Notice
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Tome III. xviie-xviiie siècles
- Pages : 31 à 33
- Collection : Bibliothèque du xviie siècle, n° 47
- Série : Théâtre, n° 9
Notice
Romancière, dramaturge, poète, et conteuse, Catherine Bernard, originaire d’un milieu huguenot prospère et cultivé, naquit à Rouen le 24 août 1663. On sait très peu de choses sur sa jeunesse, mais il est probable qu’elle fréquenta les cercles littéraires de cette ville, dont les goûts, conformes à l’esthétique précieuse, influencèrent son premier roman Fédéric de Sicile (1680) – histoire d’une femme travestie en roi. S’il ne semble pas avoir connu un grand succès (quoique traduit en anglais en 1682), Fédéric annonce une vision pessimiste du monde qui allait prédominer dans la suite de son œuvre.
Arrivée à une date inconnue à Paris, elle se convertit au catholicisme peu de temps avant la Révocation de l’Édit de Nantes et devint, semble-t-il, une habituée des salons parisiens. Profitant du contact avec ce milieu pour peaufiner son style littéraire, elle s’adapta à l’évolution du genre romanesque vers les nouvelles historiques, déjà en vogue depuis plusieurs années, et y contribua avec la publication de trois textes qui furent un succès en librairie : Éléonor d’Yvrée (1687), Le Comte d’Amboise (1689, traduit en anglais la même année), et Inès de Cordoue (1696). Dans cette dernière œuvre, elle prit part également au renouvellement du conte de fée, en enchâssant deux contes – « Le prince Rosier » et « Riquet à la Houppe » – qui furent parmi les premiers rédigés en France.
Cette période fructueuse vit aussi la création à la Comédie-Française de deux tragédies, Laodamie (1689) et Brutus (1691). Toutes deux connurent une réussite commerciale considérable, comme en fait foi le nombre de représentations lors de leur création : vingt-deux dans le cas de Laodamie et vingt-cinq dans le cas de Brutus, ce qui les place au rang des meilleurs succès de la fin du siècle.
Tandis que ses nouvelles et son théâtre trouvaient l’approbation du monde littéraire et intellectuel, sa poésie lui attira l’attention de la Cour. Son ode intitulée « Que le roi seul en toute l’Europe défend et protège le droit des Rois » lui valut le premier prix de poésie de 32l’Académie française en 1691, mais également l’octroi par Louis XIV d’une pension royale (quoique modeste) et d’une subvention de la part de Mme de Pontchartrain (épouse du futur chancelier de France). Ce succès se confirma : Catherine Bernard remporta de nouveau le prix de l’Académie française en 1693 et en 1697, se vit également trois fois lauréate du prix de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse (en 1696, 1697 et 1698), et fut reçue comme membre de l’Académie des Ricovrati de Padoue en 1699 sous le nom de Calliope, l’Invincible. Toutefois, cette reconnaissance marqua aussi la fin de sa carrière littéraire : à partir de 1698, peut-être pour plaire au milieu de plus en plus dévot de la Cour qui la protégeait, elle ne chercha plus à publier ses écrits, et sa création littéraire se limita à quelques vers de circonstance. Néanmoins, si sa mort passa inaperçue à Paris le 6 septembre 1712, son nom et sa réputation ne s’éteignirent pas, comme en témoigne l’insertion fréquente de ses poésies et de ses nouvelles dans les recueils tout au long du xviiie siècle.
Comme tant d’autres écrivaines, Catherine Bernard fut longtemps perçue à travers le prisme androcentrique de l’histoire littéraire traditionnelle. Présentée par certains comme la nièce de Corneille et la cousine de Fontenelle – parenté non fondée –, elle partagerait pour certains la « paternité » de ses œuvres (surtout Brutus) avec ce dernier. Pourtant, une telle collaboration n’a jamais été mentionnée de son vivant, et n’apparaît pour la première fois que dans les années 1730, lors d’une controverse littéraire autour du Brutus de Voltaire.
Le parcours littéraire de Catherine Bernard – du roman précieux aux contes de fées – évoque très nettement les préoccupations et l’évolution du goût littéraire de son temps. L’originalité de son œuvre tient à la place charnière qu’elle occupe dans l’histoire littéraire : si Bernard se révèle une moraliste pessimiste quant aux « désordres de l’amour », dans la lignée de Mme de Villedieu et Mme de Lafayette, elle annonce cependant la sensibilité larmoyante du xviiie siècle1. En outre, son théâtre se distingue par l’interrogation de notions-clés, comme celles de l’autorité, de la légitimité et de l’ordre, appliquées à des situations plutôt inattendues pour l’époque. Dans Laodamie, on assiste à la dramatisation du conflit entre la gynécocratie et le patriarcat. Dans la Rome patriarcale de Brutus, des critiques implicites et explicites à la fois envers l’ancien 33régime monarchique et le nouveau régime républicain témoignent d’un refus de distinguer catégoriquement entre un gouvernement despotique et un gouvernement éclairé. Surtout, son œuvre reflète avec subtilité un univers troublé, tant dans la psychologie des personnages qu’elle dépeint que dans les intrigues politiques. À l’inverse du dénouement souhaité par Corneille, le spectateur n’en sort pas « l’esprit en repos2 ».
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-12965-3
- EAN : 9782406129653
- ISSN : 2258-0158
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12965-3.p.0031
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/05/2022
- Langue : Français