[Introduction à la deuxième partie] L'entrée en littérature
- Publication type: Book chapter
- Book: Simone de Beauvoir, l’existence comme un roman
- Pages: 225 to 226
- Collection: Studies in Twentieth and Twenty-First-Century Literature, n° 62
Ce fut une lente reconquête qui s’amorça au printemps 1931, lorsqu’il me fallut décider de mon avenir immédiat (FA, 100).
À peine sortie de ses années de formation et de genèse de soi, Beauvoir entre dans une nouvelle décennie : les années trente. Elle quitte l’univers rassurant et protecteur des Cahiers de jeunesse avec la nécessité et l’urgence de faire des choix déterminants pour son avenir, de poursuivre, coûte que coûte, l’entreprise de « création continuée1 » dans laquelle elle s’est engagée. Il faudra encore quelques années à la jeune femme avant d’achever sa métamorphose décisive, celle qui consiste à passer définitivement de « l’école » à la littérature et d’être « au sens essentialiste du mot, un écrivain2 ».
Dans le film de Josée Dayan et Malka Ribowska, intitulé Simone de Beauvoir, Sartre revient sur les débuts de l’activité littéraire de sa compagne. C’est vers l’âge de quinze ans, c’est-à-dire en 1923, que Beauvoir a voulu écrire, et de manière décisive. « Sur un carnet comme en ont les jeunes filles – on me demandait quelles étaient mes préférences, mes fleurs favorites, etc., ce que je voulais être plus tard –, j’avais écrit, sans hésiter du tout : un écrivain célèbre. » Tout en reconnaissant, dans cette vocation, l’influence du père, qui vouait un culte pour la littérature, elle affiche les deux raisons qui l’ont fait tendre vers l’activité littéraire : « Il y avait donc à la fois le goût de la célébrité et celui de l’écriture proprement dite qui venait de mon amour pour la lecture3 ». Dans un entretien avec Michel Sicard, en juillet 1978, elle reconnaîtra que la philosophie, bien qu’elle l’intéressât, n’était pas sa vocation4. Ce 226bilan rétrospectif qui adopte un point de vue tranché sur la question de la vocation est à nuancer si l’on tient compte de cette période de latence et d’hésitations – le début des années trente – pendant laquelle Beauvoir tente d’ajuster sa position à sa nouvelle situation, forcée puis assumée : celle du professorat.
En effet, la vocation littéraire, si elle puise ses racines dans l’enfance de Simone, se voit concurrencée par une autre mission, celle du professorat, qui vient se substituer en partie, du moins pour quelques temps, à l’activité créatrice. La position ambiguë qu’adopte Beauvoir par rapport à l’activité professorale, faite d’attraction et de répulsion, mais aussi par rapport à l’activité d’écriture, invite à poser l’hypothèse d’une double vocation, du moins d’une vocation concurrentielle, ce qui distingue nettement la future écrivaine de la position tenue à la même époque par Sartre, privilégiant systématiquement l’écriture sur l’enseignement.
1 J’emprunte cette expression à S. Le Bon de Beauvoir (cf. « Introduction » aux CJ, p. 40).
2 Simone de Beauvoir, film de Josée Dayan et Malka Ribowska, réalisé par José Dayan, Paris, Gallimard, 1979, p. 23.
3 Ibid., p. 17.
4 « S. de B. : Moi depuis que je voulais écrire, c’est-à-dire à peu près depuis mon adolescence et même presque avant, c’était des romans : la philosophie m’intéressait énormément quand j’en ai fait, mais ce n’était pas exactement ce que j’aurais pu appeler ma vocation » (« Entretien avec Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre », réalisé par Michel Sicard en juillet 1978, repris dans Sartre, Obliques, no 18-19, 1979, p. 327).