Foreword
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Verlaine
2021, n° 19. varia - Authors: Bernadet (Arnaud), Degott (Bertrand), Dupas (Solenn)
- Pages: 15 to 19
- Journal: Verlaine Studies
AVANT-PROPOS
En ouverture de ce numéro 19 de la Revue Verlaine, une première scansion, intitulée « Vers, sonnets et rimes (ou pas) », compte trois articles dédiés plus spécifiquement à la versification de Verlaine. Dans l’étude qu’il consacre à « Monsieur Prudhomme », Alain Chevrier propose de nouveaux éclairages sur ce sonnet. Après en avoir confronté quant au système rimique les quatre versions connues, il s’intéresse à la variation du sonnet serpentin, inventée par la préciosité et dont « Monsieur Prudhomme » lui semble hériter. Si l’on trouve de telles variations chez Théodore de Banville et plus encore chez Évariste Boulay-Paty, c’est qu’ils sont l’un et l’autre connaisseurs de formes anciennes ; d’autres contemporains, tel Charles Cros, en font usage. Dans l’« apostille intertextuelle » qui boucle son étude, Chevrier relit le sonnet de Verlaine à la lumière d’une physiologie du romancier naturaliste Xavier Aubryet, pourfendeur du « Prudhomisme ». En dépit de sa spécificité serpentine, « Monsieur Prudhomme » reste un sonnet régulier, contrairement aux quatorzains à rimes suivies que Philippe Rocher étudie ensuite. Ce qu’ont de commun « Effet de nuit », « L’Allée » et la pièce IX de La Bonne Chanson, c’est de n’être pas des sonnets malgré leur quatorze vers, mais aussi de constituer, en tant que tels, des hapax chacun dans son recueil. Rocher s’attache à montrer la pertinence du lien entre ces trois pièces et « Une gravure fantastique », le poème LXXI des Fleurs du Mal. En effet, pour n’être pas des sonnets, tous ces poèmes n’en présentent pas moins des « effets de sonnet ». Confrontés à plusieurs sonnets plus ou moins subvertis – graphiques, compactés, inversés –, avec leur manière de sembler en être, ces quatorzains s’affirment comme une « forme globale hybride » à vocation expérimentale. Si la « subversification » est bien à l’œuvre dans ces trois « spectres de sonnet », en va-t-il de même avec « Ô mes amants… » du posthume Hombres/Hommes ? C’est la question que pose Alain Chevrier dans son second article. À l’encontre de lectures qui exagèrent, selon lui, le potentiel transgressif de ce poème 16XIV, il conteste à la fois le calligramme phallique et les rimes orphelines, ces rimes qui n’en seraient pas. D’une part, censé accréditer la « phallucination », le centrage des vers ne rend pas justice à la forme traditionnelle des vers mêlés. D’autre part, si le poète y reproduit en effet certains écarts à la rime, il n’en propose pas de nouveaux ; en tout état de cause, le poème XIV ne faisant pas partie du manuscrit autographe d’Hombres, les orphelines pourraient n’avoir pas été voulues par Verlaine mais résulter d’erreurs de lecture ou de copie.
La deuxième scansion, intitulée « Microlectures », compte quatre contributions. Dans la première, Christophe Bataillé relit « César Borgia » et « La Mort de Philippe II », deux pièces successives des Poëmes saturniens. La mise en scène des deux despotes dans ces poèmes n’a pas qu’une fonction historique, mais aussi une visée politique et critique : déjà dans Napoléon le Petit, son pamphlet de 1852, Hugo les compare explicitement à « l’homme du deux-décembre ». Connaissant ce texte, les contemporains de Verlaine ne pouvaient s’y tromper ; du moins le régime allusif permet-il au poète d’échapper à la censure. Toujours dans Poëmes saturniens, c’est « Sérénade » dont Steve Murphy questionne ensuite l’humour scatologique, cette pente propre à Verlaine qui n’avait pas échappé à Sainte-Beuve. Avec sa métrique favorisant la discordance, ce poème anti-lyrique oriente le mot sérénade vers son sens de « tapage nocturne ». En cela, il peut être rapproché de « La Sérénade » de Gaspard de la Nuit, où, pour toute récompense, le chanteur récolte le contenu d’un vase de chambre : le topos romantique se trouve ainsi comiquement détourné. Dans une troisième microlecture, Édouard Bourdelle fait dialoguer « Colloque sentimental » avec l’imaginaire contemporain de la promenade. En subvertissant là aussi un topos amoureux, le poète révèle son angoisse face à l’oubli destructeur, sur un plan individuel autant que collectif. Le parc abandonné, l’échec du dialogue, le ton désabusé, tout cela « participe de la dimension critique de Fêtes galantes ». Loin des deux premiers recueils, enfin, c’est sur un poème d’Épigrammes (1894) que Kensaku Kurakata attire notre attention. Dédié à Odilon Redon, « Tête de pipe » est constitué de huit vers à dominante descriptive, probablement inspirés par une eau-forte du dédicataire – intitulée « Passage d’une âme » – qui se trouve reproduite en frontispice de La Passante (1892) d’Adrien Remacle. Après avoir établi plusieurs rapprochements entre les deux œuvres, s’appuyant sur 17des données biographiques, Kurakata suggère également que Verlaine s’est inspiré du contenu même de La Passante.
La dernière subdivision, « Poétique et réception », réunit quatre articles. Les deux premiers soulèvent l’un et l’autre, quoique à partir de recueils différents, des questions de poétique ; alors que le troisième engage la réception de Verlaine et de son œuvre, le quatrième et dernier concilie les deux dimensions. Les deux premières contributions interrogent deux versions successives du contrat de lecture verlainien. Pour Sandra Glatigny, l’écriture des premiers recueils jusqu’à Romances sans paroles apparaît travaillée par la tradition du poème amoureux. Alors que La Bonne Chanson en assume la topique et les procédés, leur parodie dans les autres recueils va de pair avec une réflexivité qui permet d’en mieux comprendre les enjeux. Se pose alors la question de l’opportunité de maintenir un modèle en crise. « Le détournement de la rhétorique amoureuse est mis au service d’un lyrisme critique, écrit Glatigny. Le dialogue avec la tradition sentimentale est avant tout dialogue avec le lecteur qui participe à l’élaboration de l’énoncé lyrique. » Et, au cœur de cette élaboration, figure bien sûr la question du sujet. Arnaud Bernadet, lui, s’attache aux recueils ultérieurs en comparant trois textes majeurs, « Au lecteur » (Cellulairement), « Écrit en 1875 » (Amour) et la préface de Sagesse. En accord avec des vers que lui-même appelle « biographiques », Verlaine soumet sa poésie à un régime de vérité, ce qui suppose le franc parler, mais aussi l’examen de conscience et la confession. Les trois textes examinés, qui sont des « seuils » au sens où l’entend Genette, apparaissent représentatifs d’un pacte de lecture renouvelé au sein d’une œuvre en permanente évolution. Ils témoignent de préoccupations d’ordre éthique, d’une justesse envers soi-même et vis-à-vis d’autrui. En tout état de cause, ce nouveau contrat de lecture engage un sujet pour qui érotique et mystique s’équivalent et s’articulent entre elles. L’article suivant est dédié à la réception de Verlaine. Ye Xu y questionne les références à la névrose (névrosisme ou nervosisme) dans la critique verlainienne entre 1880 et 1900. Dans ce contexte fin-de-siècle, la névrose recouvrant en particulier l’hypersensibilité et l’irrationalité, on mobilise les catégories cliniques pour parler à la fois de l’homme et de l’écrivain, du poète et de son œuvre, pour l’éloge aussi bien que pour le blâme. Sont donc ici examinés les discours tenus sur Verlaine par des médecins aliénistes comme Max Nordau ou par des gendelettres tels Jules Claretie ou Jules 18Lemaitre. Puisque ces contemporains du poète s’intéressaient au contenu de sa boîte crânienne, le lien est en somme tout trouvé avec « Les boîtes à musique de Verlaine ». Lionel Verdier, en effet, propose de lire le poème verlainien comme une boîte à musique, comparable au paléophone de Charles Cros, mais aussi de comprendre au sens mécanique la notion de système utilisée par Verlaine. Grinçant comme cette autre boîte à musique qu’est l’orgue de Barbarie, la discordance verlainienne suppose une « disparition vibratoire du poète » et véhicule le désir des « voix chères qui se sont tues ». Plus encore, le vers verlainien pourrait se définir, écrit Verdier, comme « un aérophone, machine dont le souffle produit des vibrations de l’air ou de l’âme ». Assumant volontiers l’anachronisme, son article débute par un hommage appuyé à Jean-Claude Pirotte et s’achève, en complicité avec Jacques Réda, par une invitation à écouter la « petite musique jazz » de Verlaine.
Arnaud Bernadet,
Bertrand Degott
et Solenn Dupas
abréviations
Tel qu’il a été adopté dans les précédents numéros de la revue, voici le système d’abréviations en usage pour l’ensemble du volume :
CG |
Correspondance générale de Verlaine (1857-1885), t. I, éd. Michael Pakenham, Fayard, 2005. |
Cor. 1, 2 et 3 |
Correspondance de Paul Verlaine, t. I, II, III, éd. Adolphe Van Bever, Genève, Slatkine Reprints, 1983 [1922, 1923, 1929]. |
OP |
Œuvres poétiques de Verlaine, éd. Jacques Robichez, Garnier, 1969. |
OPC |
Œuvres poétiques complètes de Verlaine, éd. Yves-Gérard Le Dantec, révisée par Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962. |
OPr |
Œuvres en prose complètes de Verlaine, éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972. |
RV |
Revue Verlaine, no 1 à 10, Charleville-Mézières, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud (1993-2007) ; à partir du no 11, Paris, Classiques Garnier (2013 à aujourd’hui). Ex. RV13, 2015, 67. |
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-12916-5
- EAN: 9782406129165
- ISSN: 2426-8860
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12916-5.p.0015
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-30-2022
- Periodicity: Annual
- Language: French