Glossaire du double
- Publication type: Book chapter
- Book: Simplement double. Le personnage double, une obsession du roman au xxe siècle
- Pages: 349 to 365
- Collection: Comparative Perspectives, n° 14
Glossaire du double
Le double envahit le xxe siècle, on l’a vu. Il est une structure récurrente, presque systématique de la pensée moderne. Le champ de ma recherche se caractérise donc par une certaine ampleur. Il m’a dès lors semblé fructueux de rassembler les notions clefs relevant de ce champ, tout en les définissant. Ce glossaire est à sa façon une table analytique, sa forme étant un peu moins canonique. La forme du glossaire permet de redonner une ultime fois à lire et à penser tous les termes du sujet en les reliant de façon synthétique. Au sens étymologique, le glossaire propose donc une religion du double.
Agdistis : ce daïmon aux deux sexes naît non pas d’une relation sexuelle mais du sperme que Zeus a laissé couler durant son sommeil. Il est enchaîné et émasculé par les autres dieux. De ses parties génitales naît un amandier ; la fille du fleuve Sangarios en saisit un fruit et met au monde quelques temps après Attès. Le bel enfant, élevé par un bouc, est devenu adulte et, bien qu’il soit désiré par Agdistis, il est promis à la fille du roi de Pessinonte. Mais lors du chant nuptial, Agdistis se fait connaître. Attès est alors pris de folie et se coupe les parties génitales ; le roi qui s’apprêtait à lui donner sa fille agit de même. Ce récit sanguinaire (trois émasculations) se trouve chez Pausanias1.
Alter ego – toujours au masculin – du latin « autre moi » – impersonator, impersonation en anglais, alakmàs en hongrois : l’alter ego est une personne dont on se sent très proche et à qui on reconnaît beaucoup de points communs avec soi-même. L’ego et l’alter ego sont réunis par une complicité et une confiance perçues par les deux parties comme agréables. Un exemple fameux est celui de Montaigne et La Boétie. La duplication est ici une affaire d’affinité élective et de perception individuelle. Il n’y a pas d’identité d’aspect.
Avoir un autre soi-même suppose que l’on ait déjà une idée de soi.
Le sociologue David Le Breton avance que, pour les Occidentaux, le corps propre est devenu depuis les années 1980 l’alter ego de la personne, le thème social de prédilection. On choie son corps comme un partenaire, à base de sport, de cosmétique, de diététique et autres soins amoureux, si bien que l’on fait de son propre corps « le corps haltère-ego2 ».
Ambi-, Ambo- – du latin ambo « double, des deux côtés, tous les deux, tout autour » – correspondant grec : amphi : préfixe servant à former des mots composés dont le sème développe l’idée d’une chose similaire par ses deux côtés. Les contextes peuvent être variés comme on le voit avec ces exemples : ambages, ambiance, ambidextre, ambigu, ambisexué, ambition, ambivalent, andante.
Âme – du latin anima « souffle, esprit » : Edgar Morin met en commun différentes croyances premières qui correspondent à ce que la civilisation chrétienne nomme l’âme. « C’est la même universelle réalité de “double” que traduisent l’Eidolon grec […], le Ka égyptien, le Genius latin, le Rephaim hébreu, le Frevoli ou Fravashi perse […] et même parfois “l’âme” chez certains Pères de l’Eglise. […] Ce double n’est pas tant la reproduction, la copie conforme post mortem de l’individu décédé : il accompagne le vivant dans toute son existence, il le double3 ». On peut ajouter à cette énumération l’atman des Indiens dont il est question dans Nocturne Indien4.
Eugène Monseur parle d’« âme pupilline » ou « âme poucet » à propos du double de soi qui se reflète en petit dans les yeux de l’autre5. Il crée le mot pour insister sur l’étymologie du mot pupille : « petit garçon ». On retrouve cette image d’un double de soi microscopique dans la nouvelle « Moi et Petit-moi » [« Én és Énke »] de Frigyes Karinthy6.
Amphi – du préfixe grec amphi- « des deux côtés, autour de » : sert à former des lexèmes dont le sème développe l’idée d’un élément doté d’une caractéristique double et ce, dans des contextes variés, tels que amphithéâtre, amphibologie, amphisbène, amphore. Voir ambi-.
Amphibie (adj. et n.m.) : caractéristique de certains animaux qui peuvent vivre autant sur terre que dans l’eau (phoque, grenouille). Dans la littérature, Maldoror croit avoir rencontré une nouvelle forme de créature « avec de larges pattes de canard à la place des extrémités des jambes et des bras, porteur d’une nageoire dorsale, proportionnellement aussi longue et aussi effilée que celle des dauphins ». Il s’agit en fait d’un être humain qui, victime de la jalousie de son frère jumeau, a été enfermé pendant quinze ans « dans un cachot, avec des larves et de l’eau fangeuse pour toute nourriture7 ». Il est parvenu à s’échapper et s’est réfugié dans la mer.
Le narrateur de « l’Axolotl » de Cortázar observe que les axolotls sont des animaux amphibies. Le narrateur lui-même devient amphibie à force de les examiner.
Amphitryon : Nom d’un chef militaire thébain historique que Plaute a repris pour une de ses comédies, Amphitruo. Dans la pièce, Jupiter prend l’apparence d’Amphitryon pour séduire Alcmène. Son acolyte Mercure se fait, quant à lui, homomorphe de Sosie. La pièce a été récrite par de très nombreux auteurs. C’est dans la reprise par Molière qu’on trouve le premier emploi en antonomase. Amphitryon est ainsi devenu un nom commun servant à désigner l’hôte d’un repas.
Androgyne : selon l’étymologie du mot composé grec, l’androgyne est un être humain homme et femme. Mais on emploie aujourd’hui le terme pour parler au contraire d’êtres dont l’apparence est difficilement assignable à l’un des deux sexes ; l’androgyne ne serait ni homme ni femme. C’est le cas de Djinn chez Robbe-Grillet. Voir hermaphrodite pour ce qui est d’un être qui serait homme et femme. Voir aussi gynandre.
Ange gardien : chez le poète Gérard Macé, ce double que chacun possèderait possède lui-même un frère jumeau8. Ils constituent à eux deux « des anges de la mémoire au seuil de chaque livre9 ».
Aulos : instrument à vent de la Grèce antique, à deux tuyaux et à anche simple ou double. La longueur et les matières (roseau, bois, ivoire) en étaient très variables. Selon la légende, c’est Athéna qui en est l’inventeur mais elle jeta bien vite l’instrument qui lui déformait les joues. Marsyas le Silène le récupéra, et défia Apollon, en certifiant que le son de la flûte était plus beau que celui de la lyre10. La lyre est l’instrument harmonique, tandis que la flûte est l’instrument mélodique. En d’autres termes, la lyre symbolise la narration, cette chose nécessairement polyphonique, tandis que la flûte symbolise le lyrisme. Mais comme l’aulos émet en un souffle un son double, on peut en voir l’attribut symbolique du « simple dédoublement ».
Autoscopie : « fait de se voir11 », comme le dit l’étymologie grecque « examen de soi ». La certitude que celui qu’on voit est soi-même et non un homomorphe est appelée par Paul Sollier « le sentiment cénesthétique12 ».
Avatar : le dieu avatar de la religion hindoue devient un nom commun dans la langue d’aujourd’hui et il inspire le docteur Cherbonneau du récit de Gautier « Avatar ».
Bégaiement, Écho, Écholalie, Psittacisme : différentes formes de particularités (on dit aussi troubles) de la parole, fondées sur des principes de redoublement de syllabes, de mots ou de bribes de phrases. Il s’agit donc de double partiel.
Le bégaiement ou dysphémie (balbus « bègue » en latin, dadogó « bégaiement » en hongrois) est une répétition de syllabes. Moïse, Démosthène, Lewis Carroll ou encore Somerset Maugham étaient bègues13.
L’écho est une troncation par aphérèse. Il s’agit d’un phénomène naturel de réflexion du son par un obstacle qui le répercute. La nymphe Écho répète la fin des mots de Narcisse dont elle est amoureuse chez Ovide, histoire que Daphnis rapporte à Chloé, chez Longus. Écho est parfois surnommée la dixième muse (titre qu’elle partage avec Sappho).
Le psittacisme est une répétition mécanique de bribes de phrase sans compréhension du sens. C’est ce dont est capable le perroquet (de la famille des psittacidés). Le mot vient d’ailleurs du grec psittakos « perroquet ». Félicité, chez Flaubert, admire cette faculté chez son Loulou.
L’écholalie est une répétition automatique de bribes de phrases, semblable au psittacisme.
Besson : synonyme de « jumeau ». Le mot apparaît à plusieurs reprises dans les œuvres de George Sand et dans celles de la Comtesse de Ségur. La petite Fadette, par exemple, se moque du « vilain besson, moitié de gars qui a perdu son autre moitié14 ! » et surnomme Landry « le beau besson de la Bessonière15 ».
Bi, Bis – préfixe latin marquant la dualité, de quelque sorte qu’elle soit.
Le biceps est un muscle en deux portions (en latin, « à deux têtes »). L’adjectif dérivé correspondant est bicipital. Le biscuit a cuit deux fois. C’est le même préfixe avec variante qu’on retrouve dans besace (double sac), dans besson (jumeau) et dans brouette (à deux roues). Plus haut dans le texte16, j’ai employé l’adjectif bifide, « fendu en deux », pour caractériser la langue du diable.
Binôme : en mathématiques, somme de deux monômes. Dans les études, personne avec qui on prépare activement un concours. Voir dyade.
Canon : composition musicale dans laquelle toutes les voix (au moins deux) chantent la même mélodie mais de façon décalée. Il y a donc reproduction du même (la mélodie) de telle sorte que l’ensemble produit une nouvelle composition (polyphonique). La fugue fonctionne avec la structure du canon.
Clonage – du grec klónos « mouvement tumultueux, tumulte » : en biologie, « reproduction (d’un individu animal ou végétal) à partir d’une de ses cellules insérée dans un ovule dont le noyau a été supprimé17 ». Au début du xxie siècle, le clonage nourrit l’imaginaire de nombreux films de science-fiction.
Coïncidence : en géométrie, fait que deux figures soient superposables point par point. De façon courante, concordance de deux événements dont le concours, en principe dû au hasard, semble engendrer une signification. L’esthétique mimétique vise la coïncidence du monde avec sa représentation.
Colonie : « au sens grec du terme, […] désignait originellement l’existence et la duplication d’une cité dans une autre cité18 ». Pour Clément Rosset, la colonie est donc une forme d’alter ego puisque un monde, une civilisation se reproduit en petit sur un autre territoire. C’est une forme de synecdoque.
Conjonction – emprunt au latin conjunctio « réunion » : le terme est employé en astronomie, en astrologie et en grammaire pour désigner un rapprochement de deux éléments (étoiles, parties de phrase, etc.).
Copie – emprunt au latin copia « abondance » : la reproduction engendre effectivement l’abondance, puisqu’elle fournit de nouveaux exemplaires au réel existant.
Corps mammalien : il se caractérise notamment par la symétrie de certaines parties, donc par des paires : bras, jambes, tempes, oreilles, lèvres, etc.
Couple – du latin copula, « lien, chaîne ; union » : alliance de deux éléments similaires, qu’ils soient des humains, animaux, objets, actions, mesure de durée, rimes ou autres. Le mariage institutionnalise cette alliance entre deux humains. On parle alors de bon ou mauvais assortiment. Ces deux personnes s’assemblent-elles parce qu’elles se ressemblent ou en viennent-elles à se ressembler au fil du temps ? Le couple est en tout cas un substantif singulier mais on hésite à dire s’il désigne une réalité plurielle ou singulière.
Dédoublement : partage d’une unité en N parties. Les nouvelles parties deviennent unité à part entière.
Déguisement : accoutrement ayant pour but de cacher l’identité d’une personne. Si le déguisement est à visée ludique, on sait que derrière le costume-rôle se cache une personne.
Travestissement en est un synonyme, quoique le travestissement soit souvent à visée non ludique. Dans La Légende dorée, Eugenia se travestit en homme pendant trente-huit années ; Marguerite, Anastasia, Pelagia, Matrona se travestissent également.
Deux : « Deux n’est pas le double mais le contraire de un, de sa solitude. Deux est alliance, fil double qui n’est pas cassé19 ».
C’est à partir du nombre deux qu’il y a rapport donc narration ; c’est ce que prouvent toutes les cosmogonies.
« Être seul c’est être avec soi, c’est toujours être Deux20 » énonce Paul Valéry car l’être qui pense dialogue avec lui-même.
Dibbouk – mot yiddish venant de l’hébreu « relation » : selon une croyance hassidique, le dibbouk est une âme qui, parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de mourir en paix, choisit de venir habiter le corps d’une personne aimée vivante. Cette croyance judaïque a été réactualisée par l’écrivain russe de langue yiddish Shlomo (Akimovitch Rappoport) An-ski, qui a fait œuvre d’ethnographe en parcourant les villages à la recherche d’ancestrales traditions orales. Dans sa pièce Entre deux mondes. Le Dibbouk [Zwischen zwei Welten. Der Dybuk], An-Ski met en scène un monde religieux traditionnel dans lequel un jeune homme, Chanan ou Khonen, meurt de désespoir de ne pouvoir épouser Léa, la femme qu’il aime et dont il est aimé. Son âme, ou esprit, revient habiter sa bien-aimée.
Le mythe du Dibbouk a été repris par Hanna Krall21 à propos des morts de l’Holocauste.
Didumos : en grec, « celui qui a été enfanté en même temps qu’un autre ». L’étymologie est un redoublement intensif de duo (deux) pour dire la gémellité, le surplus, le surcroît, l’abondance22. Le terme permettant de définir des jumeaux s’applique par extension à tout ce qui est duel en Grèce ancienne, par exemple l’aulos. Didymes est un lieu de prophétie en Grèce, près de Milet, dédié à Apollon, dieu jumeau d’Artémis.
Un didyme est un frère jumeau ; c’est ainsi qu’est surnommé Thomas dans l’évangile de Jean. Il n’est pas précisé de qui il est le jumeau ; une tradition l’affilie directement à Jésus23.
Dioscures : surnom donné à Castor et Pollux, les dioskouroi, « garçons de Zeus ».
Doppelgänger : terme allemand créé par Jean-Paul Richter, dit Jean-Paul, dans son roman Siebenkäs, en 179624. C’est littéralement, « le double promeneur, celui qui va deux fois ». L’emploi du terme allemand dans les textes francophones permet de réduire à son acception romantique la polysémie du mot double en français
Doublage : action de poser une doublure à un vêtement, à un tableau, à une carène de navire. Il s’agit de renforcer l’identité unique d’une chose.
Depuis 1919, terme cinématographique désignant l’addition de son à des images filmiques.
Double – du latin duplus « deux fois aussi grand » : qui est deux fois.
Le nombre de mots dérivés de double est élevé. On notera par exemple une double (qui désigne la panse des ruminants et, en marine, une deuxième ration de vin), le doubleau (à propos d’un arc), une doublette (terme à la fois de musique, de menuiserie, de joueurs de boules), le doublon (des typographes et des métallurgistes), le doublard (des gradés ou des souteneurs). Les bibliothécaires
parlent de dédoublonnement, tandis qu’une étoffe ornée de fleurs à deux couleurs est dite doubletée.
Doublure : au cinéma, « une doublure, Félix, est une personne qui peut, en cas d’urgence, remplacer l’acteur préposé. / L’acteur joue son rôle, filmé par la caméra, il n’y a plus qu’une petite scène insignifiante à tourner, disons que le héros doit passer au volant de sa voiture ; mais il ne peut pas, il est au lit avec un mauvais rhume. Il n’y a pas de temps à perdre, alors son double prend le relais et passe tranquillement au volant de la voiture […] et quand on projette finalement le film, pas un seul spectateur ne se rend compte de la substitution25 ». Plus la doublure est bonne, plus elle est ressemblante. Plus elle est ressemblante, plus le spectateur est trompé. Seul le générique permet de savoir que ce n’était pas l’acteur qu’on croyait avoir sous les yeux qu’on avait sous les yeux. Raymond Roussel a donné ce titre à son roman en vers26.
La doublure est aussi une étoffe dissimulée à l’intérieur d’un vêtement, épousant sa forme mais non son aspect et visant à le consolider.
Douter – de dubitare « hésiter entre deux », dérivé de duo : balancer entre deux décisions.
Dual – adj. : en mathématiques, « se dit de propriétés qui sont par deux et qui présentent un caractère de réciprocité27 ». En économie, on parle de sociétés duales pour qualifier des sociétés nettement divisées en deux catégories de revenus financiers : une minorité très élevée et une majorité très faible. Ces deux catégories ne sont en rien des couples, des paires, des binômes ou des dyades.
Dualisme : doctrine philosophique qui conçoit l’univers selon deux principes premiers irréductibles. On a cité aux pages 201 et 243 l’exemple d’Ahriman et Ormuzd, principes de lumière et ténèbres dans le zoroastrisme.
Dualité : hétérogénéité d’un être composé de deux facettes. La dualité de l’homme sans précision se réfère à la distinction classique entre l’âme et le corps.
Dualitude : concept d’Antoine Faivre permettant de désigner de façon philosophique le double monde que donnent à voir les Romantiques allemands. Ces mondes n’étant ni contradictoires ni complémentaires, il ne s’agit ni d’une dialectique ni d’une dualité. La Naturphilosophie romantique adopte le mode de pensée ésotérique qui suit « une logique d’inclusion des polarités opposées28 ».
Duel – n.m. du latin impérial dualis « de deux », dérivé de duo : nombre grammatical intermédiaire entre le singulier et le pluriel attesté dans de nombreuses langues correspondant à des aires linguistiques variées : grec ancien, aléouite, innok, lapon, votiaque, kolk, etc. L’idée de dédoublement telle qu’elle a été développée ici vise à montrer un dépassement constructif du solipsisme du un et de l’immobilisme du deux.
Le duel au sens de combat singulier entre deux adversaires armés est un homonyme qui a une autre étymologie que le duel grammatical puisqu’il vient du latin duellum, ancienne forme de bellum « guerre ». Dans Mon double et ma moitié, Maurice et Hector, deux sosies qui ont chacun à leur tour cocufié l’autre « vont faire semblant de ne pas se battre29 ». Au contraire, Frédéric Moreau et le vicomte de Cisy font semblant de se battre30. Mlle de Maupin est une duelliste célèbre, si non la seule au féminin.
Duo : le mot vient de l’italien et désigne une composition écrite pour deux instruments ou deux voix. Le duo vocal au sein d’un opéra est le plus souvent un duo amoureux. Le duettiste est un des exécutants du duo.
Duplex – du latin duo « deux » et plicare « plier » : « système de transmission de l’information qui permet d’assurer simultanément l’envoi et la réception de messages31 ».
Duplicata : second exemplaire d’un document officiel ; on sait que ce n’est pas l’original mais on lui en délègue les pouvoirs.
Duplication : action qui consiste à doubler quelque chose. La réduplication est une redondance.
Duplicité : ce substantif revêt deux acceptions, l’une neutre « le fait d’être double », l’autre négativement, moralement connotée « le fait de jouer deux rôles, de feindre ».
Dyade – n.f. – du bas latin dyas, dyadis « nombre de deux », calque du grec duas, duados « dualité » : en philosophie, réunion de deux principes qui se complètent. En versification, groupe de deux syllabes. En écriture, réunion de deux écrivains travaillant ensemble. On trouve aussi l’emploi dans les domaines informatique et biologique.
Écho : voir bégaiement.
Ego alter : alors que l’alter ego est un autre que je considère comme similaire à moi (« un autre moi »), l’ego alter est le fait que je me sente autre pour moi-même (« moi comme autre »). « Avoir pour toute altérité le Soi – qui est le Monstre du Moi
devenu objet de lui-même32 ». Je deviens étranger à moi-même, ne mettant pas en coïncidence mon image de moi et mon existence. Le cas extrême et pathologique est la schizophrénie.
Fetch : variante écossaise du Doppelgänger. On en trouve l’explication dans un récit de Robertson Davies World of Wonders dans The Deptford Trilogy : « C’est un double. Et qu’est-ce qu’un double ? Eh bien, en Écosse, quand j’étais un petit garçon, on avait un nom pour des choses pareilles. Si un homme rencontrait une créature semblable à lui-même sur un chemin ou en ville, peut-être, dans le noir, c’était un signe incontestable de guigne voire de mort… Et donc on appelait ce genre de créatures inquiétantes un fetch33 ».
Fractale – n.f. : matière dont la structure d’ensemble est semblable à la structure de la partie. Il s’agit d’une duplication par inclusion, selon le principe de la synecdoque. L’hologramme, par exemple, correspond à la fonction fractale.
Frère : toujours en référence à quelqu’un d’autre, le frère de – est né des mêmes parents. Pour exemple, Roderick Usher est le frère de Lady Madeline, Ulrich est le frère d’Agathe, Herminien est le frère de Heide.
Le terme familial s’emploie aussi par extension (ou par opposition ?) pour parler de personnes dont on se sent proche, voire semblable. Par exemple, les frères maçons. Voir sœur.
Gémeau – n.m., Gémelle – n.f. : variante de jumeau. C’est une constellation astrale et un signe astrologique. Les « demoiselles de Rochefort » sont nées sous ce signe, Tieck, Nerval, Whitman, Sade, Céline, García Lorca, Michaux, Pessoa aussi.
Golem – n.m. – le mot hébreu est attesté dans Le Livre des psaumes, psaume 139, verset 16. Il signifie « embryon » ou « masse inerte non encore pourvue du souffle divin » : selon une légende hassidique qui se développe au Moyen âge en Pologne, on fabrique une créature qui réalise toutes les tâches ménagères et sur le front de laquelle est inscrit le mot aemaeth (« vérité ») ; comme elle grandit de façon démesurée, on efface la première lettre du mot, l’alpha du nom (meth : « mort ») pour l’anéantir. Une variante se situe dans le ghetto de Prague chez le rabbin Löw : ce dernier construit une créature aux mêmes fins, mais il l’anime en lui glissant un parchemin dans la tête qu’il retire pour Shabbat. Gustav Meyrink a repris cette version pour écrire son chef-d’œuvre Der Golem.
Goutte d’eau : très petite quantité d’eau de forme arrondie. L’expression idiomatique « se ressembler comme deux gouttes d’eau » est un synonyme imagé du double.
Gynandre : en botanique, plante dont les étamines sont soudées au pistil. L’orchidée, par exemple, (qui vient du grec orchidion « petit testicule ») est une plante gynandre.
À la fin du xixe siècle, le mot gynandre est emprunté à la botanique par un certain discours médical (principalement celui de Richard von Krafft-Ebing) pour désigner des femmes viriles.
Joséphin Péladan, verlanphone avant l’heure, développe l’idée de gynandre dans le roman du même nom. La gynandre est pour Péladan le double féminin et saphique de l’androgyne. Dans le « Schéma de concordance » qui figure au début de chaque tome de La Décadence latine, la Nine est nommée « androgyne mauvais ou mieux, gynandre34 ». Personnage sensuel et corrompu, Nine, la gynandre, s’oppose à Samas, l’androgyne. Péladan tient à distinguer l’Androgyne « l’adolescent vierge et encore féminin » de la Gynandre, qui est « la femme prétendant à la mâleté, l’usurpatrice sexuelle : le féminin singeant le viril35 ». Le mot, négativement connoté, ne se rencontre donc jamais sous la plume des femmes.
Hanter : habiter mentalement une personne autre que soi ou, plus souvent à la voix passive, être habité mentalement par quelqu’un. À rapprocher de la possession et de l’exorcisme. Voir dibbouk, intertextualité.
Hermaphrodite : fils d’Hermès et d’Aphrodite dont Salmacis tombe amoureuse. Elle obtient des dieux qu’il soit plongé dans son lac et que leurs deux corps s’unissent à jamais pour n’en former plus qu’un. L’hermaphrodite possède à la fois des attributs corporels féminins et masculins (en général une verge et des seins) tandis que l’androgyne a un corps d’aspect sexuel neutre. Voir androgyne.
Hétéronymie : autres noms pour un même homme, les hétéronymes posent la question du lien entre le mot et ce à quoi il se réfère, tel que cela a été vu dans la quatrième partie. Fernando Pessoa possédait de nombreux hétéronymes : Alberto Caeiro, Álvaro de Campos, Ricardo Reis, Alexander Search, etc.
Identique : caractérise deux êtres ou choses exactement semblables et toutefois distincts. Selon Wittgenstein, « dire de deux choses qu’elles seraient identiques est une absurdité. Et dire d’une chose qu’elle serait identique à elle-même, c’est ne dit rien du tout36. »
Identité : « désign[e] à la fois et contradictoirement ce qui est sans égal et ce qui est égal à quelque autre chose37 ». Les nouvelles de Poe jouent de ce paradoxe ou de cette coïncidence entre deux personnages.
Idiot – n.m. et adj.– du grec idiôtes, dérivé de idios « particulier, simple » : selon Clément Rosset38, la réalité se caractérise par le fait qu’elle est idiote, simple, unique et univoque ; en cela elle est l’exact contraire du double.
Idole n.f. – du grec eidôlon « image ; simulacre » : à l’origine, l’idole est l’image d’une divinité que l’on vénère comme s’il s’agissait de la divinité elle-même. On adore donc une reproduction qui n’est ni la chose ni son double mais qu’on considère, par sa similitude visuelle, comme tel.
Ille : pronom personnel non pas épicène mais bisexuel. Le néologisme est créé par le romancier Alain Roger pour désigner ses personnages hermaphrodites.
Inconscient : notion psychanalytique que Freud a inventée, plutôt que découverte. Elle recouvre la partie refoulée du sujet conscient. On peut parler à son propos de double inconnu du sujet conscient, voire d’être véritable dont le conscient n’est que le pâle reflet, à moins que l’un et l’autre ne forment un couple qui ne cesse de dialoguer et de s’ignorer.
Intertextualité : présence d’un texte dans un autre, entremêlement ponctuel de voix divergentes dans l’unité d’un texte. Tout texte venant après ses précédents, on peut dire que tout texte forme de fait un palimpseste, selon la théorie de Genette, que ce soit de façon revendiquée ou non. Voir hanter.
Ironie – du grec eirôneia « interroger en feignant l’ignorance » : forme de discours double par excellence. L’ironie voltairienne, ou antiphrase, consiste à parler de telle sorte que le sens du propos soit l’antonyme de ce qu’on dit. Dans l’ironie romantique, l’homme est tiraillé entre sa condition accablante de mortel et sa condition enthousiasmante de créateur. Voir les pages 50 à 53, 222 à 229 et 325 à 330.
Itération – emprunt au latin iteratio « répétition » : synonyme de redite, répétition.
Janus Bifrons : dieu romain qui règne sur le Latium. Il accueille Saturne qui a été chassé du ciel. Pour l’en remercier, Saturne lui offre le don de voir le passé et l’avenir afin d’être prémuni contre les coups du destin. Les statues le représentent souvent avec le nombre trois cents de la main gauche et soixante-cinq de la droite pour exprimer la durée d’une année. De Janus vient le mot janvier (januarius), mois qui regarde à la fois vers l’année précédente et l’année à venir.
Le patronyme du critique Jules Janin viendrait de Janus, comme le suppose les Illusions perdues.
Jumeau : enfant engendré, porté et accouché en même temps qu’un autre. Il peut être monozygote (ou univitellin) ou hétérozygote. Voir gémeau et besson.
Kitsch : dans certains cas, le kitsch est la reprise d’une œuvre d’art (y compris art décoratif et art mobilier) sous une forme dégradée. Cette reprise est ensuite reproduite pour la grande distribution commerciale.
Lilith : première femme dans le récit biblique de la Création, avant qu’elle ne soit rapprochée du diable. « Elle ne fut pas faite de terre rouge, comme Ève, mais de matière inhumaine39 ». Elle est donc l’alter ego d’Ève ; Ève est en fait son double, tandis que Lilith est la première. Par inversion ou occlusion, Lilith devient l’autre, la nocturne et maléfique tandis qu’Ève devient la femme originelle. Elle est aussi l’autre d’Adam, auprès de qui elle revendique une identité en réclamant l’égalité des sexes ; c’est à ce titre qu’elle est réprouvée. La figure biblique a des origines sumériennes et babyloniennes. Elle prend à plusieurs reprises la parole chez Victor Hugo dans « La Fin de Satan ».
Littérature : dans une logique mimétique, la littérature est la représentation du monde, la présentation du monde une seconde fois, son double donc. Ce second monde acquiert une signification autonome (« la fonction poétique », dit Roman Jakobson), comme la Galatée de Pygmalion accède à la vie.
Méiose et Mitose : la méiose est, en biologie cellulaire, la division de la cellule en deux et la réduction de moitié des chromosomes contenus dans son noyau (1 ÷ 2 = 0,5 + 0,5).
La mitose est la division de la cellule en deux et le redoublement des chromosomes séparés (1 ÷ 2 = 1 + 1).
Ménechmes – menaechmi « semblable à soi-même » : Plaute et Rotrou donnent à une de leurs pièces ce synonyme grec de jumeau.
Miroir : surface polie permettant de dupliquer de façon symétriquement inversée l’image de ce qui se trouve en face. Le stade du miroir (selon Jacques Lacan, entre 6 et 18 mois) consiste pour l’enfant à comprendre que l’image dans le miroir est une image de lui-même.
Lewis Carroll propose de passer au-delà du miroir.
Mise en abyme : réflexion (d’abord au sens spéculaire) d’un récit par lui-même. Dans son étude sur le récit spéculaire, Lucien Dällenbach fait remonter aux Faux-monnayeurs l’idée analogique de la mise en abyme40.
Moitié : l’une des deux parties égales formant un tout.
Lieu de partition de ces deux parties.
On emploie aussi le terme pour désigner son ou sa partenaire conjugal. Sacha Guitry joue avec cette acception dans sa brève comédie de boulevard mettant en scène une histoire de sosies et d’adultères involontaires, Mon double et ma moitié, ou vingt-quatre heures de la vie d’un homme41. Voir duel.
Multiple : qui est composé de plusieurs éléments. Le pluriel commence avec trois (le pluriel grammatical des langues indo-européennes avec deux) dans la construction axiomatique des nombres entiers puisque, on l’a vu page 346, 2 = 1 + ensemble vide.
Narcissien : néologisme dérivé de Narcisse ; il vise à se libérer de la connotation péjorative d’égocentrisme qu’on attribue aujourd’hui automatiquement au terme narcissique.
Narcotique : qui engourdit, assoupit. Médicament ayant cette vertu.
Dans le mythe, Narcisse ne dort pas, mais il est le fils de l’éternel dormeur Endymion chez Nonnos de Panopolis42. Pline l’Ancien prétend que le nom de la fleur ne vient pas du jeune enfant mais de narkê « engourdissement, sommeil43 ». Si Narcisse a bien un rapport avec le double, le narcotique en a-t-il un aussi ? Oui, si l’on songe que l’être engourdi par un narcotique n’est pas dans la conscience de son être, il est hors de lui-même ou étranger à lui-même.
Ombre : les morts du Purgatoire dantesque sont décrits comme des corps sans ombre. Mais Chamisso a créé un être vivant sans ombre, et Hofmannsthal et Strauss La Femme sans ombre. Pour Clément Rosset, l’ombre est un « double de proximité ou double mineur » au même titre que le reflet et l’écho. Dans la bande dessinée Lucky Luke créée en 1947 par le dessinateur belge Morris, le héros est connu pour être le seul homme qui tire plus vite que son ombre.
Paire : à différencier de couple. En mathématique, le couple est un ensemble de deux éléments ordonnés tandis que la paire est un ensemble de deux éléments non hiérarchisés. Mais en allemand ou en hongrois, par exemple, il n’y a pas de discrimination entre les deux mots.
Paradoxe : en logique, se dit d’une proposition qui est à la fois vraie et fausse ; elle est simultanément A et non-A.
Parité : égalité, similitude entre deux, deux choses, deux monnaies, deux quantités d’êtres sexués.
Parthénogenèse : « reproduction sans fécondation (sans mâle) dans une espèce sexuée44 », par exemple chez l’abeille. Il s’agit d’une reproduction et d’une perduration de l’espèce sans intervention de l’altérité. Voir scissiparité.
Phénix : on dit qu’il possède les deux sexes, à moins qu’il n’en possède aucun.
« Qu’il soit féminin, masculin ou sans sexe,
heureux le phénix qui n’honore aucune des conventions de Vénus45 ! »
Voir hermaphrodite, androgyne.
Pluriel : qui n’est pas seul, qui n’est pas simple, qui n’est pas unique.
Par métonymie, on emploie le substantif pour nommer une catégorie grammaticale désignant la forme prise par un nom ou un adjectif quand on marque la non-unicité des éléments. « L’expression gauche plurielle (1997) ou majorité plurielle utilise la connotation positive de richesse et de liberté de ces emplois46 ». Voir multiple.
Quiproquo – du latin quid pro quo « quelque chose à la place de quelque chose » : malentendu. La source d’un quiproquo est la substitution, la permutation, la commutation. On prend ce qui n’est pas pour ce qui est. Voir substitution.
Re- : préfixe marquant le doublement.
Rebis – du latin re-bis « la chose deux fois, l’être double » : en alchimie, union de soufre et de mercure, union de Sol et Luna. Mircea Eliade précise que le terme désigne la pierre philosophale47. « Le Rebis alchimique unit non un homme et une femme mais […] un roi et une reine c’est-à-dire symboliquement deux êtres complets, éveillés spirituellement, ayant uni en eux la part du corps, du cœur et de l’intelligence ; ils sont semblables et différents, comme un frère et une sœur ; ils n’attendent rien de l’autre puisqu’ils sont tout, ils sont un48 ».
Redoublement : substantif pléonastique par son préfixe : le redoublement est un procédé morphologique qui peut être de deux formes, grammatical ou expressif. On peut prendre le cas de la langue hongroise pour ce qui est du redoublement grammatical. Certains mots y sont composés par itération simple du mot. Par exemple, lassan-lassan signifie « peu à peu » (littéralement « lentement-lentement »). Ces ikerszavak (les mots-jumeaux) sont très fréquents en hongrois. Ce sont des couples de mots dont un des deux mots, en général le premier, ne
signifie rien (il est pour cette raison délicat de parler de composition). Exemple : ici-pici « minuscule ».
Quand le redoublement est expressif, c’est-à-dire hypocoristique, enfantin ou onomatopéique, il s’agit d’une dérivation par répétition, parfois modifiée, d’une syllabe. Le doublement linguistique enlève une sacralité à la chose, en l’intégrant à la sphère familière du locuteur (maman, papa, bibiche) ou en le dévalorisant (être gaga, être baba). Exemple : à la Fête à Neuneu, une fifille nunuche avec son nounours murmura à l’oreille de Popaul, un gogo en doudoune, qu’il était le sosie de Bebel.
Réel : « étant ce qui est sans double, le réel en vient à être reconnu comme tel par l’inexistence du double, figure d’un envers qui autorise l’imagination de son invisible endroit. En bref, le double, de par son manque à être, porte du même coup la marque de ce qu’il ne réussit pas à doubler, apparaissant ainsi comme signal de l’être49 ». Voir idiot.
Reflet : on reconnaît les vampires au fait qu’ils n’en ont pas (voir le film de Roman Polanski de 1967, Le Bal des Vampires [The Fearless Vampire Killers]).
Réflexion : on a pu voir aux pages 342-343 que les deux sens du mot (analyse mentale et apparition d’une forme sur une surface) se rejoignent par le vide autour duquel se construit le sujet au xxe siècle.
Répétition : elle n’est jamais complète, dit Kierkegaard, puisque le même se répète nécessairement en un autre hic et nunc ; le même est donc autre. Une répétition de danse, de musique ou de théâtre est chaque fois différente, et en principe chaque fois meilleure que la précédente. Voir reprise.
Réplique : chose ou parole qui en reprend une autre, simulacre.
Reprise– n.f. dérivé du verbe reprendre : nouvelle prise.
C’est le titre d’un ouvrage de Kierkegaard consacré à cette notion selon laquelle il n’est jamais de répétition puisque le même se passe toujours dans un autre ici-et-maintenant. Voir répétition. Le titre est réutilisé par Robbe-Grillet. On parle ainsi de reprise d’un rôle au théâtre : un nouvel acteur joue le rôle joué précédemment par un autre ; le jeu en sera nécessairement différent. Quand on parle de reprise économique, on pense à un essor et non à une récidive. Et quand on fait une reprise à une chaussette (le verbe n’est pas reprendre mais repriser), on la répare afin que tous ses attributs de chaussettes soient à nouveau en jeu. C’est un peu le même sens de reprise que l’on rencontre dans les théories anarchistes pour désigner le droit individuel de récupérer ce qui est considéré comme dû.
Reproductibilité : tandis que le skopos de l’artisan est de l’ordre du reproductible pour Aristote, et que la reproductibilité est pour Karl Popper un critère de scientificité d’une expérience, lorsqu’elle concerne les œuvres d’art elle marque pour Walter
Benjamin la perte de référence d’un original par rapport à une ou des copies et elle engendre une déréliction causée par la disparition de l’aura de l’œuvre d’art.
Ressemblance : identité partielle entre deux êtres ou choses.
Revenant : celui qui vient à nouveau, celui qui est alors qu’il n’est plus. Voir hanter, dibbouk.
Scissiparité : « mode de reproduction asexuée par division simple de l’organisme50 ». Voir parthénogenèse.
Schizophrénie : terme psycho-pathologique sans doute créé par le psychiatre suisse Eugen Bleuler et s’appliquant au sujet vivant dans deux consciences de soi. La fissure (der Riss) dans le mur dont il est question dans Malina peut être considérée comme le signe de cette fracture intérieure.
Semblable : « Dans tout semblable, il y a un sosie51. »
Simulacre – emprunt au latin simulacrum « représentation figurée ; image, portrait, statue » : image imitant une réalité sensible, puis par extension moderne, imitant une sensation. Au xviie siècle, le simulacre était une forme d’hypotypose poétique.
Sœur : il était une fois deux petites filles qui n’étaient pas encore nées. L’une s’appelait Adèle, l’autre s’appelait Irène. En attendant de naître, elles papotaient sur la lune tout en pêchant des étoiles afin de s’en sustenter. Quand son temps de naître fut advenu, Adèle se rendit sur terre. Quelques années plus tard, considérant que la situation familiale était tenable, elle informa Irène qu’elle pouvait désormais la rejoindre. Irène se rendit à l’invitation mais émit quelques doutes inquiets : « comment feront-ils pour nous distinguer ? » À quoi Adèle répondit : « nous n’avons pas mangé les mêmes étoiles, nous aurons donc une personnalité différente. » Voir frère.
Sosie : celui dont l’aspect ressemble grandement à celui d’un autre. La similitude est d’ordre physique, de l’ordre des apparences. L’antonomase, créée par Molière, vient d’un personnage de comédie de Plaute.
Substitution : c’était au départ un terme pharmaceutique pour qualifier ce qu’on nomme aujourd’hui un générique, c’est-à-dire un succédané. Ce médicament avait la même vertu tout en étant un produit différent. Il s’agirait d’un quiproquo volontaire et non pas surprenant. Voir quiproquo.
Surprise : dans l’acception libertine, seconde prise sexuelle.
Symbole – n.m. du grec sumbolon « tablette brisée en deux lors d’une invitation ; les deux moitiés étant données à deux personnes différentes, elles serviront de signe de reconnaissance et de preuve d’hospitalité », dérivé de sumbalein « jeter ensemble » : dans un sens abstrait, « venu de l’inconnu et du mystère, un lien a été établi depuis l’origine des temps entre ce qui ne signifie rien pour nous et ce qui peut signifier quelque chose, entre le néant et l’étant52 » : l’assemblage de ces deux éléments constitue le symbole.
En sémiotique, le « symbole désigne un signe établissant un rapport non causal (à la différence de l’indice) et non analogique (à la différence de l’icône)53 ».
Symétrie : similitude à la fois totale et inexistante puisque l’image symétrique est inversée par rapport à l’autre. Voir corps mammalien.
Synecdoque – n.f. – en grec, synecdochê signifie la « compréhension simultanée de plusieurs choses » : terme de rhétorique permettant de désigner l’inclusion du tout dans la partie et de la partie dans le tout. Certains textes de la première moitié du xxe siècle suivent l’« ordre de la synecdoque54 », leur écriture se caractérisant par un englobement indéfini du thème et de la structure. Voir âme, colonie, fractale, mise en abyme.
Tirésias : célèbre devin de l’Antiquité. Selon les textes (Homère, Pindare, Ovide, Pausanias, Hygin), il est alternativement sept ans homme et sept ans femme durant sept ou neuf cycles. Tirésias devient femme après qu’il a séparé deux serpents qui s’étaient accouplés ou qu’il a tué le serpent femelle. Sept ans plus tard, il se retrouve face à un couple de serpents et redevient homme. Il avoue à Jupiter qui le lui demandait que le plaisir sexuel de la femme est neuf fois plus intense que celui de l’homme. Héra le condamne alors à l’aveuglement tandis que Jupiter lui accorde le don de prophétie.
Ubiquïté : don d’être au même moment à différents endroits. Dans « Les Sabines » de Marcel Aymé55, l’héroïne qui possède ce don se démultiplie jusqu’à 67 000 fois afin de jouir simultanément de 67 000 amants. La nouvelle est une variation loufoque de l’enlèvement des Sabines par les Romains.
Ce glossaire n’est assurément pas complet. Chacun pourra y ajouter ce qui lui semble devoir l’être.
1 Pausanias, Hellados periêgêseôs, Description de la Grèce, VII, 17, 10-12.
2 David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, Paris, PUF, 1990, p. 162.
3 Edgar Morin, L’Homme et la mort, op. cit., p. 150.
4 Antonio Tabucchi, Nocturne indien [Notturno indiano, 1984], op. cit., p. 76.
5 Eugène Monseur, « L’âme pupilline » et « L’âme poucet », deux articles parus dans la Revue de L’Histoire des religions, Paris, 1905 (catalogué à la B.N.F. dans la rubrique « livre »). Eugène Monseur (1860-1912) était un grammairien, professeur à la Faculté des Lettres de L’Université Libre de Bruxelles. Dans la mouvance de l’affaire Dreyfus, il a fondé en 1891 la Ligue belge des Droits de l’Homme.
6 Frigyes Karinthy, « Én és Énke » dans Gyilkosok, Budapest, Dick Manó, 1919 ; Összesgyűjtött művei, Budapest, Szépirodalmi könyvkiadó, 1978, t. 1, p. 496-507.
7 Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, op. cit., IV, 7.
8 Gérard Macé (né en 1946), « Un ange passe », La Mémoire aime chasser dans le noir, Paris, Gallimard, 1993.
9 Gérard Macé, « Le roman des jumeaux », Le Singe et le miroir, Paris, Gallimard, 1998.
10 Sources : Hérodote, Histoires, Polumnia, VII, 26 (l’outre du Silène) ; Ovide, Metamorphoseon, VI, 383-400 (écorchement) ; Ovide, Les Fastes, VI, 695-710 (Minerve revendique l’invention de la flûte) ; Nonnos de Panopolis, Dionysiakôn, XIX, 316 (compétition, écorchement et métamorphose) ; Hygin, Fabulae, CLXV (Athéna) ; Diodore de Sicile, Biblos tritè, LVIII-LIX (compétition avec Apollon).
11 Pierre Jourde et Paolo Tortonese, Visages du double. Un thème littéraire, op. cit., p. 56.
12 Paul Sollier, Les Phénomènes d’autoscopie, op. cit.
13 Exemples trouvés dans Anne Van Hout et Françoise Estienne, Les bégaiements, Paris, Masson, 1996.
14 George Sand, La Petite Fadette, op. cit., p. 68.
15 George Sand, ibid., p. 69.
16 À la page 325.
17 Le Petit Robert, 2004.
18 Clément Rosset, Loin de moi. Étude sur l’identité, op. cit., p. 59.
19 Erri De Luca (né en 1950), Il contrario di uno, Feltrinelli, 2003 ; Le Contraire de un, Paris, Gallimard, 2004. « Due non è il doppio ma il contrario di uno, della sua solitudine. Due è alleanza, filo doppio che non è spezzato. »
20 Paul Valéry, « Conscience », Cahiers, éd. Judith Robinson-Valéry, op. cit., t. II, p. 240.
21 Hanna Krall, Dowody na istnienie, Poznan, 1996 ; Preuves d’existence, trad. Margot Carlier, Paris, Autrement littératures, 1998.
22 Françoise Frontisi-Ducroux, « les Grecs, le double et les jumeaux », art. cit., p. 241.
23 Références dans l’évangile de Jean : Jn 11,16, Jn 20,24, Jn 21,2. Voir le développement à ce propos dans Les Météores de Michel Tournier.
24 Voir la page 35.
25 Vladimir Nabokov, La Méprise, op. cit., p. 79. « An understudy, Felix, is a person who can, in case of emergency, replace a given actor. / The actor plays his part, with the camera shooting him ; an insignificant little scene remains to be done ; the hero, say, is to drive past in his car ; but he can’t, he is in bed with a bad cold. There is no time to be lost, and so his double takes over and coolly sails past in the car […] and when at last the film is shown, not a single spectator is aware of the substitution. »
26 Raymond Roussel, La Doublure, Paris, Pauvert, 1963.
27 Le Petit Robert, 2004.
28 Antoine Faivre, « La Philosophie de la nature dans le Romantisme allemand », Histoire de la philosophie, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1974, t. 3, p. 16. Voir aussi ici même p. 39.
29 Sacha Guitry (1885-1957), Mon Double et ma moitié, 1931 ; Théâtre complet de Sacha Guitry, Paris, Club de l’honnête homme, 1973, t. II, p. 519.
30 Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, Paris, Michel Lévy frères, 1870 ; Œuvres, éd. Albert Thibaudet et René Dumesnil, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1952, t. II, p. 261.
31 Le Petit Robert, 2004.
32 Vladimir Jankélévitch, « La décadence » dans Revue de métaphysique et de morale, octobre 1950, p. 342.
33 Robertson Davies (1913-1995), World of Wonders, The Macmillan Company of Canada, 1975 ; The Deptford Trilogy, New York, Penguin Books, 1990, p. 698. « He’s a double. And what’s a double ? Well, in Scotland, when I was a boy, we had a name for such things. If a man met a creature like himself in a lane, or in town, maybe, in the dark, it was a sure sign of ill luck or even death… Now : such an uncanny creature was called a fetch. »
34 Joséphin Péladan (1859-1918), La Décadence latine, t. I, Le Vice suprême, « schéma de concordance ».
35 Joséphin Péladan, La Décadence latine, La Gynandre, Paris, Dentu, 1891, t. IX ; Genève, Slatkine, 1979, t. IX-X, p. 43.
36 Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (1921), trad. de Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, « Tel », 1961, p. 81 (5.5303).
37 Clément Rosset, L’Objet singulier, Paris, Les Éditions de minuit, 1979, p. 20.
38 Clément Rosset, Le Réel. Traité de l’idiotie, Paris, Les Éditions de minuit, 1977.
39 Marcel Schwob, « Lilith », Cœur double, op. cit.
40 Lucien Dällenbach, Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, op. cit.
41 Sacha Guitry, Mon Double et ma moitié, op. cit.
42 Nonnos de Panopolis, Dionusiakôn, Chant XLVIII, v. 581-583.
43 Pline l’ancien, Histoire naturelle, XXI, 128-129.
44 Le Petit Robert, 2004.
45 Lactantius (Lactance), De ave phoenice, 163-165. « Femina, seu [sexu seu] masculus est seu neutrum : / Felix, quae Veneris foedera nulla colit. » – Pour une bibliographie du phénix, voir Le Mythe du phénix de Jean Hubaux et Maxime Leroy, Liège, Faculté de philosophie et lettres et Paris, Droz, 1939.
46 Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (dir.), 1998.
47 Mircea Eliade, Méphistophélès et l’androgyne, op. cit., p. 127.
48 Jacqueline Kelen, « Un grand secret d’amour » dans L’Androgyne dans la littérature, op. cit., p. 137.
49 Clément Rosset, L’Objet singulier, op. cit., p. 28.
50 Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (dir.), 1998.
51 Georges Braque, Le Jour et la nuit. Cahiers 1917-1952, Paris, NRF Gallimard, p. 32.
52 René Alleau, De la nature des symboles, Paris, Flammarion, 1958 ; Paris, Payot, 1997, p. 11.
53 Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (dir.), 1998, d’après Charles S. Pierce.
54 Sylvie Thorel-Cailleteau, La Fiction du sens, op. cit., p. 121.
55 Marcel Aymé, « Les Sabines », Le Passe-muraille, op. cit.
- CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN: 978-2-8124-4036-6
- EAN: 9782812440366
- ISSN: 2261-5709
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4036-6.p.0349
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-16-2012
- Language: French