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Extrait : "Théâtre complet. Tome I", Dumas fils (Alexandre)

 

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

S’il n’avait romancé ses amours avec Marie Duplessis, s’il ne les avait ensuite adaptées en drame, Alexandre Dumas fils serait sans doute méconnu aujourd’hui, éventuellement évoqué dans l’ombre de son père, lui-même réhabilité en vrai romancier et dramaturge après un long purgatoire le cantonnant, un siècle durant, aux lectures enfantines ou populaires par oubli de son rôle dans la bataille romantique. Mais La Dame aux camélias a hissé Dumas fils d’emblée au panthéon théâtral de son temps et la force dramatique de ce chef- d’œuvre assure la pérennité de sa renommée encore de nos jours, malgré le caractère désuet que pourrait lui donner son intrigue ; au contraire, le romanesque du vécu s’étant allié à la mélancolie sentimentale, elle a nourri une longue série d’adaptations, des parodies immédiates à la puissance vocale de La Traviata, puis par toutes ses déclinaisons au cinéma et en ballet.

Les nombreuses autres pièces de Dumas fils écrites et jouées avec retentissement de son vivant et jusque dans les années 1930 ont dis-paru de nos mémoires ; parmi sa vingtaine de romans et nouvelles, au sein de sa douzaine de brochures engagées, seules l ’autobiographique Affaire Clemenceau et la polémique suscitée par L’Homme-Femme éveillent encore quelque souvenir chez les plus lettrés de nos contemporains. Le statut d’écrivain officiellement couronné par son accession à l’Académie française, la collection abondante de ses articles et préfaces aux livres d’autrui, l’incarnation de ses héroïnes par les plus grandes actrices au fil des générations – Eugénie Doche, Rose Chéri, Aimée Desclée, Blanche Pierson, la Tallandiera, Sarah Bernhardt, la Duse, Edwige Feuillère, Greta Garbo, Isabelle Huppert… – : rien n’y fait, son théâtre n’est plus joué, rangé au magasin du xixe comme obsolète depuis la rénovation scénique opérée par le xxe, lui-même désormais devenu siècle précédant le nôtre.

Théâtre bourgeois dira-t-on, théâtre « bien fait » comme on disait déjà alors, théâtre dépassé donc aux yeux des metteurs en scène actuels, avides de formes comme de sujets contemporains. Et pourtant, Dumas fils adopte la prose théâtrale, épure la conduite de l’action, prend ses sujets dans le vécu de son temps, s’engage dans les débats violents d’alors au sujet de la législation sur la prostitution, du divorce, de la reconnaissance de paternité, du vote des femmes. Justement, ces acquis sociaux sont désormais derrière nous, ce qui l’enfonce encore davantage dans le passé, renchérira-t-on. De plus, son grand sujet est l ’amour, l’adultère, l’enfant naturel, la filiation éducative, affective et légale : alors, s’exclamera-t-on, autre raison de ne plus s’y intéresser, car actuellement on ne s’étonne plus du nombre de divorces, on prône l’amour libre, on nomme compagnonnage ce qui passait jadis pour concubinage, on est habitué aux familles recomposées, on pense juridiquement réglables les questions liées à la garde des enfants, on admet fort bien les naissances hors mariage… Restent les souffrances de l’amour, idéalisé ou banalisé, déçu ou trompé, écartelé parfois entre des parents séparés, partagé en des fratries renouvelées, les difficultés de la filiation à maintenir ou retrouver par-delà les éloignements, les adoptions, les dons génétiques, les gestations pour autrui, l’homoparentalité.

En voyant les débats soulevés par tous ces problèmes de société actuels, on ne peut s’empêcher, quand on connaît l’œuvre de Dumas fils, de se demander quelles auraient été ses positions, lui qui a milité en faveur de la condition de la femme et de l’enfant, et si son théâtre est aussi mort que tous ceux qui l’ignorent voudraient le faire croire. Après tout, on revisite bien Molière et Marivaux, Corneille et Racine ; on joue toujours Labiche et Feydeau, on admire Ibsen et Lorca : or Dumas fils s’est nourri des premiers, écrit parallèlement aux deuxièmes, a été comparé aux derniers [...]


* Référence ouvrage : Théâtre complet. Tome I, Dumas fils (Alexandre), Coll. Bibliothèque du théâtre français.