[Les Occasion perdues] Page de titre
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Théâtre complet 11 Les Occasions perdues - L’Heureuse Constance - Les Deux Pucelles
- Pages : 71 à 71
- Collection : Société des Textes Français Modernes, n° 248
à
MADAME
la comtesse
DE SOISSONS1.
MADAME,
Outre que j’ai pris avec la naissance, l’honneur d’être votre créature*, celui que vous m’avez fait de me voir si souvent de l’œil dont vous voyez les choses qui ne vous déplaisent pas : et l’estime que toute votre maison vous a vu faire de mes ouvrages, me rendent si justement votre obligé, et si passionnément votre serviteur, que votre nom est le plus agréable entretien de ma mémoire, comme votre mérite est la plus belle méditation de mon esprit. En effet quelque Éloquente que soit cette vieille fille de l’air2 qui dispense 74à son gré les louanges et les mépris, qui fait les Héros, et les demi-Dieux et qui donne aux Rois3 les plus beaux prix de leurs victoires, je confesse, MADAME, que bien qu’elle publie vos louanges en termes si glorieux, que notre Cour n’a point de Princesse qui la puisse entendre sans jalousie, quand elle parle de vous elle vous loue toutefois trop sobrement et depuis que j’ai l’honneur de vous approcher je connais qu’elle vous est plus avare que prodigue. Ce grand esprit qui vous fait si clairement discerner nos grâces, et nos défauts, et cette extrême affection que vous avez pour les belles choses, vous rendent aussi considérable que votre naissance et ces qualités jointes à toutes les autres que vous possédez, excitent en ceux qui vous voient tant d’étonnement, et d’admiration, qu’ils avouent que ce que la renommée dit de vous est encor au dessous de ce qu’on en doit croire. Mais votre modestie condamne déjà la longueur de cette lettre, et je ne croirais pas pouvoir satisfaire à la peine que vous avez prise de la lire à moins que du présent qu’elle vous porte, et du dessein que je fais d’être toute ma vie,
MADAME,
Votre très humble, très
obligé et très obéissant
serviteur et sujet
ROTROU.
1 Il s’agit d’Anne de Montafié (1577-1644), fille cadette du comte Louis de Montafié, seigneur du Piémont et prince de Carignan, et de Jeanne de Coesme, dame de Lucé et de Bonnétable. Elle épousa le 27 décembre 1601, Charles de Bourbon (1566-1612). Soissons faisait partie de la titulature du père de ce dernier, Louis de Bourbon (1530-1569). Jaloux de son frère aîné Henri, prince de Condé, qui se faisait appeler M. le prince à la Cour, Charles s’y fit appeler M. le Comte, ce qu’Henri IV toléra, selon François Bluche (Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990) parce que Charles s’était rallié à lui après avoir soutenu la Ligue. Il avait été grand maître de France, gouverneur de Normandie et gouverneur du Dauphiné. Charles avait défendu également Louis XIII contre les menées de Marie de Médicis à la mort d’Henri IV. C’est habilement à la veuve d’un soutien du roi que s’adresse Rotrou.
2 Rotrou mêle ici diverses caractéristiques prêtées à la Renommée (Phèmè/Fama). En effet bien que cette dernière soit la fille de la Terre, Gaia, on la munit toujours d’ailes (fixées au dos, mais parfois aussi aux pieds) à cause de la rapidité de ses déplacements et elle est souvent rapprochée de Pégase.
3 À partir d’ici commence la page 4 avec la mention « Épître » (épistre) en titre courant.