Comptes rendus
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Verlaine
2018, n° 16. varia - Authors: Degott (Bertrand), Frémy (Yann)
- Pages: 337 to 340
- Journal: Verlaine Studies
Paul Verlaine, Recueils de jeunesse [Poèmes saturniens, Les Amies, Fêtes galantes, La Bonne Chanson]. Présentation, notes, dossier, chronologie et bibliographie par Nicolas Wanlin, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2018, 289 p.
Après Romances sans paroles, présenté par Arnaud Bernadet, c’est également sous les espèces de ce qu’elle nomme « édition avec dossier » que la collection « GF » propose ici les quatre premiers recueils de Verlaine. Par rapport à la première publication, qui date de 2013, on observera que, dans celle-ci, les notes ne se trouvent plus renvoyées au milieu du livre, entre le texte et le dossier, mais – ce qui est tout de même plus commode pour le lecteur – en bas de page. Il convient de saluer ce changement de ligne éditoriale, qui est tout sauf indifférent. Même si à l’évidence les deux publications sont censées se compléter, on peut s’interroger sur l’intérêt de réunir et de présenter dans l’ordre chronologique les quatre premiers recueils. Trois d’entre eux existent déjà en collection de poche1, mais loin d’imposer la même hiérarchie, cette nouvelle édition suggère un itinéraire, un cheminement. L’inconvénient est que le titre de Recueils de jeunesse présuppose une maturité qui ne serait atteinte qu’avec les Romances, mais aussi que celles-ci apparaissent comme une fin de parcours. Ainsi Nicolas Wanlin veut-il « fournir les éléments essentiels au lecteur pour lui permettre de se faire une idée du poète qu’était Verlaine dans ses années de jeunesse, avant sa rencontre avec Rimbaud » (p. 7). Contre le cliché d’un Verlaine irresponsable et naïf (que le titre Recueils de jeunesse semble cependant frapper d’immaturité), Wanlin défend en maints endroits de sa présentation l’idée d’une progression concertée, d’une « carrière ». C’est pourquoi, écrit-il, « la présente édition prend le parti de restituer les textes tels qu’ils furent publiés par leur auteur au fil de sa carrière » (p. 57). Dans la même perspective, il était en effet essentiel d’opposer le « maigre théoricien » (p. 28) et l’artisan, émule de Hugo, Baudelaire, Banville et Leconte de Lisle, qui n’a cessé d’affiner son métier et de perfectionner ses procédés.
338Wanlin connaît la critique verlainienne et sait qu’elle a progressé, depuis les Œuvres poétiques complètes dans la Pléiade (1962), également sur le plan philologique : il renvoie à l’édition qu’a donnée Steve Murphy des Poëmes saturniens ainsi que, pour les trois autres recueils, à celle déjà citée d’Olivier Bivort. Cela ne suffit pourtant pas – édition grand public oblige – à lui faire maintenir les archaïsants poëme (dans Poëmes saturniens, par exemple) ou rhythme. Quant à l’étonnant Stygmate de « Per amica silentia », Wanlin le corrige sans sourciller à la suite de Bivort. Or l’Académie donne bien stygmates en 1798, et l’on pourrait aventurer que, si cet y oriente vers l’emploi figuré, il peut également figurer le référent érotique. C’est d’autant plus étrange qu’un second parti pris de cette édition est d’appeler un chat un chat. « Aujourd’hui encore, remarque Wanlin, les manuels scolaires sont embarrassés, sélectionnent avec précaution les textes donnés à lire aux adolescents, n’explicitent guère certains sous-entendus et usent d’euphémismes pour évoquer la liaison amoureuse de Verlaine et Rimbaud, ou son goût immodéré pour la boisson » (p. 6). Nous voici prévenus : ignorant les tabous, le commentaire répugnerait à nourrir le conflit entre éthique et poétique. Ainsi que le notait déjà Bivort, Les Amies n’est pas juste un « dérivatif frivole » aux Fêtes galantes ; il n’y pas de solution de continuité entre ces sonnets lesbiens et les « scènes galantes pleines de sous-entendus érotiques » (p. 42) du recueil de 1869. Ainsi les notes en bas de page mettent-elles en valeur tout ce que « Mon rêve familier » contient d’érotique et le dossier ne manque pas de fournir les poèmes écartés de La Bonne Chanson « parce qu’ils sont trop charnels » (p. 53). Tout cela est en parfaite cohérence avec la lecture que Wanlin propose de Verlaine : « la recherche morale de Verlaine consiste […] à marier le bonheur de la chair à celui de l’âme » (p. 40).
Mais la critique a également souligné « la virtuosité avec laquelle le poète révolutionne la versification » (p. 7). D’un recueil à l’autre, c’est donc un même souci du travail poétique – travail qui selon Verlaine prime l’inspiration – qui se manifeste. C’est alors peut-être dans sa prise en compte de la métrique que Wanlin se montre le moins convaincant. Peut-on dire que dans le vers « Par la logique d’une + Influence maligne », le poète ait « déplac[é] la césure après “d’une” » ? L’expression « déplacer la césure » n’alimente-t-elle pas la confusion entre métrique et rythme, déjà dénoncée par Benoît de Cornulier ? De même semble-t-il hasardeux d’écrire que le premier vers du « Rossignol » (« Comme un vol criard + d’oiseaux en émoi ») 339« paraît “criard” pour un lecteur qui a l’habitude de lire des décasyllabes scandés 4/6 » (p. 105) : en effet, le poème tout entier est écrit en taratantaras (5+5) et c’est la récurrence de cette scansion qui impose ensuite le mètre, certes au détriment du 4+6, mais de tout autre mètre aussi bien.
Ces réserves minimes n’enlèvent rien à la qualité de cette édition, aussi irréprochable dans sa présentation que parfaitement cohérente par sa conception d’ensemble.
Bertrand Degott
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Paul Verlaine, Romances sans paroles, texte intégral et dossier par Reynold Le Damany, Folio + collège, 2017, 110 p.
Dans le cadre d’une publication à destination des collégiens et en particulier des élèves de Troisième, les éditions Gallimard proposent une édition des Romances sans paroles par Reynold Le Damany. L’établissement du texte est sérieux et il est regroupé sur une vingtaine de pages. L’essentiel du volume est donc constitué par un dossier qui alterne synthèses et propositions didactiques, voire pédagogiques puisque l’autre public visé est bien sûr le corps enseignant.
Les mises au point théoriques possèdent d’incontestables qualités et témoignent d’un savoir universitaire solide. La triple page consacrée à la versification est juste et salutaire : l’approche métrique est privilégiée, alors que règne encore trop souvent dans l’enseignement secondaire une conception purement syntactico-accentuelle du vers avec des notions contestables comme celles de déplacement tous azimuts de la césure. L’auteur rappelle avec force que « chaque entorse à la règle est donc pour Verlaine une intention poétique » (p. 46). De même, la double page 340consacrée à la vision du monde de Verlaine est intéressante : si l’adjectif « approximative » (p. 77) retenu n’est pas forcément le bienvenu, l’éditeur montre bien que ni la modernité ni la politique ne sont absentes du recueil. Au niveau de l’Histoire des arts, des reproductions suivies de questions sont proposées : on y trouve notamment Impression, soleil levant de Monet (l’impressionnisme de Verlaine est sans doute stéréotypé, mais on ne peut en faire totalement l’économie, surtout dans le cadre d’un premier enseignement) ; le choix d’un tableau de Turner aurait pu être quelque peu redondant, mais l’œuvre retenue Pluie, vapeur, vitesse, le chemin de fer est déjà largement problématisée ; surtout, le choix d’un tableau de Rembrandt (Le Pont de Six) montre une belle connaissance des goûts de Verlaine.
D’autres choix sont moins heureux, notamment le récit « Paul Verlaine raconté par son ami Edmond Lepelletier » (p. 40-41) qui est un authentique faux, réécrit à l’usage des collégiens et s’achevant par un assez comique : « Je meurs le 22 juillet 1913 » (p. 41). Au niveau pédagogique, les choix opérés laissent parfois sceptiques. Le ludique « Cherchez l’intrus » (p. 64-65) propose des questions à choix multiples, dont les deux suivantes : « Comme son titre l’indique, la section Aquarelles regorge de couleurs. Laquelle n’est pas citée ? Le rouge. Le jaune. Le violet » ou « Qu’est-ce qui ne chante pas dans Romances sans paroles ? La pluie. Les Chevaux. Un oiseau » (p. 64-65). Nous ne savons pas quel intérêt direct propose ce questionnaire. Si l’éditeur a sans doute son idée, l’enseignant usager du volume peine à la percevoir. De même, « Retour dans le passé : le lecteur contemporain des Romances sans paroles » (p. 42-43) met en scène un vous, sans doute à des fins d’identification du collégien, qui sonne vraiment faux, alors que le contenu, lui, est très pertinent. On préférera, quitte à passer pour impersonnel, les pages « Les mots ont une histoire » (p. 53-57) et « Les noms propres sont porteurs de sens » (p. 58-59).
En résumé, l’édition proposée par Reynold Le Damany est de qualité. Nos quelques remarques sur les choix plus directement pédagogiques sont anodines : elles montrent la difficulté de s’adresser à la fois au public collégien et au corps enseignant, lequel peut recourir avec confiance à ce volume des Romances sans paroles sans craindre de pleurer dans son cœur.
Yann Frémy
1 Verlaine, Fêtes galantes, La Bonne Chanson, précédées des Amies, éd. Olivier Bivort, Paris, Librairie générale française, coll. « Les Classiques de poche », 2000.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-09083-0
- EAN: 9782406090830
- ISSN: 2426-8860
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09083-0.p.0337
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-30-2019
- Periodicity: Annual
- Language: French