Présentation
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Traductions de La Boétie
- Auteur : Menini (Romain)
- Pages : 9 à 13
- Collection : Cahiers La Boétie, n° 6
Article de collectif : 1/14 Suivant
Présentation
Les VIIIe Rencontres La Boétie, accueillies à Sarlat-la-Canéda du 23 au 25 janvier 2019, ont mis à l’honneur les traductions de La Boétie.
Comme de coutume, ces Rencontres ont été ouvertes par une conférence de Laurent Gerbier au lycée Pré-de-Cordy ; elles ont accueilli, en clôture du colloque, un Atelier de jeunes chercheuses et chercheurs, rassemblés pour cette édition autour de la question des « Discours de vérité à la Renaissance » ; elles se sont refermées sur l’Assemblée générale de la Société Internationale des Amis de La Boétie, organisatrice de l’événement.
Ces Rencontres offraient l’occasion idéale de présenter trois nouvelles publications consacrées à La Boétie et à son œuvre : Anne-Marie Cocula-Vaillières1, Marilise Six2 et John O’Brien3 ont ainsi proposé de passionnants aperçus sur leurs récents travaux, décisifs pour mieux comprendre l’œuvre de l’écrivain sarladais, ainsi que sa remarquable fortune à travers les âges.
L’objet du colloque était double : d’une part, sonder l’activité de traducteur qui fut celle d’Étienne de La Boétie – lequel rendit en français le grec de Plutarque ou de Xénophon, mais aussi, dans sa Servitude volontaire, le latin de Virgile ou l’italien de l’Arioste – ; d’autre part, interroger le travail des traducteurs de La Boétie, que ce soit pour donner à lire ses Poemata latins (désormais disponibles en français) ou son fameux Discours (lu et relu en français, en latin ou dans d’autres langues vernaculaires).
10Traductions de La Boétie : à la faveur d’un génitif à double sens, les actes de ces Rencontres permettent de relire l’œuvre laboétienne en la réinscrivant dans le réseau des multiples traductions qui en déterminent à la fois la genèse et la réception. C’est aussi rendre hommage à des générations de « passeurs de textes », dans le sillage d’un écrivain qui, avant Jacques Amyot, fut un « sçavant translateur » en langue vernaculaire – et donc l’agent d’une transmission textuelle caractéristique de l’Humanisme européen.
Les Rencontres ont permis à l’auditoire d’entendre l’émouvante allocution d’Ivan Vejvoda4 – traducteur du Discours en serbo-croate (1986), membre d’honneur de ces VIIIe Rencontres – qui a rappelé, avec chaleur et reconnaissance, le souvenir de Miguel Abensour, son professeur à Sciences Po Paris. Le texte d’Ivan Vejvoda ouvre le dossier du présent Cahier. Il nous rappelle la nécessité brûlante de relire La Boétie aujourd’hui, en retraçant l’histoire d’une traduction qui réussit à faire entendre la voix de la liberté critique, dans un pays où celle-ci devait être plus que jamais menacée.
Avant d’être traduit à son tour, La Boétie avait été lui-même traducteur : à la suite d’Ivan Vejvoda, qui aura donc « transmué un transmueur » (pour le dire comme Marot parlait d’Ovide), plusieurs articles reviennent sur les traductions qu’on doit au Sarladais, réunies en 1571, de façon posthume, par son ami Montaigne (fig. 1).
Alain Legros nous ouvre d’abord l’atelier de La Boétie le philologue, lecteur du grec et du latin, annotateur de ses livres (Egnazio, Xénophon), lecteur attentif avant d’être un traducteur méticuleux et élégant. Il revient sur la transmission des volumes de La Boétie à son ami Montaigne, qui les marqua d’un « b. » mémoriel. Affaire de transmission, encore et 11toujours. Dans la fin de ce Cahier, une note complémentaire permet de revenir sur ce contingent de livres marqués, et sur leur émouvant passage d’une bibliothèque à l’autre. Alain Legros met aussi à la disposition des spécialistes trois documents méconnus qui touchent à la biographie de La Boétie. Ces nouveautés sont complétées, en varia, par une mise au point sur la datation du manuscrit Mériadeck de la Servitude volontaire.
Bérengère Basset et Romain Menini rouvrent le dossier des traductions du grec, en étudiant respectivement les versions laboétiennes de Plutarque (Consolation à sa femme) et de Xénophon (L’Économique ou, dans le titre de 1571, « La Mesnagerie »). Bérengère Basset montre qu’en saisissant parfaitement ce que le genre de la consolation comporte d’« exercice spirituel », La Boétie fait preuve d’une compréhension précise et subtile du texte de Plutarque. Romain Menini, après avoir rappelé le contexte et la genèse de la traduction de La Mesnagerie, montre comment le traducteur contribue lui aussi, grâce à ses capacités d’helléniste, à l’« illustration de la langue française » qui occupe les écrivains de son temps.
Michèle Clément étudie ensuite la façon dont La Boétie insère des traductions poétiques dans le Discours de la servitude volontaire, où il se révèle à la fois poète et traducteur de poètes, en vers ou en prose. Ainsi l’écrivain peut-il interroger le statut de la poésie, à une époque où celle-ci est en pleine mutation. L’enjeu est aussi politique : pour Michèle Clément, le Discours dénonce aussi le rôle d’auxiliaire complaisante du pouvoir qui est trop souvent celui de la fable poétique, libérée des contraintes de la prose. « Poète contrarié », La Boétie ?
John O’Brien se penche sur la première édition partielle de la Servitude volontaire publiée en latin, en 1574. Il en souligne plusieurs caractéristiques, dont l’importance des composantes manuscrites du second dialogue, le choix singulier des extraits, les enjeux intertextuels et la spécificité linguistique. Son article souligne aussi les relations que ces passages entretiennent avec la Francogallia de François Hotman et la pensée constitutionnelle.
Michael Boulet et Coralie Cicovic prennent pour objet l’importante traduction du Discours qu’a procurée Charles Teste en 1836. En « drapant à la moderne » cet « antique enfant » qu’est le texte de La Boétie, Teste lui fait subir d’importants infléchissements, pour ne pas dire des gauchissements, qui sont le fait d’une lecture assurément partisane. Ainsi le le christianisme social du début du xixe siècle trouve-t-il en Teste un interprète zélé.
12Fig. 1 – La Mesnagerie de Xenophon […], Paris, F. Morel, 1571 (exemplaire de Montaigne : Bibliothèque nationale de France, ZPAYEN-511 (1), num. Gallica).
13Enfin, Marilise Six revient sur son expérience de traductrice des Poemata de La Boétie (éd. Classiques Garnier, 2018, avec la collaboration de Christophe Bardyn). Sa contribution permet de redécouvrir un poète méconnu, dont la production néo-latine offre un éclairage nouveau sur sa vie personnelle et officielle de parlementaire bordelais. Les sources, la métrique et les pièces adressées à Montaigne font l’objet d’aperçus spécifiques.
Traducteur et traduit, La Boétie traverse les époques et les frontières. De la Grèce de Xénophon à l’ex-Yougoslavie du xxe siècle, en passant par une Europe des Lettres qui, naguère, parla latin puis français, son œuvre est un carrefour des langues, des lieux et des lectures ouvertes. L’expérience trilingue (grec, latin, français) qui fut celle de l’humaniste montre le patron polyglotte sur lequel se dessine la réception de sa propre œuvre, à la fois exemplaire d’un « vulgaire illustre » et libre de parler dans toutes les langues.
Romain Menini
Université Gustave-Eiffel
1 Anne-Marie Cocula-Vaillières, Étienne de La Boétie et le destin du Discours de la servitude volontaire, Paris, Classiques Garnier (« Études montaignistes », no 65), 2018.
2 Étienne de La Boétie, Poésies complètes, éd. Christophe Bardyn et Marilise Six, Paris, Classiques Garnier (« Études montaignistes », no 66), 2018.
3 John O’Brien et Marc Schachter (dir.), La Première Circulation de la Servitude volontaire en France et au-delà, Paris, H. Champion (« Bibliothèque littéraire de la Renaissance », no 92), 2019.
4 Ivan Vejvoda, correspondant et interlocuteur serbe de la SIALB, est un politologue, chercheur et Recteur intérimaire de l’Institut des sciences humaines de Viennes (IWM), directeur du projet « Futurs de l’Europe » depuis 2017. Il a été vice-président des programmes au German Marshall Fund (GMF) des États-Unis, après avoir été conseiller du premier ministre serbe Zoran Djindjic. En 1968, Ivan Vejvoda intègre Sciences Po Paris et rencontre Miguel Abensour, son professeur de philosophie, qui lui fait découvrir La Boétie, Lefort et Castoriadis, penseurs qui marqueront son parcours intellectuel et politique. En 1986, chercheur à l’Institut d’études européennes de Belgrade, il traduit en serbo-croate, dans la collection « Libertas » de l’éditeur Filip Visnjic, le Discours de la servitude volontaire de La Boétie, mais aussi Montesquieu, les discours de Robespierre et de Saint-Just, John Stuart Mill, Isaiah Berlin. – Merci à Coralie Cicovic, rédactrice de cette note de présentation.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-13195-3
- EAN : 9782406131953
- ISSN : 2262-0427
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13195-3.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/07/2022
- Langue : Français
- Mots-clés : La Boétie, Sarlat-la-Canéda, Association internationale des amis de La Boétie, traduction, réception