Introduction
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Shakespeare et le théâtre de la vérité
- Pages : 39 à 40
- Collection : Les Anciens et les Modernes - Études de philosophie, n° 45
Introduction
Il nous faut dans un premier temps partir de la critique du savoir que l’on peut trouver dans les pièces de Shakespeare, à la fois comme système de connaissance organisé et comme type de rapport au monde. La crise du savoir dont hérite Shakespeare peut être conçue de deux façons : intellectuelle, en tant qu’elle nie la réalité d’un savoir qui se prétendrait certain ; politique, en tant qu’elle s’oppose au dogmatisme d’une science appuyée sur l’autorité des anciens ou des puissants. Ainsi, lorsqu’Hamlet s’en prend aux connaissances « livresques1 », cette attaque est présentée du point de vue de la viabilité pratique de telles connaissances, qui elle-même peut s’évaluer par le passage sur la scène. Si Hamlet critique la formation théorique qu’il a pu recevoir, c’est à l’aune d’un dilemme moral. C’est parce que toutes ses connaissances ne lui permettent pas de savoir comment agir, ni, comme nous le verrons, quel type de rôle il doit assumer, qu’il s’en prend au savoir lui-même. La philosophie se trouve ainsi remise en cause dans le théâtre shakespearien en fonction des actions et des postures qu’elle occasionne, grâce à l’épreuve de la mise en scène, et en ce qu’on la présente comme apprentissage de la sagesse, impliquant une autorité magistrale, que l’on trouve notamment dans les écoles et les livres qui témoignent de leurs doctrines. Il ne s’agit de fait pas seulement de critiquer des idées et des théories, mais aussi de vérifier la possibilité de les concrétiser dans une existence mondaine. C’est donc à partir de la figure particulière de l’érudit, voire plus précisément du philosophe, que nous étudierons sa critique du savoir. Deux types d’opposition se retrouvent chez les personnages qui nous occupent. La première concerne les figures qui prétendent instancier le savoir : le philosophe se trouve alors surjoué. Nous verrons à quel point peut devenir problématique la figure du savant ou du philosophe qui joue à être savant, c’est-à-dire qui adopte un rôle de façon caricaturale, par 40prétention ou par aveuglement sur ses propres motifs. La philosophie se trouve alors indirectement atteinte dans ses principes, à travers leur inapplicabilité effective. Cette première approche, interne, est complétée par une seconde qui met en valeur la remise en cause externe du philosophe : ce dernier se trouve en effet contesté par des figures dont on pourrait penser qu’elles peuvent mieux que lui atteindre la sagesse, alors même qu’elles tirent leur position de savoir d’une origine et d’un principe tout à fait différents. De fait, ces personnages shakespeariens sont présentés comme l’autre de la sagesse, comme les bouffons, ou empruntés davantage à la culture théâtrale, comme les personnages extra-diégétiques. Ces différentes figures seront ainsi envisagées comme remettant en cause non seulement le savoir du philosophe, mais encore le principe de la philosophie, laissant ainsi le spectateur du spectacle shakespearien face à la crainte que le savoir puisse être inaccessible à toute démarche méthodique et rationnelle.
1 Hamlet, IV, 1, 58-78.