Book Reviews
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
2021 – 2, 101e année, n° 2. varia - Authors: Cottin (Jérôme), Grellier-Bonnal (Isabelle), Dean (Jason), Monnot (Christophe), Frey (Daniel), Rognon (Frédéric), Gounelle (Rémi), Parmentier (Élisabeth), Siegwalt (Gérard)
- Pages: 225 to 273
- Journal: Journal of Religious History and Philosophy
REVUE DES LIVRES
THÉOLOGIE PRATIQUE
Généralités
Arnaud Join-Lambert, Entrer en théologie pratique. Deuxième édition, Louvain, Presses universitaires de Louvain, coll. « Cours universitaires », 2019, 188 pages, ISBN 978-2-87558-687-2, 16,50 €.
Un an après la publication de ce manuel dont, en son temps, nous avions dit le plus grand bien (voir RHPR 99, 2019, p. 449-450), paraît déjà la seconde édition. Le texte est inchangé, l’A. s’étant contenté de rectifier quelques coquilles (dont celles relevées dans la recension susmentionnée) et de préciser quelques références imprécises ou oubliées dans la citation de certains textes.
Jérôme Cottin
Pédagogie-Catéchèse
Isabelle Saint-Martin, Peut-on parler des religions à l’école ? Plaidoyer pour l’approche des faits religieux par les arts, Paris, Albin Michel, 2019, 220 pages, ISBN 978-2-226-32664-5, 18 €.
Voici un ouvrage fondamental sur les relations entre enseignement, culture religieuse et culture artistique. Il rassemble et synthétise en effet, de manière documentée et précise, les nombreux débats agités durant ces dernières décennies autour de ces questions. L’A., directrice d’études à l’EPHE, a une double compétence, à la fois comme directrice récemment élue de l’Institut européen de Sciences 226des religions (IESR) et comme historienne de l’art, spécialiste de l’image religieuse des xixe et xxe siècles.
L’ouvrage s’attelle de fait à deux tâches principales : l’explication, puis l’évaluation, de l’introduction de l’enseignement des « faits religieux » dans différentes disciplines de l’enseignement secondaire en France à la suite du « rapport Debray » de 2002 ; une réflexion sur l’importance de l’enseignement des arts (plastiques surtout, mais aussi poétiques, architecturaux, musicaux) par rapport au religieux. La perspective est double : l’art comme porte d’entrée pour étudier les questions religieuses, mais aussi le savoir religieux nécessaire à la compréhension des arts.
On regrettera que le sous-titre ne soit pas le titre : non seulement la thématique artistique est légèrement plus importante que la première (98 pages contre 94 pages, les deux parties totalisent toutefois 107 pages chacune si l’on prend en compte les notes en fin de volume), mais elle est aussi la plus originale et la plus novatrice. Le titre seul ne dit rien de cette approche essentielle, fine et documentée, concernant les arts ; il s’agit d’ailleurs moins des arts « religieux » que des arts dans leurs relations (parfois conflictuelles) avec les religions (l’apport de judaïsme et surtout de l’islam est à souligner).
Concernant la première thématique, qui comprend l’introduction et les trois premiers chapitres, l’A. part des débats sur « laïcité et religion » qui ont eu lieu dans les années 1980 et qui ont conduit au « rapport Debray » de 2002 et à l’introduction d’unités de « faits religieux » dans différentes disciplines enseignées (littérature, histoire, arts) dans les collèges et lycées de la République. Elle expose les différents arguments en faveur de l’introduction de ces unités : la nécessité de comprendre les références littéraires et artistiques du passé, et l’éducation à la tolérance (qu’il vaudrait mieux appeler « respect mutuel »). Mais elle expose aussi les résistances et les rejets, opposés à la fois par les tenants d’une stricte laïcité (qui craignent que, sous couvert de connaissance, on veuille conduire à la croyance) et certains représentants du catholicisme (qui redoutent un relativisme et un affaiblissement des croyances). Face à ces fronts, l’A. rappelle certaines données fondamentales, comme la complémentarité entre connaissance et compétence, le fait que le religieux n’est pas qu’une valeur du passé mais qu’il est aussi très présent dans les questions politiques et sociétales contemporaines, ou encore la nécessité de bien distinguer connaissance et croyance. Elle regrette un manque de lisibilité du « fait religieux », lequel 227est disséminé entre différentes matières, mais confirme que les questions religieuses sont loin d’être absentes du projet éducatif de la République laïque. Elle détaille ensuite – ce qui est un peu fastidieux pour ceux qui ne sont pas directement impliqués dans ces enseignements – les différents programmes proposés, leurs évaluations et leurs évolutions.
La partie concernant les arts (chapitres iv et v ainsi que la conclusion) est – on l’a déjà dit – très stimulante, en ce que l’A. aborde les arts non d’un point de vue uniquement illustratif et patrimonial (ce à quoi ils sont souvent réduits), mais selon d’autres perspectives, plus prometteuses. Elle fait pour cela appel à l’anthropologie, à la ritualité, à la communication visuelle, à la muséologie, à la plastique (« la forme est signifiante », p. 169) ; elle est attentive aux différents niveaux symboliques condensés dans toute création artistique, lesquels doivent être d’abord identifiés, puis contextualisés, avant d’être interprétés. On pourrait dire que l’A. propose les éléments d’une compréhension visuelle qui aide à étudier les œuvres d’art (et plus largement la culture, y compris profane et populaire), à partir d’un « cercle herméneutique » : des connaissances historiques et religieuses sont indispensables à la compréhension des œuvres d’art, de nombreux textes constituant le « pré-texte » de ces œuvres ; et, à l’inverse, celles-ci constituent une porte d’entrée privilégiée pour comprendre les religions, non en tant qu’institutions, rites ou dogmes, mais comme un ensemble produisant un langage symbolique et des artefacts, lesquels mettent en relation le corps individuel et le corps social. Concernant le rapport (multiple, différencié, inculturé et qui évolue dans le temps) du christianisme aux images, il aurait été plus clair, à notre sens, de présenter d’abord les différentes manières de « voir Dieu dans l’art chrétien » avant d’aborder les « anachronismes et polémiques » (p. 146-151). On finit toutefois par s’y retrouver. Les sous-parties « Textes et images », « Forme et sens », « Usages et rites », « Jeu entre sacré et profane » et enfin « Circulation des motifs, caricatures et polémiques » constituent une très bonne introduction à la compréhension des images dans leur relation au christianisme et plus largement au religieux. Souvent de nature patrimoniale, elles peuvent aussi devenir actuelles, par un jeu multiple de reprises et réinterprétations, décontextualisation et recontextualisation.
On pourrait regretter que le protestantisme ne soit pas plus présent (si on le compare avec le judaïsme et l’islam), mais il est vrai 228qu’il est très éclaté, écartelé entre ses deux pôles « historique » et « évangélique » (qu’il vaudrait mieux qualifier de « pentecôtiste », le protestantisme historique se disant aussi « évangélique », c’est-à-dire fidèle à l’Évangile) et peu inventif au niveau des arts. Il souffre aussi des destructions (en particulier de l’ensemble de ses temples) qui se sont produites en France pendant plus d’un siècle (entre 1685 et 1787), une réalité dont, nous semble-t-il, il n’est pas assez question dans l’enseignement du « fait religieux » français.
Les nombreuses œuvres d’art citées par l’A. sont suffisamment célèbres pour que le lecteur puisse les retrouver sans difficulté dans les médias du numérique, étant donné que l’ouvrage – on le regrette – n’est pas illustré.
Jérôme Cottin
Salvatore Currò, Marcello Scarpa (éd.), Giovanni, vocazione e sinodalità missionaria. La pastorale giovanile nel processo sinodale, Roma, Libreria Ateneo Salesiano, coll. « Nuova Biblioteca di scienze religiose » 60, 2019, 204 pages, ISBN 978-88-213-1339-4, 14 €.
Cet ouvrage est édité par deux enseignants de l’Institut de Théologie pastorale de la Faculté de Théologie de l’Université pontificale salésienne de Rome, laquelle est spécialisée dans les questions éducatives et catéchétiques. Il reprend et prolonge deux documents ecclésiaux importants relatifs à la catéchèse des jeunes (« pastorale giovanile » ou « catechesi per il giovani ») : le document final du Synode des évêques (XVe assemblée générale ordinaire) du 27 octobre 2018 sur le thème I giovanni, la fede e il discernimento vocazionale et l’exhortation apostolique post-synodale du pape François, Christus vivit,du 25 mars 2019.
Cela fait en effet plusieurs années que l’Église catholique s’intéresse particulièrement à la catéchèse des jeunes, et la réflexion déployée dans cet ouvrage en est une preuve supplémentaire. Cette catéchèse doit être abordée à l’aune de la mission parmi et par les jeunes, d’où le thème central de la vocation (chrétienne). Il faut noter que, à l’arrière-plan du synode susmentionné (et donc de cet ouvrage qui en rend compte et le prolonge), se tient une volonté d’écoute de ce que disent, pensent et sont les jeunes d’aujourd’hui. 229Les réponses apportées sont soit ecclésiales, et donc relativement mesurées quoique témoignant d’une volonté d’ouverture (dans les documents synodaux), soit plus personnels car faisant appel à des spécialistes. Représentatif de la première tonalité est l’article de Sahayadas Fernando sur « Vocation à l’amour : le Synode des évêques sur la sexualité des jeunes » (p. 99-114) : certes, toutes les questions sexuelles actuelles sont nommées, mais la réponse proposée reste classique, la sexualité étant pensée comme conduisant à la sainteté dans le cadre d’un projet matrimonial. Trois autres articles commentent la réflexion synodale (Marcello Scarpa, Rossana Sala, Cettina Cattiato).
D’autres contributions rendent compte d’approches pluridisciplinaires comme celles de Fabio Pasquatelli : « Technologiquement hyperconnectés, socialement déconnectés. Les défis éducatifs pour la pastorale des jeunes » (p. 25-48) ou de Franca Feliziani : « Lire les écritures de la vie. Rythmes, espaces, affects et langages dans les différentes phases de la vie » (p. 85-98). Trois études sont centrées sur la Bible, et l’on ne peut que s’en réjouir : « Le style d’Emmaüs comme style de discernement et d’accompagnement », de Rosalba Manes (p. 49-62) ; « La Bible éduque à l’écoute », de Guido Benzi (p. 139-148) ; « Même Jésus a dû apprendre (Lc 2,41-52) », de Xavier Matoses (p. 181-194). L’article de l’un des Éd., Salvatorre Currò, « La culture vocationnelle, l’exigence ecclésiale, et même humaine » (p. 63-72), situe la préoccupation et les propositions catéchétiques dans une approche plus large, existentielle, humaine et culturelle, de la jeunesse en devenir.
Jérôme Cottin
Liturgie
Gilles Drouin, Architecture et liturgie au xviiie siècle. Offrir avec et pour le peuple. Préface de Jean-Marie Duthilleul, Paris, Cerf, coll. « Lex Orandi » 8, 2019, 405 pages, ISBN 978-2-204-13178-0, 25 €.
Cette thèse de doctorat soutenue à l’Institut catholique de Paris (ICP) aurait tout aussi bien pu être recensée dans la rubrique « Théologie et histoire de l’art ». On a placé son compte rendu 230ici pour les raisons suivantes : l’A. est actuellement directeur de l’Institut supérieur de liturgie de l’ICP ; même si son matériau d’étude est l’architecture et l’espace liturgique, son intérêt premier reste l’expression liturgique, et plus spécifiquement – on y reviendra – la célébration de l’eucharistie ; enfin, il explore une nouvelle manière de penser la théologie, non d’abord à partir de textes, mais de matériaux, espaces et objets plastiques. Même si cette posture n’est pas nouvelle en théologie pratique, elle est assez rare pour être soulignée pour un ouvrage dont le thème principal est l’histoire de la liturgie. L’A. montre justement que, à propos de la liturgie, les pratiques ont souvent précédé les textes, que ce soient ceux du Magistère ou les écrits des liturges.
Trois bâtiments très différents ont été choisis comme base de l’étude consacrée au xviiie siècle et sont minutieusement analysés : la cathédrale Notre-Dame de Paris (dont l’A. est l’un des conseillers liturgiques en ce qui concerne sa rénovation, à la suite de l’incendie des 15 et 16 avril 2019) ; l’église Saint-Sulpice,post-tridentine ; l’église Sainte-Geneviève à Asnières, de type « janséniste ». Si les deux dernières datent bien de la période envisagée, le choix de Notre-Dame étonne. Il tient à ce que, à la suite du « Vœu de Louis XIII », la cathédrale fut réaménagée de 1688 à 1722, mais selon une formule qui maintient un statu quo et que l’on pourrait presque qualifier de résistance à la romanisation des cathédrales.
Si l’étude part donc de ces architectures, leur sens liturgique au xviiie siècle post-tridentin n’est pas en reste, qui est mis en valeur par l’étude d’écrits, dont un texte central : les Instructions sur le rituel de Monseigneur Louis-Albert Joly du Choin (1774). L’A. n’y consacre pas moins de trois chapitres, soit 130 pages (p. 199-329), presque un tiers de l’ouvrage – il y revient aussi dans les p. 237-238.
L’une des questions de ce travail est de savoir si, à la suite de la réforme tridentine, les prêtres célèbrent avec le peuple ou pour lui. Au terme de l’étude, l’A. ne prend pas position, car celle-ci a montré des va-et-vient constants entre ces deux options, qui se poursuivent d’ailleurs à l’époque contemporaine – quelques pages en fin de volume sont consacrées à la célébration eucharistique, de Vatican II à aujourd’hui. En fait, les prêtres post-tridentins célèbrent surtout devant le peuple, l’une des innovations ayant été le déplacement du Maître-autel de l’abside vers l’avant de la nef, pour une plus grande visibilité – mais il faut tout de suite ajouter : solennité et théâtralité – de l’accomplissement du mystère eucharistique, 231lequel est essentiellement compris en termes sacrificiels. Un sacrifice offert non seulement par le Christ à Dieu, mais aussi par le prêtre pour le peuple, le peuple s’associant symboliquement à la fois au Christ qui s’offre et au prêtre qui offre (p. 24). Le prêtre se tourne dorénavant vers l’assemblée, pour célébrer une liturgie eucharistique très sacrificielle. Ces changements liturgiques peuvent être résumés par cette phrase : « On pourrait parler d’une “concentration eucharistique”, à la fois sacrificielle et sacramentelle, soutenue par un déploiement cérémoniel qui privilégie la vue sur l’action » (p. 331).
Une des marques architecturales de cette innovation liturgique est la suppression du jubé – ce fut aussi le cas dans la cathédrale de Strasbourg –, l’introduction du balustre et la mise en valeur de l’autel à tabernacle au centre de l’église (et non plus au fond). C’est ce que l’on a appelé le plan à la romaine. L’articulation du chœur et de la nef subit des changements majeurs, quand ce n’est pas l’architecture elle-même, dans le cas de la construction d’églises datant de cette époque ; c’est d’ailleurs l’une des justifications du style baroque, lequel s’exprime très différemment en Italie et en France, comme on sait. Ces changements dans l’aménagement de l’espace liturgique (non prévus dans les textes du Concile de Trente) entraînent deux autres modifications : celle du rapport du prêtre aux fidèles et celle de la relation des fidèles à ce que le prêtre accomplit. Tout en étudiant les différentes implications et options de ces changements à la fois plastiques, pratiques et liturgiques, l’A. en montre les ressorts théologiques et, surtout, pointe les résistances persistantes à ces nouvelles formules conciliaires. Avec, toujours, une question : ces changements, plus ou moins marqués, proviennent-ils d’abord des pratiques dévotionnelles, des textes, de l’aménagement de lieux ou de l’évolution des goûts esthétiques ?
Le liturge protestant aura du mal à trouver ses repères dans ces problématiques post-tridentines qui se situent à l’opposé des liturgies sobres, participatives et très peu eucharistiques qui sont issues de la Réforme. L’A. note d’ailleurs à plusieurs occasions à quel point le culte protestant servit de repoussoir (même si la liturgie post-tridentine fut bien plus qu’une simple réponse romaine à l’épure protestante), tout comme il identifie également un second front de rivalité, entre la liturgie romaine et la liturgie royale (même si, par ailleurs, l’une vient en appui à l’autre). On réalise aussi, à la lecture de cet ouvrage érudit, que la liturgie elle-même (tout comme la célébration eucharistique à laquelle elle conduit) n’a pas la même 232valeur théologique, la même nécessité salvatrice, la même centralité anthropologique ou encore la même fonction rituelle dans les deux confessions. À quoi il faut ajouter une précision historique : à l’époque de la construction des grandes églises post-tridentines en France, aucun temple ne pouvait être construit, et tous ceux qui avaient été édifiés auparavant avaient été détruits par ceux-là mêmes qui construisaient ces somptueux bâtiments en l’honneur du Christ glorifié.
Jérôme Cottin
André Lossky, Goran Sekulovski, Thomas Pott (éd.), Le corps humain dans la liturgie.65e Semaine d’études liturgiques, Paris, Institut Saint-Serge, 2-5 juillet 2018, Münster, Aschendorff, coll. « Studia oecumenica Friburgensia » 90, 2019, 402 pages, ISBN 978-3-402-12229-7, 56 €.
Ce volume s’inscrit dans la suite de précédents (voir RHPR 99, 2019, p. 454-456) et rassemble 29 contributions (même si la table des matières recense 34 auteurs et collaborateurs). Par rapport aux autres volumes, on note une participation renforcée des liturges et théologiens catholiques (15 interventions, contre 13 pour les orthodoxes), à quoi il faut ajouter une contribution maronite, une consacrée au monde copte et une protestante (réformée – le luthéranisme est absent). Trois seules sont le fait de femmes : le monde liturgique reste très marqué par la masculinité et la prêtrise, ce qui se voit d’ailleurs dans le sujet des contributions : un nombre important de thématiques se réfère aux seuls célébrants, donc aux seuls prêtres (par ex. les articles de Luc Forestier, Martin Troupeau, Anastasios Eographos, Gilles Drouin). Malgré la modernité du thème, la perspective reste traditionnelle, voire traditionaliste (sans doute à cause du nombre important de contributions orthodoxes). On ne trouve rien sur les nouvelles formes de spiritualité (charismatique, pentecôtiste), lesquelles accordent pourtant une large place au corps. La perspective est essentiellement historique et liturgique ; un seul article, dû à un théologien catholique de la République démocratique du Congo (Richard Ongendangenda Muya Bin Lokola), évoque un rite zaïrois particulier dans la liturgie eucharistique, qui consiste en l’effectuation par le célébrant principal ou l’un des concélébrants « de mouvements rythmiques du corps autour de l’autel tandis que 233le peuple les exécute en restant sur place » (p. 128). Certains articles de théologiens orthodoxes, jouant sur l’analogie entre le corps mystique du Christ ressuscité et le corps du croyant, vont jusqu’à évoquer la nudité totale (réelle et non métaphorique) du croyant ; Ivan Karageorgiev écrit (et souligne même en caractères gras, p. 109, n. 21) : « Le studite, lui, ne rougissait devant les membres de personne ni de voir des hommes nus, ni de se montrer nu » ; à l’heure des abus sexuels dans l’Église, ce genre d’exemplifications ne serait-il pas à éviter ?
Deux articles ont retenu plus particulièrement l’attention du soussigné. L’un, de Marcel Metzger, sur « Le corps humain dans la liturgie des Constitutions apostoliques » (p. 41-52), relève la relative retenue du langage corporel dans les premières liturgies chrétiennes ; le baiser de paix, la station debout face à l’Orient, la prière de l’orant sont toutefois mentionnés, et il est dommage que nos liturgies protestantes aient oublié ces trois gestes symboliques forts, qui remontent aux toutes premières liturgies. L’autre article qu’il convient de signaler, dû au théologien réformé Nicolas Cochant, procède à une analyse historique précise de l’apparition puis de la disparition de la recommandation de l’agenouillement dans les liturgies réformées françaises (p. 205-212). Pour les réformés, « la posture est devenue une question de pure forme et l’on admet qu’il y a plusieurs manières de faire » (p. 210), même si l’A. conclut en faisant valoir – sans doute sous l’influence des luthériens – que le corps peut être considéré « comme un vecteur de témoignage mais aussi, en sens inverse, comme un vecteur de spiritualité » (p. 212). On regrette qu’il ne se soit pas référé aux développements que, dans l’Institution, Calvin consacre au sujet.
Il est peu question, ce qui est étrange au vu du thème annoncé, des gestes et postures des croyants à la fois dans leur individualité, et collectivement, dans la perspective d’une appropriation communautaire du salut et d’une scénarisation de la célébration. L’espace liturgique, les lieux dans lesquels se meuvent ces corps, les déplacements extérieur/intérieur, les processions, le sens kinesthésique (ce qui fait que notre corps sait où nous nous trouvons dans l’espace) auraient dû être plus et mieux pris en considération.
Jérôme Cottin
234Comité mixte catholique / luthéro-réformé en France, Guide de préparation au mariage interconfessionnel catholique protestant, Lyon, Olivétan / Paris, Salvator, 2019, 126 pages, ISBN 978-2-35479-501-6, 14 €.
Le comité mixte catholique / luthéro-réformé en France, organe officiel de dialogue entre l’Église catholique d’une part, les Églises luthéro-réformées d’autre part, n’avait pas traité des mariages interconfessionnels depuis l’Accord doctrinal sur le mariage, publié en 1973. En raison des évolutions sociétales et œcuméniques intervenues depuis lors, il convenait de reprendre ce dossier.
C’est sous un angle surtout pastoral que ce guide aborde la question. Il fallait pour cela commencer par présenter le nouveau contexte culturel ; c’est ce à quoi s’essaye la première partie, aussi bien dans le domaine du mariage et de la famille que dans celui des relations œcuméniques. Il nous faut cependant tout de suite faire état d’une certaine déception quant à cette partie. En ce qui concerne le mariage et la famille, elle donne des chiffres, mais sans chercher à saisir ce qui sous-tend ces évolutions : la revendication d’égalité entre hommes et femmes, ainsi que la généralisation de la contraception, deux éléments qui ont un impact fort sur le rapport à la sexualité et sur la conception du couple. Les quelques pages consacrées au paysage œcuménique actuel mentionnent de nombreux textes concernant les relations entre Églises, mais il aurait été utile de préciser en quelques mots les apports de chacun de ces textes.
La deuxième partie, plus développée, offre d’abord de courtes présentations de la préparation du mariage et de la liturgie dans chacune des deux traditions, en soulignant une commune « attention renouvelée à la diversité des cheminements personnels ainsi qu’à la signification théologique des rites » (p. 33-34). Souhaitant une préparation commune du mariage, les A. choisissent de s’arrêter sur un texte biblique qui pose problème pour les mentalités actuelles, celui d’Ep 5, pour essayer de montrer comment il peut parler aujourd’hui. Suivent un assez long paragraphe consacré à une histoire théologique du mariage, quelques notes sur les aspects juridiques dans chaque Église, ainsi que des réflexions sur trois termes importants, compris différemment par les différentes confessions : sacrement, alliance, bénédiction. Autant d’éléments qui permettent de mieux comprendre les différences entre catholiques et protestants.
235La troisième partie constitue un guide plus concret. Elle débute par un paragraphe portant sur l’entretien pastoral ; la préparation au mariage – dont il est souhaité qu’elle soit menée en commun par les ministres des deux Églises – doit expliciter ce qui unit les Églises et dire les différences, mais en s’efforçant « de les présenter de manière positive » (p. 73). Un long paragraphe est consacré ensuite au dossier administratif, avec en particulier l’épineuse question de la déclaration d’intention dans laquelle le conjoint catholique doit, selon le Droit canon, s’engager à « faire tout son possible » pour que les enfants soient baptisés et élevés dans l’Église catholique. Notons que les membres du Comité mixte s’autorisent là à interpeller le législateur catholique sur la pertinence d’une telle exigence, « qui reste en deçà de la reconnaissance mutuelle du baptême » (p. 85). Après quelques pages consacrées à la préparation liturgique de la célébration, sont proposées des « recommandations pastorales pour quelques situations particulières » où se manifestent plus fortement les différences entre les Églises : demandes venant de personnes divorcées ou de couples de même sexe. Le guide rappelle la doctrine de l’Église catholique en ces domaines, tout en soulignant l’importance de l’accueil à faire aux personnes.
La conclusion explicite le souhait des membres du Comité mixte que ce document permette aux acteurs de « prendre en compte la complexité du réel, s’expliquer sur leurs manières différentes de croire et d’exprimer la foi, continuer d’avancer résolument vers l’unité » (p. 109).
L’ouvrage se termine par une bibliographie qui permet d’ouvrir l’horizon, ainsi que par deux annexes qui pourront donner à réfléchir : 1) un exemple de déclaration d’intention qui évite la mention d’un baptême dans l’Église catholique, chacun des conjoints s’engageant à respecter la foi et la pratique religieuse de l’autre, à choisir ensemble pour le baptême de leurs enfants et à élever ceux-ci dans le respect des deux traditions ; 2) la décision du Synode EPUdF de Sète (2015) d’ouvrir la possibilité de bénir les couples de même sexe.
Malgré les limites mentionnées, cet ouvrage constituera une aide utile pour les acteurs de la pastorale en ces temps où bon nombre des couples qui s’adressent aux Églises à l’occasion de leur mariage sont d’origines confessionnelles différentes.
Isabelle Grellier
236SOCIOLOGIE
Pierre Lassave, La sociologie des religions. Une communauté de savoir, Paris, Éditions EHESS, coll. « En temps et lieux » 88, 2019, 409 pages, ISBN 978-2-7132-2807-0, 27 €.
Spécialiste des « milieux du savoir » – on lui doit notamment une monographie sur les biblistes –, l’A. se propose dans ce nouvel ouvrage de décrire les étapes de la transformation de la question religieuse en un objet de connaissance scientifique. Dans un premier temps, il identifie dans le travail pionnier d’Émile Durkheim l’ambiguïté fondamentale qui a présidé à la naissance de la sociologie des religions. En effet, pour l’auteur des Formes élémentaires de la vie religieuse, il s’agit de fonder une science avec et à l’encontre de la religion. Avec, parce que Durkheim place la religion au cœur du monde social ; à l’encontre, car il s’agit de rompre avec le passé clérical. Dans les chapitres suivants, l’A. aborde la génération des « héritiers des pionniers d’après-guerre », s’arrêtant longuement sur la figure d’Émile Poulat (1920-2014) et saluant son rôle dans la « séparation entre sociographie pastorale […] et sociologie des religions comme spécialité savante d’avenir » (p. 285). Un cinquième chapitre ingénieux est consacré aux « mots-clés » de la discipline. La comparaison de deux dictionnaires spécialisés, le Dictionnaire des religions et le Dictionnaire des faits religieux, publiés, chez le même éditeur (P.U.F.), à vingt ans d’intervalle, permet à l’A. de mesurer tout le chemin parcouru dans la mise à distance des préjugés conceptuels. Le dernier chapitre introduit le lecteur dans le huis-clos des comités de rédaction de revues scientifiques, que l’A. appelle joliment le « milieu naturel » du savoir, pour montrer comment les spécialistes veillent au respect des règles méthodologiques fondant la discipline. On l’aura compris : l’autonomisation de la sociologie des religions par rapport à son objet constitue le fil rouge de l’ouvrage.
Peut-on pour autant estimer que l’A. a réalisé son ambition de faire une « sociologie de la sociologie » ? Lui-même reconnaît que son « enquête n’a pas particulièrement abondé en données sur les conditions matérielles ou économiques de la recherche, ni sur la morphologie sociale de sa population » (p. 362). Cette absence n’est 237pas sans conséquence sur la compréhension du fonctionnement du champ disciplinaire. Si les sociologues des religions forment une « communauté de savoir » – expression que l’A. emploie selon son sens dans le langage courant, non dans son acception sociologique –, cette communauté est encadrée par une bureaucratie étatique. Les places sont chères, « moins d’une dizaine de postes d’enseignement » en France (p. 86), auxquels s’ajoutent quelques postes de chercheurs et d’assistants. Dès lors, savoir qui peut devenir sociologue des religions et ainsi accéder aux moyens nécessaires à l’exercice du métier devient une question fondamentale. En effet, parallèlement à l’autonomisation de la discipline par rapport à la religion, apparaît en filigrane un autre processus tout aussi significatif : son institutionnalisation. Pour que la sociologie des religions reste la « spécialité résistante » décrite par l’A., il lui faut veiller à son indépendance vis-à-vis des clercs mais aussi de ses autorités de tutelle. À l’heure où la Ministre de l’enseignement supérieur a pu mandater le CNRS pour enquêter sur la recherche en sciences sociales, et où certains sociologues ont pu signer un appel à « engager nos universités dans [l]e combat pour la laïcité et la République » (Le Monde du 31 octobre 2020), la partie n’est pas gagnée d’avance.
Jason Dean
Jean-Paul Willaime, La guerre des dieux n’aura pas lieu. Entretiens avec E.-Martin Meunier. Itinéraire d’un sociologue des religions. Préface de Philippe Portier, Genève, Labor et Fides, 2019, 368 pages, ISBN 978-2-8309-1684-3, 22 €.
Superbement préfacé par Philippe Portier, le volume d’entretiens menés par E.-Martin Meunier, qui retrace le parcours personnel et intellectuel de Jean-Paul Willaime, est agréable à lire. Mélange savamment dosé de passages personnels et de parties plus conceptuelles, suivant chronologiquement la carrière de l’A., le livre est divisé en huit chapitres.
Il débute par l’enfance du sociologue et ses années strasbourgeoises (ch. 1) et restitue le contexte qui l’a conduit à entreprendre ses études de théologie. Le deuxième chapitre, portant sur les « écrits de jeunesse », retrace en particulier les réflexions découlant des deux thèses de l’A. Ce chapitre consiste en un passionnant 238exposé épistémologique, qui permet de comprendre la genèse du tournant sociologique qui va ensuite advenir dans la carrière de Willaime : en gestation à l’intérieur de la théologie protestante de l’époque, qui prend à bras le corps des questions sociales, spécialement sous l’impulsion de Roger Mehl, ce tournant est également le fruit des réflexions philosophiques qui habitent le sociologue (et qui l’accompagneront tout au long de sa vie).
Le troisième chapitre raconte la difficile rencontre de la culture académique française avec l’importante contribution du sociologue allemand Max Weber, « incontestablement […] le plus grand sociologue des religions », selon l’A. (p. 125). Strasbourg fut à cet égard un pont, Julien Freund et Freddy Raphaël constituant des passeurs qui permirent à Willaime d’entrer en contact avec la sociologie d’Outre-Rhin. Ce chapitre renferme par ailleurs un exposé synthétique mais très bien informé sur les grandes notions du sociologue allemand. La discussion se prolonge et s’actualise autour de « l’inépuisable sécularisation » (ch. 4), concept central en sociologie des religions de la fin du xxe siècle. La réflexion s’attache à rappeler quelques propositions majeures de l’époque (dont l’apport indéniable du sociologue Steve Bruce, qui exerça une forte influence sur la pensée de Willaime) et à montrer comment la sociologie est un chantier constamment ouvert, ne cessant de proposer de nouvelles hypothèses pour penser les transformations importantes des relations de notre société avec le religieux. Il s’agit d’un chapitre pivot, puisque non content de clore le passage en revue des textes de sociologie des religions les plus influents, il retrace le départ de Willaime pour Paris avec sa nomination à l’EPHE. « Strasbourg/Paris : le chemin de l’Europe » (ch. 5) met en scène un étrange paradoxe, celui d’entrer dans une réflexion académique européenne, alors que l’A. quitte Strasbourg. C’est en effet à Paris qu’il s’attellera désormais avec une intensité nouvelle à la question européenne.
Les trois chapitres suivants s’intéressent aux apports particuliers du sociologue. Le sixième chapitre, qui porte sur « Le protestantisme et la condition chrétienne contemporaine », offre une réflexion actuelle sur l’état du protestantisme en Europe, appuyée sur une analyse de ses relations avec l’œcuménisme, mais aussi avec le politique. « L’ultramoderne solitude » (ch. 7) revient sur un important apport théorique de l’A., à savoir l’idée de l’ultramodernité. Plutôt que de penser en termes de « post » – la « postmodernité » (Lyotard) ou le « post-séculier » (Habermas) –, Willaime cherche « à rendre compte 239d’éléments de discontinuités à l’intérieur de vecteurs de continuité » (p. 304) qui lui apparaissent comme des signes d’une « radicalisation de la modernité » (p. 303). Il s’inspire pour cela du célèbre sociologue britannique Anthony Giddens. L’A. fait ici une excellente synthèse de son concept, qu’il applique au religieux. Cela lui permet de passer en revue la crise des institutions, la spiritualité, la « marchéisation » du religieux, etc., et de fournir une trame théorique à plusieurs phénomènes qui paraissent paradoxaux ou peu liés les uns avec les autres, tels que « les manières d’être religieux en ultramodernité contemporaine » (p. 336). Le dernier chapitre, reprenant le très beau titre du livre, « La guerre des dieux n’aura pas lieu » (ch. 8), pousse la classique question en sociologie des différents régimes de séparation entre l’Église et l’État (et de la laïcité en France) à dépasser l’opposition entre religieux et séculier. Il pointe tout d’abord une limite de la réflexion de Weber sur « le combat éternel que les dieux se font entre eux » (p. 350) en faisant valoir que, dans notre société, « on peut choisir en même temps le religieux et le séculier » (p. 350). L’A. n’est pas le seul à penser de la sorte, puisqu’il reprend sur ce point une posture d’Habermas décrivant la société… post-séculière. Cette perspective d’une société où le religieux et le séculier cohabitent ne doit pas éluder, ensuite, le fait que le religieux est actuellement présent sur l’agenda médiatique en raison de son caractère conflictuel. Willaime observe que ces conflits ne sont pas des guerres de religion (ou de civilisation), mais bien des oppositions entre sécularistes et religieux, d’une part et, d’autre part, à l’intérieur des courants religieux, entre les « orthodoxes » et les « libéraux ». Pour l’A., « l’inscription dans une société plurireligieuse et multiculturelle entraîne la nécessité de se situer dans un environnement pluraliste et de reconsidérer la façon de se référer à une vérité religieuse » (p. 352). Un avenir pluraliste avec une importante mixité culturelle qui, selon Willaime, sans être toujours paisible, ne peut se résumer à des affrontements religieux.
On tient là un ouvrage captivant sur un parcours intellectuel qui met en perspective l’émergence d’une sociologie des religions en France, celle du protestantisme en particulier. Au travers d’un entretien d’une lecture aisée, sous la plume d’E.-Martin Meunier, cet ouvrage a conservé quelques accents personnels, ce qui le rend d’autant plus éclairant.
Christophe Monnot
240Valérie Aubourg, Réveil catholique. Emprunts évangéliques au sein du catholicisme, Genève, Labor et Fides, coll. « Enquêtes » 5, 2020, 354 pages, ISBN 978-2-8309-1710-9, 24 €.
Cet ouvrage présente les résultats d’une recherche menée dans le cadre de la préparation d’une habilitation à diriger des recherches à l’EPHE (2018). Il vise à éclairer l’appropriation par le catholicisme français d’une partie de la dynamique protestante évangélique. L’enquête ethnographique, très fine, est menée au sein du catholicisme lyonnais. Pour l’A., c’est à partir des recompositions religieuses locales que l’on peut comprendre les dynamiques tissées à l’échelle mondiale (p. 16). L’ouvrage, plaisant à lire, très bien étayé théoriquement, solide sur le plan des données présentées et stimulant sur celui de la réflexion, se centre sur trois grandes influences évangéliques charismatiques à l’intérieur du catholicisme, qui constitueront autant de terrains d’enquête : les soirées « Miracles et guérisons », les groupes de « Prière des mères » et la paroisse « missionnaire » Sainte-Blandine, au sein de laquelle opère le groupe de musique Glorious. Ces terrains, qui donnent lieu aux trois grandes parties du volume, soulignent « les éléments spécifiquement évangéliques introduits en milieu catholique et [montrent] comment ce dernier se les approprie » (p. 21). Avant cela, l’A. analyse, au travers d’un chapitre historique et théorique incluant un état de la recherche parfaitement maîtrisé, le contexte des différentes vagues du pentecôtisme et de ses influences sur les Églises historiques.
Dans la première partie, Valérie Aubourg conduit le lecteur dans une chambre de guérison au nord de Lyon, puis aux congrès de la guérison. Après avoir décrit la chambre et le déroulement des soirées de la guérison, l’A. souligne la collaboration de responsables spirituels évangéliques et catholiques, et les différents enjeux œcuméniques d’une telle collaboration. Elle poursuit en relatant six itinéraires d’adeptes. L’A. montre en particulier comment le Renouveau charismatique, qui s’est routinisé, est « réenchanté » par ces nouveaux emprunts évangéliques.
Dans la deuxième partie, elle nous convie aux rencontres de la Prière des mères. Des groupes de mères catholiques militantes, de condition plutôt aisée, se réunissent à un rythme hebdomadaire dans les villas de l’une ou l’autre pour des réunions suivant une liturgie formelle. La motivation de ces mères est de se rassurer et 241de se soutenir mutuellement. Le repli identitaire est compensé par la dimension transnationale des groupes, les apports du Renouveau étant adoucis par la liturgie et la règle de la respectabilité. L’A. en infère que ces groupes aident les mères à se positionner dans la dynamique de recomposition tout en restant dans la tradition.
La troisième partie du volume est consacrée aux paroisses « performantes », celles qui reprennent les recettes des megachurches anglo-saxonnes (spécialement l’Église de Rick Warren à Saddleback en Californie, p. 203) pour les appliquer au catholicisme lyonnais. À partir du groupe pop-rock Glorious, l’A. nous introduit dans la paroisse « missionnaire » de Sainte-Blandine, qui s’appuie sur les grands principes des megachurches. Le prêtre, David Gréa, s’est entouré de laïcs et agit selon des procédés tout à fait similaires aux pasteurs-entrepreneurs des megachurches. C’est bien évidemment une spiritualité centrée sur la régénération individuelle qui est soutenue, avec une responsabilisation des laïcs. Si les dimensions du management et de la performance font partie de ces formes de religiosité, on ne saurait, selon l’A., conclure à une marchandisation du religieux. Dans la paroisse de Sainte-Blandine, bien que calquée sur le modèle évangélique, l’action de ses responsables, sous la houlette de David Gréa, permet de remettre la paroisse au centre du système religieux. Dans son espace de ressourcement, elle rassemble autant des pèlerins que des convertis (Hervieu-Léger), constituant un point de jonction entre le paroissien classique et la nouvelle figure du quêteur spirituel.
Dans sa partie conclusive, l’A. constate que l’on assiste bien à une « évangélicalisation » du catholicisme. L’étude de chacun des trois terrains en souligne une dimension différente : celle de l’effusion de l’Esprit dans la première, celle de l’abandon à Dieu dans la deuxième et celle de la louange pop-rock dans la dernière. Mais cette influence est sous contrainte institutionnelle : la hiérarchie catholique encadre ces nouveautés pour qu’elles demeurent dans des contours acceptables. Cependant, des formes de croyances plus individuelles et plus émotionnelles habitent désormais le catholicisme qui se transforme. L’avenir montrera l’intensité de la pulsation que ce mouvement de confluence évangélique aura apportée au catholicisme.
Ouvrage majeur sur les emprunts catholiques aux différents courants évangéliques en vogue actuellement, qui souligne encore une fois la porosité des grandes traditions chrétiennes, ce livre constitue 242un véritable voyage au sein de ces différents groupes catholiques, tant le travail ethnographique est effectué avec précision. Bien que centrée sur la région lyonnaise, l’A. pose des questions pertinentes qui ouvrent la perspective et inscrit sa réflexion dans un horizon plus large. Une recherche qui nous permet de poser une question similaire au sein du protestantisme : qu’en est-il d’une possible catholicisation de plusieurs pans de l’évangélisme charismatique ?
Christophe Monnot
André Gagné, Ces évangéliques derrière Trump. Hégémonie, démonologie et fin du monde, Genève, Labor et Fides, coll. « Enquêtes » 6, 2020, 161 pages, ISBN 978-2-8309-1724-6, 17 €.
Dans cette étude portant sur une faction du protestantisme nord-américain que le professeur André Gagné, de Concordia University, appelle les « charismatiques », le lecteur est amené à comprendre pourquoi une majorité d’évangéliques blancs des États-Unis maintient, fort étonnamment, un soutien indéfectible à l’ex-président Trump. Il faut, selon l’A., comprendre les ressorts théologiques de cette adhésion et spécialement d’une interprétation particulière de l’eschatologie en vogue dans les milieux évangéliques américains.
Le livre est, après une introduction précisant les termes convoqués, structuré en quatre chapitres.
Le premier introduit le lecteur à deux lectures particulières de l’aile évangélique nord-américainne. Trump serait censé représenter la figure d’un nouveau Cyrus, image étayée par le déplacement de l’ambassade d’Israël à Jérusalem. Il serait également le porte-étendard d’une théologie de la domination. Pareilles thèses ont déjà été avancées par Joan Stavo-Debauge (Le loup dans la bergerie, Labor et Fides, 2012)et Philippe Gonzalez (Que ton règne vienne, Labor et Fides, 2014), dont l’A. n’exploite pas vraiment les travaux.
Le deuxième chapitre traite du nouvel intérêt que portent au pouvoir politique les évangéliques, fondé sur l’idée du combat spirituel prenant notamment la forme d’une dénonciation de mauvais esprits territoriaux (qui domineraient particulièrement l’Iran et la Russie). Paula White-Cain, qui a prié à l’investiture de Trump, est l’une des promotrices de ce combat spirituel autour de l’ancien président, mais elle n’est de loin pas la seule. La démonisation des 243adversaires, les paroles autoritaires « au nom de Jésus », l’appel à la guerre de la part de responsables chrétiens sont autant de signes alarmants. L’A., dont l’ouvrage est paru avant la victoire de Joe Biden, s’inquiète de ce qui pourrait advenir en cas de défaite de Trump aux prochaines élections.
Le chapitre suivant, qui constitue d’ailleurs la contribution la plus originale de l’ouvrage, tente de faire entrer le lecteur dans la logique des évangéliques soutenant Trump. Cette dernière est à chercher dans leur compréhension de la fin des temps. Une obscure théologie émanant d’une branche sectarienne du protestantisme (celle de J. N. Darby) a été popularisée aux États-Unis par le best-seller L’agonie de notre vieille planète, publié par Hal Lindsey dans les années 1970, puis reprise par une série de 16 livres (65 millions d’exemplaires vendus), publiés de 1996 à 2007 par Tim LaHaye et Jerry Jenkins sous l’intitulé Les survivants de l’apocalypse. C’est surtout l’idée de « l’enlèvement de l’Église » qui demeure très populaire aux États-Unis. Cet enlèvement serait précédé de signes que l’on peut discerner dans l’actualité, comme le « rétablissement » d’Israël.
Dans le quatrième chapitre, l’A. soutient que cet arrière-plan populaire se fait cependant coloniser par une nouvelle eschatologie, celle de la lecture « victorieuse » de la fin des temps. L’Église, selon ces apôtres évangéliques, progresserait vers sa destinée triomphale. La guerre spirituelle menée par les États-Unis (avec Israël à leurs côtés) serait le moyen de cet avancement du Royaume spirituel. L’assassinat du général iranien Soleimani par les services secrets américains représenterait un fruit tangible de ce combat spirituel. Dans ce contexte, Trump est à protéger puisqu’il contribue à l’avancement de la fin des temps.
Cet opuscule de lecture aisée représente un bel essai de synthèse visant à comprendre comment un milieu défendant des valeurs puritaines et conservatrices se trouve être un soutien inconditionnel du président publiquement le plus laxiste sur le plan moral que l’Amérique ait connu. L’A. réussit le tour de force de rassembler ses arguments autour de quatre grands axes qui donnent chacun lieu à un chapitre de l’ouvrage. Ce tour de force constitue aussi la faiblesse de l’entreprise. Afin de conduire son lecteur à l’essentiel, l’A. ne fournit que peu d’informations sur sa posture théorique, sa méthode d’enquête et ses sources. La thèse de l’ouvrage est parfois assénée sans que l’on sache toujours de qui ou de quoi on 244parle. Qui sont finalement ces évangéliques derrière Trump ? La construction de l’ouvrage, passant d’un grand leader évangélique à un autre, occulte un peu trop l’arrière-plan culturel américain, ce qui fait que l’on ne saisit pas toujours comment et pourquoi ces personnes ont une influence. Cet aspect a pourtant déjà été finement analysé avant l’A. par Philip Gorski (« Why evangelicals voted for Trump : A critical cultural sociology », American Journal of Cultural Sociology, 5, 2017, p. 338-354). On ressort donc de la lecture de cet ouvrage époustouflé par la tournure des événements et par cette quête du pouvoir nourrie par de nouveaux croisés évangéliques derrière Trump. On est pris de vertige quand on apprend que ces nouveaux apôtres sont en train de glisser de la guerre spirituelle vers la vraie guerre et qu’ils prophétisent même la guerre civile aux États-Unis (au cas où Trump ne serait pas élu). Cependant, de nombreuses questions demeurent sans réponses ou abordées de manière très rapide.
Ce livre très informatif, éclairant un phénomène actuel bien qu’il ne présente pas d’analyses fondamentalement nouvelles, constitue une importante et louable synthèse sur une situation assez peu compréhensible, pour les lecteurs francophones tout au moins.
Christophe Monnot
PHILOSOPHIE
Pascal Nouvel, Avant toutes choses. Enquête sur les discours d’origine, Paris, CNRS Éditions, 2020, 427 pages, ISBN 978-2-271-12252-0, 26 €.
« Nul ne peut dire qu’il connaît ses origines si elles ne lui ont pas été racontées » (p. 12). Pascal Nouvel s’est saisi dans cette enquête philosophique de la magnifique question de l’origine de toutes choses. L’invariant anthropologique du questionnement sur l’origine, par-delà la variété des modes culturels de son énonciation, tient selon l’A. à la nature même des choses : ce sont ces 245dernières qui, apparaissant et disparaissant, font s’interroger sur l’apparition (fût-elle, ajouterions-nous, une réapparition, dans le cas de l’univers cyclique).
Il appuie cette enquête sur une typologie distinguant quatre manières de répondre à la question de l’origine, à laquelle Leibniz a donné une formulation canonique : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Dans cette typologie, les deux premiers types forment une paire par leur dimension narrative : les récits scientifiques, remontant au Big Bang, ont en effet en commun avec les récits mythiques qui narrent l’origine liée aux dieux de façon théologico-cosmogonique (ou ontogonique) un mode d’explication de ce qui est par la considération de sa genèse, sur le mode du « c’est pourquoi » (p. 19). Bien sûr, dans le cas des récits scientifiques, c’est le consensus des chercheurs qui garantit la crédibilité du récit, tandis que les mythes se soutiennent par leur propre autorité. Le troisième type est irréductible aux deux précédents, dans la mesure où il est fondé exclusivement sur la raison, sans considération des faits – en ce sens, l’A. aurait été en droit d’ajouter à « raison » l’épithète « pure ». Le quatrième, enfin, est de nature phénoménologique, car il rapporte la question de l’origine à la conscience pour laquelle elle se pose et prête attention non à la réalité dite, mais aux différents discours qui la disent.
En établissant la typologie dont il vient d’être question, l’A. se situe dans une perspective foucaldienne, renonçant consciemment à la question de l’origine réelle, pour mieux prêter attention aux discours qui la désignent. C’est un point discutable : s’il a raison d’affirmer que les différents types de discours ne s’excluent pas nécessairement, l’A. nous semble se contenter trop vite de noter que chacun a son public – car l’horizon philosophique du discours sur l’origine demeure, dirions-nous, celui d’une vérité qui, idéalement, est une. Plus précisément : il est juste d’affirmer qu’il existe différents modes d’expression de la vérité, pour peu que l’on s’efforce aussi de chercher en quoi chacun d’eux traite valablement d’un aspect de la vérité qui, dans son concept même, exclut qu’existent « des » vérités alternatives. Cet ouvrage, malgré certaines répétitions qui auraient pu être évitées, constitue en tout cas une enquête passionnante sur l’univers des récits des origines.
Daniel Frey
246Françoise Waquet, Une histoire émotionnelle du savoir xviie-xxie siècle, Paris, CNRS Éditions, 2019, 349 pages, ISBN 978-2-271-09337-0, 25 €.
Le titre du présent ouvrage est un peu trop bien choisi, car il fait espérer tout autre chose que ce qui est livré ici : le lecteur s’attend à découvrir un pan de l’histoire des sentiments, appliquée au champ de la production savante ; il se trouve en fait devant un prolongement du précédent livre de l’A., L’ordre matériel du savoir, paru chez le même éditeur en 2015. Dès lors, ce sont une nouvelle fois les lieux de productions du savoir (bibliothèques, laboratoires, bureau, etc.), les outils (ordinateurs, livres, etc.) qui sont abordés, sous l’angle des émotions qui s’y expriment quelquefois. Encore est-ce surtout le cas pour le xxe siècle : les exemples choisis en relèvent presque exclusivement pour les deux premières parties (I. « Une écologie émotionnelle », II. « Les émotions au travail »), de sorte que le sous-titre, qui fait commencer l’étude au xviie siècle, ne se justifie que dans la dernière partie (III. « La condition des émotions »).
Il n’en reste pas moins que l’intérêt de l’ouvrage est de rappeler que la « rhétorique de l’impersonnalité » (p. 14), qui est celle de la recherche universitaire, constitue un arrachement vis-à-vis du fond d’émotions très humaines qui, certes, existent en toute pratique professionnelle, mais qui, chez l’Homoacademicus (Bourdieu), ont tendance à être nettement minorées. On lira donc avec une pointe d’intérêt les aveux d’un Marc Bloch se déclarant dans une lettre « vanné » par sa visite aux Membres du Collège de France au moment de sa candidature dans l’institution (p. 33), ou s’écriant, dans un poème potache sur sa thèse, « Ce qu’on se rase, ô Dieux ! » (p. 51). On lira avec un peu plus d’intérêt les dessous de sa relation complexe avec Lucien Febvre (p. 59 sq.), et avec curiosité les rares émotions trahies par quelques propos de Vernant, Foucault ou Braudel. Mais, dans l’ensemble, on ne trouve là rien qui ne soit déjà reproduit dans un roman de David Lodge (l’humour en moins), et l’on ressort du livre avec l’impression assez désagréable que l’universitaire ressent de bien petites émotions, lorsqu’il fustige par exemple le « sadisme de l’éditeur » ayant décidé de placer les notes de son ouvrage en fin de volume (p. 130) ou se plaint de l’inconfort d’une bibliothèque : émotions sans relief, sans réelle portée sociale, qui existent effectivement, mais ne méritent peut-être pas un si gros ouvrage. Après tout, écrirait-on un tel livre pour 247signaler le mécontentement de l’artisan fustigeant la médiocrité de tel outillage ? Ce n’est pas parce qu’elles peuvent être documentées par des entretiens ou des correspondances que ces émotions ont en elles-mêmes un quelconque intérêt, ou alors il aurait fallu contourner le ton impersonnel de la rhétorique universitaire pour restituer les émotions des chercheurs au fond commun des sentiments attachés aux pratiques quotidiennes.
Daniel Frey
Bertrand Binoche, « Écrasez l’infâme ! » Philosopher à l’âge des Lumières, Paris, La Fabrique Éditions, 2018, 260 pages, ISBN 978-2-35872-170-7, 13 €.
Bertrand Binoche enseigne l’histoire de la philosophie moderne à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Auteur d’ouvrages portant notamment sur Montesquieu, Sade et Bentham, il propose ici un vigoureux essai sur la philosophie des Lumières, surtout françaises, à un moment où il constate le désintérêt des philosophes pour l’héritage desdites Lumières. Les quatre thèmes (préjugé, superstition, providence, esclavage) qui sont retenus forment une « chaîne polémique » (p. 12) : selon l’A., ce qui fait la spécificité de la philosophie des Lumières réside non dans ce qui la fonde, mais dans tout ce à quoi elle s’oppose. Voltaire a raison : on peut ne pas connaître la nature des choses, tout en sachant « fort bien ce qui n’est pas » (cité p. 35). D’où la présence, jusque dans le titre de l’ouvrage, de l’injonction voltairienne, laquelle ne visait pas Dieu – Voltaire était authentiquement théiste –, mais le préjugé sous toutes ses formes.
Emboîtant le pas à Carl Schmitt, qui estimait que l’exhortation de Voltaire ne devait pas être sous-estimée, l’A. entend ainsi revenir à la dimension polémique des Lumières, pensant sans relâche contre un ennemi multiforme. Le présent ouvrage corrige aussi le projet de La philosophie des Lumières d’Ernst Cassirer (1932), en mettant en cause ses présupposés initiaux : pour Cassirer, la philosophie des Lumières n’a pas existé. Il n’y eut qu’une profusion sans ordre d’écrits qui relevaient plutôt de la littérature. Les philosophes de ce temps auraient donc été de piètres penseurs, chez qui il est malaisé, et superflu, de séjourner (cf. p. 203). Dès lors, Cassirer s’est senti 248autorisé à inféoder la pensée des Lumières à celle de Kant : en somme, il a fallu attendre Kant (ce « Spätaufklärer », p. 220) pour penser les Lumières. C’est ce préjugé contre les Lumières que Binoche s’emploie à combattre tout au long de l’ouvrage, même s’il ne le désigne expressément et précisément que dans la conclusion.
Les auteurs lus et commentés sont évidemment nombreux (Voltaire, Diderot, D’Holbach, Condillac, Montesquieu, Condorcet, D’Alembert, ce dernier étant le plus scientifique de tous, malheureusement trop peu cité ici), souvent peu connus (Lemercier de la Rivière, Boulanger, Lafiteau, Volney, de Brosses). Il est vraiment dommage que l’important appareil de notes ait été relégué en fin de volume, puisque cela oblige le lecteur à de fastidieux allers-retours pour vérifier le nom de l’auteur cité. L’A. a en tout cas raison de remonter jusqu’à Bayle, qui estimait en 1697 que les obstacles à un bon examen logent autant dans l’ignorance que dans la fausse science des préjugés (cf. p. 19). Quant à Rousseau, il occupe une place à part dans les lectures de l’ouvrage, dans la mesure où il s’oppose autant aux préjugés du vulgaire qu’à ceux des philosophes, contre lesquels il en appelle au bon sens de l’opinion publique.
Il nous faut ici regretter que Rousseau soit toujours abordé en contrepoint des différents auteurs cités, d’une façon qui ne rend pas toujours justice à la cohérence et à la singularité de sa philosophie. Il est vrai que le Genevois a souvent pris parti contre ses anciens amis philosophes (cf. p. 134), mais n’est-il pas, en cela, un champion des Lumières, les retournant contre elles-mêmes sans être réactionnaire pour autant ? Son ambivalence à l’égard des Lumières (cf. p. 211) fait partie des Lumières, décidément polysémiques.
À un autre niveau de lecture, on pourra estimer que l’aspect adversatif de la philosophie des Lumières est trop souvent répété, alors même que les penseurs des Lumières avaient aussi l’ambition de transmettre des connaissances aux hommes avec lesquels ils vivaient (cf. en ce sens le propos de Diderot cité p. 22). On jugera de même que le paradoxe conduisant les philosophes à faire penser l’autre par lui-même (p. 31) n’est pas spécifique aux Lumières, comme le sous-entend l’A., puisqu’il traverse toute la philosophie, au moins depuis Socrate. En revanche, on saura gré à l’A. de montrer que le philosophe des Lumières a parfois semblé remplacer le cléricalisme du prêtre par celui du philosophe.
L’intérêt de l’ouvrage, plus généralement, est de présenter une thèse forte, dont le fond comme la forme hérite pleinement des 249Lumières : tout l’enjeu de la manière de philosopher des Lumières est de faire de la pensée une militance, de secouer le joug de la docilité – raison pour laquelle on comprend que Nietzsche ait pu dédicacer Humain trop humain à Voltaire, paru l’année même du centenaire de sa mort (1878). Mais parce que la critique laisse souvent exsangue, il pourra sembler que la part sceptique des Lumières, dans certains écrits de Diderot par exemple (voir l’article « Pyrrhonienne ou sceptique [philosophie] » de l’Encyclopédie, cf. p. 50) et chez ce précurseur qu’est Pierre Bayle, demeure, elle aussi, d’actualité : la critique mise en œuvre par les Lumières doit être contrebalancée par la conscience de la faiblesse de nos arguments (quels qu’ils soient), dès lors que les hommes et les femmes n’agissent pas nécessairement en fonction de leurs convictions, même les plus rationnelles – ce dont Nietzsche, souvent présent dans ce texte, avait d’ailleurs bien conscience.
Daniel Frey
Philippe Chevallier, Être soi. Une introduction à Kierkegaard. Nouvelle édition revue et augmentée, Genève, Labor et Fides, 2020, 192 pages, ISBN 978-2-8309-1715-4, 18 €.
Une première version de ce livre était parue en 2011 aux Éditions François Bourin, dont nous avions rendu compte dans la RHPR (92, 2012, p. 316). Outre le changement d’éditeur et de sous-titre (d’Actualité de Søren Kierkegaard à Une introduction à Kierkegaard), cette nouvelle édition présente quelques ajouts bienvenus. Ce ne sont parfois que des changements mineurs : des intertitres modifiés ou intervertis dans le chapitre 1, une phrase ajoutée en p. 40 ou 69, quelques phrases en p. 77 ou 135, un mot en p. 106, des dates en p. 134, une ponctuation en p. 168. Plus utiles, en sus de la correction de la datation fautive en p. 18 (que nous avions signalée dans la recension susmentionnée), on peut relever quatre développements inédits.
Le premier (p. 41-45) concerne l’effacement du questionnement identitaire derrière l’exigence éthique ; le deuxième (p. 78), l’accomplissement d’une vie qui définit l’union conjugale ; le troisième (p. 156-159), le déplacement de la problématique de l’amour opéré par Kierkegaard, eu égard à sa compréhension sociologique ; 250et enfin, le quatrième (p. 175-177), en tension avec l’approche ricœurienne, l’impossibilité d’imputer l’agapè, en vertu du principe selon lequel l’amour « n’est pas moi » (p. 177).
Enrichi d’une bibliographie actualisée (p. 187-188), ce petit ouvrage demeure une excellente introduction à l’œuvre kierkegaardienne, à travers le prisme de l’identité personnelle. Ce biais permet en effet à la fois de balayer un certain nombre d’aspérités propres à la pensée du Danois, et d’en montrer l’actualité à l’heure de la promotion et de l’impératif hyperboliques du souci de soi. L’A. nous rappelle en effet que, pour Kierkegaard, la singularité irréductible de chacun ne se fonde que sur une parole extérieure, à moi seul adressée, et qui m’arrache précisément au souci de moi.
En ce sens, le livre honore pleinement aussi bien le projet porté par son ancien sous-titre que celui signifié par le nouveau : initiation fort éclairante et actualisation non moins stimulante.
Frédéric Rognon
Gilles Marmasse, Roberta Picardi (dir.), Ricœur et la pensée allemande. De Kant à Dilthey, Paris, CNRS Éditions, 2019, 297 pages, ISBN 978-2-271-08951-9, 25 €.
Le présent ouvrage, issu d’un colloque international, se saisit d’une question qui intéressera vivement les lecteurs de Ricœur et, plus généralement, tous les lecteurs de philosophie : comment les philosophes se lisent-ils entre eux ? Même les moins bien intentionnés de ses interprètes ont reconnu à Ricœur des talents de pédagogue hors pair. C’est lui qui a introduit les lecteurs français à des auteurs aussi divers qu’Husserl, dont il a traduit les Ideen, Arendt (préface à Condition de l’homme moderne), Nabert (préface à l’Essai sur le mal), Bultmann (préface à la traduction de son Jésus), et bien d’autres : la liste est si longue qu’il est opportun, comme l’ont fait Gilles Marmasse et Roberta Picardi, de délimiter un champ précis – ici, le choix a porté sur la pensée allemande. Et même là, il a fallu se limiter à des études spécifiques, sur le rapport de Ricœur à Kant, Hegel, Schelling, Marx, Nietzsche, Schleiermacher et Dilthey. Aucun penseur du xxe siècle par conséquent, mais il est vrai, comme l’expliquent les Éd., que le segment couvrant le xviiie et le xixe revêt une importance particulière pour la réflexion phénoménologico-herméneutique de Ricœur.
251C’est avec justesse que les Éd. cherchent à démêler « la complexité, souvent cachée et minimisée par Ricœur lui-même, des déplacements et des torsions qui sous-tendent l’appropriation créatrice dont la pensée ricœurienne se nourrit » (p. 11). On n’aura pas de peine à accorder à Michaël Fœssel que « le Kant de Ricœur est hérétique » et qu’il y a « chez Ricœur un “libre jeu” avec Kant : il en retient d’abord ce qui lui est nécessaire et se réfère à l’œuvre sans se préoccuper toujours de la méthode et de son contexte historique » (« Les deux voies du schématisme. Ricœur et le problème de l’imagination transcendantale », p. 82). Sans oublier les autres contributions, on signalera ici à l’intérêt du lecteur celles des Éd., consacrées aux lectures hégéliennes de Ricœur, l’étude de Jean-Claude Monod portant sur les trois figures de pensée nietzschéenne chez Ricœur (« Interprétation, destruction, thérapie »), et enfin celle de Johann Michel sur Dilthey chez Ricœur.
Il est d’autant plus regrettable que ce volume de qualité n’ait pas fait l’objet, de la part de l’éditeur commercial, des soins qu’il méritait : on déplore de nombreuses coquilles (« Métahore vive », p. 94 ; « dissymmétrie », p. 161, etc.) inacceptables chez un éditeur sérieux – même si, hélas, elles sont de plus en plus fréquentes dans la production actuelle.
Daniel Frey
Bernard Charbonneau, L’État. Préface [de] Daniel Cérézuelle, Paris, R&N, coll. « Du rouge et du noir », 2020, 552 pages, ISBN 979-10-96562-18-3, 30 €.
Rédigé à la fin de la Seconde Guerre mondiale et juste après, diffusé une première fois sous une version ronéotypée à compte d’auteur en 1949, publié en 1987, épuisé depuis longtemps, le maître-ouvrage de Bernard Charbonneau est enfin réédité. Si un certain nombre d’exemples restent liés à l’époque de la rédaction, parfois actualisés par des notes infrapaginales lors de la première édition, l’essentiel de cette somme s’avère d’une surprenante actualité. Ni traité académique, ni essai purement subjectif, il s’agit d’un livre inclassable, qui associe exposé historique, analyse critique et envolées lyriques. La lecture en est exigeante, non seulement en raison de l’épaisseur du volume, mais surtout de 252son style : les phrases sont ciselées, les allusions plus ou moins elliptiques sont nombreuses, les références à des personnages, des lieux ou des événements supposent que le lecteur en sache autant que l’A. – il y a très peu de notes, l’éditeur en ayant ajouté quelques-unes. Et cependant, l’aventure qui nous est proposée, menée avec un souffle inégalé, est captivante et on ne peut plus corrosive.
L’A. montre, avec une somme pléthorique de données, comment l’État s’est constitué et s’est peu à peu octroyé une ampleur et une puissance démesurée. Suivant sa propre logique interne, il assoit au fil du temps ses prétentions totalitaires. L’A. établit notamment que l’État libéral prépare les conditions du totalitarisme, en rendant les citoyens de plus en plus passifs et en légitimant la guerre, y compris la guerre totale. De longs développements sont consacrés à la Révolution française, au xixe siècle, et surtout aux deux Guerres mondiales et aux dictatures nazie et soviétique. Le fil rouge de l’ouvrage, bien mis en exergue par Daniel Cérézuelle dans sa lumineuse préface, tient en ceci : si les évolutions de l’État vers une emprise toujours accrue sur la totalité de la vie des hommes répondent aux nécessités de sa nature, cette histoire funeste n’est pas l’effet de « la force des choses », mais d’une série de démissions. Et l’A. de faire l’inventaire de ces renoncements à l’exigeante liberté. Ce point laisse néanmoins sourdre une lueur d’espérance : la force de l’esprit peut toujours se ressaisir face à la nécessité. Mais l’A. se garde bien d’exposer des solutions pour conjurer la tragédie à venir : céder à une telle tentation serait contradictoire avec son appel à la liberté. L’issue se situe chez le lecteur : « La condition nécessaire d’une victoire de l’homme sur la fatalité politique […], c’est d’être. L’État ne se développe que là où nous ne sommes pas pour nous dispenser, légitimement ou illégitimement, de l’effort » (p. 527).
L’ouvrage de Bernard Charbonneau ne présente pas seulement un intérêt pour lui-même : il permet aussi de mieux saisir les ressorts de la trajectoire intellectuelle de son grand ami Jacques Ellul, avec lequel il a été en dialogue plus de soixante années durant. L’État comprend de nombreuses intuitions qui seront par la suite développées par Jacques Ellul (vérité et réalité, propagande, technicisation de la politique, anarchisme pessimiste quant à la nature humaine) et il s’avère également le plus « chrétien » des livres de l’agnostique Charbonneau : les références scripturaires implicites 253sont légion, et le christianisme est ici toujours abordé en bonne part. Nul doute que ce texte est l’un des fruits de la mutuelle fécondation intellectuelle entre les deux amis.
Frédéric Rognon
Olivier Abel, Le vertige de l’Europe, Genève, Labor et Fides, 2019, 179 pages, ISBN 978-2-8309-1689-8, 18 €.
Trente ans après sa publication de La justification de l’Europe (Labor et Fides, 1992), l’A. se propose dans ce petit livre de repenser l’Europe face au vertige actuel, fait d’affaissement de ses promesses et même d’autodestruction : en trois décennies, nous sommes passés d’une utopie ouverte à une posture défensive mortifère. L’A. n’hésite pas, en effet, devant le registre de la dramatisation et l’emphase de l’avertissement : malade de sa « solitude volontaire » (p. 24 : heureuse formule inspirée de la « servitude volontaire » de La Boétie), écartelée entre son projet technocratico-libéral et son exclusivisme identitaire purifié de toute altérité, l’Europe court à sa perte. Nous avons évidé notre « noyau éthico-mythique » (selon l’expression de Paul Ricœur) et sommes donc voués au choc des incultures. Et notamment, « l’Europe ne cesse de scier le christianisme sur lequel elle est assise » (p. 33) : la contribution de l’A. au débat sur les racines chrétiennes de l’Europe consiste à pointer la tension entre une religion sans foi (l’identité chrétienne sécularisée) et une foi sans culture (les néochristianismes). Mais son apport essentiel vise à rappeler la pluralité des sources européennes et la dialectique entre ses diverses traditions. Le mythe du rapt fondateur d’Europe (fille du roi de Tyr) indique déjà qu’un écart à soi-même est constitutif de l’identité européenne. L’A. fait ensuite l’inventaire de ses traditions entrecroisées, soulignant que c’est à la fois « sa fragilité et sa force » (p. 55). Aussi emprunte-t-il à Paul Ricœur son plaidoyer en faveur d’une hospitalité narrative des mémoires de l’Europe les unes envers les autres. L’Europe ne s’est pas constituée en neutralisant les traditions, mais « en les critiquant, c’est-à-dire en attisant leur différentiel » (p. 58). C’est ce fructueux conflit des morales (entre Socrate et Jésus, Aristote et Kant, le souci de soi et l’insouci de soi, le courage critique et le pardon chrétien, le libéralisme et le socialisme…) qui a été constitutif de l’ethos européen.
254L’A. décline ensuite les différentes dimensions de la mise à mal de cet ethos dialectique. La fécondité des conflits a laissé la place à la destructivité des guerres. L’Europe n’a cessé d’être dangereusement arrogante envers ses voisins : la Russie, la rive Sud de la Méditerranée, l’Afrique, la Turquie – l’A. plaide en faveur de l’intégration de cette dernière (p. 105-110). Et la honte de l’Europe est aujourd’hui de s’entourer de régimes forts (du Maroc à l’Égypte et à la Turquie) pour tenir ses frontières contre les vagues migratoires et l’islamisme : afin de se maintenir en « démocratie », elle sous-traite donc sa sécurité à sa périphérie. L’A. voit là à la fois l’illustration de la parabole hégélienne du maître et de l’esclave – l’Europe se rend dépendante de ses vassaux – et le renversement de la métaphore de l’oignon chez Hannah Arendt : à l’inverse du système totalitaire, l’Europe assure la douceur de son noyau par la rudesse de ses marges. C’est pourquoi il invite son lecteur à repenser l’Europe à partir de ses frontières vives, afin de reconstituer un « monde commun ».
Plutôt qu’un « effondrement », l’A. veut croire à un « éboulement » de nos standards de vie : la fin d’un monde (et non la fin du monde) qui se maintient néanmoins sur son terreau. Il ne s’agit pas de faire table rase, mais de réorienter nos fondements et de remettre au centre de la communauté un principe d’interrogation infini, qui est le pouvoir partagé de questionner. L’« identité narrative » (autre emprunt à Ricœur) n’a jamais été close : celle de l’Europe se doit d’être un récit enchevêtré dans d’autres récits ; son identité est donc différentielle, « feuilletée, plurielle, inachevée » (p. 134). Or, selon l’A., le point de départ de tout recommencement est la gratitude devant cet héritage bigarré, qui détermine une responsabilité, ainsi que le désir d’exister en se déprotégeant. Il s’agit ensuite de trouver une forme de lien social et de modèle politique et économique qui autoriserait une réelle pluralité d’appartenances possibles, mue par le désir de « différer ensemble » (p. 152-153). Et l’A. de se référer, en conclusion, aux intuitions de Paul Ricœur énoncées dès 1961 : « Pour rencontrer un autre que soi, il faut avoir un soi » (p. 174), tout en reconnaissant en même temps qu’« autrui est le plus court chemin de soi à soi » (p. 177).
On pourra ne pas être convaincu par certaines des propositions de l’A. : celle de relancer la natalité pour supporter l’immigration (tout en prônant par ailleurs un mode de vie écologiquement soutenable) ou celle d’appliquer aux musulmans d’Europe rattachés à un autre 255pays le traitement que ce pays applique aux non-musulmans (p. 146-148). Il n’empêche que cet essai s’impose comme une contribution revigorante par la justesse de son diagnostic comme par son audace iconoclaste. On ne peut qu’en recommander la lecture à tous ceux qui se sentent concernés par les interrogations contemporaines sur l’identité et le destin du vieux continent.
Frédéric Rognon
Uwe Justus Wenzel, L’audace de la folie. Réponses chrétiennes – questions philosophiques. Traduit de l’allemand par Isabelle Wienand, Genève, Labor et Fides, 2019, 112 pages, ISBN 978-2-8309-1699-7, 17 €.
Ce petit livre, d’un accès très aisé, traite de redoutables questions philosophiques et théologiques. Il s’agit d’une compilation de quinze éditoriaux publiés dans le grand quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung(NZZ), entre 2006 et 2017, aux alentours des fêtes de Noël et de Pâques. L’A. est rédacteur en chef de la rubrique des sciences humaines de ce même journal.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture rapide du sous-titre (y compris par une prise en compte de l’inversion chronologique entre questions et réponses), le propos de cet ouvrage n’est nullement d’offrir des solutions chrétiennes aux interrogations philosophiques : théologie et philosophie s’emparent l’une comme l’autre de questions ultimes, et balbutient toutes deux des pistes de réflexion ; il s’agit donc ici de conjuguer croire et penser. Ainsi, par exemple, l’espérance peut être considérée comme une catégorie philosophique autant que théologique, et le fait « que le retour promis se fasse attendre met la foi à l’épreuve et épuise la pensée » (p. 33).
Se référant aussi bien à Nietzsche, Hegel ou Kant, qu’à saint Augustin ou (surtout) Karl Barth, l’A. décline diverses dimensions de la dialectique entre foi et raison, sagesse et folie, autour des thématiques afférentes à la Nativité et au mystère pascal. Comment concilier, dans le contexte contemporain sécularisé, le commerce de Noël et la gratuité du don divin ? Lorsque Noël se trouve globalisé et neutralisé par l’interculturel, c’est la gratitude qui peut s’exprimer à cette occasion, comme l’un des piliers décisifs de 256toute société (selon Georg Simmel) : offrir est un remerciement exprimé à autrui pour le simple fait de son existence, et exprimé ultimement à Dieu pour ma propre existence. La paix de Noël et la paix du monde n’en demeureront pas moins toujours en tension.
Quel sens peut avoir la Croix dans un univers postchrétien ? Symbole omniprésent, devrait-elle, pour retrouver la vigueur scandaleuse de sa signification, être remplacée par la chaise électrique… ? Elle devrait néanmoins faire signe vers la fin de tout sacrifice et la mort de l’expiation, que paradoxalement nous continuons à tant affectionner. Quant à la folie de la résurrection, elle nous invite à nous demander pourquoi nous tenons à représenter, à l’instar du Caravage dont le tableau figure sur la jaquette de l’ouvrage, le doigt dans la plaie du crucifié : est-ce du fait de notre irrépressible aspiration à voir, alors même que le ressuscité a libéré Thomas de son entêtement anxieux à asseoir ses sécurités rationnelles ?
Après avoir mis en tension résurrection et métempsychose (et interrogé le succès contemporain de cette dernière), puis évoqué cette question philosophique par excellence qu’est celle de la vérité (que la figure de Pilate maintient par bonheur ouverte, y compris pour les croyants), l’A. clôt son parcours sur le motif de la folie. Les questions « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » et « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » réduisent tout autant l’une que l’autre toutes les sagesses du monde à une folie, alors même que l’audace de la foi est aux yeux du monde l’audace de la folie.
Ce livre intéressera tout lecteur soucieux de penser la foi et lui donnera la double occasion de donner des raisons à sa propre raison et finalement de se penser lui-même.
Frédéric Rognon
Olivier Abel, Christophe Singer (dir.), Violence et monothéisme. Des chrétiens interrogent leur tradition, Lyon, Olivétan, 2019, 110 pages, ISBN 978-2-35479-414-9, 14 €.
On ne compte plus les livres consacrés aux rapports entre violence et religion. Celui-ci a ceci de particulier qu’il est un collectif interdisciplinaire de théologiens protestants qui interrogent les modalités d’expression de la violence au sein de leur propre tradition. Il s’agit des actes d’un cours public donné à la Faculté de Théologie de Montpellier lors du semestre d’hiver 2015. Comme 257l’expliquent les deux directeurs de l’ouvrage dans leur introduction, tous les auteurs partent des principes suivants : la violence est une caractéristique structurante de l’existence humaine ; le religieux est intimement lié à la question de la violence (la religion n’étant ni violente en soi, ni sans lien avec la violence) ; et cette question ne se résout pas par l’exhortation morale (si tant est qu’elle puisse être résolue).
Dans un premier chapitre, à teneur philosophique, Olivier Abel cherche à démêler l’entrelacement des différentes sources de la violence au sein du monothéisme : l’unicité de la vérité, l’iconoclasme, la dissimulation de la domination, mais aussi la haine de soi (la projection vers les autres de son vieil homme honni). Le monothéisme a une capacité à justifier et à amplifier la violence, sinon à la susciter. Les garde-fous contre la violence pourraient se chercher dans l’attachement aux compromis qui maintiennent les désaccords (ce dont le canon constitue un modèle) et dans l’amour des ennemis (qui consiste à comprendre qu’eux aussi désirent encore la vie).
André Gounelle cherche à son tour à discerner des facteurs de violence religieuse : la globalisation qui fait coexister des croyants, dont chacun considère ses valeurs comme universelles (la violence peut alors être conjurée par le dialogue orienté vers un « consensus de chevauchements », p. 36) ; l’intolérance produite par le refoulement des doutes, lorsque la foi est prise pour un savoir plutôt que pour un risque (il importe donc de rappeler que Dieu seul est Dieu, et que la religion n’a pas à se substituer à lui : « On lutte contre la violence en donnant à la religion sa juste place », p. 38) ; les « versets sataniques » de la Bible qui parlent d’un Dieu cruel (il ne s’agit pas de les ignorer ni de les supprimer, mais de les mettre en tension avec ceux qui les dénoncent) ; enfin, l’exclusivisme de l’alliance ou l’universalisme nivelant de la création (le croyant est invité à les vivre dans une tension conflictuelle, chaque pôle corrigeant l’autre).
Dany Noquet analyse ensuite, au chapitre 19 du livre des Juges, un récit particulièrement cruel, qui met en scène le viol collectif, le meurtre puis le dépeçage de la concubine d’un lévite. En écho à Gn 19, ce récit cru d’une violence inouïe vise, selon l’exégète, à susciter du dégoût chez le lecteur, afin qu’il cesse d’idéaliser le passé pré-monarchique et qu’il invente un présent davantage à l’écoute de la parole de Dieu.
L’exégète François Vouga soutient la thèse d’un refus du monothéisme dans les textes évangéliques : ce qu’il appelle « monothéisme 258pratique », « pensée unique » ou consensus, se trouve en effet contesté par l’exhortation récurrente au choix du Dieu de Jésus-Christ contre les dieux qui peuplent le ciel et la terre (Mammon, l’idéologie impériale…). Les évangiles se caractérisent donc par la mise en cause des monothéismes qui s’imposent par la violence.
L’historien Gilles Vidal étudie les théocraties missionnaires (les « missiocraties ») dans l’océan Pacifique au xixe siècle : en légiférant par la promulgation de nouveaux codes de loi, les « missiocrates » et les monarques indigènes ont tenté de prévenir et de canaliser la violence ; mais, ce faisant, ils ont généré un autre type de violence, qui contraint les corps et les âmes. Le rapport entre pouvoir missionnaire et violence est donc fait d’ambivalence. Si le chapitre précédent abordait peu la question de la violence, celui-ci ne traite quasiment pas celle du monothéisme.
Enfin, le psychanalyste et éthicien Jean-Daniel Causse s’interroge sur les relations entre la violence et le principe de la trinité. Paradoxalement, le monothéisme est une pensée du deux (par la séparation qu’il établit entre Dieu et le monde), là où le polythéisme est une pensée de l’Un. Mais, dans le monothéisme trinitaire qu’est le christianisme, l’Un est reconfiguré en fonction du trois. Dans une perspective lacanienne, la trinité est une structure du manque, elle est donc l’envers d’une totalisation. Si la violence religieuse est une capture du nom de Dieu, la riposte trinitaire consiste à rendre chacun des noms divins manquants : ainsi, il reste toujours un deus absconditus car, de la part de Dieu, tout ne se révèle pas. Les rapports entre violence et monothéisme s’en trouvent foncièrement renouvelés.
On mesure tout l’intérêt de ce petit livre qui, loin d’être une redite de celui de Jan Assmann ou de ceux d’autres chercheurs, explore de nouveaux champs et se singularise par son caractère novateur.
Frédéric Rognon
259THÉOLOGIE SYSTÉMATIQUE
Éthique
Serge Latouche, Comment réenchanter le monde. La décroissance et le sacré, Paris, Payot et Rivages, coll. « Bibliothèque Rivages », 2019, 136 pages, ISBN 978-2-7436-4644-8, 12 €.
Après avoir indiqué dans un précédent ouvrage comment Décoloniser l’imaginaire (Parangon, 2011), l’économiste Serge Latouche, l’une des figures majeures du courant de la décroissance, cherche à montrer dans cet essai qu’il importe aussi, dans le même mouvement, de « réenchanter le monde ».
La première partie est cependant à nouveau consacrée à déconstruire et à démystifier l’idéologie de la croissance économique, et même celle de l’économie en tant que science, que l’A. n’hésite pas à considérer comme de véritables religions analogiques ; mais il s’agit à ses yeux de religions sans spiritualité, puisqu’elles ont désenchanté le monde.
La deuxième partie, intitulée « Croyance et décroissance », commence par une vive critique de l’encyclique Caritas in Veritate du pape Benoît XVI (2009), dans laquelle l’A. voit une caution religieuse du développement effréné qui est le principal vecteur de la crise écologique. Celui-ci salue ensuite la rupture instaurée par l’encyclique Laudato Si’ du pape François (2015), mais estime que son audace reste limitée, loin de la radicalité sans faille d’un Ivan Illich.
Enfin, l’A. aborde dans son dernier chapitre (p. 105-123) la problématique annoncée dans le titre : pourquoi et comment le cheminement menant vers une société de décroissance se devra d’accomplir un certain réenchantement. Cela tient au fait qu’une argumentation rationnelle ne suffira pas à convaincre ni à combler les êtres sensibles, de chair, de sang et de passions que nous sommes. Toutefois, réenchanter ne signifie pas reconstituer une nouvelle religion ni une mythologie, mais restaurer notre capacité d’émerveillement devant la beauté du monde : ce que l’A. qualifie de « spiritualité laïque » (p. 9) ou de « sagesse » (p. 114), sans révélation « de l’au-delà » (p. 116). La poésie, l’esthétique, l’utopie concrète ouvrent la voie vers la « transcendance immanente » (p. 121) : celle qui permet de 260voir la réalité du monde sous un autre jour, et de délivrer ainsi un sens inédit.
À la lecture de ce petit ouvrage, on pourra ne pas être convaincu par la tension éculée entre « religion » et « spiritualité », qui occulte la dialectique pourtant irréfragable entre ces deux pôles ; on pourra corriger certaines affirmations rapides ou informations erronées (les communautés de l’Arche se revendiquent de la théosophie de Rudolf Steiner : p. 52 ; les dieux des religions ont réponse à tout : p. 114 ; les sociétés primitives ne croient pas à leurs mythes : p. 114). On ne saurait néanmoins contester la vigueur corrosive de cet essai, qui contribue au débat sur les dimensions imaginaires et symboliques du projet politique de décroissance.
Frédéric Rognon
Olivier Pigeaud, Vivre à l’image de Dieu. Une dignité ? une responsabilité ?, Bière (CH), Éditions Cabédita, coll. « Parole en liberté », 2019, 93 pages, ISBN 978-2-88295-839-6, CHF 22.
Olivier Pigeaud, pasteur et théologien réformé, a depuis toujours le souci de mettre la réflexion théologique à la portée de tous, et c’est ce qu’il veut favoriser à travers des ouvrages faciles à lire, très ancrés dans un travail biblique et ouvrant des pistes pour le quotidien. Ce projet de vulgarisation théologique correspond bien à celui de la maison d’édition Cabédita – qui a pris la suite des Éditions du Moulin – avec sa collection « Parole en liberté », dirigée par Daniel Marguerat.
« Dieu a créé l’homme à son image » : la formule du premier récit de création, bien que peu reprise dans le corpus biblique, joue un rôle important dans la pensée théologique, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui. Comment comprendre cette affirmation, que dit-elle de Dieu, que dit-elle des humains et quelles conséquences éthiques et existentielles peut-elle avoir ? Tels sont les questionnements qui guident la démarche de l’A. Dans une première moitié de son ouvrage, l’A. parcourt les textes bibliques où l’humain est présenté comme image de Dieu, aussi bien dans l’AT que dans les écrits néotestamentaires. Puis il consacre un court chapitre synthétique à l’usage de cette notion chez quelques grands théologiens au cours de siècles, avant de proposer une réflexion plus personnelle, à la fois éthique et existentielle.
261Le chapitre consacré à l’AT est peut-être l’un des plus riches. L’A. souligne ainsi l’écart avec les représentations ambiantes ; l’humain y est généralement compris comme soumis à la nature elle-même divinisée, tandis que, « pour l’auteur de Genèse 1, l’être humain a la fonction des divinités du Proche-Orient dominant la nature » (p. 15-16). Et le fait que cet attribut d’image de Dieu concerne tous les humains et pas seulement le roi est en soi-même révolutionnaire. L’interdiction du meurtre (Gn 9,6) est pour lui la conséquence directe de cette compréhension de l’humain comme image de Dieu.
Concernant le NT, l’A. souligne la proximité qui apparaît dans les lettres de Paul et de ses disciples entre les concepts d’« image » et de « gloire ». Après avoir évoqué quelques textes dans lesquels le qualificatif d’image de Dieu est donné à tout homme – ou au moins à tout chrétien –, il s’arrête sur les textes où cette appellation concerne particulièrement Jésus et sur ceux où les chrétiens sont présentés comme images du Christ.
En conclusion de la partie biblique, il souligne en particulier la double orientation (que l’on trouve dans le NT et pas dans l’AT) de cette notion : le renvoi à la création, qui pose que tout humain est image de Dieu, et à l’eschaton, dans lequel l’humain sera pleinement image de Dieu.
C’est un parcours théologique que l’A. propose ensuite, conduisant des Pères de l’Église jusqu’à Jürgen Moltmann, qui privilégie les théologiens protestants. Chez Thomas d’Aquin, il voit une gradation entre « le caractère imparfait de l’image de Dieu qu’est l’homme » (p. 57) et « l’image incréée parfaite de Dieu » (p. 56) qu’est, seul, le Christ. Luther est plus pessimiste, qui estime que, par le péché, l’humain « a perdu tant la ressemblance que l’image » (cité p. 59), même si celles-ci peuvent être restaurées petit à petit dans la foi. Calvin, quant à lui, souligne particulièrement que « les autres sont images de Dieu [et que] nous leur devons donc “honneur et dilection” » (p. 60). Avec les théologiens du xxe siècle, l’A. insiste sur « le caractère relationnel du lien ainsi exprimé entre Dieu et nous » (p. 65) et sur « l’appel à aller de l’avant » (p. 65) pour que cette image de Dieu soit affermie en l’humain, dans la communion avec Jésus-Christ.
Le dernier chapitre est donc l’occasion, pour l’A., d’avancer des réflexions plus personnelles, structurées selon les trois vertus théologales présentées sous forme d’infinitifs : croire, espérer, 262aimer. En termes de foi, la notion d’image de Dieu le conduit à affirmer que, « de même que l’être humain est dépendant, de même Dieu veut être dépendant de nous » (p. 69) ; mais aussi que l’être humain a, comme Dieu, une fonction créatrice. Derrière l’infinitif « espérer », l’A. mentionne la démarche de sanctification qui permet de perfectionner l’image de Dieu en nous, dans l’attente d’une manifestation pleine de cette image, « en relation avec la manifestation totale et définitive de Dieu » (p. 75). « Aimer, comme Dieu aime », c’est être images de Dieu pour les autres, dans notre façon de gérer la création comme dans nos relations avec les autres, mais c’est aussi regarder les autres, tous les autres y compris les plus petits et les plus méprisés, comme des images de Dieu – sans oublier la part de mystère qui demeure toujours, en Dieu et en chaque être humain.
La thématique de l’humain comme image de Dieu est à rapprocher, estime l’A., des notions – plus présentes dans la Bible – de service et de filialité. Et elle est à maintenir en tension avec l’idée d’une alliance dans laquelle subsiste de la différence, pour que jamais les humains ne se prennent pour des dieux.
Ce petit ouvrage, qui est complété par une courte bibliographie, constitue un bon support à la réflexion de quiconque souhaite s’approprier ce concept d’image de Dieu, pour être davantage « témoin du Dieu dont il est l’image et serviteur du prochain lui aussi image de Dieu » (p. 89).
Isabelle Grellier
Cathy Leblanc, Jean-François Petit, Fred Poché (dir.), La condition des « nomades ». De l’internement à la question de l’hospitalité, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Chemins d’éthique », 2020, 139 pages, ISBN 978-2-86820-755-5, 20 €.
Les communautés nomades en Europe (qu’on les appelle tziganes, sinti, yéniches, roms, bohémiens, romanichels, gens du voyage ou voyageurs) constituent l’angle mort de la conscience européenne. Considérés comme indésirables non pour ce qu’ils ont fait mais pour ce qu’ils sont (et pour leur mode de vie), victimes de stéréotypes vivaces (« voleurs de poules »), de discriminations, d’exclusions, puis, aux heures sombres du siècle dernier, d’internement, de déportation 263et d’extermination, les nomades nous renvoient à nous-mêmes et à notre difficulté à accueillir l’altérité.
Ce petit livre collectif, issu d’un colloque, a été rédigé par Jean-François Petit, Dominique Raimbourg, Virginie Daudin, Renato Boccali, Cathy Leblanc, Monique Heddebaut, Dominique Durand, Călin Săplăcan, Bernard Grasset, Fred Poché et Vincent Laquais. Il nous offre, en onze courts chapitres, de riches informations et de stimulantes réflexions. Il rend compte des logiques de stigmatisation et de destruction d’un peuple en en cherchant les racines historiques. La construction des théories racialistes au xixe siècle et les massacres des Héréros de Namibie en 1904-1905 auxquels elles servent de légitimation scientifique, constituent le schéma des génocides à venir, mais aussi la systématisation du contrôle des Tziganes sous la République de Weimar. Plusieurs témoignages évoquent alors le Porajmos (« la Shoah des Sinti »), leur livraison à l’Allemagne nazie et la vie dans les camps : 100 000 d’entre eux auraient ainsi disparu (p. 50, mais, dès la p. 51, il est question d’une estimation de 200 à 500 000, sur les 700 000 qui vivaient en Europe). En France, 6 500 nomades seront internés dans une trentaine de camps, entre 1940 et 1946. Cette politique arbitraire est ici déconstruite, avant que soient analysés les problèmes liés à la patrimonialisation d’un lieu de mémoire, en l’occurrence les vestiges du camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire). La mémoire est alors interrogée, en tension avec l’histoire : l’oubli de ce génocide se greffe sur la marginalisation des Tziganes dans l’histoire européenne, tandis que les nomades eux-mêmes entretiennent un rapport au passé différent de celui des sédentaires, à la fois culturellement marqué et de teneur traumatique. L’un des intérêts de cet ouvrage est d’aborder la question des résistances aux persécutions, tant internes qu’externes à la communauté. On regrettera néanmoins que, à ce sujet, la rigueur académique des autres chapitres cède le pas à un lyrisme hagiographique, pour évoquer l’engagement dans la résistance spirituelle du chanoine Georges Duret et du Père Jean Fleury (ces deux amis des nomades ayant su les « ouvrir ainsi à ce salut dont parle l’Écriture », p. 91). Enfin, le volume se termine avec des reprises philosophiques, inspirées des pensées d’Emmanuel Levinas et de René Schérer, à partir des notions de « nomadisme » et d’« hospitalité ». Dès lors que l’humain est un « être-à-l’espace » (Fred Poché, p. 96), quelle place pouvons-nous réserver à la différence dans une société démocratique si la sédentarité s’impose 264comme la norme ? Comment produire du commun sans enfermer l’autre dans la mêmeté ? Une éthique de l’espace se doit de se décliner en éthique de la rencontre. Car « l’hospitalité sommeille au meilleur de nous-mêmes. Il ne nous appartient que d’essayer de la réveiller » (Jean-François Petit, p. 132).
On saisit toute la pertinence de cet ouvrage, qui ne se contente pas de combler un vide laissé par l’historiographie du xxe siècle et ainsi de réparer une injustice, mais qui croise les regards disciplinaires pour conduire le lecteur à une conscience élargie de sa propre condition.
Frédéric Rognon
Rémy Hebding, Face à la souffrance. Un drame personnel, Paris, Salvator, coll. « Forum », 2019, 191 pages, ISBN 978-2-7067-1856-4, 20 €.
C’est la souffrance physique qui est au cœur de cet ouvrage, mais l’A. montre bien qu’elle est toujours cause d’une autre souffrance, d’ordre moral, ne serait-ce qu’en raison de la part d’incommunicabilité que la souffrance physique recèle toujours.
Toujours la souffrance repose la question : pourquoi ? pourquoi moi ? À cette question, l’Église a trop souvent voulu « apporter des réponses définitives dans le but de combler rapidement la brèche entreouverte (sic) » (p. 6). L’A. s’élève contre ces réponses, qui tendent à justifier la souffrance en lui donnant un sens, et il récuse même que l’on puisse donner une réponse.
Dans le premier chapitre, « La souffrance : un drame personnel », l’A. trouve des mots sensibles pour dire la façon dont la souffrance pénètre par effraction dans le corps, y exerçant un effet ravageur ; mais elle ne s’arrête pas là : elle investit la personne dans sa totalité, la dépouillant de tous les masques dont nous usons au quotidien – ce qui constitue, « en quelque sorte, la vertu du cheminement avec la souffrance », note-t-il. Avec Karl Jaspers, il souligne que l’extrême souffrance est « comme un mur contre lequel nous nous cognons » (p. 20), mettant au jour « la finitude humaine de tout être aspirant à l’infini et pourtant voué au fini » (p. 22). Il y a là comme une ouverture vers la transcendance, mais il faut se garder des commentaires théologiques qui viennent « assigner au divin le rôle 265de bouche-trou de l’ignorance concernant le sens de la souffrance » (p. 25). Rien n’étant pire que de souffrir dans le vide, la tentation existe pour le souffrant de se réfugier dans un statut de victime. Avec Rousseau, l’A. souligne aussi l’ambiguïté de la compassion : « se mettant, pour un temps seulement, à la place de celui qui est en état de souffrance, on se rassure de ne pas subir l’épreuve qu’il traverse » (p. 39), quand le souffrant, lui, ne peut échapper à son sort. La question du pourquoi est alors centrale, « comme si la souffrance était appelée à être plus supportable en devenant moins absurde » (p. 40-41). Écartant la réponse stoïcienne et la théodicée de Leibniz, qui ne sauraient satisfaire l’individu qui souffre, l’A. s’arrête sur le combat de Job, qui « en appelle à Dieu contre Dieu » (p. 49, citation de Roland de Pury), en récusant l’idée que la souffrance est le châtiment d’une faute ; idée que Jésus réfute lui aussi dans plusieurs récits des évangiles. Pour Jésus, estime l’A., la souffrance ne saurait être non plus une façon de « parfaire la mission expiatrice de Jésus » (p. 63) ni « un baiser de Jésus » (ibid., citation de Mère Teresa) ; elle est « un mal à combattre » (p. 64).
L’A. revient dans la deuxième partie, « Le grand évitement », sur ces explications et valorisations de la souffrance qu’il refuse. Rappelant d’abord que la Bible n’occulte jamais la souffrance, ne montrant au contraire pas « la moindre complaisance pour en réduire l’aspect malséant ou choquant » (p. 69), il affirme « notre inaptitude humaine à en dévoiler le secret » (p. 71). Inaptitude qui nous renvoie à notre aspiration à la transcendance et à la réalité de l’échec auquel nous sommes voués. Il examine alors certaines des tentatives développées dans le christianisme pour donner un sens à la souffrance, en particulier l’expérience mystique qui vise la fusion avec Dieu ; fusion qui passe par le dépouillement absolu de l’âme dans la nuit obscure. La souffrance peut être alors vécue comme un « chemin de rencontre avec le Christ » (p. 79) et devenir un objet de vénération ; cette valorisation de la souffrance peut conduire à la rechercher, dans le but de « répondre au sacrifice du Christ par des actes tout aussi exemplaires » (p. 84). L’A. s’appuie là sur l’expérience de Jean de la Croix, celle de Catherine de Sienne et sur l’Imitation de Jésus-Christ, laquelle représente, dit-il, une « conjonction entre une morale ascétique et mystique et les thèmes propres au stoïcisme antique » (p. 90) ; pour le stoïcisme, il faut en effet adhérer à l’ordre du monde, sans se laisser émouvoir par la souffrance, thème présent aussi dans le bouddhisme. Revenant 266à la tradition chrétienne, l’A. explore la pensée de Frère Irénée, atteint de la maladie de Charcot, qui vit la souffrance comme une ouverture spirituelle, puis celle d’Etty Hillesum, qui s’abstrait du monde tragique dans lequel elle vit pour privilégier sa quête spirituelle, convertissant même « le malheur en source de contentement » (p. 103). Il critique fortement cette attitude qui ne laisse pas place à la réflexion éthique ; c’est pour lui une façon de « pactiser avec le mal » (p. 103).
Dans la troisième partie, « Faire face à la souffrance », l’A. revient sur les récits de martyres qui font de la foi un antidote non seulement à la peur mais aussi, souvent, à la souffrance elle-même ; et il cite Suso (dominicain du xive siècle) qui va jusqu’à trouver une certaine volupté dans la participation aux souffrances du Christ. Attitude qu’il met en tension avec la pensée de Paul pour qui connaître le Christ passe d’abord par « la connaissance de “la puissance de sa résurrection” » (p. 122). Il s’appuie alors sur Alexandre Jollien pour refuser l’idée que la souffrance grandirait. Et il interroge la différence, bien ténue à son sens, entre se résigner à la souffrance et l’accepter en l’assumant. Aux récits la magnifiant, aux tentatives d’évasion religieuse qui ne peuvent satisfaire ceux qui souffrent, il oppose l’attitude de Jésus qui guérit l’aveugle-né (Jn 9) sans hésiter à bousculer les représentations traditionnelles liant maladie et péché. Évoquant les annonces par Jésus de sa passion, il affirme – la démonstration reste malheureusement trop rapide – que Jésus intègre la souffrance dans sa compréhension de sa mission, mais sans lui donner un caractère salvifique ou sacré. Et il voit dans la parabole du bon samaritain une contestation de l’idée selon laquelle le religieux serait plus important que la vie. Pour lui, « le passage par la croix consiste à prendre au sérieux le réel et à ne pas s’en détourner dans quelque éloignement d’ordre spirituel » (p. 156) qui conduirait à fuir la responsabilité éthique ; la vie intérieure ne peut être un refuge hors du monde, mais « le lieu d’évaluation critique de nos engagements dans la vie extérieure » (p. 158). Il conteste donc ce « bonheur des sages » (vanté aujourd’hui surtout par les sagesses orientales) qui prône le détachement, accentuant « la rupture entre l’homme intérieur et l’homme extérieur » (p. 162), et qui favorise « l’isolement individualiste propre à notre post-modernité » (p. 172). La souffrance sera toujours là, il importe d’écouter la plainte des souffrants, sans chercher à offrir de vaines explications qui ne font qu’enfermer les hommes dans 267leurs prisons ; car voir dans la souffrance « les traces d’un projet divin, [c’est, de fait,] tourner le dos au pouvoir de délivrance de la souffrance contenu dans l’Évangile » (p. 189).
Les positionnements doloristes n’ont plus vraiment cours dans le christianisme aujourd’hui, note l’A. dans les dernières pages de son ouvrage. On peut alors se demander pourquoi il a jugé bon d’y consacrer ce livre qui n’est pas le travail détaché d’un historien de la pensée mais se veut en prise avec des questions toujours d’actualité. Pourtant, la question reste bien actuelle, comme en témoigne la controverse à laquelle sa lecture d’Etty Hillesum a donné lieu dans le journal Réforme ; ce qui incite à penser que l’A. a cependant eu raison de faire ce travail !
On peut déplorer de nombreuses imperfections dans la forme : un plan qui conduit à beaucoup de redites, sans que l’on voie que la pensée ait vraiment progressé d’un chapitre à l’autre ; la façon de passer, dans un même paragraphe, d’une référence à une autre sans le mentionner ; l’absence de transitions ; certaines phrases mal construites ; certains mots mis pour d’autres (ainsi p. 107, où l’A. parle d’un « positivement éthique » sans doute à la place d’un « positionnement éthique »), etc. Concernant le fond, on peut s’étonner que l’A. ait fait si peu place aux travaux philosophiques et théologiques actuels sur ces questions (il ne cite pas même le petit ouvrage, si précieux, de Paul Ricœur sur le mal) ; on regrette en particulier l’absence quasi-totale de références à la Réforme qui a pourtant introduit un regard tout différent sur la souffrance (on trouve seulement trois pages, bienvenues, consacrées au refus, par Bonhoeffer, des deux extrêmes que constituent « la révolte systématique » face aux adversités de la vie et « la soumission pieuse à la nécessité » [p. 174], une petite mention de Dorothee Sölle et une autre de Marion Muller-Collard). On peut encore interroger la radicalité de son positionnement ; car il est difficile de nier que ces tentatives de donner sens à la souffrance ont pu aider des personnes à la traverser. Cet ouvrage n’en reste pas moins précieux, par son refus de donner un caractère sacré à la souffrance, comme on le fait trop souvent en christianisme, et par son analyse des effets pervers d’une telle conception.
Isabelle Grellier
268Michel Anquetil, Chrétiens homosexuels en couple. Bonheur et sanctification, Paris, L’Harmattan, coll. « Religions et sciences humaines », 2020, 176 pages, ISBN 978-2-343-21251-7, 19 €.
Cet ouvrage s’inscrit dans la suite d’un autre du même auteur, paru en 2018, où il s’essayait à défendre, textes bibliques et théologiques à l’appui, la possibilité et la légitimité, pour les chrétiens homosexuels, de vivre en couple (voir RHPR, 99, 2019, p. 444-446).
L’A. propose ici, à ces chrétiens homosexuels, des repères pour les aider à vivre une relation conjugale épanouie et durable, dans la fidélité à leur baptême. Il le fait en s’appuyant à la fois sur son expérience – celle d’un homme vivant depuis de longues années une relation de couple, celle d’un animateur de groupes de partage pour des chrétiens LGBT – et sur des lectures touchant à la théologie et/ou à la conjugalité. Il le fait avec sensibilité et justesse, à travers un vaste parcours qui débute avec la formation du couple, se poursuit par l’apprentissage de la vie commune, développe les joies et les difficultés de l’engagement dans la durée et se conclut avec des réflexions sur l’ouverture du couple vers les autres, qu’il s’agisse des proches ou de la société de façon plus large.
Ce qui frappe le lecteur, c’est combien les questionnements abordés ici concernant la vie d’un couple homosexuel sont communs à ceux de tout couple qui veut inscrire la rencontre amoureuse dans la durée et la fidélité, et la vivre sous le signe de l’alliance : humaniser la sexualité, apprendre à s’ajuster l’un à l’autre dans le respect et dans l’écoute, ne pas se laisser séparer par la routine du quotidien ou par les évolutions de chacune et chacun, etc. Certes, certains paragraphes font place à des questions plus spécifiques aux couples de même sexe, en particulier celui consacré au coming-out (mais, et l’A. le relève, l’acceptation du ou de la partenaire par les proches peut être compliquée aussi pour des couples hétérosexuels), ou encore les réflexions sur la fécondité qui ne doit pas être comprise seulement en termes de procréation.
Un tel ouvrage était-il alors vraiment nécessaire ? L’A. explique que, malgré la proximité entre couples hétérosexuels et couples homosexuels, ces derniers ne se sentent pas forcément concernés par les livres écrits dans la perspective de couples hétérosexuels, et qu’il était donc important de s’adresser spécifiquement à eux. Et cet ouvrage sera précieux pour aider les personnes méfiantes à 269l’égard de l’homosexualité à modifier leur regard sur la conjugalité des personnes LGBT.
Isabelle Grellier
VIENT DE PARAÎTRE
Rémi Gounelle (dir.),La Bible dans les catéchèses des ive-ve siècles,Turnout, Brepols, coll. « Cahiers de Biblia Patristica » 21, 2020, 221 pages, ISBN 978-2-503-58895-7, 40 €.
Les catéchèses et manuels de catéchèse des ive-ve siècles citent abondamment la Bible, pour illustrer leur propos, pour prouver certains points doctrinaux ou moraux, mais aussi plus fondamentalement pour guider les fidèles ou les catéchètes dans leur utilisation des textes bibliques. Malgré la richesse des données disponibles, la recherche ne s’est que peu intéressée à l’utilisation de la Bible dans ces textes. Le présent volume pallie ce manque en explorant les homélies catéchétiques de Cyrille de Jérusalem (Sébastien Grignon), d’Ambroise de Milan (Aline Canellis) et de Jean Chrysostome (Guillaume Bady), le Discours catéchétique de Grégoire de Nysse (Matthieu Cassin) et le De catechizandis rudibus d’Augustin d’Hippone (Matthieu Pignot).
Rémi Gounelle
Rémi Gounelle, Anne-Laure Zwilling, Yves Lehmann, (dir.), Religions et alimentation. Normes alimentaires, organisation sociale et représentations du monde, Turnhout, Brepols, coll. « Homo religiosus » 20, 2020, 375 pages, ISBN 978-2-503-58015-9, 85 €.
S’alimenter est l’une des préoccupations essentielles des êtres vivants. Les êtres humains, cependant, ont très tôt donné au fait de se nourrir une signification qui dépasse l’exigence physiologique. 270C’est ainsi que la plupart des religions organisent le rapport au fait de manger, déterminent la valeur symbolique des différents aliments et définissent l’importance symbolique des divers moyens de préparer la nourriture. Elles définissent et régulent également la relation entre la nourriture et le divin.
Le présent ouvrage interroge, dans une perspective interdisciplinaire, la portée religieuse du rapport à la nourriture et décline la dimension sacrée des repas et de l’alimentation. Par des études de type diachronique et synchronique, il met en valeur des questions de fond à l’œuvre de l’Antiquité à nos jours et fait dialoguer les diverses méthodologies à l’œuvre dans l’étude du fait religieux (anthropologie, histoire, philosophie de la religion, sociologie, science des religions, théologie). Plusieurs contributions analysent les évolutions récentes en matière de rapport à l’alimentation et proposent des éclairages originaux sur la relation au religieux hors des religions constituées.
Rémi Gounelle
Élisabeth Parmentier, Cet étrange désir d’être bénis, Genève, Labor et Fides, 2020, 344 pages, ISBN 978-2-8309-1685-0, 19 €.
Cette monographie interroge l’engouement pour des bénédictions tant religieuses que dépourvues d’arrière-plan croyant, un « désir » alimenté par la constellation de sens réunis dans cette parole adressée et performative. Sa polysémie la rend accessible et désirable à un grand nombre de personnes – mais aussi à toutes les projections de l’ego. Cette étude veut redécouvrir la bénédiction en perspective luthéro-réformée, ouverte aux expériences bien plus riches des autres Églises – et du judaïsme. Que signifie bénir ? Et bénir « au nom de » Dieu trine ?
Des traversées bibliques qui orientent le parcours montrent que, loin de se limiter à un bénéfice pour soi, les bénédictions dont il est question dans la Bible ont pour finalité commune, dans leur grande diversité, d’être données pour une tâche et dans le but d’être transmises. Ni la bénédiction, ni la malédiction qui l’accompagne comme son ombre, ne sauraient être comprises comme des concepts fixés. Elles recouvrent différents sens, résonnant avec leurs contextes et leurs finalités. De même, la brève relecture de l’histoire de l’Église proposée dans cet ouvrage manifeste des variations de 271sens. Partant de la bénédiction comme action de grâce et louange de Dieu, génératrice de confiance et d’espérance, l’Église resserre le sens au Moyen Âge en purification des lieux, des objets et des personnes, afin d’offrir une protection face aux forces mauvaises. À l’époque actuelle toutefois, le Livre des bénédictions de l’Église catholique corrige ces perspectives en interprétant les bénédictions à partir de Pâques et du don du Christ. Néanmoins, les craintes des Réformateurs par rapport à des attentes superstitieuses ou méritoires nécessitent que l’expérience soit discutée. De ce fait, chaque chapitre de l’ouvrage propose une discussion critique et des possibilités prospectives pour les Églises.
Deux tâches s’imposent à la théologie protestante. Pour les Églises de type multitudiniste, l’action de bénir serait à redécouvrir. Elle valorise la corporéité pour vitaliser la foi, donne à éprouver, dans la parole et le geste, le fait que l’Église accompagne et abrite, notamment dans les situations d’engagement, de crise, de souffrance, de solitude. À l’inverse, pour les Églises de type charismatique, qui multiplient les bénédictions comme autant de signes visibles d’actions de puissance de l’Esprit pour la guérison ou la délivrance, une réflexion auto-critique est nécessaire par rapport aux tentations d’instrumentaliser la bénédiction pour l’évangélisation ou pour une théologie de la victoire.
L’expérience est une humanisation : l’ego tenté de profiter de la bénédiction est envoyé vers autrui (« être une bénédiction »). Et la bénédiction reçue d’autrui demeure dans l’incomplétude et à la mesure de la fragilité humaine. Elle ne peut changer spectaculairement le monde, mais fait pressentir « la sainteté qui demeure dans le brut » ou la « naissance de Dieu dans l’étable » (p. 279).
Élisabeth Parmentier
Magda Trocmé, Souvenirs d’une vie d’engagements. Édités et commentés par Frédéric Rognon, Nicolas Bourguinat et Patrick Cabanel, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Écrits de femmes », 2021, 343 pages, ISBN 979-10-344-0085-0, 26 €.
Quatre ans après la parution des Souvenirs d’une jeunesse hors normes (P.U.S, 2017, voir RHPR, 97, 2017, p. 311-312), la seconde 272partie des mémoires de Magda Trocmé (1901-1996) est aujourd’hui éditée. Les deux volumes constituent une somme de 600 pages, qui vient s’ajouter aux Mémoires d’André Trocmé, publiés trois mois auparavant (Labor et Fides, 2020) : ainsi, les deux regards des époux Trocmé offrent au lecteur des perspectives différentes, entrecroisées et complémentaires, sur l’itinéraire de ce couple pastoral hors norme qui a traversé le xxe siècle. C’est donc une part de l’histoire du protestantisme français au siècle dernier qui se trouve exposée.
Le récit commence en 1927, au lendemain de leur voyage de noces, avec le témoignage d’une femme de pasteur dans les cités ouvrières du Nord de la France (Maubeuge, Sin-le-Noble) : les événements du quotidien, souvent dramatiques, sont saisis par une plume alerte. La narration se poursuit, à partir de 1934, avec l’évocation du ministère d’André Trocmé avant-guerre au Chambon-sur-Lignon (« les années les plus heureuses de notre vie »), et notamment la création de l’École Nouvelle Cévenole (futur Collège cévenol). La période de la Seconde Guerre mondiale et de l’organisation du sauvetage de centaines de Juifs sur le plateau Vivarais-Lignon est sans doute mieux connue, bien documentée par ailleurs ; le point de vue de Magda Trocmé n’en recèle pas moins des aspects inédits. La dernière partie est une compilation de récits de voyages réalisés entre 1947 et 1957, entre l’Italie et les États-Unis, notamment auprès de Martin Luther King, dans le cadre de l’International Fellowship of Reconciliation (IFOR), mouvement non-violent chrétien au service duquel s’est mis le couple Trocmé. La narration s’arrête là : les quarante dernières années de la vie de Magda Trocmé ne sont pas relatées.
Magda Trocmé n’avait pas écrit (puis enregistré sur un magnétophone) ses souvenirs de jeunesse et d’engagements pour qu’ils soient publiés, mais pour laisser une trace chez ses enfants et petits-enfants. C’est pourquoi le lecteur se trouve plongé dans l’intimité d’une femme et d’une famille. C’est sa dernière fille encore en vie, Nelly Hewett (née en 1927), qui a pris l’initiative de la publication des deux volumes. Le récit est mis en perspective par un long commentaire, d’une cinquantaine de pages, fruit de la collaboration de trois enseignants-chercheurs : Frédéric Rognon présente le courant théologique du Christianisme social, ainsi que l’histoire des mouvements pacifistes et non-violents au xxe siècle ; Patrick Cabanel rend compte des opérations de sauvetage de Juifs 273au Chambon-sur-Lignon sous l’Occupation ; Nicolas Bourguinat éclaire les enjeux des voyages de solidarité internationale durant les années cinquante. L’ouvrage est enrichi de deux témoignages, de trois bibliographies, et de cinq illustrations.
Frédéric Rognon
Gérard Siegwalt, La réinvention du nom de Dieu. Où donc Dieu s’en est-il allé ?,Genève, Labor et Fides, coll. « Résonances théologiques », 2021, 165 pages, ISBN 978-2-8309-1741-3, 18 €.
Cet écrit est l’essai de penser l’ébranlement de notre civilisation de l’oubli de Dieu, d’une part, la conscience de la présence agissante de Dieu dans le cours du monde, d’autre part.
Oubli de Dieu : Dieu n’appartient pas à la réalité du temps présent. Non seulement les sciences de la nature n’en ont pas besoin pour expliquer l’origine et l’évolution du monde, mais en outre, de manière toute empirique, la plupart de nos contemporains (sous nos latitudes) mènent leur vie sans aucune référence à Dieu. Et dans notre civilisation où tout paraît faisable, il n’y a pas de place pour Dieu.
Ébranlement de notre civilisation : par le choc du réel. Il concerne la terre, la société, les personnes. Il se traduit par un cri. Notre génération : la génération du cri.
Quelle est la signification de ce cri, par-delà son appel à un sens de la vie, à la justice entre les humains, à un salut – une résilience – dans la perdition ?
Le cri est ici interprété comme un nouveau commencement, à portée œcuménique et donc pour toute la terre habitée, en train de se produire. Il tient à la réinvention du nom de Dieu.
Gérard Siegwalt
- CLIL theme: 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN: 978-2-406-12080-3
- EAN: 9782406120803
- ISSN: 2269-479X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12080-3.p.0089
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-21-2021
- Periodicity: Quarterly
- Language: French