[Introduction de la troisième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: "Saincte et precieuse deformité". Expérimentations littéraires de la laideur à la Renaissance
- Pages: 199 to 200
- Collection: Studies and Essays on the Renaissance, n° 128
« O povre pou etique1 » : par cet hémistiche en forme de calembour, un des ennemis les plus illustres de Marot, François de Sagon2, fait coup double contre le poète quercinois : s’il dénonce sa poétique, il s’en prend aussi à l’infirmité corporelle du poète. C’est qu’« etique » signifie littéralement « malade », plus particulièrement « qui est atteint de fièvre consumante, d’étisie, qui est d’une extrême maigreur3 ». Cette insulte place Marot du côté de la difformité physique : pour son détracteur, il n’est qu’un pou chétif. L’accusation vise à la fois la production poétique et le poète lui-même, attaquant en même temps et son corps et sa posture morale, son éthique, comme nous le verrons. Or, ces imputations, qui s’inscrivent dans la joute oratoire de la fameuse querelle entre Marot et de Sagon commencée en 1534, peuvent se lire, au moins à partir de 1536, par rapport à l’arrière-plan du concours des blasons et plus particulièrement celui des contreblasons. Incitant les « nobles esprits de France Poëtiques » à peindre les parties du corps en leurs aspects « les plus laidz4 », Marot cherche à lancer une véritable poétique de la laideur qui sera indissociablement liée à sa personne. Pour autant que le laid intègre chez Marot le paradigme corporel, le thème du physique ingrat se rapporte aussi au poète lui-même. Si le premier volet de ce chapitre est consacré aux images du poète et à la manière dont il s’approprie le masque de la laideur, nous souhaitons revisiter, dans un second temps, ce que l’on peut aisément appeler une « poétique du laid », c’est-à-dire la manière dont l’écriture poétique fait figurer le corps laid. C’est sur ces deux plans que se déploient les « poét(h)iques » de la laideur chez Marot. Le choix d’employer le pluriel pour désigner cette esthétique se 200justifie par la diversification des thèmes et des points de vue que l’œuvre marotique développe à l’endroit du laid qui implique, à bien des égards, comme nous le verrons, une herméneutique chrétienne aussi bien qu’un militantisme poétique.
1 L’hémistiche est tiré de : « Le coup d’essai de Françoys de Sagon secretaire de l’abbé de Sainct Eburoul », dans Querelle de Marot et Sagon, [fac-similé de l’édition É. Picot et P. Lacombe, Rouen, A. Lainé, 1920], Genève, Slatkine Reprints, 1969, ici C iii vo. La grande majorité des écrits constituant ce différend sont rassemblés dans cette anthologie.
2 Même si la critique moderne a enlevé la particule « de », Sagon signe toujours ou presque “François de Sagon”. Nous privilégions cette forme, qui est correspond par ailleurs avec la notice de la Bibliothèque nationale de France.
3 Dictionnaire du Moyen Français (DMF), éd. citée, s.v. « chétif ».
4 Nous revenons de manière approfondie sur le concours des blasons et contreblasons infra, p. 238 sq.