Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Amazones de Bohême. Construction du genre et de la nation à l'époque romantique
- Pages : 9 à 11
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 108
Avant-propos
Le romantisme est une notion variable selon l’aire culturelle et le moment de l’histoire européenne qu’on considère, ce qui en fait un mouvement aux contours souvent imprécis. Nous nous réfèrerons principalement dans cet ouvrage au romantisme allemand (Romantik), tel qu’il s’est constitué au tournant des xviiie et xixe siècles à partir des cercles d’écrivains d’Iéna, puis de Heidelberg et, dans une moindre mesure pour ce qui concerne notre propos, de Berlin. La théorie littéraire qui a vu le jour dans ce contexte, de manière précoce par rapport aux autres pays européens, sera l’aune à laquelle nous chercherons à mesurer les littératures nationales qui se font jour au sein d’un espace germanophone alors plus étendu que celui que nous connaissons aujourd’hui et qui, à la fin du xviiie siècle, incluait tout naturellement Prague. La situation de bilinguisme en Bohême, sa proximité géographique avec les pays allemands et sa situation dans le contexte politique qui, jusqu’en 1806, est encore celui du Saint-Empire romain germanique, puis de l’Empire d’Autriche, nous paraissent faire de la littérature de langue allemande le modèle de référence qui s’imposait de la manière la plus évidente dans les pays tchèques – une aire de réception qui ne l’accueille pas toujours de manière favorable pour autant. Par ailleurs, le rôle du romantisme dans la prise de conscience nationale au cours des campagnes napoléoniennes – les guerres dites de libération (Befreiungskriege) – autorise à le considérer comme une impulsion dans les mouvements de « Renouveau » national qui prennent leur essor en Europe centrale entre 1800 et 1848.
Nul doute que le romantisme a fait époque et qu’il doit à ce titre être envisagé comme un phénomène européen. Occasionnellement, nous évoquerons aussi les romantismes français et anglais. Si cependant nous avons choisi d’introduire la notion de Biedermeier dans l’étude du corpus des réécritures de la légende tchèque de la guerre des filles 10à cette époque, c’est afin de mieux cerner les spécificités locales des pays tchèques en contexte habsbourgeois, ainsi que celles de la période sur laquelle nous concentrerons notre étude, à savoir le moment de restauration qui fait suite au Congrès de Vienne, sous le gouvernement du chancelier Metternich dans l’Empire d’Autriche. Apparue dans le contexte de la littérature satirique après 1848, la notion de Biedermeier désigne en effet cette période précise de l’histoire culturelle en Europe centrale, où le romantisme a déjà connu son apogée et où s’installe une politique de répression des mouvements révolutionnaires : elle prend fin avec le printemps des peuples, au moment connu dans l’histoire des pays habsbourgeois sous le nom de Vormärz [avant-mars], préparant les événements de mars 1848 à Vienne.
La notion de Biedermeier est passée des arts décoratifs, où elle désigne d’abord le style d’intérieur propre à cette époque, aux beaux-arts et de manière plus récente à la littérature où elle tend à désigner une forme de repli dans l’intériorité en réaction au régime de censure renforcé avec les décrets de Carlsbad (Karlovy Vary) en 1819. Cette période est généralement caractérisée par un goût prononcé pour le sentimentalisme et un scepticisme désabusé qui rappellent à certains égards le romantisme d’un Alfred de Musset dans les Confessions d’un enfant du siècle (1836), ainsi que par les « scènes d’un petit monde1 » qui anticipent sur l’apparition du réalisme en Europe centrale, comme on peut le voir notamment dans la prose de Franz Grillparzer (1791-1872) ou d’Adalbert Stifter (1805-1868) dans la littérature autrichienne. Nous chercherons à préciser cette notion autant que faire se peut dans le cadre de notre étude, en présentant le Biedermeier comme un contre-modèle au romantisme, qui permet à ce titre de mieux situer le mouvement de Renouveau national en pays tchèques dans son contexte aréal. Ces deux modèles sont certes en concurrence, mais il est évident que des échanges ont lieu au sein de l’espace culturel et linguistique qu’ils partagent.
Les recherches de doctorat dont est issu cet ouvrage, menées sous la direction de MM. Xavier Galmiche et Gérard Laudin, n’auraient pas été possibles sans le soutien de l’UMR Eur’ORBEM, de l’ED IV de la faculté des lettres 11de Sorbonne Université, de l’ENS de la rue d’Ulm et du CIERA. Je remercie également le programme Franz Werfel (OeAD) et l’Université de Vienne, qui ont accueilli mes travaux sous la tutelle de M. Arno Dusini, ainsi que l’Académie des Sciences de la République tchèque.
1 Pour paraphraser le titre de l’écrivain tchèque Gustav Pfleger-Moravský (1833-1875), Z malého světa [Scènes d’un petit monde], Prague, Kober, 1864.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-12140-4
- EAN : 9782406121404
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12140-4.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/10/2021
- Langue : Français