Revue des livres
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
2022 – 2, 102e année, n° 2. varia - Auteurs : Monnot (Christophe), Dean (Jason), Lienhard (Marc), Arnold (Matthieu), Gounelle (Rémi), Grappe (Christian), Noblesse-Rocher (Annie), Dahan (Gilbert)
- Pages : 235 à 259
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
REVUE DES LIVRES
SOCIOLOGIE
Yannick Fer, Sociologie du pentecôtisme, Paris, Karthala, coll. « 4 vents », 2022, ISBN 978-2-8111-2869-2, 223 pages, 19 €.
Cet ouvrage constitue « une partie du mémoire présenté en vue de [l’]habilitation à diriger des recherches, en juin 2020 » (p. 5) par l’A., chercheur au Centre Maurice Halbwachs à Paris (CNRS-EHESS-ENS) et spécialiste francophone du pentecôtisme. Il offre en cinq chapitres agencés autour de thématiques une perspective sociologique très fouillée et extrêmement bien étayée sur le pentecôtisme dans ses différentes formes (pentecôtisme américain, charismatisme, néo-pentecôtisme, etc.).
L’A. situe, avec le premier chapitre, le pentecôtisme dans le contexte historique de son émergence (fin du xixe siècle aux États-Unis). Il reprend la thèse d’Edith Blumhofer, selon laquelle le pentecôtisme naît de l’association, opérée par Charles Fox Parham (un Américain blanc d’arrière-plan méthodiste), du parler en langues et du baptême du Saint-Esprit. Il retrace ensuite la diversification du pentecôtisme, qui s’est accélérée à partir des années 1960 (vague charismatique), puis, plus récemment, avec la fondation des Églises indépendantes et la création des néo-pentecôtismes africains et sud-américains.
Dans le deuxième chapitre, consacré à la conversion, l’A. souligne que, dans la socialisation pentecôtiste, le cheminement spirituel des membres, pour être authentique, doit être vécu comme une réalité personnelle et intérieure. Ainsi, l’institution pentecôtiste fonctionne de manière cryptée. Elle structure la vie des membres qui croient sincèrement suivre les impulsions spontanées du Saint-Esprit, l’institution n’étant là que pour « discerner » ces impulsions (p. 58). Dans ce contexte, le charisme ne s’oppose pas à l’institution, 236il participe à son invisibilisation tout en ayant besoin d’elle pour être authentifié. Si la conversion est souvent vue comme un point de rupture, elle n’en reste pas moins un processus « enchanté » qui permettra d’acquérir un véritable habitus pentecôtiste (p. 74). L’insistance sur le charisme personnel (l’authenticité de la vocation divine) ne doit pas cacher les processus de reproduction sociale à l’intérieur du pentecôtisme. Les pasteurs, investis d’un capital symbolique supérieur, se retrouveront dans des postes plus importants que les autres (p. 90).
Le troisième chapitre aborde l’expression des émotions. Elles sont habituellement discutées dans une relation d’opposition à la raison, ce qui ne permet pas, selon l’A., d’appréhender véritablement le terrain pentecôtiste. Ce n’est pas parce que des émotions sont effectivement visibles dans ces communautés qu’il n’y a pas un important travail de contrôle. Ce travail est une « capacité à faire naître et élaborer en soi-même des émotions socialement nécessaires en fonction de “règles de sentiments” » (p. 108). Les émotions témoignent donc d’un double travail d’incorporation au groupe et d’apprentissage d’un langage spécifique. Plutôt que le fruit d’émotions débridées, le parler en langues constitue un langage rituel qui montre que le fidèle qui le pratique « habite un terrain sacré » (p. 116), permettant également une authentification de la part de la communauté. De manière tout à fait intéressante, l’A. montre encore qu’à l’instar des autres confessions chrétiennes, le pentecôtisme est lui aussi actuellement soumis à une forte dérégulation du champ. Des « réseaux globalisés d’entrepreneurs religieux porteurs de “ministères” indépendants » (p. 122) escamotent la régulation communautaire en proposant des activités et de nouvelles « formes d’expérimentation de “l’action du Saint-Esprit” » (ibid.).
Le quatrième chapitre traite du corps et des cultures. L’expérience pentecôtiste met le corps au centre de l’attention ; c’est ainsi que, par exemple, le nouveau converti doit être impeccable pour témoigner de sa « nouvelle identité ». Si le pentecôtisme est actuellement connu pour ses prières de guérison miraculeuse, démontrant publiquement son efficacité, elles n’étaient pas centrales aux origines du mouvement. Le corps est aussi le théâtre d’un combat spirituel entre la nouvelle nature et les mauvais penchants. Ce combat va affronter les divinités, rites et croyances locales, ce qui devrait extraire le nouveau converti de sa culture locale. Mais, pour ce faire, comme le remarque l’A., le pentecôtisme reconnaît alors explicitement des 237formes de continuités culturelles. Loin de la « Sainte ignorance », les charismatiques choisissent même de s’engager pour que la culture soit sous l’influence de Dieu.
Le dernier chapitre s’arrête sur une tendance actuelle du pentecôtisme sous influence du réseau de la « Nouvelle réforme apostolique » et sur son investissement dans le champ politique. L’A. constate que le combat spirituel se déplace des corps des croyants vers celui d’entités symboliques et politiques, comme les territoires ou les nations. De là émerge un nouvel engagement du chrétien qui, dans sa relation avec Dieu, est impliqué dans la défense des « valeurs » bibliques. Cela contribue à un engagement politique de défense d’idées moralement conservatrices.
La conclusion synthétise cet excellent ouvrage.
Saluons la posture sociologique fine de l’A. Avec le pentecôtisme, on comprend comment le religieux se transforme, ménageant une nouvelle place aux émotions, donnant lieu à une compréhension renouvelée de l’institution et à une circulation dans des réseaux globaux qui permettent la légitimation des autorités spirituelles locales et engagent les fidèles dans une forme paradoxale d’investissement culturel (et parfois politique).
Christophe Monnot
HISTOIRE DES RELIGIONS
Freddy Raphaël, Rire pour réparer le monde. L’humour des Juifs d’Alsace et de Lorraine, Strasbourg, La Nuée Bleue – Les Éditions du Quotidien, 2021, 129 pages, ISBN 978-2-7165-0910-7, 22 €.
L’A. ne veut pas seulement parler du rire en général comme « instance fondatrice de l’histoire des Juifs » (p. 9), mais de l’humour des Juifs d’Alsace-Lorraine. Il perçoit le rire dans un monde qui lui est intimement familier, tant par la langue, le yiddish alsacien, que par les acteurs et leur environnement. Ce monde est « un monde englouti » (p. 15) qui pourtant a laissé des traces, porté qu’il est 238par la certitude que « l’histoire se poursuivra selon la Promesse » (ibid.). C’est un héritage qui invite à « continuer à célébrer la vie, malgré tout » (p. 119).
Le premier chapitre est consacré au yiddish alsacien, cette langue du « petit monde des marchands et des pauvres » (p. 17), méprisée et abandonnée par les parvenus et les nantis, mais « langue de l’autre soi et de l’intimité, de la vie intérieure et de l’expérience religieuse, ainsi que des échanges confiants jusqu’au milieu du xixe siècle » et qui a transmis quelque deux-cents hébraïsmes au dialecte alsacien.
Les chapitres suivants traitent des caractéristiques du rire des Juifs et de leur environnement. C’est pendant les longues soirées, ou les vendredis après-midi, à la table juive lors du shabbat, le samedi après-midi ou dans le cadre d’une noce, que les histoires drôles et les bons mots jaillissent, proposés en particulier par des conteurs quasi professionnels, les mendiants (shnorer) ou les shemils, ces malchanceux faméliques. Au sein de la communauté villageoise, les petites histoires qu’ils racontent reposent sur « une connivence de sens et de valeurs » (p. 32), sur « les aléas d’une existence partagée » (p. 50). Elles font l’éloge de la débrouille, se moquent des avares ou de la suffisance hypocrite des bourgeois. Ceux qui abusent de leur pouvoir sont ridiculisés. Les conflits sont exorcisés, et les contradictions humaines débusquées sous le vernis social. Il s’agit d’un « rire décapant et démystificateur » (p. 61). « L’humour permet de se déprendre de la trivialité et de la brutalité des choses » (p. 117). « Il conserve toutefois une capacité d’émerveillement » (p. 85). C’est « la confiance en un avenir meilleur » (ibid.). Le Juif alsacien refuse aussi de s’apitoyer sur son sort. « À la fois caustique et tendre », il est capable de rire de soi-même et de se remettre en question.
Truffé d’histoires drôles illustrant bien la démarche de l’A., l’exposé débouche sur le religieux. Il fait l’éloge d’une « religiosité sans ostentation ni roublardise » (p. 103). « Elle est l’ennemie de toute ascèse et de toute démonstration excessive de la piété. Mais elle est omniprésente et imprègne toute la vie quotidienne, […] avec des temps forts : shabbat et fêtes calendaires » (p. 104). Ce sont des « fêtes sans austérité » (p. 109), « Dieu est humanisé par l’humour juif » (p. 106). Il y a « un pacte de non-agression conclu par le Juif alsacien avec Dieu » (p. 113). « Peu nombreuses sont les anecdotes où le Juif d’Alsace-Lorraine interpelle Dieu en lui demandant des comptes » (p. 107). L’A. pense que c’est « à travers les commentaires 239bibliques et rabbiniques [que] s’exprime l’incomplétude essentielle de l’homme et du monde. C’est à partir de cette limite, de cette marche tâtonnante, que la rencontre de l’autre, dans son inachèvement, est possible » (p. 113).
On retrouve dans ce livre à la fois des rappels de la foi juive en général et des particularités propres aux Juifs d’Alsace-Lorraine dont l’A. partage en profondeur le vécu et la sensibilité.
Marc Lienhard
Shady H. Nasser, The Second Canonization of the Qurʾān (324/936). Ibn Mujāhid and the Founding of the Seven Readings, Leiden – Boston, Brill, 2021, xiii + 914 pages, ISBN 978-90-04-40197-6, 176 €.
Comment le Coran est-il devenu le texte stabilisé que nous connaissons aujourd’hui ? Plusieurs publications récentes ont tenté de répondre à cette question en examinant des manuscrits coraniques datant des premiers siècles de l’islam. L’originalité de la présente monographie est d’aborder ce problème par le biais du Coran oral, c’est-à-dire la manière dont le texte consonantique, le rasm, a été lu en public.
Les raisons de l’existence des variantes coraniques sont bien connues : absence de voyelles et de marques diacritiques dans le rasm, non codification des règles grammaticales et orthographiques de la langue arabe, pluralité des dialectes, erreurs de transmission. Plutôt que de revenir sur le pourquoi de ce phénomène, l’A. s’attache à en décrire le comment, en s’intéressant plus particulièrement à un moment précis de la transmission du Coran, celui de la définition des sept « lectures » (qirā’āt) dans le Kitāb al-sabᶜa fī l-qirā’āt (« Le Livre des sept lectures ») de Abu Bakr b. Mujāhid (m. 324/936). Effectuant une plongée détaillée dans cette œuvre, l’A. en extrait quelque quatorze mille (sic) variantes, qu’il classe en vingt-quatre types et présente sous la forme d’un « Tableau compréhensif de variantes coraniques » qui occupe la majeure partie de son ouvrage (p. 261-886). Cette analyse minutieuse montre l’existence de leçons différentes, non seulement entre les « sept lectures », mais aussi à l’intérieur de chacune d’elles. La conséquence de cette observation est qu’il n’est plus possible de soutenir l’existence de lectures uniques 240remontant aux compagnons de Muhammad : la représentation de « sept lectures », chacune attribuée à un « lecteur » (qāri’) éponyme, est une construction a posteriori de la tradition islamique.
Pourquoi cette image s’est-elle imposée à la communauté musulmane ? L’A. montre que la discipline des qirā’āt a progressivement subi l’influence de la science du ḥadīth. C’est ainsi que le critère de consensus (ijmāᶜ), qui prévalait qu’aux débuts, a été supplanté par la nécessité d’établir une chaîne de transmission (isnād), reliant un lecteur éponyme à un compagnon de Muhammad. La publication du Kitāb d’Ibn Mujāhid marque un premier aboutissement de ce processus.
Mais comme le souligne l’expression « deuxième canonisation » dans le titre du présent ouvrage, l’œuvre d’Ibn Mujāhid n’est qu’une étape de la stabilisation du texte coranique. L’A en identifie cinq : la « collection » (jamᶜ) du Coran par le troisième calife, ᶜUthmān b. ᶜAffān (m. 35/656) ; la définition des « sept lectures » par Ibn Mujāhid (objet de ce volume) ; l’attribution systématique de deux « transmissions » (riwāya-s) à chacune des « sept lectures » par Abū ᶜAmr al-Dānī (m. 444/1053) et Abū Muḥammad al-Shāṭibī (m. 590/1193) ; l’homologation de trois lectures supplémentaires par Ibn al-Jazarī (m. 833/1429) ; la publication, au final, de l’édition du Coran de l’université d’al-Azhar, en 1923.
Le présent ouvrage n’est que « le premier d’un projet dont l’objectif final est de retracer l’évolution et le développement du texte coranique à travers la littérature qirā’āt, depuis sa supposée codification à l’époque de ᶜUthmān jusqu’à sa standardisation définitive à l’époque moderne » (p. 1). Ambitieux programme. Sans doute le chercheur de Harvard sera-t-il le plus attendu sur la « première canonisation », qui s’étend, selon lui, depuis l’époque de ᶜUthmān jusqu’à l’avènement d’Ibn Mujāhid, soit une période de trois siècles ! Ce qui laisse entrevoir la possibilité qu’à l’instar des noms des sept lecteurs éponymes, celui du troisième calife n’est que le raccourci d’un long et complexe processus de normalisation.
Jason Dean
241HISTOIRE
Généralités
Constance M. Furey, Brian Matz, Stephen L. McKenzie, Thomas Römeret al. (éd.), Encyclopedia of the Bible and Its Reception,18 : Mass – Midnight,Berlin – Boston, De Gruyter, 2020, xxviii pages + 1227 colonnes, ISBN 978-3-11-031335-2, 259 €.
Constance M. Furey, Brian Matz, Stephen L. McKenzie, Thomas Römeret al. (éd.), Encyclopedia of the Bible and Its Reception,19 : Midrash and Aggadah – Mourning, Berlin – Boston, De Gruyter, 2021, xxx pages + 1339 colonnes, ISBN 978-3-11-031336-9, 259 €.
Le lecteur trouvera dans les deux nouveaux tomes de cette belle encyclopédie des matériaux d’une grande richesse, rehaussés de magnifiques cahiers iconographiques (avec, le plus souvent, des liens aux articles concernés) et d’illustrations en noir et blanc.
Le volume 18 contient, comme on pouvait s’y attendre, une série d’articles consacrés à Matthieu, couvrant son évangile (sans analyse de sa tradition textuelle), les textes apocryphes qui lui sont liés, les versions hébraïques de son évangile et le disciple qui porte ce nom (18, col. 123-182), une notice consacrée à Michée – personne et livre éponyme (« Micah », 18, col. 1092-1116), ainsi qu’un ensemble sur le Messie et les thèmes connexes – « Messiah », « Messiah (Oratorio) », « Messianic Age », « Messianic Banquet », « Messianic Judaism », « Messianic Secret », « Messianism » (18, col. 850-966). Le volume 19 contient, pour sa part, un ensemble d’articles consacrés à Moïse et aux thèmes apparentés – « Moses » (un bel article, au large spectre), « Moses’ Cushite Wife », « Moses’ Rod » (sans section dédiée à la réception chrétienne de ce motif), « Moses, Apocryphal Book of », « Moses, Testament of » (19, col. 1067-1178).
Les nombreux autres articles sont consacrés à des lieux et figures bibliques (y compris la Mésopotamie, la mer Méditerranée et « Middle Asia »), dont certains très courts (par exemple, « Melea » ou « Menestheus »), à des scènes emblématiques (comme « Mocking of Jesus »), à des tribus et peuplades comme « Matrites » ou « Midian, Midianites », à des animaux comme l’insecte (« Moth ») ou le singe (« Monkey ») – davantage attestés dans les commentaires scripturaires que dans la Bible –, à des mots spécifiques (par 242exemple, « Memra »), à des motifs et figures spirituelles comme « Metatron », à des realia comme la viande (« Meat ») ou l’argent (« Money »), les métaux (« Metals »), la nuit (« Moon ») ou minuit (« Midnight ») – ou moins évidemment bibliques comme les Mezuzah ou les Miqweh –, à des inscriptions (« Mesha Inscription »), à des expressions comme « Mixed Multitude » (Ex 12,38), à des productions littéraires comme le Midrash, la Mishna et les textes de Qumrân, à des éléments linguistiques (par exemple, « Matres lectionis ») et à des figures stylistiques ou des genres littéraires (ainsi « Menippean Satire », « Metaphor »). Il faut y ajouter, comme dans les volumes précédents, des archéologues et des historiens, comme Benjamin Mazar et Eduard Meyer, des traducteurs – ainsi Robert Morrison, à qui est due la première traduction intégrale de la Bible en chinois – et adaptateurs de la Bible pour enfants (ainsi Favell Lee Mortimer), de nombreux théologiens et interprètes des Écritures, de l’Antiquité à nos jours, dont Maxime de Turin, Moses Mendelssohn, Philip Melanchthon, pour ne citer que des noms connus, ainsi que des mouvements religieux et des Églises comme « Montanism », « Moravian Church ». On notera également la présence, bienvenue, de Sun Myung Moon et des Mormons. Le volet culturel de cette encyclopédie réunit, quant à lui, des écrivains comme Karl May, Hermann Melville ou Montaigne, des graveurs et peintres comme Jan Mateljko, Jacob Matham, Hans Memling ou Henri Matisse, des musiciens comme Félix Mendelssohn et sa sœur Fanny, Monteverdi, des librettistes (Pietro Metastasio), des courants ou des genres musicaux (par exemple, « Mottos », « Minimalism ») ou encore des acteurs de films bibliques, à quoi s’ajoutent des articles portant sur l’architecture (comme « Mosaics », « Monuments »), qui complètent ceux dédiés à des bâtiments ou lieux spécifiques.
Ces volumes contiennent aussi des articles thématiques, qui ont clairement été définis en lien avec les récentes évolutions de la recherche et les débats sociétaux, ce qui est à saluer. On notera par exemple ceux consacrés à « Matriach, Matriarchs » et « Matriarchy », à « Mother, Mothers, Motherhood », à « Migration » (dont le contenu s’explique par les Migration Studies). On notera aussi des contributions relatives à la mémoire (« Memorial », « Cultural Memory »), ainsi que celles portant sur la culture matérielle et la matérialité des Écritures (« Material Culture, The Bible and », « Materiality of Scripture », sans oublier l’excellent article « Models 243and Replicas »), à quoi on peut ajouter l’article consacré à la pratique de la micrographie. Plusieurs articles portent sur des émotions, comme la « Melancholy » – même si la différence entre mélancolie et tristesse n’est pas suffisamment clarifiée.
Comme cela a déjà été relevé, cette encyclopédie semble viser à répondre à tous les besoins des biblistes, voire des théologiens, aussi variés soient-ils. De ce fait, ces volumes contiennent des articles dont le rapport avec la Bible est peu évident ou a été insuffisamment mis en valeur par leurs auteurs. Ainsi en est-il des notices « Maurice of Hessia », « Maximus of Tyre », « Melania the Younger », « Melitus of Scytopolis », « Methodius and Cyril », « Meyer, Conrad Ferdinand », « Minucius Felix », « Monfaucon (Bernard of) », « Morality Play », « Motion Picture Production Code » ou « Motet ». L’ouverture de cette encyclopédie à l’islam est une bonne chose, mais des articles comme « Medina », « Moon The (Sura 54) » et « Mosquee » s’imposaient-ils vraiment ? La prise en compte ponctuelle de l’hindouisme (ainsi dans les articles « Miracles » et « Monuments ») est intéressante, mais elle fait aussi quelque peu éclater le projet de cette encyclopédie. L’article consacré à Marshall McLuhan est, quant à lui, d’une longueur disproportionnée. Quelques articles embrassent des thématiques peut-être trop vastes – ainsi « Meal Customs » (18, col. 221-248).
Certaines notices manquent d’homogénéité. C’est ainsi que celle consacrée à la messe, sur laquelle s’ouvre le volume 18 (« Mass », 18, col. 1-17), limite, dans sa première section, la messe à son acception catholique, tandis que la section dévolue à la musique ouvre aussi, heureusement, la perspective à Byzance, à la Russie et au protestantisme. Si la notice « Monuments » est centrée, dans sa première partie, sur le terme hébraïque yad – ce qui justifie probablement la place qui lui est dédiée dans le volume 19 –,la suite de l’article, consacrée à d’autres contextes, ne prend pas appui sur ce terme et élargit le propos bien au-delà de la Bible. De même, la contribution consacrée aux monastères est tantôt centrée sur l’usage des Écritures, tantôt apparentée à un exposé général qui aurait pu être publié dans une encyclopédie généraliste. Dans la contribution consacrée à « Meditate, Meditation » (18, col. 421-448), la notion de méditation semble varier selon les sections. De façon plus globale, l’encyclopédie peine à traiter de façon cohérente le judaïsme du Second Temple, qui va de pair avec le judaïsme rabbinique et moderne ; les sections qui lui sont 244consacrées se situent parfois dans la droite ligne de l’Ancien Testament, parfois après la notice dévolue au Nouveau Testament. Les notices « Medieval Epoch » et « Modern Epoch » ont laissé perplexe le présent recenseur.
Comme toujours dans une encyclopédie, des compléments peuvent être apportés à diverses contributions. C’est en particulier le cas pour l’article « Melchizedec », dont la section consacrée à la réception dans l’Antiquité ne mentionne ni l’Histoire de Melchisedech (toutefois citée en passant, dans la section « Visual arts »), ni le fait qu’une secte se réclamait de ce personnage selon Épiphane de Salamine, ni du traité de Nag Hammadi relatif à ce personnage – ce traité fait heureusement l’objet d’une entrée spécifique (18, col. 543-544), mais aucun renvoi n’y est fait. L’article « Memorial », dans sa section consacrée au christianisme, ne mentionne que les lieux liés à Jésus, négligeant de ce fait la reprise, par les chrétiens, de lieux de mémoire juifs et le développement de lieux de mémoire liés à d’autres héros de la geste chrétienne ; il néglige tout autant l’islam, dont il n’est question qu’à propos des croisades ; il est en outre surprenant que cet article ne s’interroge pas sur la dimension mémorielle des Écritures. L’article « Melito of Sardis » (18, col. 548) se focalise excessivement sur l’homélie pascale de ce théologien. Celui intitulé « Monuments » ne traite pas du christianisme avant le xixe siècle, ce qui est regrettable, car c’est une question importante pour la visibilité de cette religion dans l’Antiquité. La notice « Midwifes » omet de parler des sages-femmes de la tradition chrétienne (Protévangile de Jacques etc.), ce qui est regrettable, tandis que l’article « Miracles » laisse également de côté les apocryphes. La contribution sur les mosaïques omet de mentionner le Frioul, où se trouvent pourtant de magnifiques mosaïques antiques à thème bibliques.
Ces quelques remarques critiques n’entament en rien l’impressionnante richesse de cette encyclopédie, qui dépassera les trente volumes initialement prévus, puisqu’un renvoi est fait à un volume de suppléments (19, col. 584).
Rémi Gounelle
245Daniel Barbu et Yaacov Deutsch (éd.), Toledot Yeshu in Context. The Jewish “Life of Jesus” in Ancient, Medieval, and Modern History,Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Texts and Studies in Ancient Judaism » 182, 2020, viii + 358 pages, ISBN 978-3-16-159300-0, 144 €.
La publication, en 2014, d’une édition critique de référence des Toledot Yeshu (TY) au terme d’un vaste projet conduit par P. Schäfer avait été saluée comme il se doit dans cette revue (RHPR 95, 2015, p. 376-378), de même d’ailleurs que celle d’un ouvrage collectif préparatoire (RHPR 92, 2012, p. 513-514) qui dressait un état de la question sur la recherche relative à cet écrit parodique qui relève, pour une part, de la contre-histoire et raconte l’histoire d’un Jésus à la fois charlatan et faux prophète, issu d’une union adultérine, justement exécuté à la demande de rabbins, proclamé ressuscité à tort par ses disciples qui ont, à leur tour, fait l’objet d’une persécution légitime. Ces TY ont connu de nombreuses et très diverses recensions et reprennent des motifs dont on peut retrouver l’origine très anciennement dans le temps. Cela ne signifie pas pour autant que les TY aient fait leur apparition en tant qu’écrit très précocement, ni que les différentes recensions remontent à un même original. C’est bien plutôt un processus de développement extrêmement complexe qu’il faut envisager et qui est pris en compte ici, les différentes recensions des TY étant conçues comme des récits présentant plusieurs niveaux de signification, voire différents propos, en fonction du contexte historique dans lequel elles sont apparues et des lecteurs, prioritairement juifs bien entendu, auxquels elles étaient destinées.
Après une introduction qui met fort bien le volume en perspective même si les trois dernières études ne sont pas mentionnées, douze contributions sont présentées. W. Horbury établit un lien entre les titres et les origines des TY en distinguant notamment les recensions du type « Pilate » (attestées dès le ixe siècle mais disparaissant progressivement au cours du Moyen Âge, plus courtes, plus anciennes et centrées sur les tribulations de Jésus) et leurs homologues du type « Helena » (plus intéressées par les origines adultérines de Jésus et son charlatanisme, également plus récentes, puisqu’elles n’apparaissent qu’au ixe siècle pour se maintenir ensuite, et illustrées principalement par le manuscrit 2974 de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg). D. Stökl ben Ezra se penche sur 246la présence de certaines traditions anciennes dans les recensions « Helena » et estime que l’on peut, dès lors, faire remonter l’origine de ces recensions jusqu’au ve siècle. G. McDowell s’intéresse aux recensions du groupe Wagenseil qui placent, à la suite de deux passages du Talmud de Babylone, l’activité de Jésus sous le règne d’Alexandre Jannée (103-76 avant notre ère). Il montre qu’en procédant ainsi, elles s’appuient sur les textes imputant l’exécution de 800 adversaires par crucifixion au souverain et qu’elles ont permis, selon les temps et les lieux, de dédouaner le Talmud de toute visée polémique à l’encontre de Jésus ou de déconnecter la mort de Jésus de la destruction du Temple de Jérusalem. G. Bohak aborde la présentation de Jésus en tant que magicien dans les recensions « Pilate » retrouvées dans la genizah du Caire et propose qu’elles reflètent les préoccupations de juifs médiévaux relatives au mésusage de la magie et de livres de magie. S. Kattan Gribetz étudie le personnage des mères dans les différents manuscrits – la fille de l’empereur qui conçoit un fœtus en pierre dans les recensions « Pilate » ; Marie et la reine Hélène dans les recensions « Helena » – et montre que ces femmes représentent en fait différentes conceptions des origines chrétiennes, au sein d’écrits qui s’attachent les uns et les autres à contester le triomphalisme chrétien. A. Cuffel s’intéresse à la réception des TY au sein de l’Islam médiéval où elles ont pu être appréciées tant pour leur aspect divertissant que pour leur caractère polémique. J. Benarroch se penche sur les annotations marginales tirées des TY que l’on trouve dans l’Emek ha-Melekh de Bakhrakh et fait valoir qu’elles illustrent l’intérêt que les TY ont pu revêtir aux yeux de kabbalistes pour mieux opposer le véritable messie à l’homme mauvais, Jésus, identifié à Sama’el et au serpent. D. Barbu et Y. Dahhaoui montrent tout l’intérêt du Ms. Paris, BnF, Lat. 12722, qui comporte notamment une relation de la persécution anti-juive qui a eu lieu en 1429 à Trévoux et permet d’inférer que les TY étaient un petit livre que des juifs cachaient dans leurs maisons mais qui était aussi copié et circulait, leur permettant de défendre leur identité face à des chrétiens de plus en plus hostiles. S. Burnett traite de la manière dont Luther s’est servi des TY en les traduisant en allemand à des fins polémiques pour dénoncer la « folie » des rabbins et dénigrer la littérature rabbinique dans son ensemble. E. Michels conduit une enquête à partir de 26 manuscrits des TY en yiddish ayant circulé aux Pays-Bas à la suite de l’effervescence qu’avait suscitée dans les communautés juives 247Sabbataï Zvi (1626-1679) en se proclamant messie. Elle montre notamment que Leib ben Ozer, en combinant ce récit parodique de la vie de Jésus à celui de la vie de Sabbataï Zvi, a voulu tout à la fois contrer les mouvements messianiques radicaux au sein du judaïsme et la mission chrétienne. Cl. Rosenzweig se concentre sur un manuscrit en yiddish du xviiie siècle (Ms. Jérusalem, NLI, Heb. 8o 5622), qui est à relier au même contexte de production que le précédent – il est d’ailleurs signalé par Michels aux pages 255 et 256 de sa contribution, mais l’A. ne mentionne qu’incidemment cette parenté (n. 27), ce qui peut paraître étonnant. Le texte hébreu et une traduction anglaise du manuscrit sont fournis, à la suite et non en regard, en appendice. Enfin, Y. Moss s’attache à montrer que l’éminent savant juif que fut Samuel Krauss (1866-1948), en traitant des TY non seulement dans son ouvrage Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, paru en1902, mais aussi par la suite, s’est employé à la fois à assumer le point de vue majoritaire chrétien sur cette œuvre et à résister face à lui, cette double démarche permettant de le dédouaner de toute forme d’apologie.
Un ensemble fort intéressant, intelligent et stimulant, dont on regrette toutefois qu’il ne présente pas de bibliographie récapitulative au terme de chaque contribution ou du volume ni de renvoi dans les notes aux endroits où est effectuée la première mention d’un ouvrage ou d’une étude citée.
Christian Grappe
Irene Dingel, Michael Rohrschneider, Inken Schmidt-Voges, Siegrid Westphal, Joachim Whaley (éd.), Handbuch Frieden im Europa der Frühen Neuzeit. Handbook of Peace in Early Modern Europe. Coordination éditoriale par Volker Arnke, Berlin – Boston, De Gruyter, 2021, lxvii + 1083 pages, ISBN 978-3-11-058805-7, 149,95 €.
Le développement des processus de paix a été caractéristique de l’Europe du début de l’époque moderne ; il alla de pair avec la multiplication des conflits, y compris ceux à dimension religieuse, à partir des années 1520, voire dès la fin du xve siècle. Aussi le présent dictionnaire, fruit d’une collaboration entre plusieurs institutions, en particulier le Forschungszentrum Institut für Kulturgeschichte 248der Frühen Neuzeit d’Osnabrück et le Zentrum für Historische Friedensforschung de Bonn, est-il particulièrement bienvenu.
Il rassemble pas moins de 51 articles (et non pas 50, comme le signale la quatrième de couverture), tous rédigés en allemand et pourvus chacun d’un résumé de quelques lignes en anglais.
Ces études sont agencées en cinq sections : 1. les conceptions et les idées relatives à la paix ; 2. les différents types de règlements de paix ; 3. les pratiques et les processus de paix ; 4. la culture de paix : médias et communication ; 5. les traités de paix au début de l’époque moderne. Les sections 2 et 5 sont les plus fournies, puisque chacune d’entre elles compte 14 études.
Dans la section 1, l’historien du christianisme moderne s’intéressera tout particulièrement à l’article de Volker Leppin sur les différentes visions de la paix à la Renaissance et à la Réforme (sont analysées non seulement les conceptions d’Érasme ou de Luther, mais encore celles des Réformateurs suisses et des anabaptistes), à celui de Thomas Schölderle sur « paix et utopie » (ainsi, le Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe de l’Abbé de Saint-Pierre, 1713), ainsi qu’à l’étude du même auteur sur la Paix éternelle d’Immanuel Kant et sur les conceptions des penseurs des Lumières.
La section 2 traite de la paix non seulement entre les États, mais encore à l’intérieur de ces derniers, et elle n’oublie pas les traités conclus avec des souverains non-européens (l’Empire ottoman et l’Afrique, Benjamin Steiner ; l’Asie, Peter Borschberg ; les « indigènes » d’Amérique du Nord, Katherine A. Hermes). Irene Dingel signe l’important article consacré aux paix de religion.
Au sein de la section 3, qui examine les congrès de paix ainsi que les techniques, les pratiques, les instances, les acteurs et le langage de la négociation, la question de la tolérance se voit consacrer une étude spécifique. Comme Irene Dingel, Ulrich Niggemann met en évidence l’écart entre le contenu actuel de la « tolérance » et son sens au début de l’époque moderne, alors que la pluralité religieuse posait problème. Il est dommage que, s’appuyant sur Luther, qui ne voyait « pas de raison pour excuser la tolérance devant Dieu », il cite le Réformateur seulement par le truchement d’un autre auteur (p. 594). Par ailleurs, tandis qu’Irene Dingel avait vu dans les règlements de paix, qui instituaient durablement la pluralité confessionnelle, une étape importante vers la tolérance (p. 287-289), Niggemann considère à l’inverse – et de manière moins convaincante – que c’est 249la tolérance qui a joué un rôle dans l’établissement et la préservation de la paix au début de l’époque moderne (p. 607).
La section 4, consacrée à la culture de la paix, ne renferme que six contributions, mais chacune d’entre elles revêt une grande importance : les célébrations de paix et la culture mémorielle (Renger E. de Bruin et Alexander Jordan) ; la culture matérielle de la conclusion de la paix (les lieux, les traités de paix en tant qu’objets, etc. ; Harriet Rudolph) ; la paix dans les arts visuels (Eva-Bettina Krems), la musique (les musiques composées pour célébrer des traités de paix ; Sabine Ehrmann-Herfort) et la littérature (Klaus Garber) ; Henning P. Jürgens consacre une étude très complète aux sermons prononcés pour célébrer des traités de paix, mais sans doute le contenu de ces prédications aurait-il mérité un traitement plus développé que les deux pages qui lui sont dévolues (p. 755-757).
La dernière section est sans doute celle qui se prête le plus à la consultation (plutôt qu’à la lecture suivie) : elle présente les principaux traités de paix, depuis la paix de religion de Kutna Hora en Bohème (1485 ; Alexandra Schäfer-Griebel) jusqu’aux différentes paix conclues entre la Révolution française et le Congrès de Vienne (Reinhard Stauber), en passant notamment par la « ewiger Landfrieden » de 1495 (Hendrik Baumbach), les deux Paix de Kappel (1529 et 1531 ; Andreas Zecherle), la Paix d’Augsbourg instituant la coexistence confessionnelle au sein de l’Empire (1555 ; Armin Kohnle), la Paix de Cateau-Cambresis (1559 ; Rainer Babel) ou encore la Paix de Westphalie (1648), qui mit un terme à la guerre de Trente ans (Siegrid Westphal). L’Édit de Nantes (1598), étudié avec finesse par Mark Greengrass, trouve sa place dans cette série de traités, puisque d’une part il mit un terme aux guerres de religion en France, et que d’autre part il fut étroitement lié à la Paix de Vervins, signée quelques jours plus tard avec l’Espagne.
Si les universitaires français ne figurent hélas pas dans la liste des auteurs de ces 51 études érudites, ils n’en sont pas pour autant absents du Manuel des paix en Europe… : en effet, les bibliographies fort complètes des différents articles font toute leur place à leurs travaux, à commencer par ceux de Claire Gantet ou d’Olivier Christin. Deux importants index (personnes, p. 1055-1068 ; lieux, p. 1069-1083) facilitent la consultation de ce remarquable dictionnaire.
Matthieu Arnold
250Histoire ancienne
Roald Dijkstra (éd.) The Early Reception and Appropriation of the Apostle Peter (60-800 CE). The Anchors of the Fisherman,Leiden – Boston, Brill, coll. « Euhormos » 1, 2020, xvi + 342 pages, ISBN 978-90-04-42567-5, 116 €.
Premier volume à paraître dans une nouvelle collection destinée à accueillir des monographies et des collectifs dévolus à l’Antiquité gréco-romaine et accessibles, autant que possible, en Open Access, ce qui est le cas en l’occurrence, l’ouvrage s’inscrit dans un projet plus vaste intitulé « Papes et expressions du pouvoir romain : Ancrage de la politique religieuse dans les périodes de changement ».
Pourvu d’une brève préface, il se divise en quatre parties dont la première vient, de quelque manière, servir d’introduction dès lors qu’elle se propose de présenter le volume et son concept autour du thème fédérateur que représente l’ancrage de l’apôtre. Deux sujets sont abordés : « Pierre, les papes, la politique et davantage : l’apôtre comme ancre (ou ancrage) » (R. Dijkstra) ; « Gouverner par la religion : innovation et tradition dans la représentation impériale romaine » (O. Hekster). Dans la première de ces contributions, l’Éd. explique que l’ouvrage a pour but de contribuer à une meilleure intelligence du rôle de la figure de Pierre en se focalisant sur des innovations qui ont trouvé leur ancrage et leur légitimation en elle, que cet ancrage touche au champ politique, dès Constantin, ou à celui de l’autorité, et qu’il se manifeste dans les arts visuels ou la poésie ou encore dans la création d’un culte de l’apôtre.
La deuxième partie aborde la manière dont s’ancre l’autorité de Pierre. J. Curran invite à revisiter le processus qui a conduit à l’adoption du titre Pontifex maximus et à faire droit à des phénomènes qui ont été négligés, sous-estimés ou au contraire surestimés. Th. Noble étudie les significations multiples d’inscriptions papales durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. M. Bockmuhl analyse les attitudes à l’endroit des pouvoirs juif et romain que l’on observe dans l’Évangile et les Actes de Pierre. R. Burnet s’intéresse à la réception de Pierre au sein de communautés marginales comme celle dont provient l’Apocalypse de Pierre, qui ont vénéré l’apôtre d’abord en tant que visionnaire.
La troisième partie est dévolue à l’art et à la poésie. J. Dresken-Weiland se penche sur le rôle de Pierre dans l’art chrétien du ive au vie siècle et voit dans ce dernier un lieu d’innovation remarquable. 251M. Löx scrute, dans une contribution richement illustrée, la manière dont les représentations de la mort de Pierre s’inscrivent dans le contexte des représentations du martyre dans l’Antiquité tardive. Se tournant vers la poésie, M. Humphries s’interroge, en effectuant un parallèle entre Romulus et Pierre, sur la manière dont la fondation de Rome a été à la fois remémorée et reconfigurée dans l’Antiquité tardive. Quant à C. Springer, il étudie la manière dont Pierre est assimilé à la figure du bon berger dans le Carmen paschale de Sedulius (ve siècle).
La dernière partie aborde le culte de Pierre. A. van den Hoek s’intéresse à des aspects d’une réception de la figure de Pierre indépendamment de celle de Paul au iie siècle. K. Friedrichs traite de l’appropriation architecturale de l’apôtre par les premiers papes et la situe dans le cadre d’une affirmation de l’autorité que l’on s’employait à lui reconnaître. A. Tacker se tourne vers les origines de la présentation de Pierre et de Paul en tant que martyrs et situe le culte de Pierre dans le cadre du développement du culte des martyrs à Rome. E. Rose montre comment le culte liturgique latin de Pierre a, dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, contribué à populariser sa figure et, de ce fait, à « ancrer le roc », bien au-delà de Rome pour laquelle peu de documentation a été conservée.
L’ensemble présente un caractère stimulant et offre des éclairages divers et souvent novateurs, voire à contre-courant, sur la réception de la figure de l’apôtre.
Christian Grappe
François Dolbeau, Martine Dulaey (dir.), Augustin. Sermons Dolbeau 1-10, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, coll. « Bibliothèque augustinienne » 77/A, 2020, 540 pages, ISBN 978-2-85121-309-9, 55 €.
La découverte, à la fin du xxe siècle, de vingt-et-un sermons d’Augustin inconnus jusqu’alors et de la forme primitive de dix homélies du même théologien, qui n’étaient connues jusque-là que sous une forme remaniée, avait fait grand bruit. Non seulement de telles découvertes ne sont pas si fréquentes, mais ces textes, pris en notes par des tachygraphes, procurent de nombreux témoignages sur la prédication orale d’Augustin et sur son temps. Le sermon 2, 252dans lequel Augustin réprimande des paroissiens qui auraient voulu qu’il descende de l’abside pour prêcher plutôt que de s’avancer dans l’église, en constitue un bel exemple. Le sermon 7 – qui est plutôt une allocution suivant une prédication – apporte, de son côté, un témoignage intéressant sur la sépulture de catéchumènes et sur la façon dont des demandes de fidèles étaient gérées. D’autres sermons, portant sur des thèmes plus explicitement théologiques, apportent également leur lot de spécificités. Le sermon 9 livre ainsi un précieux éclairage sur la façon dont Augustin interprétait Pr 23,1-5, tandis que le sermon 10, non content d’apporter une nouvelle pièce au dossier des désaccords entre Augustin et Jérôme sur l’interprétation de Ga 2,11-14, contient un développement original sur le canon scripturaire.
L’intérêt de ces prédications explique qu’elles aient été traduites dans plusieurs langues européennes. Les lecteurs francophones, pour leur part, n’y avaient pas encore accès dans leur propre langue. Ce volume, produit par une équipe de chercheurs sous l’experte direction de Fr. Dolbeau (à qui l’on doit la découverte de ces sermons) et de M. Dulaey, vise à combler ce manque pour les sermons 1-10. Son apport dépasse largement la traduction de ces sermons, puisque, d’une part, le texte latin tient compte des remarques faites par les critiques à la lecture de l’editio princeps,et que, d’autre part, un large apparat scientifique accompagne ces sermons : une introduction générale, concise et stimulante, due à Fr. Dolbeau ; des introductions à chaque prédication –abordant notamment la question, pas toujours simple à trancher, de leur datation et de leur localisation ; une trentaine de notes complémentaires, souvent substantielles, complètent l’annotation infrapaginale. À ce dernier propos, deux remarques de détail peuvent être faites : dans la note 2, peut-être une mention des diacres, chargés de la bienséance dans les communautés à en croire plusieurs ordonnances ecclésiastiques, aurait-elle été utile ; dans la note 16, on aurait attendu un renvoi à Dt 30. Un index biblique et un index des nombreux textes anciens cités closent l’ensemble.
Ce volume, qui fait honneur à la collection, sera suivi par d’autres, de façon à couvrir l’ensemble des textes découverts par Fr. Dolbeau.
Rémi Gounelle
253Moyen Âge
Gilbert Dahan, Étudier la Bible au Moyen Âge. Essais d’herméneutique médiévaleII, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 2020, 340 pages, ISBN 978-2-600-00572-2, 24 €.
Gilbert Dahan, qui fut directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études et directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, spécialiste internationalement reconnu de l’exégèse chrétienne médiévale, continue, avec ce volume, de rassembler ses articles fondamentaux, parus entre 1997 et 2014 dans des revues scientifiques, nationales et internationales, des mélanges ou des actes de colloques, en les enrichissant d’une très substantielle introduction inédite, faisant souvent office de nouvelle contribution, mûrie par plusieurs décennies de recherche.
Dans ce volume, l’A. propose en ouverture une réflexion sur le rapport entre exégèse médiévale et exégèse contemporaine, selon trois axes qui structurent également le volume : les concepts-clés de l’herméneutique, la critique textuelle et la permanence de la tropologie. L’A. – et c’est là toute l’originalité de sa démarche – n’aborde pas l’histoire de l’exégèse en historien uniquement, mais également en exégète et au moyen de catégories héritées du structuralisme littéraire. Il pose la question de la pertinence de la dichotomie ricœurienne entre exégèses savante et confessante. Contrairement aux idées reçues, l’exégèse médiévale est tout aussi critique que la contemporaine, aussi rigoureuse et méthodique de ce point de vue, et même tout aussi tournée vers le progrès. Dans le cadre de l’axe herméneutique, l’étude s’attache à une définition de l’allégorie et de son champ précis d’application. Il en va de même pour la parabole et la similitude, dont les médiévaux tentent de cerner les caractéristiques et de définir les emplois. La critique textuelle – l’A. revendique cette expression pour le Moyen Âge aussi – atteint son apogée au xiiie siècle avec les « correctoires bibliques », recueils de notes textuelles sur l’hébreu et le grec, en milieu dominicain et franciscain. Enfin, l’A. s’attache à l’exégèse tropologique, qui n’est pas l’exégèse morale, mais un sens d’actualisation et d’application, lié à ces recherches philologiques, et pose aussi la question de l’existence d’une exégèse mythique au Moyen Âge.
Après cette introduction, 13 études sont reprises, ordonnées selon ces trois axes. Le champ allégorique est traité à travers deux études sur les Pères dans l’exégèse médiévale et la notion de « tradition 254et de progrès » au Moyen Âge. On notera d’importantes études sur le « symbole et [l’]exégèse », sur le schématisme, sur « Fabula, entre muthos et ‘agada » et sur « parabole et mashal ». Un index des textes, des citations scripturaires, des manuscrits, des auteurs anciens et médiévaux et des auteurs modernes et contemporains vient clore cette somme dont la publication montre la cohérence de la recherche entreprise par l’A. Il s’agit là d’un volume très précieux permettant à tous les historiens de l’exégèse, mais aussi aux amateurs éclairés travaillant sur la Bible, d’avoir à portée de mains une réflexion très informée, et souvent originale, sur les principales catégories de l’exégèse médiévale, savante et confessante.
Annie Noblesse-Rocher
Donald S. Prudlo (éd.), A Companion to Heresy Inquisitions, Leiden – Boston, Brill, coll « Brill’s Companions to the Christian Tradition » 85, 2019, x + 324 pages, ISBN 978-90-04-36090-7, 198 €.
Ce volume offre une synthèse, conformément au genre du « companion », sur l’Inquisition et son action contre l’hérésie. L’introduction dresse un bilan historiographique, depuis l’histoire de l’Inquisition du catholique Luis de Páramo (av. 1545) jusqu’à l’inévitable History de Charles Lea (1888 pour la première édition), en passant par celle du protestant Philip van Limbach (1633-1712) et en revenant sur l’intérêt particulier que les Lumières ont porté à l’institution. Toutes ces synthèses proposaient aussi, et à chaque étape, de nouvelles sources en même temps qu’une interprétation liée à l’ancrage confessionnel de l’historien. Les études post-coloniales, après la Seconde Guerre mondiale, ravivèrent l’intérêt pour certains terrains d’application comme l’Espagne et ses colonies ; s’ensuivirent une multitude de micro-études locales jusqu’au Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 d’Emmanuel Leroy Ladurie (1975).
Ce volume présente les origines de l’Inquisition, sa « machinerie », ses modes opératoires contre l’hérésie, sans chercher à identifier les hérésies détectées dans les sources, comme c’est souvent le cas dans la littérature consacrée à ce sujet, et en se centrant sur l’Inquisition médiévale, ibérique et romaine. La première partie du volume porte sur l’histoire de l’Inquisition ainsi que sur l’idéologie 255qui a présidé à son action, avant que ne lui succède une deuxième partie consacrée aux fondements juridiques de l’institution, à son développement dans les années 1200 et à son auto-analyse à la toute fin du Moyen Âge. La troisième partie est tout entière consacrée à l’Inquisition espagnole, la quatrième à l’Italie, romaine et moderne.
En se fondant sur les écrits de Luis de Páramo, Christine Caldwell Ames (University of South Carolina) traite des fondements spirituels de l’Inquisition. La thèse de la contributrice est celle-ci : les chrétiens occidentaux auraient certainement mis en place des structures inquisitoriales, s’ils en avaient eu la possibilité matérielle, bien avant le xiiie siècle, en s’appuyant, entre autres, sur les écrits augustiniens (notamment A Quodvultdeus, sur les hérésies, 428), qui fournissent tout l’arsenal idéologique et sémantique contre l’hérésie en vue d’une telle entreprise. Michael Frassetto (University of Delaware) étudie les précurseurs de l’Inquisition aux xie et xiie siècles, comme Raoul Glaber qui donne le modèle des interrogatoires et de l’« invention » des hérétiques à ses successeurs, tels Lisiard de Soisson ou Gérard d’Arras (actif contre la célèbre hérésie de 1025), ou même Bernard de Clairvaux dans sa lutte contre Abélard. Henry Anspar Kelly (University of California) se consacre à l’Ordo du quatrième Concile de Latran, qui ne s’affiche pas à l’origine, rappelons-le, comme un texte anti-hérétique, mais qui sera utilisé comme tel dans les siècles postérieurs. Le contributeur montre que l’Ordo a surtout servi de modèle et de méthode dans la lutte contre des crimes ne relevant pas de l’hétérodoxie. La fin du Moyen Âge (xve siècle), étudiée par Robin Vose (St. Thomas University, Fredericton, Canada), voit l’indépendance affirmée de l’Inquisition pontificale au détriment des inquisitions épiscopale et royale, bien que la « concentration monarchique » au Moyen Âge tardif ait tendu à réduire cette primauté. Est-elle pour autant « moribonde » comme le pensait Charles Lea ? Le réseau dominicain laissa encore une forte capacité de nuire à l’Inquisition romaine, mais la multiplication des communautés à combattre, au sein des dissidences chrétiennes ou hors du christianisme, fit que l’Inquisition s’attacha au final surtout à s’organiser elle-même, à s’auto-former et à s’auto-évaluer.
Le volume s’achève sur deux micro-études portant respectivement sur l’Espagne et l’Italie.
Cet ouvrage renouvelle de façon substantielle un sujet lesté d’une bibliographie abondante et d’options historiographiques 256bien marquées. Sans s’engager sur la voie des grands historiens de l’Inquisition, qui cherchaient à ressusciter l’hérétique méconnu et pourchassé dans les formulaires d’inquisiteurs, le volume donne des clefs parfois nouvelles pour la compréhension de l’institution elle-même, de ses modes de fonctionnement et, finalement, de son extinction, à l’époque moderne, par auto-étouffement sous le poids des législations.
Annie Noblesse-Rocher
VIENT DE PARAÎTRE
Matthieu Arnold, Gilbert Dahan et Annie Noblesse-Rocher (dir.), 1 Samuel 28. La nécromancienne d’En-Dor, Paris, Cerf, coll. « Études d’histoire de l’exégèse » 16, 2021, 210 pages, ISBN 978-2-204-14633-3, 18 €.
Matthieu Arnold, Gilbert Dahan et Annie Noblesse-Rocher (dir.), Jean 8, 3-11. La femme adultère, Paris, Cerf, coll. « Études d’histoire de l’exégèse » 17, 2021, 198 pages, ISBN 978-2-204-14933-4, 18 €.
Matthieu Arnold, Gilbert Dahan et Annie Noblesse-Rocher (dir.), Job 19. Révolte, espérance ?, Paris, Cerf, coll. « Études d’histoire de l’exégèse » 18, 2022, 176 pages, ISBN 978-2-204-15003-3, 18 €.
Fruits des « journées bibliques » organisées deux fois par an conjointement par l’unité de recherche « Théologie protestante » (Strasbourg, UR 4378) et l’Institut d’études augustiniennes (composante de l’unité mixte de recherche 8584 du CNRS), les volumes de la collection « Études d’histoire de l’exégèse » continuent de paraître à un rythme régulier. Nous présentons ici les trois derniers volumes publiés, en rappelant au préalable que les « journées bibliques » se déroulent en alternance à Strasbourg et à Paris, et que l’alternance est également de rigueur en ce qui concerne l’Ancien et le Nouveau Testament. Chacun des volumes comporte cinq contributions, qui sont précédées d’un avant-propos rédigé par l’un des trois éditeurs scientifiques.
257Le volume 16 se rapporte au récit de la consultation, par Saül terrorisé par les préparatifs des Philistins, de la nécromancienne d’En-Dor. Dans son « Avant-Propos », Gilbert Dahan souligne les difficultés tant narratives que doctrinales que 1 S 28 a posées aux interprètes, qui se sont interrogés notamment sur la vérité ou non de l’apparition et sur l’identité de la figure qui apparaît. Régine Hunziker-Rodewald, « Cette femme, comment peut-elle savoir que c’est Saül ? 1 S 28,8-14 à l’étude : aspects cognitifs et communicatifs », propose une approche novatrice, à l’aide notamment des ressources de la linguistique cognitive. Thierry Legrand, « 1 Samuel 28 dans l’exégèse targumique et midrashique des premiers siècles de notre ère », se fonde sur le Targum Jonathan ben Uzziel, sur le Midrash Rabba sur le Lévitique et sur Flavius Josèphe ; tandis que le Midrash adopte une attitude fort critique à l’égard de Saül, Flavius Josèphe tend à en donner une image positive. David Lemler, « Parler aux morts et les rejoindre. L’épisode de la nécromancienne dans la littérature rabbinique classique et médiévale », utilise non seulement le Midrash (il y discerne quant à lui des éléments positifs à l’égard de Saül), mais encore les exégètes médiévaux tels que Maïmonide, Nahmanide, Gersonide, Isaac Abravanel ou encore Isaac Arama. Jean-Noël Guinot, « L’interprétation patristique de 1 Samuel 28. L’évocation du prophète Samuel par la ventriloque d’En-Dor », montre que cet épisode a particulièrement retenu l’attention des Pères de l’Église, en raison de la lutte contre les pratiques magiques et de l’interrogation sur le sort des âmes après la mort et le pouvoir des démons. Dominique Poirel, « L’exégèse chrétienne médiévale », dégage les sources principales de l’exégèse médiévale du passage (Augustin et les Hebrei), résume l’apport des principaux commentateurs médiévaux (de Bède à Nicolas de Lyre) et s’attache tout particulièrement au Policraticus (1159) de Jean de Salisbury. Annie Noblesse-Rocher étudie enfin « L’apparition de Samuel dans quelques sources exégétiques et homilétiques sur 1 Samuel 28 au xvie siècle » ; l’interprétation catholique, représentée par Cajetan et Cornelius a Lapide, défend la réalité de l’apparition de Samuel, tandis que l’exégèse protestante combat la magie et la possibilité d’une communion spirituelle avec les défunts.
Le volume 17 est consacré à l’épisode dit de « la femme adultère », qui à la fois constitue l’un des passages les plus connus de l’évangile de Jean et pose d’importants problèmes de critique textuelle. Matthieu Arnold aborde ces questions dans son « Avant-propos » et rappelle 258les principaux thèmes qui apparaissent chez les commentateurs (le rapport de Jésus à la Loi, le contenu de la sentence de Jésus, le rapport entre condamnation et conscience de son péché…). Christian Grappe, « La péricope de la femme adultère, un fragment d’évangile perdu et un diamant serti au cœur du quatrième évangile », examine en détail le problème critique, puis s’interroge sur le fondement de la péricope dans le ministère de Jésus et sur la portée théologique de son message. Anne-Catherine Baudoin, « Les maris jaloux, censeurs de l’Évangile : interprétations et silences patristiques sur la péricope de la femme adultère pardonnée », observe que la péricope est assez peu commentée par les Pères, parmi lesquels on relève surtout les noms d’Ambroise et d’Augustin ; le texte est utilisé en lien avec les thèmes de la justice terrestre, de l’adultère, du péché humain et du rapport du Christ à la Loi. Pour Gilles Berceville, « Un procès en bonne et due forme. La péricope de la femme adultère lue par Thomas d’Aquin », la scène de la femme adultère, qu’il rapproche des pratiques judiciaires de Louis IX, est moins étrange pour les lecteurs du xiiie siècle que pour les modernes : scribes et pharisiens recourent à l’autorité compétente. Gilbert Dahan étudie « L’exégèse du xvie siècle », catholique (Cajetan, Cornelius Jansenius et Francisco Toledo) et protestante (Œcolampade, Melanchthon, Brenz, Bucer, Zwingli, Bullinger, Musculus, Calvin et Hemmingius), qui sont proches l’une de l’autre ; à la suite d’Érasme, tous les commentateurs posent la question de l’authenticité de la péricope et tous affirment néanmoins la nécessité de commenter ce texte, qu’ils relient aux mêmes thèmes que leurs devanciers. Pour Jean-Robert Armogathe, « Le pardon sans pénitence », la péricope « se présente comme une consultation juridique » ; il fonde son étude sur des commentateurs du xvie et du xviie siècle et envisage les thèmes du pouvoir temporel du pape, du droit des magistrats et de la théologie morale, autour de la satisfaction.
Le volume 18 porte sur la postérité de l’étonnant chapitre 19 du livre de Job : Job y exprime un violent cri de révolte contre Dieu tout en affirmant sa foi en un Rédempteur toujours vivant. Dans son « Avant-propos », Gilbert Dahan présente quelques commentaires contemporains et il s’interroge sur le thème dominant du livre de Job et sur les difficultés textuelles du chap. 19. Jesus Asurmendi (« Job 19 : une approche actuelle ») revient sur les difficultés du livre, examine la place du chap. 19 dans cet ensemble ainsi que les problèmes posés par les versets 25-27, qui portent sur le Libérateur ; 259il conclut au caractère polyphonique de Job. Pour Laetitia Ciccolini (« Job 19 dans la tradition patristique »), les Anciens ont souligné l’écart entre l’hébreu et les autres versions alors disponibles ; ils ont insisté, en lien avec le chap. 19, sur le « surcroît de malheurs » qui atteint le juste, se sont interrogés sur la signification pour ses amis des paroles de Job, et nombre d’entre eux (ainsi Cassiodore, Origène, Ambroise, Eusèbe de Césarée…) ont établi un lien entre Job et la pénitence ; sans surprise, ils ont vu en Jb 19,26 une attestation de la résurrection. Jean-Pierre Rothschild (« Job 19, une hebraica veritas sans promesse sinon sans espoir ») établit qu’au contraire, dans l’exégèse juive médiévale, ce texte a été traité de manière assez brève (Job y récapitule des arguments qu’il a déjà formulés), le « sauveur » du v. 25 ne suscitant pas le même enthousiasme que chez les commentateurs chrétiens ; est mis en relief le problème de la Providence (ainsi, Nahmanide), et les interprètes juifs s’attachent à comprendre notamment le sens des « coups sur la peau ». Exposant « L’exégèse médiévale du chapitre 19 de Job », Gilbert Dahan traite, après la critique textuelle et les (quelques) difficultés littérales, trois thèmes doctrinaux : l’injustice de Dieu (le Seigneur frappe Job d’un châtiment à visée pédagogique – Grégoire le Grand), le souhait de Job que ses paroles soient gravées (pourquoi ? sous quelles modalités ? quelles paroles ?) et la Résurrection, en lien avec la fin du monde ; il relève l’importance du commentaire de Roland de Crémone et l’influence prépondérante de celui de Thomas d’Aquin. Jean-Robert Armogathe (« Moraliste ou théologien ? L’ambiguïté du discours de Job chez les commentateurs modernes ») met en évidence le fait qu’aux xvie et xviie siècles, les exégètes protestants (Piscator, Jean Calvin) donnent de Jb 19 une interprétation morale, tandis que les catholiques (Cajetan, Balthasar Cordier) sont plus sensibles aux enjeux théologiques (le blasphème de Job, la portée messianique du v. 25) du texte.
Chacun des volumes comporte une série d’index qui en facilitent la consultation : index scripturaire, auteurs anciens, auteurs contemporains.
Matthieu Arnold
etGilbert Dahan
- Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN : 978-2-406-13301-8
- EAN : 9782406133018
- ISSN : 2269-479X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13301-8.p.0095
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/06/2022
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français