Introduction à la deuxième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : « Une divine harmonie ». Vie et aventures d’une idée (1551-1627)
- Pages : 341 à 343
- Collection : Bibliothèque de la Renaissance, n° 82
Introduction
à la deuxième partie
Dans l’Évangile de Jean, Thomas s’interroge sur le chemin à suivre pour rejoindre le Christ après son départ. Celui-ci se tourne vers lui et dit : « Je suis la voye, la verité & la vie ». En 1564, le moine Gabriel Dupuyherbault explique que « Jesus Christ est la voye, car hors luy il n’y ha aultre chose, fors perir, errer & mourir eternellement. Je […] suis la voye, par laquelle il vous fault venir là ou je vais, & non par aultre moyen1 ». En 1618, le calviniste Simon Goulart développe la même idée dans son Anthologie morale et chrestienne :
Le voyager mondain ne pouvant parvenir au lieu où il s’achemine, à cause que le chemin ancien est rompu, tellement qu’on n’y peut plus passer, cerche un nouveau sentier asseuré. Le voyager celeste se souvient que Christ nous a dedié & nouvellement frayé par son merite un chemin nouveau & vivant2, opposé par l’Apostre au vieil, par lequel Adam parvenoit à salut, s’il eust continué de marcher au chemin de saincteté & justice qui lui avoit esté prescrit. Mais s’estant revolté, & jetté à travers champs, courant vers enfer, la voye du ciel luy ayant esté close par sa rebellion propre : il a eu besoin de chemin nouveau frayé par la propre chair du Seigneur, nostre grand Sacrificateur […], lequel par sa croix a tracé la voye au ciel, remarquée par son sang […]3.
Avant la chute, Adam était uni à Dieu d’une façon qui n’est plus accessible à l’homme pécheur. Celui-ci, pour recréer le lien, doit emprunter une voie nouvelle, qui lui est frayée par le sacrifice du Christ. Sans le Christ, il est impossible que l’homme s’unisse à Dieu.
Comme l’indique en 1549 l’évêque Antonio de Guevara, « Jesus Christ ne dit pas, je sçay où est le chemin », mais « je suis la voie ». « Jesus-Christ ne dit point aussi, je donne la vie », mais « je suis la 342vie4 ». Le Christ est donc la voie du salut et le salut lui-même. Pour être sauvé, il convient que l’homme chemine « par lui, vers lui, et vers le Père5 ». C’est ici que la théologie prend le pas sur la philosophie, où le « voyager celeste » se distingue du « voyager mondain » : « Tout homme, écrit S. Augustin, désire la vérité et la vie ; les philosophes ont compris que Dieu était une certaine vie et vérité ; mais tout homme ne trouve pas la voie6 ».
Catholiques et protestants s’accordent pour dire que le péché est un désordre, qu’il a créé du désordre dans la nature humaine. Cependant, ils ne s’accordent pas sur la nature et la gravité de la chute, de même qu’ils ne s’accordent pas sur la manière dont le Christ peut réparer la blessure. Par conséquent, l’itinéraire de la chute et de la rédemption diffère en fonction des appartenances religieuses. Les formes et les voies de la conformité et de l’union de l’homme avec son créateur ne sont pas non plus les mêmes7. Or, ici, ce sont principalement les auteurs catholiques qui s’appuient sur la notion d’harmonie. Les protestants y font parfois référence pour décrire les effets du péché, mais rarement pour dessiner 343un itinéraire du salut. Pour certains catholiques, au contraire, le Christ permet à l’homme de retrouver une forme d’harmonie (en lui-même, et avec Dieu), qui peut consister dans un retour au même, ou bien, dans un dépassement de l’harmonie originelle. De tels discours sont marginaux, mais ils possèdent un intérêt particulier dans la mesure où ils s’écartent parfois radicalement de la conception néoplatonicienne de l’harmonie musicale.
Dans un premier temps, on s’intéressera aux manières dont certains discours sur la chute et sur ses effets (qui sont relatifs à la séparation de Dieu et de l’homme) intègrent la notion d’harmonie. Ensuite, on se penchera sur le rôle de médiateur assumé par le Christ, Dieu fait homme : « Chemine par l’homme, écrit S. Augustin, et tu parviendras à Dieu8 ». On s’intéressera en particulier à la place de la notion d’harmonie dans l’évocation de l’union de l’homme avec le Christ, dans la mesure où elle est une forme d’union de l’homme avec Dieu.
1 Gabriel Dupuyherbault, Catholique Exposition avecq’ exhortations […], Paris, Jehan de Roigny, 1564, t. i, f. 136 vo.
2 Hébreux 10 : 20.
3 Simon Goulart, Anthologie morale et chrestienne : contenant divers opuscules, discours et traictez recueillis de plusieurs auteurs anciens et modernes […], Genève, Samuel Crespin, 1618, p. 686.
4 Antonio de Guevara, Seconde Partie du livre ayant tiltre de Mont de Calvaire, contenant les sept paroles que nostre Seigneur Jesus Christ profera en l’arbre de la Croix (1549), ii, xii, trad. François de Belleforest, Lyon, Benoist Rigaud, 1588 [1571], p. 334.
5 S. Augustin, Traité 69 : « […] per ipsum, et ad ipsum, et ad Patrem, imus ». Cité par Cornelius a Lapide, Commentaria in Johannem (1649), xiv, 6, dans : Commentaria in Scripturam Sacram, Parisiis, Ludovicus Vives, 1860, t. xvi, p. 541.
6 S. Augustin, Sermones de Verbis Domini, LV : « Veritatem et uitam omnis homo cupit ; etiam Philosophi Deum esse uitam quamdam et ueritatem uiderunt, uiam non omnis inuenit ». Je traduis. Cité par Cornelius a Lapide, ibid.
7 Les protestants considèrent que la « vérité » est la perfection de la foi, dont la « voie » n’est que le commencement. Cf. Jean Calvin, La Concordance qu’on appelle Harmonie […]. Item, L’Évangile selon S. Jehan, le tout avec les commentaires de M. Jehan Calvin, xiv, vi, Genève, Conrad Badius, 1558 [1555], p. 950 :« Aucuns prennent yci la vérité, pour la lumiere salutaire de la Sapience celeste : les autres, pour la substance de vie, & de tous biens spirituels […]. De moy, mon opinion est, que verité est icy prise pour la perfection de la foy : comme la voye est prise pour le commencement & les rudimens ». Pour les catholiques, qui font intervenir la notion de mérite, le chrétien doit participer activement, par ses œuvres, à l’acquisition du salut. « Beatitude eternelle est loyer. Or loyer requiert merite precedent » (Gabriel Dupuyherbault, op. cit., p. 137). La « voie » à suivre pour acquérir le salut ne repose donc pas seulement sur le perfectionnement de la foi. Cf. Cornelius a Lapide, ibid., p. 541 : « Au chapitre 33 du neuvième livre [des Commentaires sur S. Jean], S. Cyrille dit que le Christ est pour nous la voie, en raison de la manière dont il a mené sa vie, la vérité, par la rectitude de sa foi, la vie, parce qu’il est la source de sanctification. Et il ajoute : “Trois choses nous sont nécessaires pour rejoindre les demeures célestes : l’opération de la vertu, une foi droite, l’espérance de la vie” » (« S. Cyrillus, lib. ix, cap. xxxiii, Christus, ait, nobis est uia per uitae actionem, ueritas per fidei rectitudinem, uita per sanctificationis fontem. Additque : Tria sunt, ait, necessaria ut coelestes mansiones consequamur, operatio uirtutis, fides recta, spes uitae […] »). Je traduis.
8 S. Augustin, Sermones de Verbis Domini, XXXIV : « Ambula per hominem, et peruenies ad Deum ». Je traduis. Cité par S. Thomas d’Aquin dans la Catena aurea (Catena in Iohannem, cap. 14 l. 2).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-16576-7
- EAN : 9782406165767
- ISSN : 2114-1223
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16576-7.p.0341
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/03/2024
- Langue : Français