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Classiques Garnier

Présentation du numéro

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
    2021 – 2, n° 10
    . varia
  • Auteur : Carvais (Robert)
  • Résumé : Ce numéro d’Ædificare s’articule autour de trois axes d’histoire de la construction : celui matériel des objets, outils et matériaux (ici corde à treize nœuds, quine, maquettes de conception, vitrages à ossature métallique), celui humain centré sur le travail (hommes de fer au Moyen Âge tardif ainsi que le récit d’un chantier parisien révolutionnaire) et celui politique (asientos coloniaux espagnols en Louisiane au XIXe siècle et programmations des ports italiens à l’aube de l’Unité italienne).
  • Pages : 33 à 42
  • Revue : Ædificare
  • Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
  • EAN : 9782406135449
  • ISBN : 978-2-406-13544-9
  • ISSN : 2649-177X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13544-9.p.0033
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 31/08/2022
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : histoire matérielle, histoire humaine et sociale, histoire politique, outils, dispositif, salaire, chantier, contrat, travaux publics.
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Présentation du numéro

Présenter un numéro « varia » relève toujours de la gageure car, par définition, il contient des contributions composites. Cependant, lhistoire de la construction retrouve ici trois points de vue clés qui la façonnent : celui qui associe les outils et les matériaux, à partir dune matérialité des objets, celui qui place en son centre les hommes et leur travail et celui qui envisage une réflexion politique, sociale, économique et juridique du phénomène constructif, une sorte de pensée dune tout autre échelle. Ces trois axes ne sont bien entendu pas exclusifs les uns des autres et sinterpénètrent souvent, dautant que leffet des sources communes, des orientations disciplinaires des auteurs contribuent à brouiller les pistes. Néanmoins, cette distinction apparaît ici utile pour présenter les contributions.

Une histoire de la construction matérielle

Nicolas Gasseau au cours dune enquête quasi policière démonte les croyances populaires voire de certains milieux de spécialistes à légard de lauthenticité de deux instruments mythiques de la construction médiévale : la corde à treize nœuds et la quine des bâtisseurs. Au cours dune démonstration scientifique rigoriste, lauteur établit que ces outils ne sont en réalité que des inventions du xxe siècle. Son analyse critique finement menée, dotée de bon sens, passe en revue tous les clichés irrationnels de limaginaire de la construction médiévale : le secret des métiers, le nombre dor, lésotérisme des compagnons du devoir, la symbolique maçonnique, lusage de formules géométriques inconnus à lépoque. Pour comprendre comment se sont propagées ses fausses attributions dans lesprit des amateurs du Moyen Age voire de certains 34médiévistes, lauteur nous fait voyager de lEgypte ancienne aux écrits indiens du 1er siècle en passant par les travaux du mathématicien pisan Léonardo Fibonacci et la Gaule des druides.

Les maquettes ont toujours fasciné les esprits des enfants et des adultes comme parvenant à leur faire saisir des œuvres architecturales monumentales dun seul coup dœil. La réduction déchelle donne accès au bâtiment et le met à portée de main pour apprécier les volumes, lespace, les encombrements dans lespace. Ce que nous proposent ici les trois auteurs Bill Addis, Dirk Bühler et Christiane Weber, traite dun usage peu étudié des maquettes comme aide à la conception en génie civil. Après une synthèse historique de cet outil depuis lAntiquité, le texte dresse un parallèle étonnant montrant laussi grande importance de lusage de la théorie que de celui de la pratique de ce type de maquettes dans la conception constructive. Cet argument contribuerait à lui seul à inclure, dans le cadre de lenseignement des ingénieurs à côté de lindispensable théorie, un cours sur lhistoire de ces maquettes et de leur usage. De son côté la recherche historique mériterait de se pencher sur lanalyse de ces outils quil conviendrait de mettre au jour, de documenter et bien sûr de conserver, comme il se doit, dans les meilleures conditions possibles. Les auteurs plaident ardemment pour une reconnaissance de cette pratique si utile à la conception en développant des recherches historiques pour retrouver les modèles égarés dans des fonds darchives divers, dans des lieux dexpérimentation oubliés ou encore dans des musées dédiés.

Bill Addis dresse une histoire des ossatures métalliques pour les fenêtres et vitrages en Grande-Bretagne entre les xviiie et xxe siècles tant sous langle technique que sous celui pratique de leurs usages. Le développement de deux secteurs spécifiques a contribué à lévolution de ces structures permettant au verre de clore les pièces sur lextérieur ainsi que les façades plus tardivement : dune part lusage des bâtiments domestiques, industriels et commerciaux ; dautre part, la mode à partir des années 1820 des serres, gares, musées, passages couverts et cours intérieures qui réclamaient lemploi de grandes surfaces de verre dans des structures métalliques. Lauteur en profite pour rappeler le contexte technique de la fabrication de ces pièces : le minerai de fer, le fer forgé, la fonte et lacier en soulignant leurs caractéristiques de fabrication (forgé, laminé à chaud…), dassemblage (soudure au plomb, brasure au cuivre 35et étain, à la main ou au marteau hydraulique, rivetage), de solidité et de corrosion (peinture ou galvanisation au zinc). Dans un séquençage non linéaire Bill Addis explore les différentes techniques qui se sont chevauchées dans le temps.

Le fer forgé avec alliage de cuivre dure du xiiie jusquen 1820 grâce à sa grande stabilité ; développé surtout en France par le sieur Chopitel, maréchal-ferrant de la manufacture royale près de Paris, les procédés sont patentés en la faveur de James Keir en 1779 avec un alliage utilisé avec succès dans lindustrie des transports maritimes, puis William Playfaire en 1783 dans ce qui fut nommé le métal Eldorado dont se sont servi les plus éminent britanniques au xixe siècle. La fonte se développe à la fin du xviiie siècle dans le cadre de la campagne en faveur des matériaux capables de réduire la vulnérabilité au feu des constructions et semploie avec des alliages à des constructions de prestige pour une clientèle fortunée. Une rupture importante intervient avec la production des serres et de bâtiments avec de grandes surfaces vitrées élaborées dans des structures métalliques comme lemblématique Crystal Palace de Londres en 1850-1851. La parution du premier manuel dédié aux serres en 1817 par John Claudius Loudon répond à de nombreux problèmes de lévacuation de la condensation deau, du bris des glaces, de la conductivité électrique du métal, de sa corrosion ainsi que de sa propension à attirer la foudre. Il préfère le fer forgé à la fonte trop cassante. Trois transformations vont suivre : lusage des moulins pour produire des sections importantes de métal, lutilisation de panneaux de verre plus grands quhabituellement et même incurvés et surtout lindustrialisation et la standardisation de la production de métal. Au début du xxe siècle, plus dune centaines dusines se partageaient le marché qui se concentra très rapidement dans deux sociétés importantes qui finirent par fusionner en 1965 : Henry Hope & Sons et Critall Windows, la première qui se spécialisera dans lisolation thermique et sonore, la seconde internationalement reconnue qui améliora lassemblage des coins par une brasure en queue daronde, facilita le nettoyage des fenêtres et proposa des solutions anti corrosion efficaces. Ces modalités favorisèrent lusage des murs rideaux dans larchitecture contemporaine.

Même si cette histoire influença peu la théorie constructive, elle servit beaucoup au développement des techniques métallurgiques. De nombreuses questions peuvent encore être abordées sur le plan historique 36comme la réception de telles structures auprès des usagers, linfluence des propriétés du métal sur la conception des structures, lévolution de la règlementation constructive à légard des fenêtres et des vitrages, laspect commercial de ces produits et la conservation de ces structures métalliques.

Une histoire humaine de la construction

Lanalyse des rémunérations des hommes du fer sur les grands chantiers de construction de la fin du Moyen Age permet à Maxime LHéritier de sinterroger sur le statut économique de ces artisans dans les rapports quils entretiennent avec leurs commanditaires. À partir des archives comptables sérielles de grands travaux à Troyes, Rouen et Metz, lauteur se demande si les salaires perçus par ces forgerons, maréchaux et serruriers – pour ne choisir que les plus fréquemment cités – sont dictés et imposés par les maîtres douvrages (constituent-ils une pression économique sur les artisans ?) ou si les travailleurs peuvent influer sur leur rémunération et leur régularité pour former un quasi-monopole et ainsi constituer un privilège à leur égard ? Après une partie introductive posant les jalons de la question dans le contexte géographique du travail distinguant les serruriers urbains des grosses forges rurales et leurs forgerons, quant au type de travaux envisagés entre ceux denvergure nécessitant la collaboration de plusieurs forgerons à louvrage et ceux plus modestes réalisés par une maréchal ou un serrurier en atelier, soulignant les caractéristiques fondamentales du travail du fer comme étant un « artisanat de transformation », lauteur expose létat de ses découvertes : dune part, laffirmation dune grande stabilité des hommes du fer sur les chantiers à travers les mêmes familles ou les mêmes ateliers sur de longues périodes, parfois même après le décès du chef de famille, sur plusieurs générations. Dautre part, à propos des prix du travail, Maxime LHéritier expose à force dexemples loscillation entre tantôt des rabais choisis par les artisans et tantôt des diminutions de salaires imposés pour débusquer les causes de ces situations de fait et leurs finalités : compenser la hausse du coût de la matière première, garantir une permanence du travail, 37susciter des associations entre artisans, saccaparer un marché sur le long terme, mettre en concurrence des entreprises…, chaque partie pouvant selon les cas y trouver son compte. Lauteur prudent dans sa démarche comme dans ses conclusions, souligne lintérêt de poursuivre son étude à partir des sources fiscales ou notariales, et nhésite pas à mettre en contexte ses résultats : estimation difficile des revenus réels des forgerons qui tiendrait de la gageure, les effets de tempérance de lusage du remploi, lévaluation du prix du travail comparé à celui du matériau ou encore la mise en perspective du travail du métal qui ne représente que quelque pour cent des dépenses générales dun grand chantier par rapport à celui des autres corps de métiers comme ceux de la pierre.

Valérie Nègre propose lédition dune archive exceptionnelle, car rare mais aussi précieuse quémouvante. Il sagit du journal de chantier de lélaboration de la coupole en bois de la Halle au blé de Paris, conservé à la bibliothèque historique de cette ville, dans lequel larchitecte Jacques Molinos relate de sa plume les 6 mois de la fabrique dans ses moindres détails (entre mi-juillet 1782 et janvier 1783). Il consigne essentiellement lassemblage complexe des échafaudages nécessaires à lélaboration de la couverture dune singulière dimension de la cour circulaire du bâtiment. Il révèle combien il est important de souligner une fois encore, et de manière exemplaire ici, la nécessité de comprendre dune part que le chantier est un perpétuel questionnement inventif face aux blocages ou incidents techniques – le chantier nest pas uniquement une phase dexécution, mais aussi et souvent une phase démulation créative permanente (les épures sont à corriger au fur et à mesure du travail) ; dautre part quil est véritablement une œuvre collective et non individuelle, mettant même en avant lingéniosité des artisans et la hardiesse des ouvriers qui collaborent entre eux (menuisiers et serruriers) et dont le zèle se trouve récompensé (par exemple ici à légard de celui qui invente un processus simple de fabrication des mortaises).

Ce chantier politique et technique de premier plan pour la royauté et le bien public est rapporté dans un document manuscrit sans doute préalable à publication. Il relate de nombreuses actions, gestes, opérations menées par les différents et multiples acteurs visés appartenant aux nombreux corps de métiers du bâtiment. Cependant, le texte demeure écrit de manière impersonnelle. Valérie Nègre, met en contexte ce témoignage vivant et prend bien soin de préciser quil ne dit pas tout.

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Ce texte se révèle passionnant à plus dun titre car on le sent proche dune certaine brutalité de la réalité humaine (description des imprudences et des accidents). Il mériterait une analyse approfondie de la langue usitée et du discours soutenu tellement il est riche en vocabulaire technique en termes de matériaux (jusque dans la précision des essences du bois utilisées : peuplier pour les voliges, chêne des plateformes, coins en chêne et mâts de sapin ou de leur remploi : pierre de démolition, bois de bateau), doutils (de conception : maquette ; daccroche et de portage : diable, cordes, broches, hotte, pinces, poulie ou de travail de la matière ligneuse ou métallique : ciseau, hache, bisaiguë [notée bieguë], rabot, scie…), dactions (de mesure, de maniement, de fabrication, dajustement, de contrôle …) et des figures de style (analogie : métaphore de la bergerie ; personnification dans lexpression : pièce de bois affamée ; substitution : périphrase dans lusage de la « poulie de Newton »1) ou de rites (la pose du bouquet pour signifier la fin dune étape importante de construction).

Larchitecte précise bien les différents lieux du chantier : le bâtiment (cour) et ses échafaudages (en lair), mais aussi les ateliers couverts et fermés ou baraques. Il organise la gestion de la circulation des matériaux, outils et ouvriers artisans. Une reconstitution visuelle du chantier pourrait même être tentée tellement les actions sont décrites avec précision.

Le document met en avant trois thèmes récurrents :

La promptitude versus la lenteur du travail, la notion de temps demeurant connexe de léconomie financière du coût du travail, mais aussi de celle des gestes (jet à bras de pierres ; usage de la moufle plutôt que de la chèvre ; du bourriquet plutôt que de la hotte). La régularité est préférée à lincident. La fourniture du goudron par les mariniers est obtenue à meilleur coût. Les cordages sont empruntés aux Menus Plaisirs. Lélaboration des madriers prend « un tems assez considérable ». Des ajustements peuvent savérer difficiles et demander du temps. La réaction face à lincertitude 39est immédiate : on démolit pour reconstruire au fur et à mesure un nouvel échafaud. La structure est fixée suite à une série de redressements progressifs. Les forces sont réparties équitablement et léquilibre final est ainsi obtenu.

La solidité (la racine du mot est citée dix fois), la sûreté, la stabilité et la légèreté (soulagement des structures) versus la fragilité du travail qui déclenche des accidents de parcours et qui peut même apparaître « à lœil » ; doù lattention, les précautions (le mot y est mentionné à huit reprises) prises pour les éviter : utilisation de plâtre mêlé de suie pour consolider la maçonnerie (dureté et résistance à leau) ; pose de goudron pour empêcher lhumidité de pénétrer léchafaudage ni pendant sa construction, ni à loccasion dintempéries, aide à lécoulement des eaux… Lexpertise préventive est de mise à lencontre de malfaçons constatées en cours du chantier (crevasses, disjonctions, ruptures…). Respect des « usages » à loccasion de la construction de deux tuyaux de cheminée. Toutes les mesures sont prises pour protéger les ouvriers, « pour que les menuisiers puissent marcher et travailler sur cette corniche avec plus de hardiesse ». La chute dun ouvrier imprudent est relatée comme dans un reportage. Le renversement dune ferme est maitrisé sans dégât avec une grande maitrise de réemploi de matériau. On réagit au surpoids et aux intempéries (les cordages peuvent casser par leffet de la gelée). On surveille le fléchissement des jambes des fermes.

La mesure est prise en permanence avec ajustement (entoiser avec règles, avec plombs, avec cordeaux) ou le calibrage précis maintes fois vérifiés, voire « revérifiés » et corrigés au fur et à mesure des découvertes des erreurs de calcul et en fonction des difficultés rencontrées à loccasion de la mise en place des pièces pour le montage des échafaudages. Il est passionnant de lire les propositions faites face aux défauts de niveau des plateformes : « soit en calant [], soit en rabotant [] ». il faut que les pièces de bois conservent leur « direction » malgré le soleil ou la pluie. La surveillance est constante pour rassurer les ouvriers.

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Une histoire politique de la construction

Alejandro González Milea sintéresse à la courte période entre les années 1763 et 1803 pendant laquelle lEspagne sest occupée de gérer le gouvernement de la Louisiane, qui devient au même moment un des Etats du sud-est des Etats-Unis au bord du Golfe du Mexique. Ce territoire aux influences culturelles multiples (française, africaine, américaine et franco-canadienne) qui se reflètent dans les cultures créole et cajun, a connu – on loublie souvent – une occupation espagnole. À loccasion de travaux dentretien, de réparation et dagrandissement des ouvrages militaires de la Nouvelle-Orléans, une riche correspondance entre le commandant des ingénieurs, Joachín de la Torre et lintendant de Louisiane, Ramón López y Angulo, au tournant du siècle renseigne sur les modalités juridiques, techniques et économique les mieux adaptées pour conduire de tels travaux sur un ton polémique. Lauteur y relève les arguments (avantages et inconvénients) discutés par les protagonistes, renvoyant tant à la littérature quaux expériences du passé ainsi quaux détails constructifs, au milieu de luttes de pouvoir entre les institutions en place (entre lintendant et le gouverneur, les ingénieurs et le roi, etc.). Le point dachoppement porte essentiellement sur la nature des contrat de construction mis en place. Ces « asientos » sont des conventions conférant à des acteurs privés le monopole dexercer une compétence de lEtat, quelle soit dordre fiscal, concernant les services publics, dont la construction douvrages militaires, comme dintérêt public œuvrant pour la défense du territoire. Ce sont en quelque sorte ce que nous nommons aujourdhui les concessions de service public. Dans un premier temps, lauteur présente le contexte des divers travaux militaires exécutés en Louisiane coloniale et dans les rapports que cet Etat entretient avec ses voisins afin dillustrer les défis du contrôle centralisé et les mécanismes de passation des marchés de ces travaux publics (sous-traitance, choix des unités de mesures, cahiers des charges, adjudication aux enchères, cautions, modalités techniques, plans). Dans un deuxième temps, lauteur se concentre sur la controverse mobilisée autour des asientos dans les archives retrouvées. Lintendant, se basant sur les usages locaux estimait que le contrat de concession était assez pernicieux à légard du roi, que 41les travaux – pourtant communs – ne présentaient au final quune apparence de qualité mais quen réalité ils menaçaient ruine, quils étaient dune valeur excessive, malgré lécriture de cahiers des charges précis. Les entrepreneurs contractants se révélaient spéculateurs, décourageant linnovation et surtout de mauvais exécutant dans lexercice de leur profession. Lingénieur rétorquait quant à lui quil valait mieux faire des réparations durables plutôt que de faire des économies sur leur durée en les payant moins chères, que les entrepreneurs ont été constamment surveillés pour ces réparations dune réalisation complexe au final, que la gestion des asientos étaient tout à fait bénéfiques comme si les travaux avaient été réalisés par ladministration. Selon lauteur, il est important pour notre champ de monopoliser toutes les considérations en jeu sur un chantier sans se focaliser uniquement sur la nature du contrat suivi par les partenaires.

Nathan Brenu montre les imbrications du politique dans la programmation des chantiers portuaires italiens à laube de lUnité italienne. Au xixe siècle, malgré le poids financier de léconomie de guerre civile et en raison de la longueur de ses côtes sur la mer, lItalie se lance dans une campagne sans précédent de travaux publics portuaires. Dans un premier temps, lauteur explique en quoi cette ambition constructive sinsère comme symbole politique dans le cadre dune ambition économique dinspiration « libre-échangiste ». Il poursuit en soulignant le rôle de lorganisation administrative centralisée de ce nouvel Etat sur le modèle piémontais. Ce sont des lois de 1852 et 1859 originaires de Sardaigne qui classifient les ports en fonction de leur degré dutilité commerciale et qui répartissent les compétences administratives, techniques et comptables sur les travaux publics entre les différents ministères (Marine, Finances et Travaux publics). De fait, le financement des travaux sopère entre lÉtat, la province et la commune concernées avec des tentatives de négociations entre organes bureaucratiques périphériques. La vigilance technique est inspirée du modèle français avec la prééminence des ingénieurs. Cependant, le programme de construction des ports est pensé dans la précipitation et des difficultés de mise en œuvre se ressentent (bricolage administratif, manque détudes préalables, modifications successives des délibérations, accroissement des dépenses, retard dans lexécution…). De plus, ladministration devait sadapter au nouveau régime centralisé. Enfin, certains travaux mis en adjudication ne 42trouvent pas dadjudicataires et pour dautres, les entrepreneurs choisis en renégocient les conditions. Dans un second temps, lauteur se concentre sur le projet du port de Naples qui apparaît comme démesuré, dautant quil sagit de promettre à une capitale déchue un avenir de prospérité économique. Il convient de rééquilibrer le Sud par rapport au Nord. La gestion du dossier nest pas sans provoquer quelques conflits opposant des notables locaux au gouvernement central. Une commission provinciale sinquiète dêtre ignorée des arcana imperii et de la non-transparence du projet. Le marché public intéresse nombre dentrepreneurs. Celui qui le remporte, le sieur Gabrielli, reproche aux autorités le manque daccès aux chantiers, leur incompétence dans le domaine de lexploitation des pierres afin de justifier son retard. La commission locale nommée pour suivre les travaux critique sa corruption et lemploi de forçats comme main d œuvre, favorisant le brigandage. LEtat ne renouvellera pas cette expérience avec cet entrepreneur peu scrupuleux, même si ce dernier réussira à bien profiter de la situation. Pour expliquer la contradiction entre les promesses portuaires non tenues et les premiers résultats réalisés avec précipitation et incohérence, lauteur invoque dune part la centralisation à la Française versus un localisme sous exploitée, mais aussi une logique entrepreneuriale contredisant la politique économique dinspiration libre-échangiste choisie par le nouvel Etat italien.

Robert Carvais

1 Si lon trouve facilement, en optique, lexpression télescope du « Grand » Newton (1643-1727), père de la mécanique moderne, la poulie ne porte jamais le nom de ce savant sauf quelle est utilisée dans létablissement des trois lois universelle du mouvement (principes dinertie, fondamental de la dynamique et daction réciproque). Ce raccourci utilisé par larchitecte Molinos demeure étonnant.