Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Verlaine
2023, n° 21. varia - Auteurs : Cavallaro (Adrien), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn)
- Pages : 11 à 15
- Revue : Revue Verlaine
AVANT-PROPOS
La Revue Verlaine poursuit, à l’occasion de ce vingt et unième numéro, son exploration de la production du poète, dans ses différentes dimensions. C’est ainsi à l’« art de la prose » qu’est consacrée la première section, où les articles d’Élodie Dufour, de Fanny Wilson et de Kenji Yamamoto nous proposent d’explorer des pans souvent moins connus de l’œuvre de Verlaine. En guide stylistique, la première étudie « le style bateleur du cicerone Verlaine » que donnent à observer Nos Ardennes (1882-1883), Souvenirs d’un Messin (1892), Onze jours en Belgique (1893) et enfin Croquis de Belgique (1895). Verlaine s’inscrit ici dans la tradition, nourrie au xixe siècle, du récit de voyage, et plus précisément de la littérature « touristique », illustrée par exemple par le Stendhal des Mémoires d’un touriste. L’« excursionniste » conduit le lecteur à travers une visite guidée dont les moyens définissent un large éventail : emphase, surenchère exclamative, ton du boniment, tentation parodique, prose primesautière en un mot, dont « l’enthousiasme se lit dans un style enlevé et entraînant, qui ne ménage pas toujours le lecteur, ravi, au fond, d’être un peu brusqué par ce guide aux manières de vendeur à la criée », et qui participe d’un travail sur l’allure de la prose durant les années 1880 et 1890.
Humour et ironie intéressent également Fanny Wilson, qui se concentre quant à elle sur la prose de souvenirs, celle des inclassables Mémoires d’un veuf (1886), de Mes hôpitaux (1891), de Mes prisons (1893), de Souvenirs 1891 et de Confessions (1895). L’ensemble de ces textes rendent compte d’un « moi compliqué » (Confessions), à l’analyse duquel concourt l’invention d’une langue de l’aveu. Si rien n’y est épargné des tourments du sujet – les affres de l’alcool, entre autres –, cette veine sombre de la prose verlainienne est mise en balance avec une tendance à la distanciation ironique et à l’humour, « clefs pour recomposer un “moi éclaté” ». C’est que « la prose de Verlaine est à l’image de son créateur, complexe et originale » et que « la bigarrure semble devenir le principe même de son unité ».
12L’art verlainien de la prose tient aussi au polissage d’une écriture critique originale, et ce, dès les débuts littéraires du poète. Kenji Yamamoto le montre en abordant les « relations entre Verlaine et Barbey d’Aurevilly », en particulier dans « Le Juge jugé : Les Œuvres et les Hommes, par J. Barbey d’Aurevilly » (1865) : l’article participe d’une veine polémique de la production critique de Verlaine, qui ne craint pas le détour parodique pour renverser la table des fameux éreintements du futur auteur des Diaboliques. Il faudrait pourtant se garder d’isoler de tels textes, qui communiquent aussi, selon Kenji Yamamoto, avec l’inspiration poétique de Verlaine.
C’est également ce que montre la deuxième section de notre numéro, qui propose trois études métriciennes dévolues à « l’art du vers ». Celle de Christian Hervé explore les « récurrences et hiatus dans Romances sans paroles », à partir de deux vers fameux de l’ariette I. L’analyse des récurrences de certains termes et de leurs dérivés pose une question de méthode : de l’observation ciblée d’un poème ou de la mise en relation de ce poème avec d’autres, quelle approche faut-il privilégier ? Il en va de même lorsque l’on essaie de systématiser la considération du traitement d’un phénomène aussi particulier que le hiatus. Le recueil en comporte trente-huit ; certains poèmes, comme « Child Wife », en offrent même un nombre inhabituel : s’ils ne sont pas tous signifiants, ils dessinent du moins une tendance réelle, et accompagnent la recherche d’une contribution originale « à la prosodie et au rythme du poème ».
Benoît de Cornulier étudie de savantes incorrections d’un autre registre, avec la mise en avant et l’examen approfondi des « ratages rimiques de Banville à Verlaine ». L’« Élégie » des Stalactites (1846), puis l’ariette VI de Romances sans paroles lui permettent ainsi de contester l’importance trop souvent accordée à l’interprétation genrée des rimes dites masculines et féminines. Le travail de la « rime imparfaite à l’e » feint l’inattention du poète, qui, à l’« exprès trop simple » distingué plus tard chez le Rimbaud de 1872, propose en quelque sorte le pendant d’un « exprès trop faux », pour ménager une naïveté calculée qui tend, dans l’ariette, au « style plus populaire d’opéra-comique où quelques irrégularités seraient permises ». De tels phénomènes, dont la virtuosité n’a rien de gratuit, peuvent être observés dans la production ultérieure de Verlaine, en particulier dans Sagesse.
C’est un autre travail de la rime sur lequel se penche enfin Alain Chevrier, avec « la Monorimie dans les sonnets de Verlaine et de 13quelques-uns de ses contemporains ». L’auteur montre que les possibilités de la monorimie ont été éprouvées par Verlaine dès les quatrains de « Nevermore », (dès les Poëmes saturniens, donc), avant de gagner les tercets de sonnets ultérieurs, puis de s’étendre à la composition d’un sonnet dont les quatre strophes sont monorimes (« Jean Richepin », Dédicaces, 1894). Verlaine avait eu des prédécesseurs en la matière : Henri Cantel, Arsène Houssaye, Émile Goudeau ou encore Paul Roinard s’y étaient en effet essayés. Inattendues, de telles filiations permettent de situer les audaces de Verlaine dans leur temps, de mieux apprécier leur originalité, sans conférer à celle-ci un caractère absolu.
Dans le prolongement de ces études sensibles à la variété et aux subtilités de l’écriture en vers et en prose, la dernière section du volume s’intéresse aux « échos » à l’œuvre dans la création de Verlaine et aux résonances qu’a suscitées sa réception. En préambule, Alain Chevrier revient sur les arguments formulés par Frank Stückemann dans le précédent numéro de la Revue Verlaine,concernant l’attribution à Nina de Villard de textes signés « Émile Villars », parus entre 1865 et 1870. Des précisions relatives à la biographie et à l’œuvre de cet auteur l’amènent à mettre en cause cette hypothèse pseudonymique, tout en soulignant les questions que pose la publication de quatre poèmes du Roman de la Parisienne d’Émile Villars (1866) sous le nom de Charles Cros dans L’Artiste,en 1870. L’article invite ainsi à poursuivre les recherches autour de ce contemporain de Verlaine, qui fut à la fois auteur dramatique, journaliste et poète.
Deux contributions envisagent ensuite l’œuvre verlainienne sous l’angle du rapport texte-image, en lien avec une approche critique de la figuration. Sandra Glatigny questionne ainsi l’héritage de Henry Monnier à travers ses déclinaisons picturales et textuelles, dans le cadre d’une lecture croisée de « Monsieur Prudhomme » et « À la musique ». Si ce fameux personnage caricatural constitue un point de convergence entre les deux poèmes, Verlaine et Rimbaud s’emploient à le traiter de façon distincte. Là où le second déploie les ressorts de la charge au sein d’une mise en scène ample et dramatisée du type du bourgeois, le premier privilégie une poétique de la condensation en soulignant le caractère artificiel du portrait esquissé. En creux, Verlaine dote ainsi « Monsieur Prudhomme » d’une portée « doublement critique », qui articule la satire sociale à un questionnement sur les conventions de la représentation.
14Solenn Dupas revient pour sa part sur la façon dont Verlaine a pu aborder l’imagerie mélancolique inspirée par la fameuse Melencolia de Dürer. Objet de maintes déclinaisons picturales et littéraires, au risque de la redite et de la saturation, ce référent iconographique semble être d’abord évoqué de façon extrêmement diluée dans l’œuvre poétique. Quelques pièces, dont « La Princesse Bérénice », « Henri III » et « Dites, n’avez-vous pas… » témoignent toutefois de ce que Verlaine n’a pas dédaigné de convoquer plus précisément cette figure en exploitant ses ressorts stéréotypés, voire « kitsch », à travers des variations hétérodoxes et satiriques.
Deux études tournées vers la réception de l’œuvre viennent enfin compléter ces approches interartistiques de l’œuvre. En 1997, Jean-Jacques Lefrère avait retrouvé la trace d’un sonnet-dédicace de Gabriel Marc adressé à l’auteur des Fêtes galantes,accompagné d’une lettre de Henry Franz, dans le numéro des Annales politiques et littéraires paru le 11 juin 1911. Ayant découvert une version de « cet hommage poétique précoce » dans le journal L’Image (Paris-comique) en date du 28 mars 1869, Frank Stückemann propose des éclairages sur le parcours littéraire et journalistique de Marc et sur le contexte de composition de ce sonnet hétérométrique placé sous les auspices de Watteau.
C’est enfin un distique de Verlaine cité par Jules Bois dans son livre L’Au-delà et les forces inconnues (1902) qu’Alain Chevrier met en lumière, en conclusion du volume. Tout en étudiant les ressorts intertextuels de ces deux vers qu’il est tentant de lire comme le début d’un « “vieux Coppée” resté potentiel », l’article éclaire les circonstances qui ont conduit Jules Bois, dans le sillage de Jules Huret et de son Enquête sur l’évolution littéraire, à se rendre à l’hôpital Broussais en 1895 pour interroger Verlaine. Donnant à voir et à entendre un poète à la santé précaire mais d’une grande disponibilité intellectuelle, cet entretien confirme que l’auteur de « Mort ! », poème daté de décembre 1895 et paru en janvier 1896 dans La Revue rouge, continua jusqu’à ses derniers jours à manifester une vivacité et une créativité poétiques certaines.
Adrien Cavallaro,
Bertrand Degott
et Solenn Dupas
abréviations
Tel qu’il a été adopté dans les précédents numéros de la revue, voici le système d’abréviations en usage pour l’ensemble du volume :
CG |
Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2005. |
Cor. 1, 2 et 3 |
Correspondance de Paul Verlaine,t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1929]. |
OP |
Œuvres poétiques de Verlaine,éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969. |
OPC |
Œuvres poétiques complètes de Verlaine,éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962. |
OPr |
Œuvres en prose complètes de Verlaine,éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972. |
RV |
Revue Verlaine, no 1 à 10, Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud (1993-2007) ; à partir du no 11, Paris, Classiques Garnier (2013 à aujourd’hui). Ex. RV13, 2015, p. 67. |
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-16573-6
- EAN : 9782406165736
- ISSN : 2426-8860
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16573-6.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/03/2024
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français