Présentation du numéro
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2021 – 2, n° 10. varia - Auteur : Carvais (Robert)
- Pages : 33 à 42
- Revue : Ædificare
Présentation du numéro
Présenter un numéro « varia » relève toujours de la gageure car, par définition, il contient des contributions composites. Cependant, l’histoire de la construction retrouve ici trois points de vue clés qui la façonnent : celui qui associe les outils et les matériaux, à partir d’une matérialité des objets, celui qui place en son centre les hommes et leur travail et celui qui envisage une réflexion politique, sociale, économique et juridique du phénomène constructif, une sorte de pensée d’une tout autre échelle. Ces trois axes ne sont bien entendu pas exclusifs les uns des autres et s’interpénètrent souvent, d’autant que l’effet des sources communes, des orientations disciplinaires des auteurs contribuent à brouiller les pistes. Néanmoins, cette distinction apparaît ici utile pour présenter les contributions.
Une histoire de la construction matérielle
Nicolas Gasseau au cours d’une enquête quasi policière démonte les croyances populaires voire de certains milieux de spécialistes à l’égard de l’authenticité de deux instruments mythiques de la construction médiévale : la corde à treize nœuds et la quine des bâtisseurs. Au cours d’une démonstration scientifique rigoriste, l’auteur établit que ces outils ne sont en réalité que des inventions du xxe siècle. Son analyse critique finement menée, dotée de bon sens, passe en revue tous les clichés irrationnels de l’imaginaire de la construction médiévale : le secret des métiers, le nombre d’or, l’ésotérisme des compagnons du devoir, la symbolique maçonnique, l’usage de formules géométriques inconnus à l’époque. Pour comprendre comment se sont propagées ses fausses attributions dans l’esprit des amateurs du Moyen Age voire de certains 34médiévistes, l’auteur nous fait voyager de l’Egypte ancienne aux écrits indiens du 1er siècle en passant par les travaux du mathématicien pisan Léonardo Fibonacci et la Gaule des druides.
Les maquettes ont toujours fasciné les esprits des enfants et des adultes comme parvenant à leur faire saisir des œuvres architecturales monumentales d’un seul coup d’œil. La réduction d’échelle donne accès au bâtiment et le met à portée de main pour apprécier les volumes, l’espace, les encombrements dans l’espace. Ce que nous proposent ici les trois auteurs Bill Addis, Dirk Bühler et Christiane Weber, traite d’un usage peu étudié des maquettes comme aide à la conception en génie civil. Après une synthèse historique de cet outil depuis l’Antiquité, le texte dresse un parallèle étonnant montrant l’aussi grande importance de l’usage de la théorie que de celui de la pratique de ce type de maquettes dans la conception constructive. Cet argument contribuerait à lui seul à inclure, dans le cadre de l’enseignement des ingénieurs à côté de l’indispensable théorie, un cours sur l’histoire de ces maquettes et de leur usage. De son côté la recherche historique mériterait de se pencher sur l’analyse de ces outils qu’il conviendrait de mettre au jour, de documenter et bien sûr de conserver, comme il se doit, dans les meilleures conditions possibles. Les auteurs plaident ardemment pour une reconnaissance de cette pratique si utile à la conception en développant des recherches historiques pour retrouver les modèles égarés dans des fonds d’archives divers, dans des lieux d’expérimentation oubliés ou encore dans des musées dédiés.
Bill Addis dresse une histoire des ossatures métalliques pour les fenêtres et vitrages en Grande-Bretagne entre les xviiie et xxe siècles tant sous l’angle technique que sous celui pratique de leurs usages. Le développement de deux secteurs spécifiques a contribué à l’évolution de ces structures permettant au verre de clore les pièces sur l’extérieur ainsi que les façades plus tardivement : d’une part l’usage des bâtiments domestiques, industriels et commerciaux ; d’autre part, la mode à partir des années 1820 des serres, gares, musées, passages couverts et cours intérieures qui réclamaient l’emploi de grandes surfaces de verre dans des structures métalliques. L’auteur en profite pour rappeler le contexte technique de la fabrication de ces pièces : le minerai de fer, le fer forgé, la fonte et l’acier en soulignant leurs caractéristiques de fabrication (forgé, laminé à chaud…), d’assemblage (soudure au plomb, brasure au cuivre 35et étain, à la main ou au marteau hydraulique, rivetage), de solidité et de corrosion (peinture ou galvanisation au zinc). Dans un séquençage non linéaire Bill Addis explore les différentes techniques qui se sont chevauchées dans le temps.
Le fer forgé avec alliage de cuivre dure du xiiie jusqu’en 1820 grâce à sa grande stabilité ; développé surtout en France par le sieur Chopitel, maréchal-ferrant de la manufacture royale près de Paris, les procédés sont patentés en la faveur de James Keir en 1779 avec un alliage utilisé avec succès dans l’industrie des transports maritimes, puis William Playfaire en 1783 dans ce qui fut nommé le métal Eldorado dont se sont servi les plus éminent britanniques au xixe siècle. La fonte se développe à la fin du xviiie siècle dans le cadre de la campagne en faveur des matériaux capables de réduire la vulnérabilité au feu des constructions et s’emploie avec des alliages à des constructions de prestige pour une clientèle fortunée. Une rupture importante intervient avec la production des serres et de bâtiments avec de grandes surfaces vitrées élaborées dans des structures métalliques comme l’emblématique Crystal Palace de Londres en 1850-1851. La parution du premier manuel dédié aux serres en 1817 par John Claudius Loudon répond à de nombreux problèmes de l’évacuation de la condensation d’eau, du bris des glaces, de la conductivité électrique du métal, de sa corrosion ainsi que de sa propension à attirer la foudre. Il préfère le fer forgé à la fonte trop cassante. Trois transformations vont suivre : l’usage des moulins pour produire des sections importantes de métal, l’utilisation de panneaux de verre plus grands qu’habituellement et même incurvés et surtout l’industrialisation et la standardisation de la production de métal. Au début du xxe siècle, plus d’une centaines d’usines se partageaient le marché qui se concentra très rapidement dans deux sociétés importantes qui finirent par fusionner en 1965 : Henry Hope & Sons et Critall Windows, la première qui se spécialisera dans l’isolation thermique et sonore, la seconde internationalement reconnue qui améliora l’assemblage des coins par une brasure en queue d’aronde, facilita le nettoyage des fenêtres et proposa des solutions anti corrosion efficaces. Ces modalités favorisèrent l’usage des murs rideaux dans l’architecture contemporaine.
Même si cette histoire influença peu la théorie constructive, elle servit beaucoup au développement des techniques métallurgiques. De nombreuses questions peuvent encore être abordées sur le plan historique 36comme la réception de telles structures auprès des usagers, l’influence des propriétés du métal sur la conception des structures, l’évolution de la règlementation constructive à l’égard des fenêtres et des vitrages, l’aspect commercial de ces produits et la conservation de ces structures métalliques.
Une histoire humaine de la construction
L’analyse des rémunérations des hommes du fer sur les grands chantiers de construction de la fin du Moyen Age permet à Maxime L’Héritier de s’interroger sur le statut économique de ces artisans dans les rapports qu’ils entretiennent avec leurs commanditaires. À partir des archives comptables sérielles de grands travaux à Troyes, Rouen et Metz, l’auteur se demande si les salaires perçus par ces forgerons, maréchaux et serruriers – pour ne choisir que les plus fréquemment cités – sont dictés et imposés par les maîtres d’ouvrages (constituent-ils une pression économique sur les artisans ?) ou si les travailleurs peuvent influer sur leur rémunération et leur régularité pour former un quasi-monopole et ainsi constituer un privilège à leur égard ? Après une partie introductive posant les jalons de la question dans le contexte géographique du travail distinguant les serruriers urbains des grosses forges rurales et leurs forgerons, quant au type de travaux envisagés entre ceux d’envergure nécessitant la collaboration de plusieurs forgerons à l’ouvrage et ceux plus modestes réalisés par une maréchal ou un serrurier en atelier, soulignant les caractéristiques fondamentales du travail du fer comme étant un « artisanat de transformation », l’auteur expose l’état de ses découvertes : d’une part, l’affirmation d’une grande stabilité des hommes du fer sur les chantiers à travers les mêmes familles ou les mêmes ateliers sur de longues périodes, parfois même après le décès du chef de famille, sur plusieurs générations. D’autre part, à propos des prix du travail, Maxime L’Héritier expose à force d’exemples l’oscillation entre tantôt des rabais choisis par les artisans et tantôt des diminutions de salaires imposés pour débusquer les causes de ces situations de fait et leurs finalités : compenser la hausse du coût de la matière première, garantir une permanence du travail, 37susciter des associations entre artisans, s’accaparer un marché sur le long terme, mettre en concurrence des entreprises…, chaque partie pouvant selon les cas y trouver son compte. L’auteur prudent dans sa démarche comme dans ses conclusions, souligne l’intérêt de poursuivre son étude à partir des sources fiscales ou notariales, et n’hésite pas à mettre en contexte ses résultats : estimation difficile des revenus réels des forgerons qui tiendrait de la gageure, les effets de tempérance de l’usage du remploi, l’évaluation du prix du travail comparé à celui du matériau ou encore la mise en perspective du travail du métal qui ne représente que quelque pour cent des dépenses générales d’un grand chantier par rapport à celui des autres corps de métiers comme ceux de la pierre.
Valérie Nègre propose l’édition d’une archive exceptionnelle, car rare mais aussi précieuse qu’émouvante. Il s’agit du journal de chantier de l’élaboration de la coupole en bois de la Halle au blé de Paris, conservé à la bibliothèque historique de cette ville, dans lequel l’architecte Jacques Molinos relate de sa plume les 6 mois de la fabrique dans ses moindres détails (entre mi-juillet 1782 et janvier 1783). Il consigne essentiellement l’assemblage complexe des échafaudages nécessaires à l’élaboration de la couverture d’une singulière dimension de la cour circulaire du bâtiment. Il révèle combien il est important de souligner une fois encore, et de manière exemplaire ici, la nécessité de comprendre d’une part que le chantier est un perpétuel questionnement inventif face aux blocages ou incidents techniques – le chantier n’est pas uniquement une phase d’exécution, mais aussi et souvent une phase d’émulation créative permanente (les épures sont à corriger au fur et à mesure du travail) ; d’autre part qu’il est véritablement une œuvre collective et non individuelle, mettant même en avant l’ingéniosité des artisans et la hardiesse des ouvriers qui collaborent entre eux (menuisiers et serruriers) et dont le zèle se trouve récompensé (par exemple ici à l’égard de celui qui invente un processus simple de fabrication des mortaises).
Ce chantier politique et technique de premier plan pour la royauté et le bien public est rapporté dans un document manuscrit sans doute préalable à publication. Il relate de nombreuses actions, gestes, opérations menées par les différents et multiples acteurs visés appartenant aux nombreux corps de métiers du bâtiment. Cependant, le texte demeure écrit de manière impersonnelle. Valérie Nègre, met en contexte ce témoignage vivant et prend bien soin de préciser qu’il ne dit pas tout.
38Ce texte se révèle passionnant à plus d’un titre car on le sent proche d’une certaine brutalité de la réalité humaine (description des imprudences et des accidents). Il mériterait une analyse approfondie de la langue usitée et du discours soutenu tellement il est riche en vocabulaire technique en termes de matériaux (jusque dans la précision des essences du bois utilisées : peuplier pour les voliges, chêne des plateformes, coins en chêne et mâts de sapin ou de leur remploi : pierre de démolition, bois de bateau), d’outils (de conception : maquette ; d’accroche et de portage : diable, cordes, broches, hotte, pinces, poulie ou de travail de la matière ligneuse ou métallique : ciseau, hache, bisaiguë [notée bieguë], rabot, scie…), d’actions (de mesure, de maniement, de fabrication, d’ajustement, de contrôle …) et des figures de style (analogie : métaphore de la bergerie ; personnification dans l’expression : pièce de bois affamée ; substitution : périphrase dans l’usage de la « poulie de Newton »1) ou de rites (la pose du bouquet pour signifier la fin d’une étape importante de construction).
L’architecte précise bien les différents lieux du chantier : le bâtiment (cour) et ses échafaudages (en l’air), mais aussi les ateliers couverts et fermés ou baraques. Il organise la gestion de la circulation des matériaux, outils et ouvriers artisans. Une reconstitution visuelle du chantier pourrait même être tentée tellement les actions sont décrites avec précision.
Le document met en avant trois thèmes récurrents :
–La promptitude versus la lenteur du travail, la notion de temps demeurant connexe de l’économie financière du coût du travail, mais aussi de celle des gestes (jet à bras de pierres ; usage de la moufle plutôt que de la chèvre ; du bourriquet plutôt que de la hotte). La régularité est préférée à l’incident. La fourniture du goudron par les mariniers est obtenue à meilleur coût. Les cordages sont empruntés aux Menus Plaisirs. L’élaboration des madriers prend « un tems assez considérable ». Des ajustements peuvent s’avérer difficiles et demander du temps. La réaction face à l’incertitude 39–est immédiate : on démolit pour reconstruire au fur et à mesure un nouvel échafaud. La structure est fixée suite à une série de redressements progressifs. Les forces sont réparties équitablement et l’équilibre final est ainsi obtenu.
–La solidité (la racine du mot est citée dix fois), la sûreté, la stabilité et la légèreté (soulagement des structures) versus la fragilité du travail qui déclenche des accidents de parcours et qui peut même apparaître « à l’œil » ; d’où l’attention, les précautions (le mot y est mentionné à huit reprises) prises pour les éviter : utilisation de plâtre mêlé de suie pour consolider la maçonnerie (dureté et résistance à l’eau) ; pose de goudron pour empêcher l’humidité de pénétrer l’échafaudage ni pendant sa construction, ni à l’occasion d’intempéries, aide à l’écoulement des eaux… L’expertise préventive est de mise à l’encontre de malfaçons constatées en cours du chantier (crevasses, disjonctions, ruptures…). Respect des « usages » à l’occasion de la construction de deux tuyaux de cheminée. Toutes les mesures sont prises pour protéger les ouvriers, « pour que les menuisiers puissent marcher et travailler sur cette corniche avec plus de hardiesse ». La chute d’un ouvrier imprudent est relatée comme dans un reportage. Le renversement d’une ferme est maitrisé sans dégât avec une grande maitrise de réemploi de matériau. On réagit au surpoids et aux intempéries (les cordages peuvent casser par l’effet de la gelée). On surveille le fléchissement des jambes des fermes.
–La mesure est prise en permanence avec ajustement (entoiser avec règles, avec plombs, avec cordeaux) ou le calibrage précis maintes fois vérifiés, voire « revérifiés » et corrigés au fur et à mesure des découvertes des erreurs de calcul et en fonction des difficultés rencontrées à l’occasion de la mise en place des pièces pour le montage des échafaudages. Il est passionnant de lire les propositions faites face aux défauts de niveau des plateformes : « soit en calant […], soit en rabotant […] ». il faut que les pièces de bois conservent leur « direction » malgré le soleil ou la pluie. La surveillance est constante pour rassurer les ouvriers.
40Une histoire politique de la construction
Alejandro González Milea s’intéresse à la courte période entre les années 1763 et 1803 pendant laquelle l’Espagne s’est occupée de gérer le gouvernement de la Louisiane, qui devient au même moment un des Etats du sud-est des Etats-Unis au bord du Golfe du Mexique. Ce territoire aux influences culturelles multiples (française, africaine, américaine et franco-canadienne) qui se reflètent dans les cultures créole et cajun, a connu – on l’oublie souvent – une occupation espagnole. À l’occasion de travaux d’entretien, de réparation et d’agrandissement des ouvrages militaires de la Nouvelle-Orléans, une riche correspondance entre le commandant des ingénieurs, Joachín de la Torre et l’intendant de Louisiane, Ramón López y Angulo, au tournant du siècle renseigne sur les modalités juridiques, techniques et économique les mieux adaptées pour conduire de tels travaux sur un ton polémique. L’auteur y relève les arguments (avantages et inconvénients) discutés par les protagonistes, renvoyant tant à la littérature qu’aux expériences du passé ainsi qu’aux détails constructifs, au milieu de luttes de pouvoir entre les institutions en place (entre l’intendant et le gouverneur, les ingénieurs et le roi, etc.). Le point d’achoppement porte essentiellement sur la nature des contrat de construction mis en place. Ces « asientos » sont des conventions conférant à des acteurs privés le monopole d’exercer une compétence de l’Etat, qu’elle soit d’ordre fiscal, concernant les services publics, dont la construction d’ouvrages militaires, comme d’intérêt public œuvrant pour la défense du territoire. Ce sont en quelque sorte ce que nous nommons aujourd’hui les concessions de service public. Dans un premier temps, l’auteur présente le contexte des divers travaux militaires exécutés en Louisiane coloniale et dans les rapports que cet Etat entretient avec ses voisins afin d’illustrer les défis du contrôle centralisé et les mécanismes de passation des marchés de ces travaux publics (sous-traitance, choix des unités de mesures, cahiers des charges, adjudication aux enchères, cautions, modalités techniques, plans). Dans un deuxième temps, l’auteur se concentre sur la controverse mobilisée autour des asientos dans les archives retrouvées. L’intendant, se basant sur les usages locaux estimait que le contrat de concession était assez pernicieux à l’égard du roi, que 41les travaux – pourtant communs – ne présentaient au final qu’une apparence de qualité mais qu’en réalité ils menaçaient ruine, qu’ils étaient d’une valeur excessive, malgré l’écriture de cahiers des charges précis. Les entrepreneurs contractants se révélaient spéculateurs, décourageant l’innovation et surtout de mauvais exécutant dans l’exercice de leur profession. L’ingénieur rétorquait quant à lui qu’il valait mieux faire des réparations durables plutôt que de faire des économies sur leur durée en les payant moins chères, que les entrepreneurs ont été constamment surveillés pour ces réparations d’une réalisation complexe au final, que la gestion des asientos étaient tout à fait bénéfiques comme si les travaux avaient été réalisés par l’administration. Selon l’auteur, il est important pour notre champ de monopoliser toutes les considérations en jeu sur un chantier sans se focaliser uniquement sur la nature du contrat suivi par les partenaires.
Nathan Brenu montre les imbrications du politique dans la programmation des chantiers portuaires italiens à l’aube de l’Unité italienne. Au xixe siècle, malgré le poids financier de l’économie de guerre civile et en raison de la longueur de ses côtes sur la mer, l’Italie se lance dans une campagne sans précédent de travaux publics portuaires. Dans un premier temps, l’auteur explique en quoi cette ambition constructive s’insère comme symbole politique dans le cadre d’une ambition économique d’inspiration « libre-échangiste ». Il poursuit en soulignant le rôle de l’organisation administrative centralisée de ce nouvel Etat sur le modèle piémontais. Ce sont des lois de 1852 et 1859 originaires de Sardaigne qui classifient les ports en fonction de leur degré d’utilité commerciale et qui répartissent les compétences administratives, techniques et comptables sur les travaux publics entre les différents ministères (Marine, Finances et Travaux publics). De fait, le financement des travaux s’opère entre l’État, la province et la commune concernées avec des tentatives de négociations entre organes bureaucratiques périphériques. La vigilance technique est inspirée du modèle français avec la prééminence des ingénieurs. Cependant, le programme de construction des ports est pensé dans la précipitation et des difficultés de mise en œuvre se ressentent (bricolage administratif, manque d’études préalables, modifications successives des délibérations, accroissement des dépenses, retard dans l’exécution…). De plus, l’administration devait s’adapter au nouveau régime centralisé. Enfin, certains travaux mis en adjudication ne 42trouvent pas d’adjudicataires et pour d’autres, les entrepreneurs choisis en renégocient les conditions. Dans un second temps, l’auteur se concentre sur le projet du port de Naples qui apparaît comme démesuré, d’autant qu’il s’agit de promettre à une capitale déchue un avenir de prospérité économique. Il convient de rééquilibrer le Sud par rapport au Nord. La gestion du dossier n’est pas sans provoquer quelques conflits opposant des notables locaux au gouvernement central. Une commission provinciale s’inquiète d’être ignorée des arcana imperii et de la non-transparence du projet. Le marché public intéresse nombre d’entrepreneurs. Celui qui le remporte, le sieur Gabrielli, reproche aux autorités le manque d’accès aux chantiers, leur incompétence dans le domaine de l’exploitation des pierres afin de justifier son retard. La commission locale nommée pour suivre les travaux critique sa corruption et l’emploi de forçats comme main d ‘œuvre, favorisant le brigandage. L’Etat ne renouvellera pas cette expérience avec cet entrepreneur peu scrupuleux, même si ce dernier réussira à bien profiter de la situation. Pour expliquer la contradiction entre les promesses portuaires non tenues et les premiers résultats réalisés avec précipitation et incohérence, l’auteur invoque d’une part la centralisation à la Française versus un localisme sous exploitée, mais aussi une logique entrepreneuriale contredisant la politique économique d’inspiration libre-échangiste choisie par le nouvel Etat italien.
Robert Carvais
1 Si l’on trouve facilement, en optique, l’expression télescope du « Grand » Newton (1643-1727), père de la mécanique moderne, la poulie ne porte jamais le nom de ce savant sauf qu’elle est utilisée dans l’établissement des trois lois universelle du mouvement (principes d’inertie, fondamental de la dynamique et d’action réciproque). Ce raccourci utilisé par l’architecte Molinos demeure étonnant.
- Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN : 978-2-406-13544-9
- EAN : 9782406135449
- ISSN : 2649-177X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13544-9.p.0033
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 31/08/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : histoire matérielle, histoire humaine et sociale, histoire politique, outils, dispositif, salaire, chantier, contrat, travaux publics.