Foreword
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Verlaine
2022, n° 20. varia - Authors: Cavallaro (Adrien), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn)
- Pages: 13 to 18
- Journal: Verlaine Studies
AVANT-PROPOS
La première scansion de ce volume, « Verlaine en échos », réunit cinq contributions qui oscillent entre éclairages intertextuels et explorations intermédiales. Poursuivant une investigation qu’elle avait menée dans un précédent article, Ludmila Charles-Wurtz s’intéresse ainsi au miroir que tend Hugo au Verlaine des Poëmes saturniens. Le parallèle entre « Trois ans après », l’un des pivots des Contemplations, et « Après trois ans », ne tient pas d’un simple renversement ludique : le poème de Verlaine semble emprunter à la fois au poète des Contemplations et au romancier des Misérables les accents qu’il donne à l’évocation du « petit jardin / Qu’éclairait doucement le soleil du matin ». Si la « porte étroite » qui donne accès à celui-ci se souvient assurément des Évangiles de Matthieu et de Luc, elle nous plonge dans une mémoire des amours de Marius et de Cosette, de la Pépinière du Luxembourg au jardin de la rue Plumet, qui préfère à l’allusion directe la nébuleuse du souvenir.
C’est un autre type de lien qu’aborde Kazuki Hamanaga en confrontant « Crimen amoris » et « Les Sœurs de charité » de Rimbaud, dont la seule copie connue est due à Verlaine. Il s’agit moins, pour l’auteur de l’article, de mettre au jour des intertextes, que d’identifier deux conceptions de la charité, vertu théologale que Verlaine comme Rimbaud auront interrogée avec obstination, et que « Crimen amoris » associe à « l’Amour universel ». Mais si Rimbaud se met en quête de cet « Amour universel » dans son poème de 1871 comme dans sa correspondance et dans Une saison en enfer, Verlaine y voit un péché d’orgueil que semble récuser son poème, mettant en lumière « le moment critique du nouvel amour ».
David Evans choisit quant à lui la voie des poèmes trop longtemps considérés comme mineurs pour proposer une hypothèse intertextuelle globale. « Balanide II », dans Hombres, lui donne l’occasion d’un retour sur un siècle de poésie, en particulier romantique : l’émancipation des « maîtres » comme Hugo, ou encore Banville, peut se donner à lire dans les choix formels comme dans la lettre d’un poème qui « nous convie 14à une réflexion sur les relations entre masculinité, sexualité et création poétique chez Verlaine ».
Les échos de cette première scansion concernent, comme on le voit, une mémoire de la poésie et des grands textes du passé qui, à l’occasion des textes de souvenirs des années 1890, sous-tend la mise en scène d’une vocation. Steve Murphy avait précédemment interrogé cette dimension de l’écriture verlainienne de soi dans un article dédié aux Confessions. Il y revient cette fois en décelant, toujours dans Confessions, un souvenir possible de la Vita de Benvenuto Cellini : le jeune Benvenuto, inconscient du danger, se saisit d’un scorpion qu’il prend pour une « belle petite écrevisse », que son aïeul Andrea Cellini parvient à mutiler sans dommages pour l’enfant. Une salamandre complète ce bestiaire de l’enfance, dont le souvenir est structuré autour d’épisodes initiatiques. Chez Verlaine, c’est l’évocation d’un scorpion ressemblant à une « crevette en miniature » qui autorise un rapprochement dont Hugo (toujours lui) n’est pas absent puisque le prosateur de Confessions qualifie lui-même l’enfant « bébéte » qu’il était, près d’avaler un scorpion, de « plagiaire inconscient de Victor Hugo ».
À ces coups de sonde intertextuels, Raisa Rexer ajoute la dimension de l’image en s’intéressant, pour clore ce premier moment, à l’un des premiers grands illustrateurs de Verlaine, Pierre Bonnard, qui composa pour Parallèlement une série de lithographies à partir de photographies de nus. Celles-ci « poursui[ven]t le processus d’abstraction et de dématérialisation recherché par le nu photographique de l’époque, dont Bonnard s’était déjà montré maître », et nous aident à appréhender, en retour, une dynamique proche dans les poèmes de Verlaine qu’aborde Raisa Rexer, « Été », « Sappho » et « Limbes ». Dans ce dernier poème en particulier, l’éloignement de la « réalité du corps féminin » est concomitant d’une « tension entre le réel et l’idéal » qui dit aussi quelque chose du lien qui se noue entre le texte et une illustration à première vue assez distante. Souligner cette distance reviendrait toutefois à se méprendre sur le rôle de l’illustration, dont la fonction est aussi d’assurer un relais métaphorique avec le poème.
La deuxième scansion propose un double décentrement. En effet les trois articles qui la constituent s’attachent moins à l’œuvre de Verlaine lui-même, qu’à celle de deux de ses contemporains – la bien connue Nina de Villard/Callias et le bien moins connu Georges de Lys – mais 15aussi au voyage que firent à Oxford Verlaine fin 1893 et, quelques mois plus tard, Stéphane Mallarmé.
Ses recherches sur Charles Cros, dont il vient de retraduire en allemand Le Coffret de santal1, ont conduit Frank Stückemann à réexaminer la production littéraire de Nina de Villard. Dans l’article qu’il consacre à cette dernière, c’est tout un pan de son œuvre poétique qu’il met au jour. C’est à elle en effet qu’il convient d’attribuer les trente poèmes signés « Émile Villars » que L’Artiste d’Arsène Houssaye publie entre le 1er novembre 1868 et le 1er juin 1870. Dans la mesure où, durant cette même période et dans la même revue, Verlaine publie ses Fêtes galantes, Stückemann nous invite à relire le recueil en fonction de cette coïncidence. Regroupés sous le titre de La Vie parisienne, les poèmes donnés en annexe plaident en faveur d’une réévaluation de Villard comme autrice et même, en considération de sa biographie, « comme une poétesse maudite au sens de Verlaine ».
Georges Fontaine de Bonnerive (1855-1931), alias Georges de Lys, à qui Solenn Dupas avait déjà consacré un précédent article, est assurément un écrivain de moindre envergure. Si elle y revient pour un nouvel article, c’est à l’occasion d’une lettre que ce dernier adresse à Verlaine au sujet de son roman Une idylle à Sedôm. L’épisode est particulièrement révélateur des jeux d’influence où son entourage engage alors Verlaine : sachant quel soutien « il apporte à des écrivains partageant une vision ouverte de l’érotisme et des identités de genres », tels Rachilde et Henri d’Argis, sans doute de Lys espère-t-il lui voir cautionner son médiocre roman. Si l’on ignore ce que Verlaine en put penser, il reste hautement probable qu’il ne fit pas le geste attendu.
La dernière contribution de cette scansion est la traduction de l’article d’Enid Starkie, « Verlaine and Mallarmé at Oxford », paru en 1949. Puisque c’est là « moins un article scientifique qu’une synthèse de témoignages directs sur la visite de deux célébrités poétiques françaises dans une prestigieuse université étrangère », Elsa Courant ne se borne pas à traduire ces pages, mais elle nous révèle également le tissage serré auquel l’autrice s’est livrée, empruntant tantôt à Men and Memories (1931) de William Rothenstein, tantôt à la correspondance de Mallarmé contemporaine de 16son voyage. L’article de Starkie n’en donne pas moins une idée du renom que les deux poètes avaient dans l’Angleterre de la fin du xixe siècle, mais aussi du retentissement d’une œuvre qu’ils étaient invités – l’un comme l’autre mais pour des raisons différentes sans doute – à incarner.
La dernière scansion regroupe deux contributions consacrées à la désinvolture volubile – à la volubilité désinvolte – du Verlaine en prose : l’une s’attache au « régime de la vérité » à l’œuvre dans Confessions et dans d’autres proses autobiographiques (Gosses, Mes hôpitaux, Souvenirs d’un Messin, Mes prisons), tandis que l’autre, à partir de Louise Leclercq et des Mémoires d’un veuf, interroge la complexité des interactions entre le récit de fiction et le poème en prose.
Adrien Cavallaro commence son article en s’inscrivant en faux par rapport à une tendance – notoirement propre à Jacques Borel – à déconsidérer, sur la base de ses premiers poèmes, toutes les productions ultérieures de Verlaine, dont ses fictions : un tel jugement obère par avance toute réévaluation critique. Dans la genèse des deux ouvrages, il n’est pas indifférent que Louise Leclercq et Les Mémoires d’un veuf aient été dissociés sur conseil de l’éditeur Vanier. Pour autant, la nouvelle d’un côté et les poèmes en prose de l’autre, non seulement n’en entretiennent pas moins une réciprocité à la fois esthétique et générique, mais cette réciprocité « joue également à une échelle autobiographique, ou autofictionnelle ». Ici et là, la désinvolture du prosateur avoisine le « pince-sans-ririsme », selon l’heureuse formule d’un critique contemporain ; non sans évoquer le prosaïsme en vers de Coppée, elle met sa tendance au retrait et à l’invraisemblance au service d’un traitement très personnel des poncifs romanesques.
Dans la continuité d’un précédent article, Arnaud Bernadet interroge une nouvelle fois les rapports entre le sujet et la vérité. Lorsque Verlaine ambitionne dans ses propres Confessions de « dire la vérité vraie sur moi », c’est, quoique sous le double patronage laïque de Rousseau et religieux de saint Augustin, suivant une démarche éthique et esthétique propre. D’autres textes y répondent, également en prose, mais dont on aurait tort d’exagérer la dimension rétrospective. En effet, écrit Bernadet, « Verlaine associe en priorité la pratique de la prose au domaine autobiographique, comme s’il y percevait désormais la continuation d’une poétique de l’intime en usage surtout dans les vers ». De fait, si ces textes autobiographiques échappent à une théâtralisation complaisante, 17c’est qu’ils sont animés par une « pulsion de l’aveu », quand même les stratégies énonciatives que cet aveu mobilise en accuseraient toutes plus ou moins la pénibilité. À l’horizon d’un cheminement vers la vérité, c’est toutefois moins l’extrême singularité qui préoccupe Verlaine que la communauté qu’elle permet de révéler.
De la prose autobiographique à la nouvelle et au poème en prose, les liens sont nombreux et complexes : Verlaine lui-même ne présentait-il pas Les Mémoires d’un veuf comme une « autobiographie un peu généralisée » ? Les lecteurs et les lectrices de la Revue Verlaine auront compris que cette dernière scansion se veut également l’annonce discrète du prochain numéro, en particulier du dossier qui y sera dédié à « Verlaine, l’art de la prose ».
Adrien Cavallaro,
Bertrand Degott
et Solenn Dupas
18abréviations
Tel qu’il a été adopté dans les précédents numéros de la revue, voici le système d’abréviations en usage pour l’ensemble du volume :
CG |
Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2005. |
Cor. 1, 2 et 3 |
Correspondance de Paul Verlaine,t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1929]. |
OP |
Œuvres poétiques de Verlaine,éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969. |
OPC |
Œuvres poétiques complètes de Verlaine,éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962. |
OPr |
Œuvres en prose complètes de Verlaine,éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972. |
RV |
Revue Verlaine, no 1 à 10, Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud (1993-2007) ; à partir du no 11, Paris, Classiques Garnier (2013 à aujourd’hui). Ex. RV13, 2015, 67. |
1 Charles Cros, Das Sandelkästchen / Le Coffret de santal. Édition bilingue. Traduction et avant-propos de Frank Stückemann, Aaachen (Aix-la-Chapelle), Rimbaud Verlag, Lyrik-Taschenbuch Nr. 130, 2022, 391 p.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-14655-1
- EAN: 9782406146551
- ISSN: 2426-8860
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14655-1.p.0013
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-22-2023
- Periodicity: Annual
- Language: French
- Keyword: poetry, prose, poetics, literary history, literary reception