Préface
- Publication type: Book chapter
- Book: Servandoni maître des machines
- Pages: 7 to 8
- Collection: Enlightenment Europe, n° 85
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Préface
Le nom de Servandoni m’est lointain, en demie teinte, presque fantomatique.
Je me souviens qu’enfant, familier du jardin du Luxembourg, je voyais dépasser, derrière le Sénat, ces étranges tours dissemblables de Saint Sulpice. J’interrogeais mon père sur le fait que l’une d’elles n’était pas finie d’être sculptée, chose étrange pour un enfant devant un bâtiment aussi ancien. L’architecte, Servandoni, était mort avant l’achèvement du monument.
Plus tard, entrant dans cette même église, je fus attiré, tout au fond, par cette chapelle de la Vierge crépusculaire, où était organisé, par un système d’oculus déporté, un effet de lumière zénithale bleuâtre, quintessence de la théâtralisation baroque, croyais-je, mais qui s’avéra être une mise en scène du même Servandoni.
M’informant sur l’artiste, je l’ai découvert voyageur, architecte bien sûr, urbaniste, mais aussi peintre, décorateur et même machiniste. À la recherche, comme toujours, d’esquisse ou de maquette de décor, je n’ai presque rien trouvé, hormis ses peintures de chevalet, assez belles, dans le style d’Hubert Robert.
Un détail cependant ; dans le salon de musique du château de Condé, l’enlèvement de Proserpine, peint directement sur un grand miroir, créant un effet d’optique surprenant, donne, à nouveau, la mesure de son talent en matière d’invention scénique.
Mais voici que Madame Sajous D’Oria apporte, par son ouvrage, une nouvelle épaisseur au mystère Servandoni, en reproduisant le programme des spectacles qu’il organisa dans la salle des machines aux Tuileries entre 1738 et 1758. En lisant la description de ces féeries gigantesques, on y voit un décorateur de l’extrême, qui assume seul le déroulement du spectacle, sans livret, sans interprètes, sans musique, au moyen de tableaux mouvants qui se succèdent, durant une heure, dans l’immense salle des Machines, captivant le regard de l’assistance : c’est le décor comme au cirque, une sorte d’idéal monstrueux du scénographe…
8De la sorte, il préfigure les panoramas qui vont inonder le xixe siècle, et on pourrait même le voir en Méliès du xviiie siècle. Par la hardiesse du procédé et la richesse de l’invention, il a produit, comme l’inventeur du truquage cinématographique, une œuvre monumentale et innovante basée sur l’illusion. De même, après avoir rencontré un grand succès, il a finalement fait faillite et une majeure partie de son œuvre a disparu.
À nouveau me voici devant la brume ; en tant que scénographes je sais combien de calculs, d’esquisses, de perspectives il est nécessaire de produire pour établir un décor de cette ampleur. Alors, qu’est-il advenu des études graphiques de ces dix spectacles pharaoniques, en dehors de ce simple plan de la salle des machines qui nous reste ?
On ne peut qu’imaginer, rêver à ces palais à volonté, raz de marée, déluges et entrailles de la terre. Tout cela a bien existé, mais a disparu à jamais, tout comme la salle des Machines des Tuileries.
Antoine Fontaine
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-13282-0
- EAN: 9782406132820
- ISSN: 2258-1464
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13282-0.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-19-2022
- Language: French