au sens restrictif du terme, et en conservant toujours un point de vue synthétique et surplombant sur le vaste panorama de lhistoire de la pensée.

En préface à louvrage tiré de sa thèse sur la Renaissance, Les Idées éthiques, sociales et politiques de Paracelse (1493-1541) et leur fondement (Association des publications des Universités de Strasbourg, 1985), Lucien Braun écrivait : « Jean-Pierre Fussler manifeste à la fois un esprit philosophique, une connaissance accomplie de la langue allemande (ou plutôt de lalémanique, ce qui est plus rare), une grande familiarité avec les idées politiques du xvie siècle, bref, une capacité et une intelligence interdisciplinaires. »

Tout en sachant conserver toujours cet esprit encyclopédique, et conférant toutes ses lettres de noblesse à la philosophie générale et à lhistoire de la philosophie, Jean-Pierre Fussler a progressivement concentré son attention sur lœuvre dImmanuel Kant, quil a commentée et traduite. Dabord la Critique de la raison pratique (Paris, GF-Flammarion, 2003), puis La Religion comprise dans les limites de la seule raison (Paris, GF-Flammarion, 2019). Dans la recension de la traduction de lœuvre de Kant de 1788 pour la Revue philosophique de la France et de létranger, André Stanguennec a salué une rédaction « claire, élégante, [] respectant le style parfois contourné de certaines phrases kantiennes », des notes précieuses proposant « un véritable commentaire des pages les plus complexes de lœuvre », bref, « un réel instrument de travail, particulièrement fiable et utile, tant pour les chercheurs que pour les étudiants1 ». 9La philosophie kantienne du rationalisme critique sest imposée comme un point nodal et crucial de la problématisation dans les cours de Jean-Pierre Fussler. On peut dire quavec, notamment, à la même époque, Michèle Crampe-Casnabet à lÉcole normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud, Jean-Pierre Fussler a œuvré à la revivification du kantisme dans les études philosophiques françaises des années 1990 et suivantes.

Plutôt assez avare de participations à des colloques, dinterventions éditoriales et de publications académiques – hormis larticle sur le chatouillement dans la philosophie morale de Descartes, en discussion avec Matheron2 –, Jean-Pierre Fussler réserve essentiellement sa pratique philosophique à la relecture des textes et à leur transmission directe, comme, récemment, lors des Rencontres philosophiques de Langres, en 2018 (avec une conférence sur la Critique de la faculté de juger), ou dans des sessions de formation continue des enseignants. La lecture dabord, et la relecture toujours et encore, avant toute écriture. Pour lheure, la traduction vient remplir ce double objectif exégétique et pédagogique. Lédition critique de la Raison pratique de Kant est actuellement remise sur le métier par le philosophe traducteur. La nouvelle édition est sous presse. Et le fait davoir emprunté récemment à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg un exemplaire de son propre ouvrage sur Paracelse, comme en témoigne le bulletin de prêt à son nom oublié dans louvrage en juillet 2019, serait-il le signe dun travail en cours, dun retour aux sources ? Comme lécrivait Jean-Pierre Fussler naguère en conclusion de ce travail : « Tout peut donc être repris, semble dire Paracelse. Mais pour cela, tout doit être “re-vu”. »

En attendant de le savoir, nous proposons ici ces études offertes à Jean-Pierre Fussler dans ces mélanges : des travaux dont nous aimons à penser quils pourraient lintéresser, ainsi que ses collègues et tous ses disciples – passés, présents et futurs –, et plus généralement tous les amoureux de la sagesse. Naturellement, nous avons essayé, chacune et chacun, de nous inscrire dans ce que nous avons respectivement pu retenir de ses indications et de ses encouragements sur les chemins de la philosophie. Si la part réservée aux études kantiennes dans ce recueil ne surprendra personne, la diversité des domaines détude et la pluralité 10des points de vue se veulent le témoignage en acte de louverture et de la multiplicité des parcours initiés par les leçons philosophiques de Jean-Pierre Fussler. Tâchant de mobiliser, nous aussi, « capacité et intelligence interdisciplinaires », en croisant les approches, nous faisons dialoguer dans cette Festschrift perspectives kantiennes, lectures et relectures des œuvres de Kant, commentaires de son œuvre et études de sa réception contemporaine, mais aussi, plus généralement, questions éthiques, essais phénoménologiques et diverses études philosophiques qui saccordent toutes sur la nécessité de la méthode, la diversité du rationalisme et les impératifs de la pensée critique. Lectrices et lecteurs percevront les réseaux de références, les liens tissés dun texte à lautre, les problématiques récurrentes, les discussions croisées.

La première partie – Perspectives kantiennes – regroupe des analyses dœuvres de Kant, se concentrant sur la spécificité de son style philosophique dans un passage stratégique de la Dissertation de 1770 (A. Lhomme) ; allant chercher le sens des images mythologiques dans les notes de bas de page de La Religion comprise dans les limites de la seule raison (C. Arlaud) ; explorant sa participation à lorientalisme à partir de ses remarques sur lIslam (A. Hatzenberger) ; réfléchissant sur sa conception de la fraternité à la lumière des critiques de la notion de citoyenneté passive dans la philosophie hispanophone contemporaine (H. Marzolf) ; et revenant sur la question de lidéalité de la paix et de la réalité de la guerre à partir des significations de lenseigne de lauberge hollandaise qui donna son titre au projet philosophique de 1795, « Zum ewigen Frieden » (A. Grandjean).

La deuxième partie – (Re)lectures de Kant – prend la mesure de la multiplicité des effets de lhéritage kantien dans lesthétique allemande, la théorie critique française, léthique de la discussion et la philosophie analytique. Comment lœuvre kantien a-t-il été reçu, utilisé, critiqué, réutilisé, dépassé ? Y a-t-il un kantisme de Goethe (N. Class) ? Quelle influence la troisième Critique a-t-elle eu sur la constitution de la science de lart en général et chez Edgard Wind en particulier (A. Rieber) ? Comment Kant a-t-il été lu, ou relu, par Michel Foucault (M. Foessel), Albrecht Wellmer (V. Pratt) ou Nelson Goodman (A. Anne-Braun) ?

La troisième partie pose des Questions éthiques, en revenant sur les grands concepts moraux du stoïcisme impérial (L. Tavernier), léthicité et linstitutionnalisme chez Hegel (J.-F. Kervégan), et le problème du mal tel quil est abordé dans la psychanalyse freudienne (F. Lamouche).

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La quatrième partie – Phénoménologies – fait dialoguer Husserl avec Descartes et Pascal sur le motif de lorigine des connaissances (P. Guenancia), avec Heidegger à propos de la notion de crise (B. Baas), et Merleau-Ponty, à propos de la distinction entre choséité et objectivité, avec un développement vers lart contemporain (B. Delmotte), et à propos des notions dhistoire et de liberté (A. Hubeny).

La dernière partie – Miscellanées – revient sur les rapports entre religion et philosophie chez Spinoza (C. Dreyfus-Le Foyer), sur le traité déducation de Rousseau (J. Goldzink), et sur la figure socratique au prisme de Nietzsche (Th. Bernard). La réflexion se poursuit donc de manière ouverte et inchoative avec linvocation des personnages conceptuels de Socrate, de Jésus et du Précepteur.

Antoine Hatzenberger

1 Revue philosophique de la France et de l étranger, vol. 195, no 2, 2005, p. 249-250.

2 « Sur le chatouillement et sa noblesse », article co-écrit avec Fabien Lamouche et paru dans la revue messine de philosophie LAnimal, no 3, 1997, p. 61-70.