Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Silence et sagesse. De la musique à la métaphysique : les anciens Grecs et leur héritage
- Pages : 391 à 398
- Collection : Rencontres, n° 267
- Série : Lectures de la Renaissance latine, n° 6
Résumés / Abstracts
Pierre Chiron, « Le silence rhétorique d’après quelques traités grecs ».
La rhétorique des époques hellénistique et impériale s’est mise à l’école du silence pour concevoir des stratégies qui mène de l’indicible le plus obscur, le plus effrayant ou le plus émouvant – comme le sublime silence d’Ajax – au silence le plus sociable et le plus civilisé. Il s’agit de rendre opératoire pour la raison ce puissant oxymore que constitue la notion de silence rhétorique.
Rhetoric of the Hellenistic and imperial eras turned to silence to conceive of its strategies, from the most obscure, frightening or moving silences – like the sublime silence of Ajax – to the most sociable and civilised silences. The aim is to render rhetorical silence – a powerful oxymoron – reasonable.
Giovanni Lombardo, « Le silence d’Ajax et la rhétorique de la dissimulation ».
Pour Longin, le silence d’Ajax face à Ulysse aux Enfers est l’un des exemples les plus efficaces de la magnitudo animi d’où rayonne le sublime. Le silence, à partir d’une analyse de la brachilogie, sert alors une phénoménologie du sublime, où s’expriment non seulement grâce, douceur, respect et bienveillance, mais aussi crainte, violence et obscurité.
For Longin, Ajax’s silence faced with Ulysses in Hell is one of the most effective examples of sublime magnitudo animi. Analysed from the perspective of brachylogy, silence serves a phenomenology of the sublime in which not only grace, softness, respect, and benevolence is expressed but also fear, violence and obscurity.
Baldine Saint-Girons, « Le silence d’Ajax II ».
À la suite de la précédente contribution, sont ici conjointes trois questions : celle du personnage d’Ajax comme universel d’imagination incarnant avec
plus ou moins de réussite la grandeur d’esprit, celle de la saisie d’un kairos proprement pictural par Longin lorsqu’il privilégie le silence d’Ajax aux Enfers et, enfin, celle de la colère aristocratique et guerrière comme source et effet possibles de la grandeur d’esprit.
Following the previous contribution, three further questions are considered here : that of Ajax as the universal imagination incarnating greatness of spirit with more or less success ; that of Longin’s use of a purely pictorial kairos when privileging Ajax’s silence in Hell ; and, finally, that of aristocratic and warrior silence as the possible source and effect of greatness of spirit.
Sylvie Perceau, « De la réticence au cri. La gamme du silence dans la tragédie grecque ».
L’intrusion du silence dans la matière théâtrale où tout est sensé passer par les mots exprimés sur scène à voix haute constitue d’emblée un élément paradoxal. Sur la scène tragique, le silence du pathos, a priori invisible pour les spectateurs, est cependant non seulement décrit, mais mis en mots, poïètisé, rendu visible dans la trame sonore du langage tout en matérialisant l’absence de paroles rationnelles.
The intrusion of silence into theatrical material, in which everything is to be spoken aloud on stage, immediately seems paradoxical. On the tragic stage, the silence of pathos, at first invisible for spectators, is not only described but is made into words, poeticised, rendered visible in the sonorous flow of language and renders the absence of rational speech material.
Richard P. Martin, « Le silence au pays du Muthos ».
Il existe trois catégories de silence dans la poésie de Pindare. Le silence de l’ineffable, quand nul ne peut dire plus (aphaton) ; le silence « religieux », celui du respect et de la vergogne, de l’aidôs à l’égard de tout ce qui pourrait être répugnant ; le silence purement rhétorique qui suit la convenance entre la louange, celui qui est en l’auteur et celui qui en est l’objet selon le traditionnel triangle communicationnel.
There are three categories of silence in Pindare’s poetry : the silence of the ineffable, when nobody can say anything (aphaton) ; “religious” silence, that of respect and shame, aidôs concerning anything which could be repugnant ; and purely rhetorical
silence following the conventions which concern praise, both the author and object of it, in line with traditional triangular communication.
Claudio Galderisi, « Le prix du silence ».
Un certain nombre de récits médiévaux mettent en relief le thème du silence. Le silence est à chaque fois étroitement lié à la question de la reconnaissance ou plutôt de la non-reconnaissance par et de la voix. Le silence et son franchissement incongru identifient alors un seuil ontologique : celui entre culture et nature, entre identité et malentendu, entre vie et mort.
A number of medieval tales illuminate the theme of silence. Each time, silence is closely linked to the question of recognition or rather non-recognition by and of the voice. Silence and the incongruous overcoming of it can thus be identified as an ontological threshold : between culture and nature, identity and misunderstanding, life and death.
Ida Gilda Mastrorosa, « Quæ digito ad os admoto silentium denuntiat. Le culte d’Angerona entre Anciens et Modernes ».
À partir des études proposées par les érudits et les amateurs d’antiquités romaines du xvie et du début du xviie siècles (Maffei, Giraldi, Cartari, Puteanus, Rossfeld, Wirth, etc.), l’étude propose une définition approfondie d’Angerona, l’antique déesse du silence, et de son interprétation par Macrobe.
Based on studies by scholars and amateurs of Roman Antiquity from the sixteenth and early seventeenth century (Maffei, Giraldi, Cartari, Puteanus, Rossfeld, Wirth, etc.), this contribution provides a full account of Angerona, the classical goddess of silence, and Macrobe’s interpretation of her.
Émilie Séris, « Le silence à l’œuvre dans l’Erotopægnion de Girolamo Angeriano ».
Le recueil du poète napolitain du xvie siècle Girolamo Angeriano repose sur le paradoxe : « Je suis sans voix et je parle » (Sum sine uoce, loquor). Sous l’influence stoïcienne, la poésie devient un véritable apprentissage de la patience et du silence. Ici, le silence se fait déférence à autrui et intériorisation de l’adversité.
The collection of the sixteenth-century Neapolitan poet Girolamo Angeriano rests on the paradox : “I am without voice and I speak” (Sum sine uoce, loquor). Under the
influence of Stoicism, poetry becomes a veritable apprenticeship in patience and silence. Here, silence is deference to others and the interiorisation of adversity.
Annarita Angelini, « Le silence éloquent à la Renaissance ».
Le Symbolicarum quæstionum de universo genere […] libri quinque d’Achille Bocchi (Bologne, 1550) met en scène la conjonction d’Harpocrate, de Minerve et de Mercure, pour symboliser le travail du silence dans la morphogénèse de l’art, au nom du primat de la « poésie muette », plus proche de la vérité de la nature et partant plus scientifique, sur la parole.
The Symbolicarum quæstionum de universo genere […] libri quinque by Achille Bocchi (Bologne, 1550) stages the convergence of Harpocrates, Minerva, and Mercury, in order to symbolise the work of silence in the morphogenesis of art, in the name of the power of “mute poetry” – nearer to the truth of nature and more scientific – on speech.
Daniel Dauvois, « Le silence volubile de la peinture à l’âge classique ».
Le silence en peinture est davantage une invitation au plaisir qu’une pensée ou poésie muette, comme en témoigne une nature morte de Lubin Baugin, qui semble figurer la paix des choses humaines en solidifiant le temps de leur genèse. Une lumière sereine baigne le Dessert aux gaufrettes et appelle le plaisir au rythme espacé de la vie silencieuse.
Silence in painting is more about pleasure than mute thought or poetry, as a still life by Lubin Baugin testifies to. This painting seems to figure the peace of human things while solidifying the time of their genesis. A serene light bathes the Dessert aux gaufrettes and recalls the pleasurable spaced-out rhythms of silent life.
Pierre Caye, « Le silence de la technique et la grammaire des arts ».
L’Encyclopédie pose la question de la technique comme passage de la non-langue à la langue, du silence de la pratique ouvrière à l’intelligence de sa formalisation. Ce que Diderot appelle précisément la « Grammaire des arts ». À l’origine de la technique, il y a non pas le verbe, mais le silence, liant le silence à la poiésis ou la productio de l’être à partir duquel se laisse penser ce que peut être un humanisme de la technique.
The Encyclopédie proposes technique as the passage from the non-said to language, from the silence of practice to the intelligence of its formalisation ; what Diderot precisely calls the “Grammar of arts”. The verb is not at the origin of technique but rather silence, linking silence to the poiésis or the productio of the being, from which we can consider what a humanism of technique might be.
Anne Gabrièle Wersinger, « Le son inaudible et le paradoxe des notes silencieuses dans la musique grecque antique ».
La musique ancienne offre un témoignage précieux des conditions théoriques et pratiques de l’usage apophatique et mystérique du silence. Est mis ici en lumière pourquoi certains théoriciens jugent que le silence n’a de pertinence qu’à s’opposer à la voix discursive, au logos, alors que, pour d’autres, le silence est inhérent au melos, à la musique au point que les pratiques mystériques faisaient usage de notes de musique ineffables.
Ancient music offers invaluable evidence of the theoretical and practical conditions surrounding the apophatic and mystic use of silence. This illuminates the reasons why certain theorists claim that the only pertinence of silence is its opposition to the discursive voice, to the logos, while, for others, silence is intrinsic to melos, to music, to the point that mystic practices make use of ineffable musical notes.
Florence Malhomme, « Silence et musique chez Jean de la Croix ».
Jean de la Croix est le poète-théologien non seulement de la nuit, mais aussi du silence. Or, s’il est vrai que la foi pénètre en nous par l’ouïe (Rm 10, 17), alors la mystique sanjuaniste ouvre sous nos pas un abîme à la fois spéculatif et théologique par le dépassement non seulement de l’intellectualité et de la discursivité, mais aussi des vertus théologales, que la musique, le chant de l’âme, est seule sans doute à pouvoir relever.
Jean de la Croix is the poet-theologian not only of night but also silence. If it is true that faith reaches us through sound (Rm 10, 17), the Sanjuanist mystic opens an abyss at once speculative and theological under our feet by moving beyond not only intellectuality and discursiveness but also the theological virtues, which only music – the song of the soul – has the power to reveal.
Jean Leclercq, « L’Art de se taire de l’abbé Dinouart. Sur le silence, éloquence du corps et la cession de la parole ».
L’Art de se taire, principalement en matière de religion, de l’abbé Dinouart (1771) constitue une éthique de la communication et de l’information, fondée sur la maîtrise et la retenue, mais aussi sur la réflexivité contre l’immédiateté. Se taire devient aussi une forme du savoir, un savoir ne pas se perdre, que ce soit par la langue ou par la plume.
L’Art de se taire, principalement en matière de religion by the Abbé Dinouart (1771) constitutes an ethics of communication and information, founded on mastery and restraint but also reflexivity against immediacy. Keeping quiet also becomes a form of knowledge, which cannot be lost either by tongue or pen.
Gwenaëlle Aubry, « “Comprendre et se taire”. Plotin et les discours du silence ».
On lit chez Plotin plusieurs discours sur et même du silence, qui ne se réduisent pas à la question l’indicible. Le silence plotinien opère moins contre le langage que contre ce qui en fait un simple instrument de l’action. Aussi le silence plotinien est-il le corrélat d’un nouveau modèle causal, et préside-t-il à l’invention d’une nouvelle parole, poétique plus que pratique, dont on peut encore retrouver les échos chez Goethe ou Novalis.
There are many discussions on and even of silence in the work of Plotin which cannot be reduced to the question of the unspeakable. Plotinian silence operates less against language than against language that is simply an instrument of action. Plotinian silence is thus a correlate of a new causal model and presides over the invention of a new language, poetic rather than practical, whose echo can be found in Goethe or Novalis.
Pierre Magnard, « Le silence intérieur ».
Le « cœur » pascalien est le dernier rempart de l’architecture du silence. Et c’est pourquoi il est, en définitive, le sanctuaire où Dieu se laisse entendre. Encore faut-il, pour cela, que le spirituel se bâtisse un cœur à cet effet. Tel est certainement le fond de la méditation pascalienne.
Pascal’s “heart” is the last fortification of the architecture of silence. This is why it is, definitively, the sanctuary in which God can be heard. Spirituality must thus build itself a heart to this effect, surely the foundation of Pascalian meditation.
Maurizio Malaguti, « Les jours du silence. Le chemin d’Abraham in terram visionis ».
Nous nous trouvons en face d’une alternative radicale : à l’origine, y a t-il le silence ou, au contraire, la « parole » ? Mais n’est-il pas absurde et contradictoire d’admettre que le silence de l’origine finirait par sortir de lui-même pour s’interroger et pour se confier finalement à l’abîme in nihilum ? Notre silence est une conquête de l’apophatisme : il exprime notre impossibilité de comprendre la Parole de l’origine.
We are faced with two radical alternatives : in the beginning, was there silence or, on the contrary, the word ? Is it not absurd and contradictory to admit that the silence of our origins finishes by abandoning itself in order to interrogate itself, entrusting it to an abyss in nihilum ? Our silence is the conquest of apophatism : it expresses our fundamental inability to understand the Word of origin.
Eberhard Gruber, « Silence et vérité. Heidegger lecteur du mythe de la caverne (République, VII, 514a2-517a7) ».
Ce raisonnement discute la dissociation chez Heidegger des termes aussi centraux que « silence », « vérité » « essence », à travers le jeu du silence avec la « non-essence de la vérité (das Unwesen der Wahrheit) », « le changement de l’essence de la vérité (Wesenswandel der Wahrheit) » et « la non-essence dans l’essence de la vérité (das Unwesenim Wesen der Wahrheit) »
This contribution discusses the dissociation in the work of Heidegger of terms as central as “silence”, “truth”, and “essence”, through the game of silence with the “non-essence of truth (das Unwesen der Wahrheit)”, the “change of the essence of truth (Wesenswandel der Wahrheit)” and the “non-essence in the essence of truth (das Unwesenim Wesen der Wahrheit)”.
Françoise Bonardel, « Quand le silence devient « lieu ». Voyage au cœur d’une topographie méditative ».
On connaît des lieux dont la vocation est de préserver le silence, voire qui en imposent au point de faire taire la rumeur du monde. Les uns et les autres ne sont pourtant que le pronaos d’un silence plus dense encore susceptible d’advenir partout où l’on se « pose » et qui par cette pose accueille ce qui se recueille.
We all know of places whose purpose is to preserve silence, and also of places which impose silence in order to quieten the noise of the world. Both are however only the pronaos of a denser silence which appears wherever we rest and which, through this act of resting, welcomes what gathers there.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-3380-1
- EAN : 9782812433801
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3380-1.p.0391
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/03/2015
- Langue : Français