[Introduction]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Valery Larbaud, « cosmopolite » des lettres ?
- Pages : 61 à 61
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 91
C’est dans l’introduction à son « grand ouvrage1 » sur l’Histoire de la littérature anglaise – l’épithète est de Larbaud – que Taine exalte la « diversité infinie » des hommes déjà observée chez un Joseph de Maistre raillant l’abstraction révolutionnaire : « La constitution de 1795, tout comme ses aînées, est faite pour l’homme. Or, il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâces à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie2 ». Des « Français », des « Italiens », des « Russes », Larbaud en a rencontrés lors de son « grand tour » d’Europe, comme de son grand tour – à nous de le mesurer – des littératures. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, cet amateur-collectionneur de différences a bien plus joui de la diversité du monde qu’il n’en a pensé l’unité. Dominant les premières années de sa vie littéraire, où le bon – parce que licencieux – usage de l’étranger sert son émancipation intellectuelle et sociale, ce cosmopolitisme différentialiste décline sans toutefois disparaître après 1919. Donnant l’impression – pénible pour certains – d’être passé au travers du « kantisme3 » des classes républicaines, Larbaud s’est construit, en quête du Divers, au contact de l’Autre : « et cela jusqu’à l’oubli de nous-mêmes dans notre recherche de tout ce qui était autre4 ». Le Moi larbaldien ne saurait cependant s’oublier. Comment Larbaud, fort de son individualisme, a-t-il su renouveler le rapport à l’Autre, corriger la tradition romantique de l’exotisme et célébrer la diversité du monde et des littératures ?
1 « Une anthologie de nos traducteurs de l’anglais », La Revue de France, 1er août 1922, repris dans DA p. 515.
2 Joseph de Maistre, Considérations sur la France, Lyon, Rusand, 1834, p. 102-103. Souligné dans le texte. Cf. Au sujet des Fables de La Fontaine dans « Devoirs de vacances » : « D’abord, nous avions eu bien de la peine à les comprendre : “le lion”, “le chien” ; quel lion ? quel chien ? Il y avait les lions du jardin des Plantes ; il y avait des chiens, tous différents les uns des autres ; Ding le Fou, Brutus la Terreur, et la petite Gipsy, qui était des “bien sages”. Il n’y avait pas “le lion”, il n’y avait pas “le chien” », « Devoirs de vacances », Enfantines, Paris, Éditions de La NRF, 1918, repris dans Œ p. 494.
3 Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Félix Juven, 1902, p. 56.
4 « Paris de France », Le Navire d’Argent, 1er juin 1925, repris dans Œ p. 782.