Comptes rendus
- Publication type: Journal article
- Journal: Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
2018 – 1, n° 3. Autorités te régulations du travail dans le champs de la construction (XIIIe-XIXe siècle) - Authors: Kersuzan (Alain), Poisson (Jean-Michel), Inizan (Christelle), Guillot (Christel), Becchi (Antonio), Manfredi (Carlo), Galavan (Susan)
- Pages: 221 to 256
- Journal: Ædificare
Alain Kersuzan et Jean-Michel Poisson, Glossaire de la construction castrale et civile au Moyen Âge, en France, xiiie-xve siècle. Matériaux, techniques, outils, métiers, édifices, mobilier et armement. Latin-vieux français, Ambérieu-en-Bugey, Amis de Saint-Germain, 2017, 168 p.
Tout à la fois glossaire, en ce qu’il livre la définition de termes rares, anciens et spécialisés, et lexique, par son caractère plurilingue et par la concision de ses définitions, l’ouvrage que livrent Alain Kersuzan et Jean-Michel Poisson se présente comme un outil dont l’existence ne peut que réjouir les chercheurs. Conçu pour « faciliter la lecture et la compréhension des textes », ce glossaire n’a pas de prétention à l’exhaustivité et, du reste, quel travail de ce type pourrait en avoir ? Fruit d’une longue collaboration entre ses deux auteurs, le livre qui nous est proposé s’appuie en grande partie sur le traitement d’un riche corpus de textes des xiiie-xve siècles et tout particulièrement sur les importants fonds des comptes de châtellenies et de péages du comté puis du duché de Savoie et du Dauphiné de Viennois. Il faut, en ce sens, l’envisager comme une facette du travail collectif conduit sur ces sources médiévales dans le cadre de plusieurs des programmes du CIHAM (UMR 5648) et qui ont mené à la numérisation et à la transcription d’importantes séries comptables du xiiie siècle, consultables sur le site www.castellanie.net. S’inscrivant dans la lignée des recherches de Jeanne-Marie Lescuyer-Mondésert et de Paul Cattin sur l’Ain, l’ouvrage publié se concentre sur le vocabulaire tout en envisageant une chronologie et une aire géographique plus larges.
Le titre et les sous-titres du volume mentionnent clairement l’étendue du domaine concerné : construction castrale et civile ; matériaux, techniques, outils, métiers, édifices, mobilier et armement ; latin-vieux français. Le fait que la France concernée corresponde principalement à un grand quart sud-est de la France actuelle n’enlève rien à l’intérêt de la somme publiée pour un domaine (la construction) dont le vocabulaire est rarement explicité dans les dictionnaires généraux et pour lequel les instruments de travail demeurent rares et dispersés, généralement relégués à la fin de travaux universitaires ou d’articles peu accessibles.
222La masse de recherches qu’implique la réalisation d’un tel glossaire se laisse mal appréhender à la seule lecture de celui-ci et l’on ne peut que se réjouir du fait que ces auteurs aient su mener à terme une entreprise d’une telle ampleur. Si l’intérêt premier du lexique est de permettre à des chercheurs plus ou moins avancés de mieux appréhender un vocabulaire complexe et, partant, de mieux comprendre les sources médiévales de la région concernée, le glossaire se présente, en lui-même, comme une source du fait des techniques qu’il documente mais aussi des subtilités sémantiques qu’il propose. Il est, également, source de comparaisons entre aires géographiques diverses et se présente comme un pendant des travaux publiés, par exemple, par Mercedes Gómez-Ferrer, pour l’architecture Valencienne1, par Anna Decri, pour la Ligurie moderne2, ou par Thierry Verdier, pour le Languedoc et le Rouergue3, tout en nous faisant regretter que les travaux de Jean-Loup Delmas sur les termes techniques de la construction en langue d’Oc en usage dans l’Albigeois n’aient pas été entièrement publiés.
Précédé d’une bibliographie assez réduite dans laquelle on peut s’étonner de ne pas trouver mention des travaux universitaires de Gilbert Salmon4, le glossaire adopte une présentation sur trois colonnes : « latin », « français », « définition ». Ce dispositif original évite de multiplier les entrées pour les termes qui, dans les deux langues, seraient assez proches. Il propose et regroupe les graphies proches sous lesquelles un même mot peut se retrouver, renonçant à une simplification ou normalisation malvenue. Une ou plusieurs définitions rapides, si nécessaire, sont placées en regard de chacun des termes et complétées par une série de synonymes renvoyant à d’autres entrées du glossaire. L’ouvrage répond en cela parfaitement à l’objectif de ses auteurs de proposer au lecteur une définition ou une équivalence française lui rendant la compréhension des documents anciens plus aisée. On saluera l’étendue du vocabulaire 223pris en compte (matériaux, techniques, outils, métiers, édifices, mobilier et armement) de même que le recours fréquent à des dessins qui viennent épauler la définition proposée. Les auteurs ont concentré leur attention sur les verbes et les substantifs, sans faire cas des adjectifs ou des locutions, ce qui peut s’expliquer par la « multitude de termes » déjà rassemblée dans l’ouvrage. À raison d’une vingtaine d’entrées par page pour près de 160 pages, ce sont, en effet, près de 3200 mots que compte ce glossaire ; un chiffre qui, à lui seul, en souligne l’intérêt. Ce livre a le mérite de rassembler et de rendre accessible un vocabulaire rare et souvent difficile à restituer. Les auteurs présentent ce lexique comme non définitif et envisagent qu’il soit « complété et précisé ». Dans cette optique et pour aller un peu au-delà de la seule compréhension des textes, l’ajout de données concernant l’origine textuelle, historique et géographique des termes pourrait être particulièrement intéressant. Mais il s’agit là d’une autre étape et nous devons, à ce jour, nous réjouir de la publication de cette recherche érudite et de la mise à disposition d’un outil qui rendra assurément, d’immenses services aux historiens.
Philippe Bernardi
CNRS – LAMOP
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Christelle Inizan, avec la collaboration de Jean-Jacques Roman, Christel Guillot et Luis José Alderete, Plâtre : sols et couvrements intérieurs du xiiie au xixe siècle, Paris, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2017, 367 p.
Quand Christelle Inizan (chargée de recherche au Centre de Recherche sur les Monuments Historiques – CRMH) s’empare du 224sujet du plâtre en 2013, elle fait une constatation : la bibliographie du matériau est extrêmement lacunaire5. S’il existe un véritable manque à ce sujet dans la littérature technique constructive, elle réalise rapidement que le sujet est vaste. Elle se voit ainsi obligée de restreindre les thèmes abordés. L’autrice l’évoque elle-même au cours du texte (p. 10) : elle écarte de la publication les éléments de second œuvre (pourtant chers à la collection les Albums du CRMH) tels que les plâtres de moulage et de restauration, les supports de couche picturale, les clefs pendantes, les cloisonnements, les cheminées, les escaliers. Elle écarte également tous les usages de gros œuvre dit « plâtre de construction » tels que les moellons de gypse, parpaings de plâtre, plâtre banché, plâtre de scellement extérieur, plâtre de couverture et enduits de façade6. En se focalisant sur les sols et couvrements, elle restreint son sujet tout en valorisant la collection de relevés détenus par les archives du CRMH. Ce choix drastique permet aussi de centrer la problématique sur les ouvrages complexes que sont les planchers, plafonds, voûtes et coupoles, pour lesquels le plâtre joue un rôle autant ornemental que structurel.
Publié aux éditions du Patrimoine, l’ouvrage s’inscrit dans la collection des Albums du CRMH et s’adresse à un public de professionnels du secteur de la restauration du patrimoine. La collection est traditionnellement dédiée aux architectes qui y trouvent, depuis les années 1980, des planches iconographiques, des détails techniques et des exemples de mise en œuvre. Elle offre ainsi un panel d’outils documentaires et techniques pour comprendre et mieux restaurer les édifices du patrimoine bâti. Dans la continuité de la collection, l’ouvrage conserve la structure des albums précédents. Débutant par une introduction sur le matériau (novatrice !), il se poursuit avec une typologie plus classique des sols 225et plafonds. La partie des planches iconographiques met en valeur le fonds documentaire du CRMH tandis que la dernière partie est dédiée à la présentation des relevés récents. Ceux-ci s’articulent autour d’une étude de vingt-cinq sites à travers la France, révélant la richesse d’un patrimoine encore très méconnu.
L’absence d’ouvrage de référence sur l’histoire du plâtre, qui accompagne pourtant la construction de l’Antiquité à nos jours, oblige l’autrice à commencer son propos par une introduction générale sur le matériau. Cette manière d’aborder le sujet diffère totalement des autres ouvrages de la collection, dédiés à des dispositifs techniques (menuiseries, vantaux, escaliers, plafonds, rampes, lambris, charpentes, etc.) avant d’être dédiés à un matériau. Cet ouvrage s’intitule donc « Plâtre », de manière à se poser en ouvrage de référence au sein d’une bibliographie restée, jusqu’à aujourd’hui, dérisoire.
Alors que l’histoire des matériaux n’est plus enseignée et que les historiens de la construction sont encore rares, l’autrice s’empare des pratiques de différents champs disciplinaires pour élaborer sa méthodologie d’étude. Pour compenser une maigre littérature de référence, elle convoque des visites de chantiers, des résultats de fouilles archéologiques et de nombreux entretiens avec des spécialistes d’horizons divers tels que les archéologues, architectes, conservateurs, restaurateurs, ingénieurs et entreprises de fabrication ou de mise en œuvre du plâtre. Cette réunion de connaissances vivantes (les notes de bas de page nous renseignent sur les noms des spécialistes convoqués) est associée à une étude documentaire plus classique, basée sur les traités de construction, accompagnée d’une abondante iconographie. Celle-ci associe les habituelles gravures anciennes et photographies d’édifices à des photographies de chantier de restauration et d’échantillons de matériaux récoltés pour la matériauthèque du CRMH.
L’ouvrage nous présente l’étude des planchers selon plusieurs thèmes. Ils sont introduits par l’observation du sol, puis de la structure (bois, métal ou terre cuite), car le plâtre participe également à la solidité de l’ensemble avant d’être un matériau décoratif – il peut même être structurant7. Enfin, les différents types de plafonds sont abordés ainsi 226que tous les ornements en découlant. Par ce procédé, l’ouvrage rend hommage à un matériau mal-aimé. Le plâtre est souvent associé à une incompatibilité avec le bois ou le métal, ou à l’image d’un décor factice doré ou peint. Le texte, comme la riche iconographie des relevés, redonne à ce matériau un rôle constructif, tout en louant son incombustibilité, sa légèreté et son excellente compatibilité avec les autres éléments constitutifs des planchers.
Les textes de l’ouvrage tendent, cependant, à uniformiser le matériau et ses techniques. En effet, la lecture des différents chapitres renvoie à l’idée d’une permanence des techniques artisanales du xiiie siècle au xixe siècle, qui seraient communes au territoire français. Or, la qualité et la mise en œuvre du plâtre sont extrêmement fluctuantes à travers le temps et les régions françaises. Celles-ci sont souvent empreintes d’une culture constructive locale définie par ses propres termes, ses techniques, ses outils et son vocabulaire dédié. Elle a parfois disparu, comme c’est le cas dans le Bassin Parisien. La lente unification des pratiques apparaît à partir de la deuxième moitié du xixe siècle et la plâtrerie devient homogène sur le territoire français au cours du xxe siècle. Cette tendance à lisser les différences est cependant rattrapée par la diversité des cas d’études. Au nombre de vingt-cinq, ceux-ci sont choisis parmi les grands pôles traditionnels de la plâtrerie française. Les huit exemples franciliens font honneur à l’architecture des grands maîtres d’œuvres parisiens, depuis la coupole du grand salon central du Château de Vaux-le-Vicomte jusqu’au sol de la Bibliothèque Nationale de France d’Henri Labrouste. Pour ce dernier exemple, l’autrice a suivi la restauration des coursives de plâtre destinées à étouffer le roulement des chariots des magasiniers. Le pôle de la plâtrerie normande est représenté par un édifice dont le sol en damier semble remonter au xviiie siècle, perpétuant la tradition séculaire de l’utilisation du gypse francilien en Normandie par le biais de la Seine. Le Grand Est français donne à voir la diversité des plafonds à Estrich coulés et moulés, au nombre de cinq. Technique unique à la région, les derniers exemplaires de ce petit patrimoine sont menacés par la réhabilitation brutale des maisons rurales où ils sont mis en œuvre. Enfin, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est mise à l’honneur par l’étude de huit sites, dont six dans le Vaucluse, exprimant la richesse des plafonds à entrevous médiévaux de la région. Si l’autrice a su rassembler différentes disciplines 227pour accumuler des connaissances, elle a également su fouiller dans le patrimoine vernaculaire autant que dans le patrimoine monumental pour enrichir son sujet.
De petites approximations se sont glissées dans le texte : le gypse est très soluble dans l’eau, en dépit de ce que dit l’autrice (p. 11), tandis que les façades en fausses briques ne semblent pas à leur place parmi les stucs (p. 26). Le glossaire, très utile pour ce type d’ouvrage technique, peut sembler un peu court au lecteur amateur qui découvre le sujet, et insuffisant pour un spécialiste. Une bibliographie soignée rassemble les ouvrages de référence qui permettront aux curieux de poursuivre leur lecture.
Ceci dit, cet album du CRMH réalise un double exploit. Celui d’être un outil utile, bien documenté et illustré à l’intention des architectes et des autres acteurs du patrimoine intervenant sur la restauration des sols et plafonds anciens. En cela, il occupe une place de choix parmi les autres albums du CRMH. Mais il devient également une référence dans le petit milieu grandissant du plâtre8. L’histoire du matériau y est racontée sans prétendre à l’exhaustivité, voire de manière très raccourcie : concentrer l’histoire du plâtre du xviie au xxe siècle en deux pages est un travail extrêmement synthétique ! Mais ce chapitre introductif a le mérite d’être juste et sans erreur, ce qui constitue une première dans l’historiographie houleuse du matériau. Le titre évocateur choisi par l’autrice pour combler un manque bibliographique semble ainsi tout à fait approprié. À travers l’album paru, Christelle Inizan a initié un travail d’ouverture des champs disciplinaires grâce à son approche pluridisciplinaire. Ce décloisonnement nécessaire s’est révélé autour de la journée d’étude9 qui a suivi de quelques mois la parution du livre. Les divers spécialistes déjà sollicités dans l’ouvrage ont été réunis pour aborder la richesse et la diversité du plâtre architectural intérieur par le prisme de leur propre discipline. En apportant un regard neuf sur ce sujet technique et précis que sont les sols et couvrements intérieurs, Christelle Inizan nous donne surtout des outils et une méthode pour aborder tous les sujets liés au plâtre délaissés au début de son travail. La 228porte est ainsi grande ouverte pour les chercheurs de toutes disciplines qui souhaiteraient s’emparer de ce matériau polyvalent et universel qu’est le plâtre en architecture10.
Tiffanie Le Dantec
Architecte du patrimoine,
Docteure en histoire
de l’architecture
de l’université Paris-Saclay
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Christel Guillot, Les toits et leurs décors, hors-série de Maisons paysannes de France, « Les toits et leurs décors », juin 2017, 104 p.
Ce deuxième hors-série de la revue Maisons paysannes de France est le fruit d’une collaboration avec la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Dans ce numéro, Christel Guillot, architecte et technicienne des services culturels et des bâtiments de France au Centre de recherches sur les Monuments historiques (CRMH), centre son propos sur les diverses toitures françaises, leurs couvertures ainsi que leurs décors.
Si, à ce jour, les études menées sur les couvertures médiévales en France sont encore rares, elles ont tendance à se développer depuis quelques années. En effet, l’intérêt porté aux charpentes anciennes a amorcé des questionnements quant au mode de couverture, cette dernière, par son poids et la pression qui en découle sur les structures, devant être 229prise en compte dans l’analyse des pièces de bois11. La place donnée aux terres cuites architecturales (TCA) dans les recherches archéologiques bourguignonnes participe également depuis quelque temps d’un approfondissement des connaissances sur ce matériau de couverture bien souvent laissé de côté12. En 2013, les Toits d’Europe furent à l’honneur, lors des 8e Rencontres d’architecture européennes dirigées par Monique Châtenet et Alexandre Gady. Ces rencontres ont permis de réunir des historiens de l’architecture autour de problématiques techniques, mais également esthétiques, culturelles, décoratives et identitaires13. La publication du numéro de Maisons paysannes de France, consacré aux toits et à leurs décors s’inscrit dans cette dynamique et se présente comme une synthèse permettant d’aborder les subtilités propres aux toits anciens encore conservés en France.
L’autrice introduit le numéro par une synthèse sur la diversité des toits français et une énumération des composants de toitures. Ces clés de compréhension mises à disposition du lecteur définissent les termes propres à chacun des éléments constitutifs de la toiture. Ces termes sont en partie repris dans le glossaire proposé en fin de revue. À travers les six points développés dans cet ouvrage (éléments de structures, éléments 230servants à la protection contre la pluie, les matériaux et pentes, les lucarnes, souches de cheminées et les épis de faîtage, girouettes, campaniles et lanternes, coqs de clocher), Christel Guillot met en évidence l’influence de la situation géographique et du climat sur l’approvisionnement en matériaux de couverture, mais aussi sur le degré d’inclinaison donné à la pente du toit. L’accent est également mis sur la fonction à la fois structurante, protectrice et décorative des divers éléments composant le toit. Les faîtages, les systèmes d’aération et d’éclairage des combles ou encore ceux d’évacuation des eaux (lambrequins, gouttières) adoptent alors des formes diverses et variées en fonction des besoins structurels et climatiques et des choix ornementaux du commanditaire.
Au sein de ce numéro, une place majeure est donnée à l’illustration (croquis, plans, relevés en coupe et photographies), permettant ainsi de mieux visualiser et s’approprier les points développés. Tout au long du texte, le caractère didactique de la publication est également renforcé par la présence de microdossiers thématiques apportant des compléments d’information ou encore expliquant une technique de couverture et d’ornementation propre à une région. On y découvre ainsi les processus de fabrication d’un coq de clocher ou la glaçure des tuiles, mais aussi l’exemple d’une poterie du Calvados fondée au xixe siècle et toujours en activité.
Cet ouvrage, destiné à un large public, repose sur une documentation solide dont témoignent les diverses références bibliographiques compilées en fin d’ouvrage. Pointant un état de la connaissance, il ouvre des pistes de recherche sur la mise en œuvre des matériaux de couverture, leur approvisionnement et sur la structure même de la charpente supportant la couverture. L’aspect ornemental lié à cet élément du bâti n’est, enfin, pas non plus en reste et interroge sur la place du commanditaire dans le choix de la couleur d’un toit, de la forme d’une lucarne ou des accessoires apposés sur la toiture.
Laura Ceccantini
Doctorante LAMOP
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Antonio Becchi, Naufragi di terra e di mare : da Leonardo da Vinci a Theodor Mommsen alla ricerca dei codici Albani. Edizione del manoscritto XIII.F.25, cc. 129-136 della Biblioteca Nazionale di Napoli a cura di Oreste Trabucco, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2017.
Bernardino Baldi est un phénomène. En premier lieu car c’est une figure exceptionnelle de la Renaissance scientifique, longtemps négligée. Ses Vies de mathématiciens ne connurent jamais la renommée à laquelle parvinrent les vies d’artistes de son aîné Giorgio Vasari14. Toutefois, depuis une vingtaine d’années, un nombre croissant de travaux d’historiens des sciences lui sont consacrés15. En second lieu car Baldi constitue un univers de recherche en soi : « le phénomène Baldi », pourrait-on dire. Peu à peu, on saisit l’amplitude des connexions entre les différentes disciplines qu’il suggère, qui nous permettent d’élucider progressivement la complexité de la ramification des savoirs à la fin du xvie siècle. Mais l’originalité de ses démarches intellectuelles reste dans l’ombre d’approches strictement disciplinaires. Son apprentissage vétilleux de la connaissance passive d’une multitude de langues modernes, par exemple, a souvent été regardé comme une passion monomane et jamais examiné dans une perspective plus générale d’appropriation des mécanismes qui régissent la philosophie naturelle. De même, ses liens avec Federico Commandino et Guidobaldo del Monte furent mille fois évoqués, mais les illustrations qu’il ajouta à sa Description du palais d’Urbin (1590) ne furent jamais mises en relation avec les publications sur la perspective qui foisonnaient alors. Une image ne pourrait-elle en effet pas discuter un texte ?
La signification et la finalité du schéma physico-mathématique constituent pourtant l’horizon de recherche que nous proposent les 232Naufrages de terre et de mer d’Antonio Becchi. Dans un ouvrage publié en 2004, l’auteur nous avait déjà montré l’importance des travaux de Baldi pour la mécanique, oubliés par une histoire évolutive qui rebondissait jusqu’alors de Léonard à Galilée sans coup férir16. Certes, la contribution de Baldi en la matière est principalement connue à travers les In mecchanica Aristotelis problemata exercitationes (1621), qui furent finalement publiés après sa mort à Mayence à l’issue d’un épopée éditoriale reconstituée dans cet ouvrage. Mais cette fois, Becchi entre au cœur de la fabrique du savoir et nous livre d’étonnantes pages issues des carnets de Baldi contenant croquis et tentatives d’explications mais aussi des planches entières sans légendes ni commentaires, fruit d’une élaboration avant-tout visuelle. La présentation et l’analyse détaillée qu’en fournit Becchi est accompagnée d’une soigneuse transcription du document par Oreste Trabucco.
La quête de ces documents fut longue. Ils sont pourtant essentiels pour l’établissement d’une chronologie de l’évolution du savoir mécanique mais aussi pour la définition du champ d’application de ce domaine partagé entre les approches physico-mathématiques d’un Galilée et celles relevant de l’érudition architecturale propres à un Villalpando. Une partie importante des manuscrits de travail de Baldi avait été longtemps conservée au Palais des Quatre-Fontaines, dans les collections Albani. Dès la mort du savant, cette famille avait archivé nombre de ses recueils et, au début du xviiie siècle, Giovanni Francesco Albani (Clément XI) en avait commandé le catalogue en même temps qu’une biographie. L’intérêt pour ces documents d’érudition ayant décru avec le temps, la collection fut dispersée, en Italie et à l’étranger. Une partie significative fut acquise en 1862 par la bibliothèque royale de Berlin par l’intermédiaire du savant Theodor Mommsen. Les ouvrages furent embarqués l’année suivante sur un vaisseau à Livourne qui sombra au large des côtes portugaises. La perte était d’autant moins qualifiable qu’on ne disposait même pas d’un inventaire précis des 1800 manuscrits et imprimés acquis et disparus. Et pourtant, tous les manuscrits de Baldi encore conservés à la fin du xixe siècle n’avaient pas été engloutis dans le destin de ce funeste bâtiment. Au terme d’une très minutieuse recherche dont toutes les étapes sont relatées dans l’ouvrage, Becchi est parvenu à en localiser des fragments, très dispersés géographiquement. C’est 233de cette enquête que proviennent les feuilles ici présentées, conservées aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Naples.
Avec la plus grande précision chronologique possible, l’auteur nous conduit au cœur des processus génétiques sur une trentaine d’années ayant abouti aux formulations des problèmes de mécanique que nous connaissons : le ricochet des galets sur l’eau, l’équilibre des parallélépipèdes, le barycentre des corps, les plans d’appui, l’équilibre des corps humains et animaux mais aussi l’inclinaison des murs des forteresses et de nombreux autres problèmes. Mais tout l’intérêt de ce travail réside précisément dans la capacité à mettre en évidence la phase de réflexion et d’élaboration dans laquelle on perçoit la richesse mais aussi la fragilité du schéma : formulation d’une pensée mécanique encore dialectique dont la signification est plus aisément contestable que celle de son homologue verbal.
Auteur d’un vocabulaire vitruvien et d’un commentaire sur les scamilli impares dans lequel il contestait les théories de Philandrier, Barbaro et Bertani, Baldi n’était pas le simple amateur d’architecture qui nourrissait une passion pour le dessin et avait dirigé des travaux de construction à Guastalla. Il employait l’architecture comme instrument de vérification des règles de mécanique ou, inversement, tirait ces dernières d’une observation des phénomènes de construction. La mécanique exerçait usuellement sa science sur toutes sortes de conditions naturelles réduites à l’acte probatoire. Mais à travers l’architecture, elle rencontrait un terrain éprouvant l’enchevêtrement des conditions naturelles et artificielles. Une large part des expositions graphiques contenues dans les carnets de Baldi relèvent de ce domaine : on y trouve la question de la stabilité des éléments superposés (briques, pierres…) explicitée dans l’exemple de la colonne sur laquelle repose un poids symétrique, la stabilité des cylindres mise en relation avec le renversement des colonnes, ou le problème du centre de gravité éprouvé dans l’exemple des tours penchées de Pise et Bologne.
Les pages inédites de la Bibliothèque nationale de Naples nous procurent de nouveaux jalons dans la compréhension du long cheminement de la mécanique à la Renaissance. Mais surtout, le patient travail d’Antonio Becchi nous donne l’occasion de nous immerger dans les réalités de la formulation graphique des problèmes de mécanique à un moment où, pour certains savants, la philosophie naturelle ne relevait 234pas encore complètement de la physique et confrontait ses préoccupations avec la pratique de l’architecture.
Pascal Dubourg Glatigny
Centre Alexandre Koyré
CNRS
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Carlo Manfredi (A cura di), Architettura e Impianti termici : soluzioni per il clima interno in Europa fra XVIII e XIX secolo, Turin, Umberto Allemandi, 2017, 272 p.
Cet ouvrage réunit quelques contributions centrées sur l’histoire des équipements techniques des édifices, issues principalement d’une journée d’étude sur le thème plus large Edificistorici e destinazione museale, Conservazione degli edifici e delle opere d’arte. Progetti per il restauro e l’integrazione di impianti estitenti, Journée organisée en 2010 par l’équipe du laboratoire d’analyses et de diagnostics des constructions de l’école d’architecture de l’école polytechnique de Milan, autour d’Alberto Grimoldi ; laboratoire très actif sur l’histoire des équipements thermiques depuis quelques années. Il s’agit d’une publication collective constituée de deux parties : une première qui s’attache au contexte de l’Italie du Nord et une seconde, plus européenne, avec des textes en français, anglais et allemand concernant leurs zones géographiques respectives.
Alberto Grimoldi, architecte et professeur à l’école d’architecture de Milan, ouvre le bal en offrant un parcours virtuose passant de De l’hypocauste aux fourneaux russes dans la culture du début du xviiie siècle avec une attention particulière pour le théâtre de Turin de Benedetto Alfieri. Celui-ci était tempéré par de l’air chaud produit par quatre calorifères à air 235maçonnés dont il est question dans les notes des planches de l’Encyclopédie en 1772, largement diffusées. Le professeur s’interroge ensuite sur les inspirations d’Alfieri : de l’hypocauste aux bains turcs, du chauffage des serres aux cheminées modifiées de Gauger. L’auteur fait l’hypothèse d’une influence comme pour d’autres contemporains par les rigueurs du petit âge glaciaire. Carlo Manfredi, qui est l’éditeur de cet ouvrage, poursuit avec les Caractéristiques de l’histoire et évolution des systèmes de chauffage central : l’Europe et l’Italie du xviiie au xixe siècle. Avec sa thèse de doctorat sur la naissance et évolution des systèmes de chauffage central à l’eau chaude soutenue en 2008, il fait figure, à juste titre, de spécialiste. Il met la question de l’innovation thermique dans un contexte général d’évolution sociale et productive liée à l’agriculture, en particulier du côté de la production de la soie. À travers les Gazettes agricoles, il piste les fourneaux, autres appareils de chauffage et machines à vapeur liés à la production de biens, longtemps moteur principal de l’innovation. Les applications au confort des bâtiments tardent et le chauffage à air chaud est privilégié laissant de côté les systèmes à eau chaude et à vapeur qui se développent pourtant dans d’autres parties d’Europe.
Marica Forni, architecte, docteur en restauration des édifices, enseignante à l’école d’architecture de Milan propose un texte sur un poêle Russe à Milan : applications des systèmes de chauffage à air chaud aux xviiie et xixe siècles. Le modèle de poêle à la moscovite est introduit en Italie du Nord au milieu du xviiie siècle. L’exemple choisi est le palais royal et ducal de Milan et son chauffage à l’air chaud. Le système a été installé par l’architecte tessinois Pietro Antonio Trezzini qui rentre de Saint-Pétersbourg en 1752. Ce type de poêle est invisible dans la partie habitable et l’air chaud est réparti à travers des conduits d’air. Il n’a pas les contraintes des poêles de céramique ou de fonte (pas de couloirs, ni de cabinet de chargement du combustible). Ce système installé préalablement par Alfieri au théâtre de Turin, se diffuse dans les palais de Milan (Clerini, Belgiojoso et le nouveau théâtre de La Scala) proposé par les architectes Piermarini, Simone Cantoni et Leopoldo Pollack à une clientèle d’élite. Le chauffage du palais royal est remplacé en 1831 par un poêle Meissner (ancêtre du calorifère à air) installé par un poêlier autrichien. Emanuela Villa architecte et docteur en architecture propose un approfondissement sur l’entretien du système de chauffage de la Villa Belgiojoso à travers les sources d’archives. 236Son travail de thèse étant une monographie sur ce bâtiment, elle a retrouvé les archives concernant les travaux d’entretien saisonnier pendant le xixe siècle. Grâce à ces documents, il a été possible d’établir des phases d’occupation des espaces mais aussi la succession des appareils. Des poêles individuels ont été installés dans les cheminées existantes. Une purge des conduits et un rebouchage des fissures étaient réalisés à la belle saison en prévision de l’hiver. Parfois, pour loger plus de personnes de différentes conditions, des poêles mobiles ou non (en tôle ou en terre cuite) étaient installés dans des pièces où la fumée s’évacuant soit par un conduit de fumée existant soit par un vitrage perforé. Les calorifères du sous-sol, qu’on cherchait à dater, sont commandés en 1862 afin de chauffer neuf pièces au rez-de-chaussée et sept pièces à l’étage. Enfin, un système à eau chaude et thermosiphon a été substitué en 1914.
Anna Boato et Anna Decri, architectes et docteurs en restauration des édifices qui enseignent à l’école d’architecture Gènes et Filippo Tassara, architecte abordent les installations historiques à Gênes, quelques considérations sur le chauffage de l’air. Leurs différentes études sur l’architecture domestique génoise du xve au xviiie siècle, permettent de dire que l’eau et l’hygiène élémentaire étaient présentes dans les demeures par contre le chauffage était moins développé avec juste des cheminées. Au cours du xviiie siècle, des calorifères à air ont été introduits. Ils prennent l’exemple de l’équipement de la Villa Spinola Dufour : calorifère à air, poêle en céramique et poêles à charbon dans différents espaces. Dans le calorifère à air se trouve un système original de diffusion de la chaleur formé d’un labyrinthe de tubes de tôle. Angelo Giuseppe Landi architecte, docteur en restauration des édifices, qui enseigne à l’école d’architecture de Milan présente un parcours des poêles aux systèmes à air chaud : le développement du confort à Crémone entre le xixe et le xxe siècles. La ville de Crémone est emblématique de la Vallée du Po, où au xviie siècle l’aristocratie vit des richesses agricoles en relation avec Milan, la capitale. La transition des poêles au calorifère à air se fait progressivement en fonction du prestige et des usages des espaces. C’est dans le Palais du comte Guiseppe Sigismondo Ala Ponzone que le premier calorifère à air est installé par l’ingénieur Ghirardini : une chaudière au sous-sol avec des conduits métalliques distribuant l’étage principal. Cette installation est remplacée quelques 237années après par des poêles, moins chers à l’usage et sans doute plus efficace. Des appareils toujours à air chaud mais plus efficaces, dont l’un à la mairie, sont installés entre 1868 et 71 dans des résidences privées : Palazzo Soresina-Vidoni Palais, Palais Magio Grasselli, la maison de Massimiliano Trecchi. Le nombre de pièces chauffées et les températures atteintes augmentent progressivement.
Avec cette première partie, un point considérable a été réalisé sur la culture technique des appareils de chauffage qui se diffusent en provenance du monde alémanique et de la Russie vers l’Italie du Nord du xviiie siècle au service du confort et du prestige d’une élite privilégiée. Ces investigations sont particulièrement délicates car peu de traces archéologiques subsistent et que les informations disponibles sont très ténues. La suite de l’ouvrage est plus européenne. André Guillerme, professeur émérite au CNAM, qu’on ne présente plus, propose une contribution sur le Chauffage et économie d’énergie thermique au xixe siècle à Paris, les premières années du siècle précisément. Il évoque la cheminée domestique qui se modifie tout en demeurant longtemps prééminente ainsi que les conduits de fumées qui se standardisent, les proportions et la fréquence de ramonage idéales. Les appareils de chauffage domestique sont ensuite évoqués à travers les revues, les statistiques et les tests réalisés au CNAM en 1807-1808. Les industries naissantes utilisent également de nouveaux fours et fourneaux pour leur production ou le chauffage des locaux. La soupe des soldats, objet de consommation importante des combustibles devient un sujet d’expérimentations pour augmenter la rentabilité thermique et optimiser l’échelle des cuisines par rapport aux groupes de soldats. Neil Sturrock, enseignant thermicien en retraite, directeur du très original et actif comité patrimonial du CIBSE (association des ingénieurs en génie climatique de Grande-Bretagne) présente son bâtiment fétiche : le Saint-George’s Hall à Liverpool réalisé dès 1837 par l’architecte Harvey Lonsdale Elmes. Cet équipement public multifonctionnel d’une échelle urbaine considérable accueille depuis son ouverture en 1850, ce qui est considéré comme la première installation d’air conditionné, inventée par le Dr David Boswell Reid. Le traitement de l’air est centralisé dans un espace dédié dans le vaste sous-sol, sa mobilité est assurée par une machine à vapeur. L’air est capté sur la rue au niveau des emmarchements. L’air est lavé et chauffé par deux chaudières à vapeur et deux chaudières à eau chaude 238alimentées au charbon. L’air est également humidifié par projection de vapeur dans le circuit d’air avant de rejoindre les différents espaces. L’auteur insiste à raison sur le fait que lors d’une rénovation récente, un centre du patrimoine a été intégré, qui hélas ne prend pas en compte l’histoire technique exceptionnelle de cet édifice. L’historien d’art allemand, Bernard Rösch présente quant à lui Les systèmes de chauffage de l’opéra de Bayreuth 1750-1918 : Espace accueillant du public versus monument. L’Opéra de Bayreuth conçu et réalisé par l’architecte Guiseppe Galli-Bibiena lors du début du xviiie siècle nous est présenté. Afin de réduire les déperditions thermiques, l’édifice se défend grâce à des maçonneries massives et le recours au double fenestrage systématique, dispositif introduit à la fin du xviie siècle. Le théâtre était à l’origine chauffé par des poêles cylindriques en fonte placés dans des alcôves. Afin de suivre les progrès techniques des autres grands théâtres de la fin du xixe siècle, un système de chauffage à air chaud a été installé avec ses deux calorifères brûlant du gaz de ville dès 1875, tandis que l’éclairage au gaz est achevé en 1886. En 1935-1936, une restauration de l’édifice a amené le démantèlement des équipements antérieurs, pour installer le chauffage électrique en même temps que l’éclairage, sur ordre de Joseph Goebbels qui veut en faire un lieu officiel sécurisé et confortable. L’histoire de cet équipement culturel phare reflète les conflits entre confort, sécurité et conservation.
Cet ouvrage apporte une contribution importante à ce champ de recherche encore naissant. Un autre livre collectif est attendu prochainement avec une participation plus largement européenne.
Emmanuelle Gallo
ENSA Bretagne
AHTTP – ENSA Paris-La-Villette
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Susan Galavan, Dublin’s Bourgeois Homes. Building the Victorian Suburbs, 1850-1901, London and New York, Routledge, 2017, xviii – 164 p. ill. n. & b. + 24 p. h-t couleurs.
Susan Galavan est architecte et chercheure. Cet ouvrage est le résultat de sa thèse de doctorat en histoire de l’architecture, réalisée et soutenue au Trinity Collège Dublin sur l’architecture domestique victorienne à Dublin. Alors qu’au début de la seconde moitié du xixe siècle, on imagine la campagne de ce pays constituée de champs verts à perte de vue, la maison victorienne bâtie de briques rouges derrière des pelouses impeccables fait son apparition. Plus de 35 000 de ces maisons ont été construites dans les faubourgs de Dublin, dont les plus élaborées – avec leur escalier de granit et leur entrée décorée – l’ont été pour la classe moyenne aisée irlandaise.
Dans une introduction circonstanciée, l’autrice pose les jalons de sa recherche et part du constat de la transformation du paysage dublinois dans la seconde moitié du xixe siècle. Elle dresse ainsi le contexte économique de cette transformation industrielle urbaine ou comment la bourgeoisie a eu besoin de se loger différemment. La désindustrialisation de certains secteurs de la cité (textile, construction navale et raffinage du sucre) s’accompagne de l’accroissement d’une population de bureau (assurances, banques) et de professions libérales. Parallèlement à la grande famine des années 1845-1850, s’accroît la pauvreté de la population qui a tendance à émigrer. Dublin présente une stratégie de déclin, surtout si on la compare à des villes comme Birmingham, Glasgow ou Manchester à la même époque. Alors que les Irlandais sont, à cette époque, en majorité catholiques, une élite minoritaire protestante, marginalisée, se réfugie dans les faubourgs de la ville. Qualifiée de cité de contrastes et malgré les problèmes qu’elle connaît, Dublin demeure la capitale administrative et commerciale de l’Irlande. Cette étude constitue le premier travail en profondeur sur cette catégorie d’habitat.
Les sources sollicitées par l’autrice sont de trois ordres : matérielles, journalistiques et archivistiques. Sur les 35 000 habitations repérées, 240elle a constitué un corpus à travers une sélection de maisons réalisées à l’époque choisies dans trois districts représentatifs : Ballsbridge, Rathgar et Kingstown (aujourd’hui Dun Laoghaire). Ces maisons ont fait l’objet de plusieurs traitements : une analyse tant des façades que des agencements intérieurs à travers les plans d’origine, le cas échéant, des relevés actuels dessinés comme photographiques. Les transformations urbaines de la capitale sont mises au jour à travers le dépouillement de la presse locale spécialisée (The Irish Builder, The Dublin Builder, ou The Irish Times) ainsi que les archives municipales. Enfin, l’étude de trois acteurs réputés, promoteurs de constructions victoriennes : les entrepreneurs Michael Meade, William Carvill et John Crosthwaite, spéculateurs invétérés, louant des habitations, lotissant des parcelles et fournissant des matériaux de construction (briques, bois et mortier) introduit les acteurs de ce bouleversement. La ville se développe et s’accroît à partir des années 1850 en raison de la construction de gares, de nouveaux musées et de bibliothèques.
L’ouvrage est divisé en cinq chapitres équilibrés d’environ une trentaine de pages et illustrés de photographies et de plans de coupe des bâtiments concernés. À cela s’ajoute un cahier central en couleur d’une trentaine de plans, relevés et photographies. Les cinq parties exposées portent sur l’architecture des maisons victoriennes, leur confort intérieur, le contrôle urbanistique, les acteurs (constructeurs, spéculateurs et ouvriers) ainsi que les processus constructifs et l’usage des matériaux. C’est à travers ce panorama complet des sujets que ce livre est exemplaire pour l’histoire de la construction et pas seulement pour l’histoire de l’architecture. L’écriture est incisive, démonstrative et néanmoins limpide, d’une grande clarté pour le lecteur. Chaque section fait l’objet d’une synthèse conclusive sur son apport significatif par rapport au sujet.
Le premier chapitre traite de l’architecture des maisons bourgeoises à Dublin. L’autrice distingue dans cette maison victorienne qui émerge à partir de 1859 des spécificités typiquement irlandaises : maisons de briques rouges derrière une longue pelouse frontale, une entrée travaillée en briques et pierre de taille et un imposant escalier de granit. Deux types de maisons mitoyennes sont mis en exergue : les « terraced houses » (maisons alignées et mitoyennes) et les « semi-detached houses » (maisons mitoyennes jumelées) qui sont analysés successivement, tant sur le plan externe de la façade que sur les répartitions de l’espace intérieur. 241Le premier type (terraced house) trouve son origine dans la reconstruction londonienne après le grand incendie de 1666. Le modèle de ces maisons alignées à la façade simple et austère est mobilisable à l’infini tant verticalement (2 à 3 travées) qu’horizontalement (2 à 4 travées) selon le genre de rue desservie (principale ou secondaire). La sobre et sombre maison georgienne s’adapte déjà à la banlieue irlandaise, use de briques de plusieurs couleurs, multiplie les fenêtres, augmente la décoration sur les façades et autour de l’entrée. L’autrice approfondit sa démonstration en multipliant les focus sur des îlots représentatifs et bien documentés pour lesquels elle souligne les transformations du paysage, incluant les occupations sociales successives, la répétition des modèles, l’usage d’une répartition particulière de l’espace datant du xviiie siècle : deux pièces de réception de largeur identique au rez-de-chaussée qui occupe, au premier étage, une place plus importante avec deux fenêtres. Susan Galavan se réfère à l’ouvrage de référence sur Londres (H. Muthesius, The English House, Berlin, 1904 réédité en 1979 par D. Sharp, J. Posener et J. Seligman)17 en expliquant le choix que les constructeurs – acquérant souvent plusieurs lots – ont eu à propos de la densité des maisons sur des parcelles étroites destinées à la location, de l’adaptation à la population qui allait les occuper (protestants / catholiques), de la simplicité de la répartition des pièces, de l’alignement des fenêtres afin de rendre la façade harmonieuse (aux ruptures horizontales), octroyant une meilleure vue possible et introduisant une clôture en pierre, parfois des entrées doubles. Dans le relevé des points réguliers et récurrents, l’autrice n’omet pas de signaler les irrégularités ou les variations.
Par le biais de l’analyse de l’évolution des maisons d’angle passant des fenêtres aveugles et façades maladroites aux doubles maisons agencées de manière harmonieuse avec entrée sur chaque rue et modification à cette fin des escaliers parallèles à la façade, Susan Galavan aborde l’autre type de maisons, celles mitoyennes jumelées (semi-detached houses). Ce type de construction adapte les pratiques géorgiennes et victoriennes à l’expansion des lotissements de banlieue. Agrandies sur trois baies, et conservant une décoration peu élaborée, les constructeurs ne profitent 242pas du potentiel laissé au fond de la maison. Ce n’est que tardivement (1879) que Meade fait évoluer le modèle en utilisant le toit en croupe, les murs du fond, des fenêtres en saillie, des lignes de polychromie et quelques sophistications (oriels, entrées en retrait et bandeaux calcaires continus sur les façades soulignant le rouge des briques). L’autrice en fait remonter l’origine au xviie siècle, mais surtout en explique son fondement économique. En effet, il est plus rentable sur tous les plans, de construire deux maisons mitoyennes que plusieurs maisons individuelles. L’économie provient des murs communs et du partage énergétique. Si ce type de logement se développe au xviiie siècle, ce n’est qu’au xixe siècle qu’il devient dominant à défaut d’être majoritaire (ce qu’il deviendra au xxe siècle). L’architecte John Nash en est le pionnier avec la formule « two for the price of one » (deux pour le prix d’un). Une autre raison réside dans l’impression de grandeur que chaque propriétaire ou locataire perçoit et transmet aux voisinage et visiteurs. Ce type de constructions mitoyennes peut aisément se développer sur de grandes parcelles permettant de larges espaces de jardins devant et derrière les bâtiments. La façade est élevée en simples briques, la porte surmontée d’une imposte semi-circulaire et le toit est bordé d’un parapet. L’entrée s’opérant sur le côté permet une distribution intérieure beaucoup plus confortable avec un corridor desservant les pièces. Quelques éléments d’éclectisme viennent se greffer sur la composition ordinaire : l’usage de briques vernissées, de plusieurs couleurs, posées parfois en chevron, des pierres angulaires, des poutres porteuses. Le toit est davantage à pignons qu’en croupe. Susan Galavan souligne, à juste titre, que l’usage de cette multitude d’effets décoratifs sur les façades permet de suivre l’histoire constructive du bâtiment dans ses moindres phases. Quelques décorations font l’objet de critiques de l’autrice, comme relevant d’un certain amateurisme.
Elle élargit son focus pour conclure son premier chapitre en dressant une comparaison entre la maison de banlieue dublinoise et londonienne. L’évolution générale des maisons est identique dans toutes les îles britanniques. Deux éléments diffèrent cependant : la nature et l’utilisation des matériaux, comme le traitement de l’étage de service. L’usage irlandais récent de la brique et de la pierre laisse toujours la place à l’utilisation de matériaux locaux dans toute l’Angleterre : le grès pour Glasgow ou le calcaire à Bath. L’étage de service qui comprend en Angleterre 243les machines, les arrière-cuisines et les garde-mangers va en Irlande contenir des pièces à vivre et va sortir de terre. Alors que l’Angleterre limite l’enfoncement des sous-sols à la moitié de sa hauteur, l’Irlande sort ce dernier de terre. Les raisons de ce choix se révèlent multiples : la mauvaise ventilation, l’insuffisance de lumière, le risque d’inondation par la mer et la législation sanitaire (Public Health Act, 1848).
Le second chapitre porte sur l’analyse de l’intérieur de la maison mitoyenne jumelée dublinoise. On pense à la Vie mode d’emploi de Georges Pérec (1978). Ce passage est un véritable morceau de bravoure sur l’évolution des relations sociales irlandaises dans la seconde moitié du xixe siècle qui est resté jusqu’à présent un territoire totalement inexploré. L’autrice profite de la découverte de plans précis en couleurs (reproduits intégralement dans le cahier central) indiquant les fonctions de chaque pièce des logements à 20-30 années d’écart (Rathgar Road, 1852 ; Northbrook Road, 1881 et Shrewsbury Road, 1900) pour, par le biais de leur analyse scrupuleuse, dépeindre les rapports multidimensionnels qu’entretiennent les occupants d’une maison, qu’ils soient maîtres ou serviteurs, adultes ou enfants, hommes ou femmes. Comment cohabitent-ils ? Les pièces réservées à chaque catégorie de personnes sont-elles positionnées hiérarchiquement ? La ségrégation entre les maîtres et les gens de service est-elle maintenue ou cède-t-elle devant les besoins du service ? La circulation des individus dans la maison impacte-t-elle la disposition des pièces ? L’étage noble est-il conservé et à quelle fin ? De nombreux critères sont passés en revue pour expliquer le positionnement et l’usage des différentes pièces (lumière, chaleur, discrétion, confort, bruit, odeur, mobilier, décoration, vaisselle, stockage du charbon, de la nourriture, impact des visites de l’extérieur, musique, divertissement, statuts professionnels du maître, religion, moyen de transport…). Pièces de réception, pièces de sommeil, pièces de services possèdent chacune un emplacement bien défini, mais finissent par s’enchevêtrer. L’autrice complète son analyse picturale par la lecture d’une littérature technique dédiée (Robert Kert, The English Gentleman’s Country House, 1864 ; Thomas Morris, A House for the Suburbs, 1860)et par une autre de fiction (romans). Elle parachève son analyse par l’étude des inventaires de maisons après-décès ou vendues aux enchères, comme des prospectus publicitaires vantant les mérites de telle ou telle nouvelle construction.
244Ancré dans la façon dont les maisons du xviiie siècle étaient divisées, cet espace s’est adapté constamment à l’expansion banlieusarde de la ville au cours du xixe siècle. Alors que la constitution par paires des pièces de réception est assez commune sous l’ère victorienne couvrant deux sur les trois baies lumineuses de la façade, les escaliers migrent vers l’intérieur de la maison. L’entrée est éclairée par une troisième baie installée sur le côté. Au fond du hall, se trouve un nouvel espace occupé par un garde-manger, un bureau ou une bibliothèque alors que c’était à l’origine une salle destinée au petit déjeuner. Une des grandes transformations de l’espace du logement est la répartition hiérarchique entre les étages. Alors que pendant assez longtemps le sous-sol était réservé au service et deux étages à la famille, les étages élevés se sont partagés entre les royaumes privé et public : le niveau où arrive l’entrée contient des pièces publiques (salon à l’avant et salle à manger à l’arrière) et au-dessus se répartissent les chambres à coucher. Au début du xxe siècle, la distribution entre la famille et le service est radicalement bouleversée. L’entrée s’opérant désormais au niveau de la rue, les services se déplacent au même étage que les pièces dédiées à la famille dans des extensions sur l’arrière de la maison.
Dans l’analyse de ces évolutions, Susan Galavan démontre les enjeux des divisions de l’espace domestique entre trois types de relations sociales : celle entre maîtres et serviteurs, celle entre adultes et enfants et celle entre homme et femme. Le genre apparaît dès la pénétration dans l’habitation. La salle à dîner est le royaume du maître des lieux alors que le salon est celui de sa femme. Les chambres à coucher peuvent également être « genrées » par l’apparition d’un double vestiaire ou de salles de bains séparées. Dans un premier temps, la répartition des étages en fonction du statut de domestique et de celui de maître est symptomatique. Cependant l’apparition de la pièce ou se prend le petit déjeuner à l’étage de service démontre que les limites ne sont pas clairement définies. Plus tard, le partage du même étage par la famille et les domestiques demande un aménagement prudent du plan. Les quartiers des domestiques s’organisent de leur côté avec leurs propres escaliers et leurs propres pièces dédiées, mais sans jamais trop s’éloigner des pièces où ils servent les maîtres. Seuls les escaliers demeurent véritablement différenciés.
Le troisième chapitre aborde la question du contrôle de la construction. Quel système de propriété autorise l’acte de bâtir des lotissements et comment les infrastructures indispensables à ceux-ci sont-elles financées ? L’analyse de 245trois exemples différents correspondant chacun à un district possédant ses propres caractéristiques sert ici de base au travail de l’autrice : Kingstown, Pembroke et Rathmines. Chaque propriétaire foncier avait une vision particulière de la spéculation. Les deux premiers quartiers étaient gérés par un système classique de propriété immobilière par le biais duquel les propriétaires des domaines, acteurs actifs, souscrivaient des baux de longue durée (99 à 150 ans) afin que des entrepreneurs-promoteurs puissent bâtir et aménager scrupuleusement les terres qu’ils possédaient. Tout devait être prévu et décrit dans les clauses du bail-construction mis en place : les aspects architecturaux et constructifs des bâtiments, mais aussi l’organisation, la réalisation et l’entretien des infrastructures. Une part de liberté était laissée au promoteur pour s’adapter à de nouvelles conventions à la mode qui pouvaient plaire aux occupants. Les moyens de transport ont joué un rôle déterminant pour la construction des lotissements. On ne construit pas de la même manière si le locataire possède des chevaux, une carriole ou s’il utilise les transports en commun (omnibus à cheval ou train). Du fait des directives très précises figurant dans les contrats, une grande uniformité s’opère dans la construction des logements, à tel point que dans l’est du district de Kingstown on parlait de prototype. Souvent le promoteur principal, tel John Crowthwaite, sous-louait les parcelles dont il était preneur à des promoteurs locaux, transmettant les mêmes contraintes de construction auxquels il était soumis lui-même. Dans le système de propriété classique, il existait plusieurs modalités possibles : dépenser un minimum de 500 livres par maison, et sans doute approuver le projet de lotissement. Au contraire, dans les derniers quartiers – ceux de Rathmines et Ratgar –, les propriétaires avaient un rôle plus passif en octroyant sur leurs terres des baux de beaucoup plus longue durée (jusqu’à près de 999 années), sans beaucoup de contraintes à l’égard des plus petits preneurs promoteurs et bâtisseurs qui acquéraient ainsi un contrôle maximal sur la construction. Par conséquent, les promoteurs privés détenaient davantage de marge dans la création des infrastructures qu’ils entreprenaient pour les lotissements qu’ils prenaient en charge. Susan Galavan a ainsi repéré les plus importants, comme Frederick Strokes pour Rathmines, William Carvil pour Rathgar.
La situation géographique du lotissement impacte inévitablement son développement. La vue sur la mer est assez prisée. Dans le district de Pembroke, les baux qui précisent les éléments des futures constructions, accompagnent un déploiement de grande qualité des aménagements élevés 246à l’ouest du site qui possèdent un meilleur drainage du sol en raison de son élévation. Des compensations sont attribuées aux constructeurs renommés, tel Michael Meade, à qui l’on octroie une plus grande liberté dans le respect des règles souscrites dans les baux. À qui incombait d’installer les infrastructures pour ces nouveaux lotissements périurbains ? Le propriétaire s’engageait à créer les équipements nécessaires aux constructions : accès routiers et chemins dont il devait assurer l’entretien, l’éclairage, la fourniture d’eau, etc. Cependant tous ne réagissaient pas ainsi. Certains adoptaient une politique du laisser-faire. Quand le Town Improvement Act fut promulgué en 1834, le contrôle urbain basique pouvait être organisé par une autorité locale, ce que firent Kingstown en 1834, Rathmines en 1847, Rathgar en 1862 et Pembroke en 1863. Les égouts étaient fournis par le district et la ville de manière ad hoc jusqu’à ce qu’un système de drainage soit complété plus tard par les faubourgs voisins. Au début, le chef du canton John Vernon s’occupa de nommer des commissionnaires chargés de fournir à la commune les infrastructures nécessaires. Le paysage se façonnait à l’Ouest au gré de l’augmentation de la population qui s’installait. Les spéculateurs immobiliers avaient l’impression que tous les moyens de communications étaient en place avant leur arrivée. Cependant, Vernon ne s’aventura pas sans être certain que les constructions allaient bien être réalisées. Pour l’assainissement, la question était plus complexe, car les fosses septiques, étant construites trop proches des puits, n’évitaient pas de contaminer l’eau potable. De plus, les systèmes d’égout n’étaient pas au point. Ce n’est que tardivement que les cantons furent principalement responsables de l’aménagement d’un drainage performant pour les eaux usées (en 1877 pour Pembroke et Rathmines). La nature fragmentaire du contrôle urbain se reflète dans les quatre corps administratifs rencontrés en action dans le lotissement d’Ailesbury Road : le propriétaire lui-même, le canton de Pembroke, le Grand Jury du comté18 et le Dublin Corporation (Gouvernement de la ville)19.
247Comparativement à la rigidité du contrôle du district de Pembroke, les propriétaires fonciers de celui de Kingstown ont pris un rôle moins actif dans la fourniture d’infrastructures sur leur territoire, laissant davantage agir le canton et le promoteur-constructeur. Après la signature de son bail en 1861, le promoteur John Crosthwaite prépara le lotissement avec ses moyens de communication qui devaient être pris en charge et entretenus par le canton, de même que les autres infrastructures, tels l’éclairage, le tout-à-l’égout et le nettoyage des rues et des chemins. Tous les services ne furent pas réalisés correctement dans tous les sites urbanisés étant donné l’expansion continue de cette urbanisation. L’autrice rappelle les nombreuses plaintes des habitants à l’encontre des préférences faites dans le traitement et la priorité des travaux d’infrastructure réalisés. Le fait que certains commissionnaires étaient également impliqués dans la construction de maisons laissait planer un air de corruption. De même, l’usage du macadam à Rathmines, contrairement à l’asphalte à Pembroke, laissait peu de place à un bon entretien des routes qui étaient souvent poussiéreuses l’été et boueuses l’hiver. Le plan général de drainage réalisé en 1879 pour les districts de Rathmines, Rathgar et Pembroke était fondé sur un système de fosses septiques totalement inadéquat, ce qui explique pourquoi les faubourgs de Dublin furent le siège permanent de maladies et d’épidémies durant tout le xixe siècle. Ni les règlements sanitaires ni les obligations d’installation de w.c. privés ne parvinrent à assainir totalement la situation.
Le quatrième chapitre est consacré aux constructeurs, spéculateurs et travailleurs. Susan Galavan s’intéresse là aux hommes qui ont participé à la création de toutes ces constructions des faubourgs de Dublin de l’ère victorienne. En quoi ces personnages qui ont spéculé sur le lotissement des riches parcelles vertes en dehors de Dublin en ont profité ? Sans être de simples entrepreneurs, mais plutôt des promoteurs, ils ont laissé de nombreuses traces dans les archives que l’autrice exploite. Elle n’oublie pas pour autant l’autre partie du monde du travail, les manœuvres du bâtiment qui vont être traités pendant toute la période comme un prolétariat sans avenir, un des plus pauvres de toute la Grande-Bretagne.
Les spéculateurs sont issus de plusieurs métiers, pas uniquement du monde du bâtiment. On y trouve des architectes, des marchands de toute sorte, capables d’utiliser leur compétence financière, mais surtout leur réseau. Les entreprises de construction, comme Cockburn & Sons 248qui est avant tout marchande de bois, ou son concurrent Joseph Kelly, entrepreneur général, peuvent s’investir dans la promotion immobilière. En jouant le jeu de la sous-traitance, ils s’assurent de travailler à moindre coût pour engranger du profit. Les architectes peuvent également être des spéculateurs importants. En comparaison de l’époque Georgienne durant laquelle l’activité constructive est dominée par les artisans constructeurs, les architectes s’impliquent davantage dans la conception victorienne. Cependant, l’autrice souligne – via l’Irish Builder – que la majorité des édifices du xixe siècle était élevés sans architecte, ni même un maître constructeur. Le travail était souvent confié à un compagnon maçon ou charpentier, voire pire « à un charlatan prétentieux » et incompétent. La construction d’une maison des faubourgs dublinois pouvait coûter ainsi £ 300, moitié moins chère que si un architecte était intervenu. La presse professionnelle dénonçait cette façon de travailler à bon marché avec un risque de résultat médiocre. Les archives confirment ce point selon lequel les investisseurs pouvaient être de simples hommes de métiers du bâtiment, mais aussi des membres du clergé, des officiers de l’armée, des hommes d’affaires, voire des « femmes » !
Susan Galavan met l’accent sur le parcours des trois plus importants spéculateurs, aménageurs et bâtisseurs de maison des faubourgs dublinois. Elle souligne leur appartenance à la communauté catholique montante dans la société irlandaise après avoir fait les frais d’une discrimination officielle du xviie siècle jusqu’à la loi émancipatrice de 1829. Michael Meade, William Carvill et John Crosthwaite dont les familles finiront par être liées (en 1850, William Carvill épouse la seule fille de John Crosthwaithe ; en 1870, leur fille Catherine épouse le fils de Michael Meade), ont traversé l’ère victorienne en développant lesdits faubourgs. N’appartenant pas forcément à l’origine au monde du bâtiment, leur intention fut d’amasser des biens et de les faire fructifier comme garantie financière de leur propre patrimoine. Meade (1814-1886) apparaît dans les registres en 1840 comme charpentier et constructeur. Après une période d’insolvabilité, il revient aux affaires et pendant la période de famine (1845-1850) s’intéresse à la politique dans la défense des droits des catholiques, tout en rejoignant les chantiers de spéculations constructives. Crosthwaith (1794-1884) après avoir construit les Bains royaux de Kingstown acquiert le territoire de Woodspark sur les collines au-dessus de Dublin en 1849. Mais il n’est qu’un intermédiaire dans le 249processus de construction, sous-traitant le travail à des artisans locaux. La même année, Carvill (?-1884) arrive du Canada où il avait dédié sa carrière au commerce maritime et à celui du métal. Il s’oriente vers l’importation de bois de charpente, s’associant avec son frère Georges resté canadien. Meade se constitue une des plus importantes entreprises de construction d’Irlande, à côté de ses concurrents Cockburn & Sons. Il partage ses bureaux avec ceux de l’architecte John J. Lyons, fondateur de la revue professionnelle The Dublin Builder. Dans les années 1850, Carvill s’installe comme marchand de blé, mais établit chez lui une scierie. Meade fera de même après la période de famine qui touche l’Irlande. Dans ces années 1860, le domaine de la construction prolifère et les trois spéculateurs en profitent pour faire fructifier leur patrimoine en construisant pour les particuliers pauvres comme pour la population aisée désireuse de se faire construire de somptueuses villas à la vue imprenable, mais aussi pour l’église, les institutions de santé, bref des travaux publics. Les trois spéculateurs disposent d’un revenu locatif annuel substantiel : par exemple pour Meade, £ 1 250 pour onze maisons situées dans Merrion Road alors qu’un médecin en fin de carrière peut gagner environ £ 1 000 par an ; pour Carvill, £ 889 pour 12 maisons à Rostrevor Terrace, équivalent à plus de onze années de salaires d’un charpentier qualifié ; Crosthwaite, par le biais de la sous-location, reçoit £ 570 de profit annuel pour le patrimoine qu’il développe, soit l’équivalent de la moitié du salaire annuel d’un avocat ! La propriété de logements facilite les mariages entre gens de même rang. De plus, les spéculateurs n’hésitent pas à utiliser la garantie hypothécaire pour achever leurs chantiers.
Les fortunes de ces dynasties sont colossales. C’est la génération suivante qui va effectivement en profiter. Joseph Meade hérite de l’entreprise de son père, mais surtout devient une figure politique irlandaise essentielle au début du xxe siècle, membre de la Dublin Corporation en 1884, comme échevin, puis pendant deux ans High Sheriff de la ville de Dublin, pour en devenir le maire en 1891-1892. Il obtient de multiples honneurs tant professionnels que politiques.
Les bâtiments construits au cours du xixe siècle dans les faubourgs dublinois n’étaient pas faits pour loger la classe ouvrière. Il fut nécessaire de transformer ces habitations en les subdivisant harmonieusement en appartements. La découverte récente des activités philanthropiques de 250Joseph Meade amène l’autrice à le considérer comme le propriétaire de nombreux taudis qu’il acheta entre 1887 et 1892 pour les réorganiser pour la population ouvrière du bâtiment à laquelle elle consacre les deux dernières pages du chapitre20. Leurs conditions de travail sont épouvantables et leur situation critique à tous points de vue. En 1871, 6 500 hommes et 300 femmes la composent. Ces manœuvres sans qualification travaillent pour des salaires de misère, moins élevés que dans toute la Grande-Bretagne, à travail égal, et sont par conséquent souvent en situation de conflit avec les maîtres employeurs. La période de famine et d’épidémies, qui couvre l’Irlande à partir de 1859 et qui raréfie les chantiers, permet aux charpentiers de Dublin de déclencher une grève. Ils n’arrivent pas à entraîner avec eux les autres métiers du bâtiment. Ce n’est qu’en 1890 que, comme président de l’Association des constructeurs, Joseph Meade obtient un accord pour de meilleures conditions de travail (durée) et de salaires pour les métiers de la brique et de la pierre. Six ans plus tard seulement cet accord est étendu aux charpentiers et menuisiers. On tient même compte alors du temps de transport nécessaire à rejoindre le chantier. La durée de travail est considérablement réduite, les salaires augmentés de près de 60 %. Cependant, Susan Galavan persiste à souligner qu’en 1911, encore 24 000 travailleurs sans qualification habitent toujours de minuscules taudis insalubres.
Le cinquième et dernier chapitre se concentre sur les matériaux de construction. Son titre principal « procédés » (Process) ne nous semble pas totalement adéquat, en termes d’histoire de la construction. L’autrice aurait pu sous ce titre analyser les éléments constructifs : éléments structuraux verticaux et horizontaux dans le moindre détail, techniques d’assemblage des poutres, modalités de couverture, moyens d’élévation des matériaux, échafaudages, etc. Elle analyse les trois matériaux les plus importants du marché : les briques, la pierre et le bois de charpente en traitant leur qualité, leur acheminement du lieu de production au chantier. Nous restons surpris de l’absence d’analyse du remploi des matériaux, processus qui a toujours existé.
Depuis le xviie siècle, la brique est considérée comme la quintessence des matériaux de façade dublinois, mais elle sert également à la construction 251des fondations, des murs intérieurs, des cheminées, des cloisons, des murs séparatifs de propriété et des drains. La meilleure qualité de briques est la « marl » de couleurs jaunes servant aux façades. La brique grise est le standard britannique, connue pour sa solidité et son endurance, utilisée pour les murs externes, les arches et les piliers. La « place brick » de moindre qualité provenant des parties brûlées du four est utilisée pour les séparations intérieures et guider les alignements de murs. Les briques souvent faites encore à la main jusqu’à la moitié du xixe siècle sont manufacturées grâce à l’installation d’usines dédiées, cependant, la plupart des briques anglaises sont importées, précise le Irish Builder en 1872. La qualité structurelle des briques dépend également de la nature des joints utilisés. Bien que plus faible le joint flamand est préféré au traditionnel britannique en raison de son apparence finale. Pour maximiser la force des briques, les joints sont placés tout autour même à l’intérieur des murs, sauf que pour des raisons économiques on omet souvent de le faire. Pour les mêmes raisons, on affaiblit les constructions en brique en coupant les briques pour sauver l’apparence, ce qui a fait apparaître quelques problèmes structuraux dans les constructions irlandaises. Quant aux lieux de fabrication des briques, en 1863, on ne relève pas moins de 84 manufactures différentes en Irlande. Cependant, celles-ci doivent être éloignées des lieux d’habitation afin de ne pas polluer l’air par des fumées et des odeurs nocives. Si les briques ne sont pas fabriquées sur place, on utilise le transport maritime et les réseaux de canaux (transports en bateaux ou péniches) et les routes (usage de charrettes) pour les acheminer sur les chantiers périurbains. Malgré son usage démodé à Londres dès 1730, la brique continue d’être utilisée en Irlande comme matériau constructif de base. Au début, la brique britannique de qualité est plus chère que celle fabriquée en Irlande. Les manufactures de briques vont se développer dans ce dernier pays mais ne pourront pas faire face à la demande, laissant l’importation dominer le marché. Si la brique est usitée en général pour des murs de façades linéaires, pour les fenêtres incurvées, certaines profilées en arrondi servent pour les linteaux des fenêtres courbes. Si la brique est un matériau résistant au feu, elle est aussi utilisée à titre décoratif comme pavés de carrelage ou auges en céramique. Elle sert également pour les tuyaux d’évacuation. L’usage des briques pour les cloisons intérieures est pratique, car elle permet de gagner de l’espace, de constituer un élément léger pouvant être élevé 252sur un plancher, au-dessus d’un autre mur ou sur une poutre. L’autrice décrit les deux modalités de cloisons qu’elle a trouvées sur site : soit des « studd partitions » autrement dit des pans de bois finis au plâtre, soit des « bricknogging partitions », cloison à colombage de bois rempli de briques et de plâtre.
La juxtaposition de la pierre et de la brique dans les constructions au xixe siècle différencie Dublin de Londres. L’usage de la pierre dans le soubassement des maisons, dans l’escalier frontal, dans les bandeaux de granit ciselé et dans la maçonnerie d’angle en pierre séparant les façades de briques, est significatif de l’architecture irlandaise de cette période bien que ces caractéristiques n’aient pas été généralisées à tous les quartiers et tous les faubourgs. Quand William Carvill commence à construire à Rathgar, il limite l’usage de la pierre aux endroits qui sont enclins le plus aux altérations. Il l’utilise comme dans les maisons georgiennes d’une manière restreinte. Par exemple, pour les murs de soubassement, il se sert d’une finition à la chaux imitant la pierre de taille, de même que les angles sont en pierres préfabriquées plutôt qu’en pierre de taille. Cette dernière a un coût élevé de transport et de taille qui multiplie par quatorze l’usage de l’imitation. La pierre provient de plusieurs carrières qui délivrent des roches de qualités et de couleurs différentes. La pierre la plus chère est le granite de Ballyknockan. La plus abordable provient des carrières de Kilgobbin (Comté de Dublin). Il semble étonnant qu’aucune archive d’entreprises n’ait été conservée à ce propos. La taille des pierres décoratives s’exécute sur le chantier lui-même. Les moellons de pierre sont assemblés à l’arrière des briques de façades. La catégorie de moellons la moins onéreuse est dénommée « Dublin Calp ». Cette pierre calcaire varie extrêmement en qualité pouvant être dure comme inutilisable. Elle a la capacité de produire de la chaux hydraulique, ce qui fait qu’utilisée au-dessus du sol, elle peut engendrer des dégâts d’humidité. Employée pour revêtir le sol des routes, elle provoque tant des marécages en hiver que des nuages de poussière en été. Mélangée avec du sable et de l’eau, elle sert de mortiers, d’enduits et de plâtre. La disponibilité des matériaux est déterminante pour les spéculateurs qui y voient une source de profits. Les bâtisseurs usent d’un compromis entre la présence locale de la pierre et la qualité dont ils ont besoin (tendre/dure) selon le projet de construction envisagée (une maison / un quai) et bien entendu le budget qui leur est alloué.
253Le charpentier joue un rôle central dans la construction et son matériau de prédilection aussi. Celui-ci ne représente pas moins de 30 % du coût du bâtiment. Néanmoins l’envergure des troncs limite de fait les choix opérés par le charpentier. Susan Galavan remarque que les profondeurs des parquets des pièces sont toujours les mêmes basées sur les longueurs maximales des solives (9 x 2 pouces, soit environ 22 x 5 cm). Quand les pièces doivent être plus profondes, on doit utiliser le système des doubles planchers avec des poutres placées sous les solives espacées de 10 pouces. C’est ce que l’autrice relève comme la « règle du pouce » du charpentier ou la construction au « doigt mouillé ». Les forêts anglaises ont été épuisées depuis leur utilisation intense au xviiie siècle. L’importation de bois des pays nordiques s’impose d’autant que la demande grossit exponentiellement au xixe siècle. Cependant, le stock des bois canadiens et américains contribue aussi à répondre à la demande anglaise. Les scieries de Meade qui s’adaptent rapidement à la mécanisation via les machines à vapeur, à la nécessité d’ajouter des ateliers de métal, à répondre à l’insécurité des incendies, ne restent pas seules longtemps. Des entreprises concurrentes s’installent, comme « Martin & Son » au milieu du siècle. William Carvill, que Susan Galavan décrit comme le second grand spéculateur de ces faubourgs de Dublin, n’était-il pas en liaison avec le Canada ? Finalement plusieurs facteurs influencent le choix des matériaux dans les faubourgs de Dublin : la réglementation, sa situation géographique, leur prix, la mode, le poids du marché de la construction, etc.
Dans sa conclusion, Susan Galavan souligne que son livre est une histoire de l’expansion de la ville de Dublin sur ses faubourgs. Il est l’histoire des acteurs : propriétaires, institutions urbaines, spéculateurs, constructeurs, mais tout autant des ouvriers du bâtiment qualifiés ou pas qui ont consacré toute leur vie de misère à un labeur harassant.
Malgré l’histoire classique irlandaise qui a tendance à ne voir que peu de transformations au xixe siècle, le travail de Susan Galavan montre un changement radical concernant l’aménagement de la ville de Dublin, bien qu’au tournant du siècle, la ville de Belfast passe devant Dublin en termes d’industrialisation. En 1911, 63 % de la population de Dublin appartient à la classe ouvrière ; seulement un cinquième travaille dans des manufactures et la moitié de la force ouvrière est considérée comme qualifiée. Aujourd’hui les logements ouvriers ont été balayés ou 254se sont embourgeoisés. L’autrice nous démontre comment s’est opérée cette résidentialisation des constructions. Elle souligne que les maisons bourgeoises se sont développées en en faisant profiter la classe montante de marchands catholiques. La religion devint ainsi moins un identifiant de politiques locales qu’un facteur de confort suburbain. Les familles catholiques Carvills, Crossthwaites et Meades sont les premières familles à profiter de la libération de la propriété ainsi que de l’accès aux charges politiques, rompant avec la thèse classique de la pauvreté chronique des catholiques irlandais.
Quant aux maisons victoriennes, l’horizontalité des terraced houses a été interrompue par des ruptures verticales sur les façades, par la forme des fenêtres, par les entrées surélevées. On a commencé à exploiter les espaces des côtés et créer des ouvertures à l’arrière des maisons. La sobriété classique a laissé place à un éclectisme victorien avec une multiplication des décorations et de la polychromie. Ces transformations ne sont pas apparues de manière linéaire, mais en fonction de données budgétaires et de situation géographique. Si l’étude souligne l’importance du facteur économique de la spéculation, elle aurait minimisé un aspect important de l’ère victorienne : la montée en puissance de la professionnalisation des architectes. Sur le fait que la main de l’architecte puisse être visible sur les détails de certaines réalisations, il y aurait beaucoup à dire, étant donné ce qui a été détaillé plus haut dans le livre par Susan Galavan sur le rôle mineur attribué aux architectes en général dans la construction de ces programmes. Le statut de la profession d’architecte reste à écrire malgré l’établissement de l’Institut royal des architectes britanniques en 1834 et l’émergence d’un enseignement universitaire. Il en serait de même avec ce fameux contrôle sur les constructions qu’il soit souple ou strict selon le quartier choisi. Comment ne peut-il dépendre que du cahier des charges privé des contrats sans aucune contrainte administrative ? Les évolutions architecturales sont une chose. Elles ont été parfaitement démontrées par l’autrice. Une autre question est le contrôle réglementaire des constructions en particulier en ce qui concerne les éléments que l’on attribuerait à la notion de « service public ».
L’élévation de ces maisons doit beaucoup à la révolution industrielle contextuelle. Si la géologie du terrain sur lequel on bâtit est toujours déterminante, les constructeurs peuvent aller chercher leurs matériaux toujours plus loin. Les techniques constructives permettent d’agrandir 255les espaces de réception, les rendant plus fonctionnels. L’architecture est enfin un moyen de saisir l’évolution des rapports sociaux. Davantage que les rapports hommes/femmes ou adultes/enfants, ceux maîtres/serviteurs sont emblématiques. La ségrégation entre les deux catégories sociales finira avec le temps à s’estomper. Si à la fin du xixe siècle environ 71 % des familles de classe moyenne dublinoises conservent des serviteurs, la séparation entre les maîtres et leurs serviteurs est beaucoup plus nuancée qu’il n’y paraît. Interroger la pratique à ce sujet plutôt que les habitus figés permet à l’autrice d’être plus réaliste.
Enfin, si la semi-detached house a eu beaucoup de succès, sous l’ère victorienne, comme étant un compromis entre la terraced house et la villa, c’est probablement le même argument qui a permis de voir construire en République irlandaise de 2001 à 2011 autant de ces maisons à côté d’appartements.
Ce livre, pour le moins assez bref (164 p.) et excellemment bien illustré, est un travail de recherche remarquable à bien des égards. Sobrement écrit, il analyse une question inédite qui fait l’objet d’interrogations nouvelles dans plusieurs pays en histoire urbaine. Comment se sont formées les extensions des villes21 ? Les sources mobilisées sont exemplaires et complètes, semble-t-il. Sur les 35 000 nouvelles maisons construites sur la période, l’autrice justifie parfaitement le choix de trois quartiers et d’un certain nombre de maisons dont elle donne une représentation actuelle ou ancienne – elle a donc travaillé sur le terrain – et souvent des plans et contrats retrouvés en archives. Comme architecte, elle interprète ces dessins pour en délivrer au lecteur des croquis en évolution. Elle met d’emblée son sujet en contexte, ce qui accroît l’intérêt du lecteur à l’égard des réponses qu’elle délivre, tant sur le plan géographique, économique, politique, technique et social, ce qui permet d’insister sur l’approche pluridisciplinaire du projet. La presse professionnelle est dépouillée très précisément. Nous regrettons que les archives d’entreprise du bâtiment n’aient pas été sauvegardées et – seule question de forme – que les notes soient reléguées à la fin des chapitres et non en bas page, 256ce qui ne facilite pas une lecture savante de l’ouvrage. Ce point est probablement dû à une volonté éditoriale plutôt qu’à celle de l’autrice. Cependant, nous ne manquons pas de noter positivement la présence d’un index général bien pratique.
Robert Carvais
1 Mercedes Gómez-Ferrer, Siglos XV al XVII. Vocabulario de arquitectura valenciana, Valence, Ajuntament de Valencia, 2002.
2 Anna Decri, Un cantiere di parole. Glossario dell’architettura genovese tra Cinque e Seicento, Florence, All’Insegna del Giglio, 2009 (Biblioteca di Archeologia dell’Architettura, 6).
3 Thierry Verdier, Dictionnaire occitan-français des termes d’architecture xvie-xixe siècles, Paris, Les éditions de Paris Max Chaleil, 2013.
4 Gilbert Salmon, Le lexique de la construction aux xiiie, xive et xve siècles d’après les textes français, dialectaux et latins des départements de la Loire, du Rhône, de l’Ain et de l’Isère, Thèse pour le doctorat de 3e cycle présentée devant l’Université des Sciences Humaines de Strasbourg, 1974.
5 Voir néanmoins : Association ouvrière des Compagnons du Devoir, La plâtrerie, le staff et le stuc. Tome 1, les hommes et leur métier, Paris, France, les Compagnons du devoir, coll. « Encyclopédie des métiers », 1984, 330 p. ; Association ouvrière des Compagnons du Devoir, La plâtrerie, le staff et le stuc. Tome 2, le savoir-faire, Paris, France, les Compagnons du devoir, coll. « Encyclopédie des métiers », 1994, 564 p ; Groupe de recherche sur le plâtre dans l’art, Le plâtre : l’art et la matière, Paris, Créaphis, 2001, 381 p. ; Association pour la valorisation du gypse et du plâtre et Groupe de recherche sur le plâtre dans l’art, Gypseries : Gipiers des villes, gipiers des champs, Paris, Créaphis, 2005, 205 p.
6 À ce titre, un programme de recherche mené par le Cercle des Partenaires du Patrimoine (CPP) et le LRMH est dédié aux enduits de façade en plâtre. Il se termine en décembre 2018.
7 Luca Boiardi, Maria Regina Tedeschini et Riccardo Gulli, « History and technique of an Italian wooden floor system based on reeds and gypsum plaster frames : the case of Reggio Emilia », inNuts & Bolts of Construction History, Picard, Paris, 2012, p. 549.
8 Représenté notamment par le Musée du Plâtre de Cormeilles-en-Parisis et le Groupe de Recherche du Plâtre dans l’Art (GRPA).
9 « Plâtre architectural intérieur, histoires, pratiques professionnelles et restaurations récentes », journée d’étude, 13 octobre 2017, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont.
10 Pour en savoir plus : le LRMH et le groupement REMPART Île-de-France organisent un colloque « Le Plâtre en Construction » à la Bergerie Nationale de Rambouillet du 26 février 2018 au 1er mars 2019.
11 Voir : Hoffsummer Patrick (dir.), Les charpentes du xie au xixe siècle. Typologie et évolution en France du Nord et en Belgique, Paris, Centre des Monuments Nationaux / Monum, Éditions du patrimoine (Cahiers du Patrimoine, 62), 2002, 375 p. ; Épaud Frédéric, De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie : évolution des techniques et des structures de charpenterie du xiie au xiiie siècles, Caen, CRAHM, 2007, 613 p. ; Hoffsummer Patrick, Les charpentes du xie au xixe siècle : grand Ouest de la France : typologie et évolution analyse de la documentation de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Turnhout, Brepols, 2011, 385 p.
12 Voir notamment : Aumard Sylvain, « Nouvelles perspectives d’études sur les tuiles médiévales : recherches sur les toitures de monuments en Bourgogne du Nord », dans On the road again, l’Europe en mouvement, Actes du 4e congrès international d’archéologie médiévale et moderne [INHA, Paris, 3-8 septembre 2007], en ligne sur http://medieval-europe-paris-2007.univ-paris1.fr/S.Aumard.pdf ; Ibid., « Pour une archéologie des couvertures : une problématique en renouvellement », dans Patrick Hoffsummer et Jérôme Eeckout (dir.), Matériaux de l’architecture et toits de l’Europe. Mise en œuvre d’une méthodologie partagée, Namur, Institut du patrimoine Wallon, 2008, p. 165-174 ; Ibid., « L’archéologie des couvertures médiévales : pourquoi ? comment ? », en ligne sur http://reseautca.hypotheses.org/journees-actualite/resumes-des-journees-detude/larcheologie-des-couvertures-medievales-pourquoi-comment
13 Châtenet Monique, Gady Alexandre, Toits d’Europe. Formes, structures, décors et usages du toit à l’époque moderne, xve-xviie siècle, Actes de colloque [8e Rencontres d’architectures européennes, Paris, 12-14 juin 2013], Paris, Picard (De architectura. Colloques, 16), 2016, 247 p.
14 Le vite de ’ matematici, édition par E. Nenci, Milan, 1998.
15 Voir notamment la monographie de A. Serrai, Bernardino Baldi. La vita, le opere, la biblioteca, Milan, 2002 et les ouvrages collectifs Bernardino Baldi (1553-1617) studioso rinascimentale : poesia, storia, linguistica, meccanica, architettura, E. Nenci dir., Milan, 2005 et Seminario di studi su Bernardino Baldi urbinate (1553-1617), G. Cerboni dir., Urbin, 2006.
16 Q. XVI. Leonardo, Galileo e il caso Baldi : Magonza, 26 marzo 1621, Venise, 2004.
17 Susan Galavan aurait pu trouver d’autres points de comparaison dans Peter Guillery, The Small house in Eighteenth-century London. A social and Architectural History, New Heaven and London, The Paul Mellon Centre for Studies in British Art / English Heritage, Yale University Press, 2004.
18 Cette institution, active depuis le Moyen Âge, fonctionne principalement comme une institution de gouvernement local au niveau du comté. Elle se nommait ainsi car les grands jurés devaient présenter leurs propositions de travaux publics et les budgets correspondant devant un juge pour les valider. La plupart d’entre eux étaient des propriétaires protestants et aisés. Ce système commença à être plus représentatif à partir du Municipal Corporations Act de 1840 et fut définitivement remplacé par des County Councils élus démocratiquement par le Local Government Act en 1898, en ce qui concerne ses fonctions administratives.
19 Il était composé du Lord Mayor, Aldermen and Burgesses (Maire, échevins et bourgeois) de la ville du Dublin.
20 Nous sommes heureux que l’autrice ait pu étoffer cette question dans la présente revue à travers son article « Labour reform on the construction site in Dublin : Building workers and their employers, 1859–1896 », supra, p. 139-157.
21 Florence Bourillon et Annie Fourcaut (dir.), Agrandir Paris. 1860-1970, Paris, Publications de la Sorbonne, Comité d’histoire de la ville de Paris, 2012 ; Aline Lemonnier-Lemercier, Les Embellissements du Havre au xviiie siècle. Projets, réalisations, 1719-1830, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013 ; Julien Puget, Les embellissements d’Aix et de Marseille. Droits, espace et fabrique de la ville aux xviie et xviiie siècles, Rennes, PUR, 2018.
- CLIL theme: 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
- ISBN: 978-2-406-08968-1
- EAN: 9782406089681
- ISSN: 2649-177X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08968-1.p.0221
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-03-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French